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Considérations méta-juridiques sur les créations de la parfumerie

Section 2. Les matières premières

14. Il existe différents procédés pour obtenir les composants ou maté-riaux à la base d’un parfum. Pour les matières premières naturelles végétales, les extractions proviennent des graines, de la racine (par exemple le vétiver), des mousses, de la gomme-résine, du bois, de la feuille (par exemple le pat-chouli), de l’herbe, de l’écorce, des épices, de la fleur ou du fruit25. La plus ancienne méthode d’extraction est la distillation26. Elle consiste à porter à ébullition des matières premières placées dans un alambic avec de l’eau et à en récupérer l’essence. Plus efficace est la distillation à la vapeur, diffusée à travers la matière première, de même que la distillation sous vide, par réduc-tion de la pression de l’air27. L’essence ainsi obtenue s’appelle huile essentielle (ou essence)28.

22 Galloux,op. cit., p. 2642 ; Balana, Sergio, « L’industrie du parfum à l’assaut du droit d’auteur…

fumus boni juris ? »Propriétés intellectuelles 2005/16, p. 259, est encore plus précis en distin-guant entre la « formule », la « composition matérielle ou jus » et le « message olfactif ».

23 Galloux,op. cit., p. 2642 ; cf. Barbet et al.,op. cit., p. 278, qui relèvent que le terme parfum peut désigner la source olfactive, ainsi que le message olfactif ; Breesé, Pierre, « Propriété in-tellectuelle des créations sensorielles : l’apport de la science pour défendre les droits du créa-teur », disponible sur le site Internet (dernière visite 3.04.2006) [http://breese.blogs.com/pi/

files/PierreBreese_1995.pdf ], (ci-après Breesé,Créations sensorielles), p. 3 ; Sirinelli, Pierre,

« Parfum – Un parfum enfin en odeur de sainteté », Propriétés intellectuelles 2005/14, (ci-après Sirinelli,Parfum), p. 47 et ss.

24 Comité Français du Parfum,Parfum l’expo, p. 72 ; Breesé, Pierre, « La contrefaçon de parfum », disponible sur le site Internet (dernière visite 29.03.2006) [http://breese.blogs.com/pi/files/

Parfumbreese.pdf ], (ci-après Breesé,Contrefaçon), p. 2, utilise le terme de « fragrance » pour désigner le message olfactif du parfum.

25 Barbet et al., op. cit., p. 24 ; Comité Français du Parfum,Parfum l’expo, p. 16 et ss.

26 Barille / Laroze,op. cit., p. 30 ; Comité Français du Parfum,Parfum l’expo, p. 22 : plus précisé-ment cette technique de base est appelée hydro distillation.

27 Barille / Laroze, op. cit., p. 29 ; Comité Français du Parfum, Parfum l’expo, p. 25 : ces variantes sont aussi appelées entraînement à la vapeur sèche et distillation fractionnée (isolation de cer-tains éléments nobles des huiles brutes).

28 Jellinek,op. cit., p. 166 ; Laszlo / Rivière,op. cit., p. 25.

Section 2 – Les matières premières

Chapitre 1 – Considérations méta-juridiques sur les créations de la parfumerie

15. Les fleurs telles que la tubéreuse ou le jasmin ne produisent, au moyen de la distillation, qu’une essence grossière et inutilisable. L’enfleurage à froid est un autre procédé ancien qui permet d’absorber la fragrance au moyen de graisses transformées en pommades parfumées29. Traitées à l’alcool, ces pommades donnent un absolu, autrement dit une substance odorante d’une plante obtenue par extraction à base de solvant30, qui est très proche du par-fum de la fleur fraîche31. Une autre méthode, l’enfleurage à chaud, consiste à laisser macérer des fleurs moins fragiles dans des bains de graisse. La graisse filtrée devient une pommade dont on peut également tirer un absolu32. Ces procédés longs et coûteux ont la plupart du temps été remplacés33.

