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Atteinte à une invention brevetable en matière de parfumerie

Conclusions sur les conditions formelles de protection

Section 4. Atteinte à une invention brevetable en matière de parfumerie

237. Selon l’article 51 LBI, qui doit être interprété à la lumière des arti-cles 66 litt.a LBI et 69 CBE492, l’exclusivité du titulaire du droit est violée dès que l’invention brevetée est utilisée illicitement, plus précisément en pré-sence d’une contrefaçon ou imitation493. Un brevet qui revendique un produit confère une protection optimale. En particulier, il protège contre la fabrica-tion du produit breveté par un autre procédé494. Selon l’article 8 al. 3 LBI, si le brevet porte sur un procédé, le produit n’est protégé que s’il est effectivement fabriqué au moyen de ce procédé495.

238. Dans le cadre de cette section, avant d’examiner la violation d’une formule chimique en matière de parfum (§ 2), nous donnerons des précisions sur la notion de contrefaçon et d’imitation (§ 1). Pour ce faire, nous exposerons quelques notions générales (1.1) et commenterons l’arrêt «Doxycyclin III» (1.2).

§ 1. La contrefaçon et l’imitation

1.1. Notions générales

239. La contrefaçon consiste en la reprise de tous les éléments caractéris-tiques de l’invention brevetée, de la règle technique, telle qu’elle est décrite dans les revendications ou peut en être déduite496. Du point de vue théo-rique, « Les contrefaçons sont facilement décelables en pratique, puisqu’elles reproduisent l’objet même de l’invention497». Dans le domaine de la chimie, il semble que cela n’est cependant pas toujours aussi simple.

492 Blumer, Fritz, « Schutzbereich des Patents », in : Bertschinger / Münch / Geiser, Schweize-risches und europäisches Patentrecht, Handbücher für die Anwaltspraxis VI, Bâle / Genève / Munich 2002, (ci-après « Blumer,Schutzbereich»), § 14 n° 14.18, p. 655, § 14 n° 14.26, p. 659, 660 ; Brunner, Eugène, « Der Schutzbereich europäisch erteilter Patente aus schweizerischer Sicht – eine Spätlese », sic ! 1998/4, p. 348 ; Heinrich,op. cit.,ad art. 51, n° 51.48, p. 239.

493 Marbach, Immaterialgüterrecht, op. cit., n° 161, p. 34 ; Brunner, op. cit., p. 349 ; Perret, François / Aegerter, Cédric, « Brevets d’invention IV », FJS 522/1995, (ci-après Perret / Aegerter,FJS 522), p. 15 : « Utilise l’invention illicitement celui qui accomplit sans droit l’un des actes visés à l’art. 8 LBI, et ce à des fins professionnelles. On rappellera que l’imitation est considérée comme une utilisation illicite de l’invention (art. 66 let. a in fine LBI). »

494 Stieger, Werner, « Die Rechte aus dem Patent und aus der Patentanmeldung », in:Bertschinger / Münch / Geiser, Schweizerisches und europäisches Patentrecht, Handbücher für die Anwaltspra-xis VI, Bâle / Genève / Munich 2002, § 11 n° 11.43, p. 373 ; Perret / Aegerter, FJS 520, op. cit., p. 19.

495 Stieger,op. cit., § 11 n° 11.100, p. 390 ; Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 19.

496 Perret / Aegerter,FJS 522, op. cit., p. 15, 16 ; K. Troller,Manuel du droit suisse, op. cit., vol. II,

§ 56 n° 1.3, p. 863 ; Brunner,op. cit., p. 349.

497 Perret / Aegerter,FJS 522, op. cit., p. 16 ; Brunner,op. cit., p. 349.

240. Contrairement aux contrefaçons, les imitations ne font que reprendre les éléments essentiels498. Les éléments qui aux yeux de l’homme du métier sont indispensables pour le brevet en cause doivent être considérés comme essentiels499. La difficulté de l’imitation réside dans la nécessité d’interpréter le brevet de manière extensive, au-delà des formes d’exécution définies dans celui-ci500. De l’avis de Perret et Aegerter, la démarche est donc abstraite et impose de rechercher « […] une idée de solution ou un dénominateur tech-nique commun qui permettra en quelque sorte de faire tomber la réalisation arguée d’imitation sous le coup de la définition protégée »501.

241. Selon le Tribunal fédéral, il y a imitation lorsque seuls des points secondaires sont différents et que le contenu essentiel de l’idée inventive (« l’essence de l’idée inventive ») est repris502. Si, pour l’homme du métier, les différences sont évidentes au regard de la règle revendiquée dans le brevet, en d’autres termes ne constituent pas une nouvelle idée inventive, il pourra s’agir d’une imitation503.

