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Les créations esthétiques 1. Notions générales

La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

Section 1. L’objet de la protection

2.4. Les créations esthétiques 1. Notions générales

112. Faute d’appartenir au domaine technique, les créations esthétiques sont exclues de manière expresse de la protection à l’article 52 al. 2 litt.b CBE268. K. Troller soutient cependant avec raison que l’utilisation future de l’invention est sans pertinence par rapport au caractère technique, dès lors

265 Dubarry, op. cit., p. 19.

266 Perret,La brevetabilité des inventions biotechnologiques,op. cit., p. 371.

267 Perret,La brevetabilité des inventions biotechnologiques,op. cit., p. 369.

268 Burnier,op. cit., p. 167.

que « […] des règles techniques peuvent permettre de produire des objets ayant un but esthétique ou pratique, culinaire par exemple […] »269. L’utilité de l’invention doit en effet être distinguée de son caractère technique270. Dans le même sens, Pedrazzini nous enseigne que l’objectif de la technique est de parvenir à une modification du monde physique, mais que le but n’a pas besoin d’être technique. Il admet également que ce dernier soit de nature es-thétique et cite, comme exemple, une recette de cuisine qui a fait l’objet d’un brevet d’invention en France271. Dans cette affaire «Croustade I», commentée ci-dessous, nous verrons que ce brevet n’a pas été annulé pour défaut de ca-ractère industriel272.

113. L’invention entraîne non seulement des effets sur le plan technique, dans une première phase, mais également du point de vue social, dans une phase ultérieure, plus précisément en donnant satisfaction à un besoin de l’humanité273. La phase sociale est à l’origine d’effets divers qui peuvent être notamment esthétiques274. Elle traduit l’utilité qui est une qualité inhérente de l’invention, mais qui « […] ne saurait être érigée en condition autonome de brevetabilité »275. Par conséquent, avant de se demander si l’invention est utile, on doit vérifier si elle a un effet technique, et non pas le contraire.

114. Au regard de l’article 52 al. 2 litt. b CBE, Burnier observe qu’un « […]

procédé pour produire une création esthétique peut inclure une règle tech-nique, et de ce fait, être brevetable276». Il cite, à titre d’exemple, un diamant à l’aspect particulier, fabriqué au moyen d’une telle règle. Le produit et le pro-cédé sont dans ce cas protégeables277. Bertschinger donne un autre exemple, celui d’un mouvement de montre extra plat, qui apporte une solution à un problème final purement esthétique278. L’article 52 al. 3 CBE limite du reste l’exclusion de la brevetabilité, au sens de l’alinéa 2, à une demande dans

269 K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 4 n° 3, p. 61 ; A. Troller,op. cit., vol. I, § 12, p. 152 ; cf. aussi Bréguet-Breiting c/ Taubert frères SA, du 14 septembre 1948, (ci-après arrêt

«Taubert»), ATF 74 II 127 et ss.

270 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 3 ; Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 55, 58.

271 Pedrazzini,op. cit., n° 4.2.1.1, p. 29, 30 ; cf. aussi Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 4 note 21.

272 Bary c/ Gesnouin, Cour de Paris du 9 novembre 1976, (ci-après arrêt «Croustade I»), ANPI 1977, p. 96 et ss.

273 Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 56 ; Franzosi,op. cit., p. 198, 201 ; Kohler, Josef, Handbuch des deutschen Patentrechts, Mannheim 1900, (ci-après Kohler,Handbuch), p. 121 et ss.

274 Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 57 ; arrêt «Taubert», ATF 74 II 127, 137.

275 Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 57.

276 Burnier,op. cit., p. 168.

277 Burnier,op. cit., p. 168 ; Bertschinger,op. cit., § 4 n° 4.26, 4.27, p. 99.

278 Bertschinger,op. cit., § 4 n° 4.27, p. 99.

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laquelle le brevet ne concerne que les créations esthétiques considérées en tant que telles. Dans ses Directives, l’OEB admet ainsi la brevetabilité en ces termes :

« Une substance ou une composition définie par des caractéristiques tech-niques destinées à produire un effet spécial pour ce qui est de l’odeur ou de la saveur, par exemple à intensifier l’odeur ou la saveur ou à la conserver pendant une période prolongée, peut être également brevetable279. »

115. Comme Burnier le fait remarquer au regard de la CBE, cette exclu-sion n’apporte aucun élément nouveau par rapport aux différents droits na-tionaux280. En d’autres termes, dans la mesure où il existe une règle technique, elle n’a aucune portée. C’est donc à juste titre que l’exclusion des créations esthétiques n’a pas été reprise dans la LBI.