16. L’extraction par des solvants volatils est aujourd’hui utilisée pour les végétaux peu riches en arômes. Ce procédé, lorsqu’il est appliqué aux résines, donne les résinoïdes. Après une première distillation au moyen de solvants volatils tels que l’éther, le pétrole, l’hexane ou le benzène (au lieu de la vapeur d’eau), on obtient une matière que l’on appelle concrète. Lavée à l’alcool, celle-ci devient une essence du nom d’absolue34. A noter qu’une tonne de pétales de roses est nécessaire pour en produire un kilo et demi35. Une méthode plus récente, l’extraction au gaz carbonique (CO2) supercritique permet d’éviter les traces résiduelles de solvants dans l’extraction à froid des végétaux. En effet, le CO2 sous pression et à température supérieure à 31 °C, soit à l’état supercritique, permet de dissoudre de nombreux composés organiques36. 17. Certaines fleurs, comme la violette ou le muguet, nécessitent un pro-cédé plus révolutionnaire, soit la « technique des fleurs vivantes » ou Head Space. Le parfum de la fleur fraîche placée sous une cloche de verre est cap-turé par un gaz neutre sous forme de carte d’identité moléculaire. Le parfum est recomposé au moyen de composés naturels ou de synthèse37. Par une tech-nologie plus avancée encore, du nom de SPME (Solid Phase Micro Extraction

29 Comité Français du Parfum,Parfum l’expo, p. 21 : en raison de son coût élevé cette technique est en voie de disparition.

30 Jellinek,op. cit., p. 164 ; Laszlo / Rivière,op. cit., p. 28.

31 Barille / Laroze,op. cit., p. 34, 35.

32 de Barry / Turonnet / Vindry,op. cit., p. 63.

33 de Barry / Turonnet / Vindry,op. cit., p. 63.

34 Barille / Laroze,op. cit., p. 35 ; de Barry / Turonnet / Vindry,op. cit., p. 63 ; Comité Français du Parfum,Parfum l’expo, p. 26.

35 Barbet et al., op. cit., p. 24.

36 Comité Français du Parfum,Parfum l’expo, p. 28.

37 Barille / Laroze,op. cit., p. 35 ; Roudnitska,op. cit., p. 43 ; Comité Français du Parfum, Par-fum l’expo, p. 29 ; cf. aussi Breesé, Pierre, « La difficile mais irréversible émergence des marques olfactives », disponible sur le site Internet du cabinet Breesé, Derambure & Majerowicz (dernière visite 28.10.2005) [www.bredema.fr], (ci-après Breesé,Emergence des marques olfactives), p. 12, qui parle de l’analyse de l’« espace de tête ».

method), brevetée par la société IFF (International Flavors and Fragrances), on obtient des produits dits identiques nature en recueillant au moyen d’une aiguille, l’odeur de la fleur ou du fruit, sans toucher le végétal38.

18. Les essences hespéridées doivent leur nom aux Hespérides, trois nymphes, dont le jardin contenait, selon la légende grecque, des pommes d’or qui avaient le pouvoir de rendre immortel. A la découverte des premiers agrumes importés d’Asie, les Grecs leur donnèrent ce nom39. L’extraction des hespéridés tels que la bergamote, l’orange, le citron ou la mandarine se fait par l’expression de zestes de fruits frais, soit sous simple pression de l’écorce40. 19. Les essences animales comme le musc (glandes abdominales du che-vrotin mâle porte-musc de l’Himalaya), l’ambre gris (concrétion de l’estomac, rejeté naturellement à la mer par le cachalot), la civette (sécrétion d’un chat sauvage de la taille d’un renard qui vit en Ethiopie) ou le castoréum (issu des glandes du castor de Russie et du Canada) étaient autrefois obtenues par infusion ou macération dans l’alcool. Ces substances sont aujourd’hui rem-placées par des produits de synthèse en raison de la protection de certaines espèces animales et de leur prix exorbitant41.