242. L’imitation dépend généralement du cas concret504. Par ailleurs, le re-cours à un expert est sans doute nécessaire pour aider le juge à la constater505. Elle peut consister en l’omission d’un ou de plusieurs éléments secondaires ou dans le fait de remplacer un élément par un autre506. Pour établir l’imita-tion, il est possible d’avoir recours à la théorie des équivalents, autrement dit l’usage de moyens qui exercent la même fonction et produisent le même effet technique, le même résultat, de manière évidente pour l’homme du

498 Perret / Aegerter,FJS 522, op. cit., p. 16.

499 Pedrazzini,op. cit., n° 16.3.3, p. 156.

500 Perret / Aegerter,FJS 522, op. cit., p. 16 ; Brunner,op. cit., p. 349 et ss.

501 Perret / Aegerter,FJS 522, op. cit., p. 16.

502 Mägert Bautechnik SA c/ Emil Sigg & System Albanese, du 9 décembre 1998, (ci-après arrêt

«RISA»), ATF 125 III 29, JdT 1999 I 446, 447 ; Heinz S. c/ V. SA et B SA, du 16 novembre 1989, (ci-après arrêt «Disques»), ATF 115 II 490, JdT 1990 I 594 ; Stamm c/ Carl Sigerist et Co, du 10 février 1971, (ci-après arrêt «Porte battante»), ATF 97 II 85, JdT 1971 I 611, 612 ; Charles Aerni SA c/ Vulcain et Studio SA, du 27 juin 1972, (ci-après arrêt «Montre Cricket»), ATF 98 II 325, 331 ; cf. aussi Jenny, Andreas, Die Nachahmungsfreiheit, thèse, Zurich 1997, p. 10 ; Blum / Pedrazzini,op. cit., vol. III, ad art. 66, n° 9, p. 446 et ss, 457 ; Marbach,Immaterialgüterrecht,op. cit., n° 165, p. 34, n° 168, p. 35 ; K. Troller,Manuel du droit suisse, op. cit., vol. II, § 56 n° 1.4, p. 864 ; K. Troller,Précis du droit suisse,op. cit., § 56 n° 1, p. 328.

503 Arrêt «Disques», ATF 115 II 490, 491 ; arrêt «Porte battante», ATF 97 II 85, 88.

504 Pedrazzini,op. cit., n° 16.3.3, p. 157.

505 Arrêt «RISA», ATF 125 III 29, JdT 1999 I 446, 448 : « La juridiction inférieure n’a pas pu s’appuyer sur l’opinion d’un juge spécialisé, ou du moins il n’en est pas fait mention au dossier. Elle aurait dû requérir une expertise à ce propos » ; Brunner,op. cit., p. 355 : « Der Experte wird denn auch vom Richter sowohl bei der Auslegung des Patentanspruches als auch bei der daran anknüp-fenden Subsumptionen der angegriffenen Ausführungsform nur allzu gerne als Gehilfe in An-spruch genommen. »

506 Blumer,Schutzbereich,op. cit., § 14 n° 14.50, p. 671 ; Perret / Aegerter,FJS 522, op. cit., p. 16 et ss ; Brunner,op. cit., p. 357 et ss.

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Chapitre 2 – La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

métier507. La question de savoir s’il s’agit d’une contrefaçon ou d’une imitation ne change cependant rien par rapport à l’étendue de la protection conférée par les articles 51 LBI et 69 CBE : dans les deux cas le brevet est violé508. 243. En matière de chimie, dans un arrêt sur mesures provisionnelles, le Tribunal de commerce de Zurich a jugé que le procédé de fabrication du De-metrin, qui revendique la substance Prazepam (brevet n° 446 357), ne viole pas le brevet n° 414 653 revendiquant la substance Diazepam509. La substance elle-même n’était en effet pas protégée510. Rendu sous l’empire de l’ancien droit, qui comme déjà relevé ne protégeait pas la substance, cet arrêt est dépassé. Il montre néanmoins l’intérêt de la protection de la substance par la LBI.

244. Dans l’arrêt «Sel-Rex», le Tribunal fédéral a constaté la violation d’un brevet de « procédé pour l’obtention de dépôts galvaniques d’alliage or-argent »511. Selon le Tribunal fédéral, pas tous les éléments des revendications ont été repris, mais à tout le moins ceux qui sont essentiels512. Heinrich cri-tique cette argumentation qu’il considère comme insuffisante au regard de la législation actuelle513. Avec raison selon nous, il estime que les éléments essentiels doivent être indiqués par le déposant dans les revendications lors de la demande de brevet, ce qui ne peut pas être corrigé ultérieurement par le juge514.