116. Pour K. Troller, l’exclusion des créations esthétiques au sens de l’ar-ticle 52 al. 2litt.b CBE constitue une surprise281. Il se demande si sa motiva-tion provient d’une volonté du législateur « […] d’exclure les objets dont le seul but est l’effet esthétique – à savoir les dessins et modèles », une évidence qui n’avait pas besoin d’être mentionnée de manière expresse282. De l’avis de Perret, « La forme n’intéresse le régime des brevets d’invention que parce qu’elle détermine sur le plan pratique l’application d’une nouvelle connais-sance technique283. » Dans le domaine des dessins et modèles, il relève, au contraire, que la forme doit être considérée indépendamment de l’idée tech-nique pour pouvoir être protégée284.

117. Les dessins et modèles sont désormais appréhendés par la Loi fé-dérale sur la protection des designs du 5 octobre 2001285 (ci-après LDes) qui

« […] protège en tant que designs la création de produits ou de parties de produits caractérisés notamment par la disposition de lignes, de surfaces, de contours ou de couleurs, ou par le matériau utilisé »286. Cette protection ne porte pas sur l’idée technique, mais sur la forme. Dans ses Directives en ma-tière de brevets, l’IFPI estime qu’une vérification doit être faite, dans les cas limites, pour déterminer si la protection par la LBI ou plutôt celle de la LDes est adéquate287. Selon l’IFPI, un produit est en principe brevetable si sa forme

279 Directives OEB, op. cit., partie C chapitre IV, § 2.3.4., IV-3.

280 Burnier,op. cit., p. 168.

281 K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 11 n° 6, p. 66.

282 K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 11 n° 6, p. 66.

283 Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 293.

284 Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 293.

285 RS 232.12.

286 Art. 1 LDes.

287 Directives en matière de brevets, op. cit., § 2.1, p. 14.

« […] possède (également) une fonction technique […] ». L’IFPI donne comme exemple la surface de roulement d’un pneu de voiture288.

118. A notre avis, si l’on envisage l’exclusion des créations esthétiques par rapport à la séparation entre le régime des brevets d’invention et celui des designs, le critère ne doit pas être le but esthétique. En effet, formulé ainsi, on risque de confondre la finalité de l’invention avec l’idée technique. La fina-lité esthétique n’est pas pertinente dans le domaine des brevets d’inventions.

En revanche, il est nécessaire de vérifier si l’invention a un effet technique, comme l’indique l’IFPI. Une réalisation ne doit dès lors pas être exclue en raison de son but esthétique même s’il s’agit de sa seule finalité, mais bien en raison de l’absence d’un résultat matériel ou technique289.

2.4.2. L’arrêt « Firmenich »

119. Dans cet arrêt, rendu sous l’empire de l’article 2 LBI dans sa version initiale de 1954, le Tribunal fédéral a admis que l’objet d’une invention peut porter sur un mélange avec des aliments ou des boissons290. Comme nous l’avons déjà relevé, l’article 2 LBI, en vigueur en 1954, contenait une exclu-sion sur les inventions de produits alimentaires et de boissons291. La LBI de 1954 permettait néanmoins la brevetabilité des procédés de fabrication de ces derniers, contrairement à la loi antérieure de 1907, qui excluait toutes les inventions de boissons et d’aliments292. Notre Haute cour a ainsi jugé dans cet arrêt :

« L’objet de l’invention réside dans l’idée nouvelle de mélanger des cétones à des aliments ou à des boissons pour en modifier le goût ou l’arôme. Une telle idée est brevetable pour autant qu’elle réponde aux exigences posées par la loi pour n’importe quelle invention293. »