20. Le compositeur de parfums dispose ainsi de deux sources : les pro-duits naturels et les propro-duits de synthèse42. Les produits naturels proviennent de la distillation (huiles essentielles, eaux aromatiques) et de solvants volatils (essences concrètes, essences absolues, résinoïdes, ainsi que les infusions, ces dernières étant des macérations alcooliques d’origine animale)43. Les pro-duits de synthèse (synthétiques) peuvent être divisés en trois grandes caté-gories : les produits artificiels inexistants dans la nature, les isolats qui sont des substituts isolés de produits naturels et les produits de remplacement, qui tendent à être le plus proche possible de l’odeur naturelle44. Le terme de

« base » désigne un élément précomposé et caractérisé par une odeur simple,

38 Barbet et al.,op. cit., p. 27.

39 de Barry / Turonnet / Vindry,op. cit., p. 70.

40 de Barry / Turonnet / Vindry, op. cit., p. 70 ; Roudnitska, op. cit., p. 40 ; Laszlo / Rivière, op. cit., p. 28 ; Comité Français du Parfum,Parfum l’expo, p. 29.

41 Barille / Laroze,op. cit., p. 28 ; de Barry / Turonnet / Vindry,op. cit., p. 63 ; Jellinek,op. cit., p. 88, 165 ; Laszlo / Rivière,op. cit., p. 28 et ss ; Barbet et al., op. cit., p. 25, relèvent en outre (p. 30, 31) que le musc ambrette est certes interdit, mais que dans le cas de la civette et de l’am-bre, les animaux ne sont pas touchés et que, pour les castors, les autorités doivent en supprimer en raison de leur multiplication. Leur utilisation est dès lors toujours actuelle. A noter que la Directive 2003/15/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 février 2003 modifiant la Direc-tive 76/768/CEE du Conseil, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux produits cosmétiques (ci-après Directive 2003/15/CE), règle les conditions d’inter-diction de mise sur le marché de produits qui ont nécessité des expérimentations animales.

42 Roudnitska,op. cit., p. 39, 41.

43 Roudnitska,op. cit., p. 39, 41.

44 Barbet et al., op. cit., p. 26, 27.

Section 2 – Les matières premières

Chapitre 1 – Considérations méta-juridiques sur les créations de la parfumerie

utilisé par le créateur-parfumeur comme une matière première en tant que telle45.

21. La technique du Head Space constitue une nouvelle catégorie à mi-chemin entre la synthèse et la nature46. A noter qu’une nouvelle molécule, issue de la recherche et rendue inaccessible aux concurrents, peut rendre un parfum « […] original, unique et inimitable47». Les produits naturels sont coûteux et moins proches de l’odeur du produit de base. En effet, lors des procédés d’extraction, sous l’effet de la chaleur et des solvants, des compo-santes indésirables viennent s’ajouter à la dégradation, d’où une différence entre l’odeur de la fleur et l’essence qui en est extraite48.

22. En revanche, les produits de synthèse ne comportent pas de telles impuretés. On peut certes estimer que celles-ci contribuent au bouquet du parfum49 et en déduire qu’« […] il est rare qu’un produit de synthèse donne la noblesse, la richesse du produit naturel qu’il tente de remplacer50». Mais selon Roudnitska, les produits de synthèse « […] sont des corps qui exis-taient déjà dans la nature et que l’homme a reconstitués pour son propre compte51». Ils ne sauraient être qualifiés d’Ersatz52. L’orgue du créateur-par-fumeur (ainsi nommé en raison des bouteilles disposées comme les tuyaux d’un orgue autour du plan de travail) comporte plus de trois mille substances odorantes53. Un parfum peut parfois contenir plus de cent composantes, ce qui rend les combinaisons possibles infinies54. Se pose dès lors la question de savoir comment nous sommes capables de percevoir un parfum.