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L’appréciation de la non-évidence

Conclusions sur l’objet de la protection

Section 2. La nouveauté objective et la non-évidence

2.2. L’appréciation de la non-évidence

163. L’appréciation de la non-évidence doit se faire selon des critères ob-jectifs374. Comme pour la nouveauté objective, l’examen du critère de non-évi-dence fait appel à l’homme du métier, tel que décrit, ci-dessus, et à la notion d’état de la technique375. Pour juger si une invention est évidente ou non, il convient dès lors de se demander si objectivement l’homme du métier aurait pu, au regard de l’état de la technique, réaliser l’invention376. Selon une partie de la doctrine et de la jurisprudence, l’état de la technique par rapport à la non-évidence doit être recherché selon le principe des antériorités éparses, autrement dit, dans une mosaïque d’antériorités (Mosaïkbetrachtung)377. 164. Cela signifie que toute antériorité, tant en faveur qu’en défaveur de l’activité inventive, est susceptible d’être prise en considération et ce, en prin-cipe, dans la branche technique considérée. De surcroît, l’activité inventive

369 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 9, 10 ; Dessemontet,La propriété intellectuelle,op. cit., n° 225, p. 126.

370 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 10 note 80.

371 Dessemontet,La propriété intellectuelle,op. cit., n° 225, p. 126.

372 Perret / Aegerter, FJS 520, op. cit., p. 7 ; Perret, L’autonomie du régime, op. cit. p. 106 ; K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.3, p. 86 ; Bertschinger,op. cit., § 4 n° 4.113, p. 137 ; Burnier,op. cit., p. 39, l’invention doit se situer « […] au-delà d’une zone en-tourant ce qui est connu, zone dans laquelle figurent les développements faciles à trouver de l’état de la technique » ; Sutter, Kurt, «Der Bundesgerichtliche Begriff des „Erfinderischen“», sic ! 2004/6, p. 472 ; arrêt «Zeller Plastik», ATF 123 III 485, 488 ; arrêt «Prélèvement d’un liquide I et II», sic ! 2004/2, p. 111, 113 ; arrêt «Milchschäumer», sic ! 2004/4, p. 331, 339 ; Tribunal fédéral du 18 mars 2003, (ci-après arrêt «Anschlaghalter II»), sic ! 2003/7-8, p. 603.

373 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 9.

374 Perret / Aegerter, FJS 520, op. cit., p. 17.

375 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 12, 15.

376 Perret / Aegerter, FJS 520, op. cit., p. 24, 17 note 129.

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Chapitre 2 – La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

peut non seulement être examinée par rapport à chaque antériorité séparé-ment, mais également par rapport à l’ensemble des antériorités, constitué par une mosaïque378. K. Troller critique le terme de Mosaïkbetrachtung, qui à son avis « […] risque de prêter à confusion »379 et mène à une appréciation de l’in-vention a posteriori qui est critiquable380.

165. Pour éviter d’effectuer une analyse en fonction des antériorités qui découlent de la solution revendiquée, on utilise l’approche problème-solution (problem solving approach). Cette dernière consiste à tenir compte uniquement des antériorités suggérées par le problème posé381. Eviter une appréciation a posteriori nécessite ainsi une analyse en trois étapes382. Dans la première, on recherche le document avec lequel l’invention partage le plus grand nombre de caractéristiques techniques383. Selon les Directives de l’OEB, il s’agit de déterminer « l’état de la technique le plus proche » qui est « […] une combinai-son de caractéristiques, divulguée dans une seule référence, qui constitue le point de départ le plus prometteur pour effectuer un développement évident conduisant à l’invention »384.

166. La seconde étape consiste à établir objectivement le problème tech-nique auquel l’invention entend apporter la solution385. Pour formuler ledit problème, on étudie les différences entre l’état de la technique le plus pro-che et les « caractéristiques distinctives de l’invention »386. Le « problème tech-nique objectif » est ainsi défini comme « […] la tâche consistant à modifier ou adapter l’état de la technique le plus proche en vue d’obtenir les effets techniques qui constituent l’apport de l’invention par rapport à l’état de la technique le plus proche »387.

377 Bertschinger, op. cit., § 4 n° 4.118, p. 139 ; Perret / Aegerter, FJS 520, op. cit., p. 24 ; Dessemontet, La propriété intellectuelle, op. cit., n° 203, p. 117 ; arrêt «Prélèvement d’un liquide I et II», sic ! 2004/2, p. 111, 113 ; arrêt «Milchschäumer», sic ! 2004/4, p. 331, 339 ; arrêt « Anschlag-halter II», sic ! 2003/7-8, p. 603, 604.

378 Scheuchzer,Nouveauté et activité inventive, op. cit., p. 345, 346.

379 K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.2, p. 80.

380 K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.2, p. 81 ; cf. aussi Bertschinger, op. cit., § 4 n° 4.123, p. 141 ; Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 17 note 130 ; Blum / Pedrazzini, op. cit., vol. I, ad art. 7, n° 6, p. 342 : « Auch die diesbezügliche Mosaikarbeit darf nicht ins Ufer-lose getrieben werden » ; arrêt «Prélèvement d’un liquide I et II», sic ! 2004/2, p. 111, 113 ; arrêt

«Anschlaghalter II», sic ! 2003/7-8, p. 603, 604.