120. Le Tribunal fédéral ajoute que le but de l’article 2 ch. 3 LBI, dans la version en vigueur en 1954, était d’empêcher le renchérissement des produits alimentaires. Il en déduit que l’ajout d’une substance organoleptique à des

288 Directives en matière de brevets, op. cit., § 2.1, p. 14 ; Heinrich, Peter, Schweizerisches Patent-gesetz Europäisches Patentübereinkommen, Zurich 1998, ad art. 1, n° 1.20, p. 12 : « Hat die Form daneben auch eine technische Funktion, so ist sie sehr wohl patentierbar. »

289 Bertschinger,op. cit., § 4 n° 4.27, p. 99, comme mentionné ci-dessus, donne l’exemple d’un mouvement de montre extra plat qui permet au boîtier d’avoir cette caractéristique. Un tel mou-vement poursuit certes un but exclusimou-vement esthétique, mais constitue bien une invention. En effet, pour obtenir ce résultat « extra plat », il a fallu résoudre un problème de nature technique.

Par conséquent, ce mouvement est susceptible d’être brevetable même si la solution technique ne procure aucun avantage technique au mécanisme.

290 Firmenich et Cie c/ Bureau fédéral de la propriété intellectuelle, du 29 juin 1971, (ci-après arrêt

«Firmenich»), ATF 97 I 564, 568, JdT 1971 I 614.

291 Message du CF, FF 1954 II 197.

292 Arrêt «Firmenich», ATF 97 I 564.

293 Arrêt «Firmenich», ATF 97 I 564, 567, 568.

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aliments ou des boissons n’est pas contraire à cet article, la suppression éven-tuelle d’un goût désagréable étant réservée294.

121. Nous avons déjà observé, à propos de l’invention chimique, que les chiffres 2 à 4 de l’article 2 LBI, en vigueur en 1954, ont été définitivement sup-primés lors de la révision de 1976295. La question ne se pose dès lors plus sous le même angle. On peut néanmoins retenir de cet arrêt ce qui suit : le fait que le produit final satisfait au goût et à l’arôme, à l’esthétique d’ordre culinaire, ne constitue pas un motif d’exclusion au stade de l’invention en tant que règle technique, parce qu’il s’agirait d’une création esthétique. Comme toutes les autres inventions, les boissons et les aliments sont susceptibles d’être breve-tables, si les autres conditions sont remplies, en particulier la nouveauté et la non-évidence.

2.4.3. Les créations esthétiques dans le domaine de la parfumerie

122. La création esthétique concerne en premier lieu le jus du parfum, in-dépendamment de la question de savoir si l’invention dans sa phase dyna-mique est une recette ou une formule chidyna-mique. Le jus du parfum répond en effet à un besoin esthétique qui consiste à sentir bon. Cette considération tou-che cependant à la seule finalité du parfum. Le but esthétique pourrait tout aussi bien s’appliquer à la formule chimique d’un produit odorant naturel ou synthétique, ou de la formule d’un mélange composé d’une combinaison de produits odorants. Etant donné que l’exclusion des créations esthétiques concerne avant tout le jus du parfum, l’analyse peut être concentrée sur ce dernier. Si celui-ci n’est pas refusé en tant que création esthétique, il n’y a aucune raison d’exclure les produits ou le mélange à sa base.

2.4.4. Appartenance de la recette ou de la formule chimique au domaine technique ?

123. Les premiers auteurs qui ont analysé la brevetabilité des créations du domaine de la parfumerie, en droit français, ont admis le caractère technique de l’invention sans examiner cette question296. En revanche, Barbet et al.

considèrent que la création en matière de parfumerie répond à une finalité esthétique, et non pas technique. Par conséquent, ils soutiennent qu’elle doit être exclue de la brevetabilité, en précisant ce qui suit :

« […] Le compositeur doit certes maîtriser parfaitement son métier pour créer des parfums non seulement plaisants, mais encore durables dans le temps, résistant à de larges conditions d’utilisation, et conformes aux conditions

294 Arrêt «Firmenich», ATF 97 I 564, 570.

295 Message du CF, FF 1976/18 II 52, 68.

296 Laligant,Problématique de la protection du parfum,op. cit., p. 593 ; Pamoukdjian,op. cit., p. 191 et ss.

écologiques et de santé publique. Ces aspects techniques constituent toute-fois des contraintes, et non une finalité.297»