1.2. L’arrêt « Doxycyclin III »

245. Dans l’arrêt «Doxycyclin III», la Tribunal fédéral a dû juger de la vio-lation du brevet antérieur CH 525 186 («Giftpatent») par le brevet CH 579 531 («Ankerfarm Patent»)515. Les deux brevets précités concernent tous deux un procédé de fabrication du même antibiotique appelé Doxycyclin516. Comme

507 Blumer,Schutzbereich,op. cit., § 14 n° 14.71, p. 679 ; Heinrich,op. cit., ad art. 51, n° 51.28 et 51.48, p. 229, 239 ; Perret / Aegerter,FJS 522, op. cit., p. 16 et ss ; A. Troller,op. cit., vol. II,

§ 54, p. 890 ; K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. II, § 56 n° 1.5, p. 865.

508 Blumer,Schutzbereich,op. cit., § 14 n° 14.49, p. 670.

509 Arrêt du Tribunal de commerce de Zurich du 12 décembre 1979, (ci-après arrêt «Demetrin»), ZR 1981/80 (N° 15), p. 42, 47.

510 Arrêt «Demetrin», ZR 1981/80 (N° 15), p. 42, 47.

511 Schmiedlin c/ Sel-Rex SA, du 28 juin 1966, (ci-après arrêt «Sel-Rex»), ATF 92 II 280, 223, SJ 1967 p. 209, 211, 223.

512 Arrêt «Sel-Rex», ATF 92 II 280, 223, SJ 1967 p. 209, 222, 223.

513 Heinrich,op. cit., ad art. 51, n° 51.42, p. 236.

514 Heinrich,op. cit., ad art. 51, n° 51.42, p. 236 ; Blumer,Schutzbereich,op. cit., § 14 n° 14.65, p. 677, considère également que les éléments essentiels doivent pouvoir être déterminés lors de la lecture du brevet pour des motifs de sécurité juridique.

515 Lagap SA c/ Pfizer Inc., du 18 janvier 1990, (ci-après arrêt «Doxycyclin III»), RSPI 1991/1, p. 199.

516 Arrêt «Doxycyclin III», RSPI 1991/1, p. 199.

l’a relevé le Tribunal de commerce de Zurich, dans un arrêt précédant, rendu dans la même affaire, la substance elle-même n’est pas protégée par ces deux brevets517.

246. Le Tribunal fédéral affirme qu’il y a imitation par des équivalents, lorsque la solution brevetée est atteinte par des moyens équivalents de par leur fonction. L’homme du métier peut tirer ces derniers des revendications, sans faire preuve d’activité inventive et en tenant compte de l’état de la tech-nique518. Pour le Tribunal fédéral, les deux procédés ont le même effet, plus précisément, ils permettent de résoudre la même tâche avec le même suc-cès519. Une imitation du «Giftpatent», par le procédé plus récent du « Anker-farm Patent», ne peut ainsi être constatée que si ce dernier repose sur la solu-tion du problème divulgué et protégé par le «Giftpatent»520. Tel est le cas, si le

«Ankerfarm Patent» ne dévie du «Giftpatent» que sur des points mineurs et, par conséquent, est évident par rapport à ce dernier521.

247. Par ailleurs, le Tribunal fédéral constate qu’une violation du brevet pourrait exister en cas d’invention dépendante. Tel serait le cas si la solution antérieure était reprise, entièrement ou dans son essence, comme la base d’un développement inventif522. Le «Ankerfarm Patent» n’étant considéré ni comme une imitation, ni comme un brevet dépendant dans le sens précité, le Tribu-nal fédéral a jugé qu’il n’y a pas d’atteinte au «Giftpatent» selon l’article 66 litt. a LBI523.

248. Blumer critique cette jurisprudence, dans la mesure où elle pourrait conduire à admettre que des solutions, qui ont le même effet et sont évidentes, tomberaient sous la protection du brevet, ce qui est contraire à la primauté des revendications524. De même, Heinrich soutient que les considérations du Tribunal fédéral ont pour effet, sans que cela ne soit nécessaire, de rendre le droit des brevets d’invention aussi opaque qu’une science secrète525. Bien

517 Arrêt du Tribunal de commerce de Zurich, du 26 juin 1989, (ci-après arrêt «Doxycyclin II»), RSPI 1991/1, p. 193, 197.