381 Scheuchzer,Nouveauté et activité inventive, op. cit. p. 347, 350, 352 ; Grubb,op. cit., p. 231.

382 Arrêt «Prélèvement d’un liquide I et II», sic ! 2004/2, p. 111, 113, 114 ; cf. aussi Directives OEB, op. cit., partie C chapitre IV, § 9.8, IV-28.

383 Arrêt «Prélèvement d’un liquide I et II», sic ! 2004/2, p. 111, 113, 114.

384 Directives OEB, op. cit., partie C chapitre IV, § 9.8.1, IV-28.

385 Arrêt «Prélèvement d’un liquide I et II», sic ! 2004/2, p. 111, 113, 114 ; Directives OEB, op. cit., par-tie C chapitre IV, § 9.8, IV-28.

386 Directives OEB, op. cit., partie C chapitre IV, § 9.8.2, IV-29.

387 Directives OEB, op. cit., partie C chapitre IV, § 9.8.2, IV-29.

167. Pour la troisième étape, les Directives de l’OEB préconisent l’approche qui consiste à se demander si l’homme du métier, confronté au « problème technique objectif », aurait été incité par un enseignement contenu dans

« l’état de la technique le plus proche », à adapter ou modifier ce dernier, de manière à parvenir au même résultat que l’invention (could-would approach)388. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si l’invention était évidente pour l’homme du métier au regard des deux étapes précédentes. Si par un effort intellectuel modéré, l’homme du métier n’a pas pu imaginer l’invention, le seuil de la non-évidence est franchi et l’invention mérite protection389. La so-lution est en revanche évidente et, partant, ne saurait être protégée, lorsque l’état de la technique incitait l’homme du métier à la trouver390.

168. En raison de la difficulté consistant à déterminer, de manière précise, la zone à partir de laquelle il y a non-évidence, il existe des indices positifs et négatifs qui permettent de faire pencher la balance pour ou contre la non-évidence de l’invention391. Par conséquent, comme déjà mentionné à propos de l’ancienne jurisprudence du progrès technique, plus celui-ci sera impor-tant, plus on aura tendance à admettre la non-évidence. Dans le cas contraire, l’invention aurait pu être réalisée dans le cadre de l’évolution normale de la technique392.

169. Les préjugés vaincus (par une solution osée, alors que celle-ci sem-blait vouée à l’échec393), un besoin insatisfait pendant une longue période (parfois les brevets antérieurs ont été invoqués dans le sens d’un besoin res-senti par les milieux intéressés394), l’importance du problème, les difficultés vaincues, le succès commercial, la simplicité de la solution, l’effet de surprise

388 Directives OEB, op. cit., partie C chapitre IV, § 9.8.3, IV-30 ; arrêt «Prélèvement d’un liquide I et II», sic ! 2004/2, p. 111, 113, 114.

389 Perret / Aegerter, FJS 520, op. cit., p. 17 ; K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.3, p. 86 ; Dessemontet,La propriété intellectuelle,op. cit., n° 211, p. 120 ; arrêt «Prélève-ment d’un liquide I et II», sic ! 2004/2, p. 111, 113.

390 Sutter,op. cit., p. 476, 477, 478, qui, au regard de l’approche «could-would» établie par la ju-risprudence de l’OEB, démontre que la capacité pour parvenir à la solution ne suffit pas pour conclure à l’évidence.

391 Dessemontet,La propriété intellectuelle,op. cit., n° 219, p. 122 et s ; Heinrich,op. cit., ad art. 1, n° 1.55 et ss, p. 26 et ss ; Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 18 ; K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.5, p. 92 et ss.

392 Scheuchzer,Nouveauté et activité inventive, op. cit., p. 418 et s ; Dessemontet,La propriété intel-lectuelle,op. cit., n° 225, p. 126 ; K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.5.1.1, p. 93 ; K. Troller,Précis du droit suisse,op. cit., § 11 n° 6.4.1, p. 51 ; arrêt «Zeller Plastik», ATF 123 III 485, JdT 1998 I 343, 346 : « La créativité technique qui mérite l’octroi d’un brevet suppose une prestation qui dépasse le déroulement naturel du développement de la technique, qui in-terrompt la progression pas à pas du progrès et en réalise ainsi un raccourcissement significatif dans le domaine en question, qui enrichit la technique grâce à un saut en avant […]. »

393 K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.5.1.2, p. 93.

394 Dessemontet,La propriété intellectuelle,op. cit., n° 222, p. 124.

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Chapitre 2 – La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

et même une recherche coûteuse395 peuvent figurer au nombre des indices positifs396.

170. En raison du principe de territorialité stricte, l’obtention d’un brevet à l’étranger n’est pas décisive lors de l’examen de la validité d’un brevet suisse selon le Tribunal fédéral397. En revanche, l’utilisation des moyens équiva-lents, c’est-à-dire de moyens différents, mais dont la fonction est identique et conduit au même résultat, est un indice négatif398. De même, par exemple la transposition dans un autre domaine technique indique plutôt que l’in-vention est évidente399. Avant d’examiner la non-évidence de la formule chi-mique d’un produit odorant ou d’un mélange de produits odorants (2.5), il est encore nécessaire de s’intéresser à la non-évidence en matière de chimie en général. Cela nous amène aux procédés dits d’analogie (2.3), dont l’étude nous permettra par ailleurs de commenter la décision «Relaxine» (2.4).