124. Ce raisonnement est critiquable, car Barbet et al. examinent la fina-lité de l’invention, en l’occurrence esthétique, autrement dit son utifina-lité. Nous rappellerons que cette considération ne saurait être pertinente pour l’exclu-sion des créations esthétiques. Les contraintes « techniques » relevées par Barbet et al, en particulier écologiques et de santé publique, ne sont qu’un aspect de l’invention. Selon nous, la seule question à laquelle on doit répon-dre est de savoir si la recette et la formule chimique constituent des inven-tions en tant que règle et si elles appartiennent au domaine de la technique.

125. Il est vrai que le droit français, qui s’est inspiré de la Convention de Munich, exclut désormais de manière expresse les créations esthétiques en tant que telles298, ce qui confirme l’absence de brevetabilité de la formule du jus du parfum selon Galloux299. Ce dernier considère en effet que le jus du parfum ne saurait être brevetable, faute de répondre au caractère technique300. En se basant sur la décision «Relaxine»301, commentée ci-dessous, il refuse en effet d’analyser le jus du parfum « […] comme la solution technique à un pro-blème technique »302.

126. Il estime que la finalité esthétique ne constitue pas la seule distinction entre création esthétique et technique, mais semble considérer que le jus du parfum, qu’il qualifie de « […] forme olfactive spécifique et définie », ne peut pas faire l’objet de revendications de forme précise303. Galloux expose que la brevetabilité du parfum ne pourrait dès lors être admise « […] que si la forme particulière du parfum conduisait à une solution technique ou si la création esthétique présentait également des particularités d’ordre technique304». Il en déduit que le caractère intrinsèquement esthétique du jus du parfum justifie l’exclusion dont il est susceptible de faire l’objet305.

297 Barbet et al., op. cit., p. 257, 258.

298 Article L611-10 al. 2litt. b du Code de propriété intellectuelle (Loi nº 2004-1338 du 8 décembre 2004 art. 1 Journal Officiel du 9 décembre 2004, ci-après CPI) ; Dubarry,op. cit., p. 17, relève à propos du droit français : « […] seules sont exclues les créations purement esthétiques. »

299 Galloux,op. cit., p. 2642.

300 Galloux,op. cit., p. 2642.

301 Décision de la Division d’opposition de l’OEB, du 8 décembre 1994, (ci-après Décision «Re-laxine»), JO 1995/6, p. 388, 397 : « Toute invention doit avoir un caractère technique : elle doit apporter une solution technique à un problème technique, être applicable sur le plan industriel et pouvoir être reproduite sans effort excessif. »

302 Galloux,op. cit., p. 2642.

303 Galloux,op. cit., p. 2642.

304 Galloux,op. cit., p. 2642 ; cf. aussi Bruguière, Jean-Michel, « Les fragrances ‹ au pays des mer-veilles › et toujours les difficultés d’appréhension de l’odeur par la propriété intellectuelle », JCP 2004 II 10 144, p. 1699.

305 Galloux,op. cit., p. 2642.

Section 1 – L’objet de la protection

Chapitre 2 – La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

127. Au stade de l’exclusion des créations esthétiques, les revendications, autrement dit les conditions formelles de protection, qui seront examinées ci-après, ne sont pas pertinentes. Par ailleurs, il est nécessaire de distinguer entre la simple appartenance au domaine technique et la question de savoir si la solution technique est nouvelle et non-évidente. A notre avis, en se basant sur les « particularités d’ordre technique », Galloux se réfère en fait à ces deux dernières questions, qui seront examinées ci-après (section 2)306.

128. Dès lors, le critère de l’appartenance au domaine technique ne consti-tue pas un obstacle à la brevetabilité de la recette ou de la formule chimique du jus du parfum. S’agissant de la formule chimique d’un produit odorant naturel ou synthétique, ou de la formule d’un mélange composé d’une combi-naison de produits odorants, on peut faire exactement le même raisonnement en relation avec les créations esthétiques. Dessemontet souligne à juste titre que « […] la loi n’exclut pas la brevetabilité des médicaments ou des cosmé-tiques […]307».