518 Arrêt «Doxycyclin III», RSPI 1991/1, p. 199, 204.

519 Arrêt «Doxycyclin III», RSPI 1991/1, p. 199, 206.

520 Arrêt «Doxycyclin III», RSPI 1991/1, p. 199, 206.

521 Arrêt «Doxycyclin III», RSPI 1991/1, p. 199, 206.

522 Arrêt «Doxycyclin III», RSPI 1991/1, p. 199, 206.

523 Arrêt «Doxycyclin III», RSPI 1991/1, p. 199, 206.

524 Blumer,Schutzbereich,op. cit., § 14 n° 14.65, p. 680.

525 Heinrich,op. cit., ad art. 51, n° 51.40, p. 235 ; cf. également Brunner,op. cit., p. 361 : « […] der Kreis der ähnlichen und gleichzubewertenden Sachverhalte darf keinesfalls durch Abstraktion über den massgeblichen Inhalt des Patentanspruchs hinaus ausgedehnt werden. Diese Grenze wird nur eingehalten, wenn die unterschiedlichen Merkmale der jüngeren Erfinfung gegenüber der älteren Erfindung nicht ins Gewicht fallen, bzw. wenn sie, wie es das Bundesgericht in ande-rem Zusammenhang formuliert, untergeordneter natur sind. »

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Chapitre 2 – La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

plus, il souligne, avec raison, que l’invention dépendante permet de juger de la validité du brevet ultérieur, tandis que l’imitation relève de l’atteinte au brevet antérieur. Par conséquent, ces deux notions ne doivent pas être mises sur le même niveau526. Cet arrêt montre également l’importance du brevet qui porte sur la substance chimique elle-même. Celle-ci confère une protection optimale, indépendamment du procédé de fabrication.

249. Heinrich observe encore, à juste titre, que l’imitation peut résulter de l’utilisation évidente de moyens équivalents pour un ou plusieurs éléments des revendications527. De même, l’imitation doit être admise en cas d’omission d’éléments qui peuvent facilement être reconnus comme étant non essen-tiels528. En revanche, elle doit être niée lorsque l’exécution attaquée est sug-gérée par l’état de la technique529. Il nous reste donc à examiner la violation d’une formule chimique en matière de parfum.

§ 2. Violation d’une formule chimique en matière de parfum

250. Reprenons l’exemple du brevet CH 689 372 A5 précité. A supposer qu’on puisse constater que le jus du parfum d’un concurrent contient le pro-duit odorant « 2-(4-isobutyl-1-phényl)-propanal »530, une atteinte à la première revendication serait avérée et, partant, le brevet serait violé. Il s’ensuit que la protection est optimale lorsqu’on revendique un produit odorant.

251. Dans le cas du mélange de « (9E)-undecenonitrile », de « (9Z)-undece-nonitrile » et de « 10-undece(9Z)-undece-nonitrile » de la demande de brevet EP 1 174 116 A1531, mentionnée ci-dessus, on ne peut pas exclure que la revendication soit un peu moins efficace. En effet, pour que le brevet soit violé, la contrefaçon ou imitation doit, en principe, contenir tous les éléments essentiels de la re-vendication. Théoriquement, plus l’invention est complexe, plus la possibilité de l’imiter en omettant ou en remplaçant des éléments essentiels est élevée.

Par conséquent, si l’on imagine un brevet qui revendique la formule chimi-que intégrale du jus du parfum, la possibilité d’omettre ou de remplacer des éléments essentiels des revendications devrait en principe s’accroître.

252. Du point de vue stratégique, la revendication d’un seul produit odo-rant paraît ainsi intéressante. En pratique, lorsqu’un produit odoodo-rant fait

l’ob-526 Heinrich,op. cit., ad art. 51, n° 51.40, p. 235.

527 Heinrich,op. cit., ad art. 51, n° 51.48, p. 239.

528 Heinrich,op. cit., ad art. 51, n° 51.48, p. 239.

529 Heinrich,op. cit., ad art. 51, n° 51.48, p. 239.

530 Brevet CH 689 372 A5, délivré à Firmenich SA le 31.03.1999, revendication n° 1, p. 3.

531 Demande de brevet EP 1 174 116 A1, déposée le 21.07.2000 par Givaudan SA, p. 5.

jet d’un brevet, il semble que la plupart des contrefaçons ou imitations ne contiennent cependant pas ce produit. La difficulté provient ainsi du fait que le consommateur ne s’en aperçoit pas forcément. En effet, si le contrefacteur parvient à fabriquer un parfum suffisamment proche pour être concurren-tiel, mais sans pour autant violer les revendications, la protection par le bre-vet devient inefficace.