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L’objection de l’absence de possibilité de décrire objectivement le parfum

La protection du parfum par le droit d’auteur

Section 1. Les conditions de la protection

5.3. L’objection de l’absence de possibilité de décrire objectivement le parfum

321. En droit français, Laligant considère que la perception par les sens signifie que l’œuvre doit non seulement pouvoir être perçue, mais surtout qu’elle doit pouvoir être représentée660. Par comparaison avec la partition musicale, il estime que cette dernière doit être distinguée de la formule du parfum. En effet, Laligant expose que la proportion des composantes, par-ticipant à la forme olfactive, n’est pas constante, en raison de la volatilité va-riable de celles-ci661. Ce constat repose sur les enseignements de Roudnitska, qui insiste sur le caractère apparent des proportions dans une formule de parfum662. Dans son article, paru en 1992, Laligant observe que les moyens techniques actuels ne permettent qu’une description partielle. Il en déduit qu’il n’est pas possible de décrire la forme olfactive, constituée par une suc-cession d’accords simultanés663.

322. La difficulté qui consiste à décrire le parfum a ainsi poussé Laligant à conclure, dans son étude, à l’absence de sa protection par le droit d’auteur comme suit :

« Au terme de cet examen, il apparaît que les œuvres de l’esprit perceptibles par l’odorat, le goût, le toucher sont en principe exclues du bénéfice de la pro-tection offerte par le droit d’auteur, non parce qu’elles ne sont pas protégea-bles au titre de droit d’auteur, puisqu’incontestablement elles le sont, mais parce qu’elles ne peuvent satisfaire aux conditions d’application du droit d’auteur, et plus précisément parce que les formes dont elles sont constituées

658 Crochet,La protection des compositions,op. cit., p. 54.

659 Breesé,Apport de la métrologie, op. cit., p. 559 ; Balana,op. cit., p. 261 ; Bruguière,op. cit., p. 1698 ; Caron,op. cit., p. 27 ; Pamoukdjian,op. cit., p. 223.

660 Laligant,Problématique de la protection du parfum,op. cit., p. 623 ; Balana,op. cit., p. 261.

661 Laligant,Problématique de la protection du parfum,op. cit., p. 600 : « […] à la différence de la partition sur laquelle est transcrite l’intégralité de l’œuvre musicale, la ‹ formule › ne donne pas du parfum, composition odoriférante, une transcription complète. »

662 Roudnitska,op. cit., p. 38 : « Donc la proportion de chaque composant, qui figure sur la formule n’est qu’une proportion apparente qui sera en constante évolution au cours du déroulement olfactif. »

663 Laligant,Des œuvres aux marches du droit d’auteur,op. cit., p. 116.

Section 1 – Les conditions de la protection

Chapitre 3 – La protection du parfum par le droit d’auteur

ne peuvent, en l’état actuel de la science, être décrites de manière objective et complète !664»

323. Avec raison, Galloux souligne cependant que le droit français ne pose aucune exigence de représentation ou de description de l’œuvre, celle-ci étant protégée « […] quelle qu’en soit la forme d’expression » (art. L 112-1 CPI)665. Bien plus, il nous rappelle que l’œuvre n’a pas besoin d’être fixée pour être protégée666. En conséquence, lorsque l’on examine les conditions de pro-tection, la question de savoir si le parfum est suffisamment descriptible n’est d’aucune pertinence667. En droit suisse, la même conclusion s’impose.

324. En revanche, Galloux ajoute, à juste titre, que la description est essentielle pour constater une contrefaçon668. En effet, pour des raisons pra-tiques évidentes, la comparaison de deux parfums nécessite une description au moins partielle669. Dessemontet, qui examine la question pour les œuvres de manière générale, fait le même constat en droit suisse670. L’examen de cette question relève néanmoins de l’atteinte au droit de reproduction (section 4).

325. D’autres auteurs ont également analysé le problème de la descrip-tion du parfum dans le cadre des condidescrip-tions de protecdescrip-tion, mais ont admis que le parfum est protégeable par le droit d’auteur. Ainsi K. Troller se base sur l’analyse chimique et les conditions de préparation du parfum pour l’ad-mettre en tant qu’œuvre au sens du droit d’auteur671. La question de savoir si la représentation chimique est pertinente devra néanmoins être examinée

664 Laligant,Des œuvres aux marches du droit d’auteur,op. cit., p. 128 ; cf. aussi Laligant, Olivier, La véritable condition d’application du droit d’auteur : originalité ou création ?, Aix-Marseilles 1999, (ci-après Laligant,Originalité ou création), p. 16, où il confirme son opinion au motif du manque de « figurabilité » en l’état de la science, terme selon lequel « […] il est demandé que l’œuvre soit susceptible d’être décrite ou représentée d’une façon suffisante pour pouvoir être objectivement identifiée » ; en droit suisse cf. Ineichen,Das Urheberrechtlich geschützte Werk, op. cit., p. 64, considère également qu’en matière olfactive, le droit d’auteur ne saurait s’appli-quer, en raison du manque de sécurité juridique : « […] die Frage kann jedoch offen bleiben, da die gleichen Überlegungen zur Rechtssicherheit wie im Markenrecht dazu führen, dass der urhe-berrechtliche Schutz für Düfte konsequenterweise per se abzulehnen ist.»

665 Galloux,op. cit., p. 2645.

666 Galloux,op. cit., p. 2645 ; Sirinelli,Protection,op. cit., p. 907 : « Un bonhomme de neige pour-rait être protégé par le droit d’auteur quand bien même il aupour-rait été érigé après une bourrasque inattendue dans une plaine corse au printemps. »

667 Galloux,op. cit., p. 2645.

668 Galloux,op. cit., p. 2645 ; Balana,op. cit., p. 261, 262 ; Sirinelli,Parfum,op. cit., p. 49.

669 Galloux,op. cit., p. 2645 ; Breesé,Apport de la métrologie, op. cit., p. 559 ; Sirinelli,Parfum, op. cit., p. 49.

670 Dessemontet, Le droit d’auteur,op. cit., n° 49, p. 34.

671 K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 20 n° 2.6.4, p. 287 ; K. Troller,Précis du droit suisse,op. cit., § 20 n° 6.3, p. 145, compare le parfum à l’œuvre musicale : « Tous deux peuvent être conservés – le son sur un support mécanique ou électronique, l’odeur d’un parfum dans un liquide. »

au regard de la forme protégeable (section 2 § 1). Au stade des conditions de protection, elle ne saurait être relevante.

326. De même, Glemas affirme que, si la description peut poser des dif-ficultés, elle n’est pas impossible. De l’avis de Glemas, des experts qualifiés ou des compositeurs de parfums sont capables de faire une description suf-fisamment précise du parfum de manière à « […] en saisir toutes les nuances et subtilités »672. Pour Balana, au contraire, un expert ne saurait donner un avis technique objectif, dès lors que la caractérisation de la perception d’un parfum est par définition empreinte de subjectivité673. Enfin, d’autres auteurs s’appuient sur la distinction entre les sens mécaniques (le toucher, la vue et l’ouïe) et les sens chimiques (le goût et l’odorat), pour faire remarquer que les œuvres musicales contemporaines, qui font appel aux sens mécaniques,

« […] présentent les mêmes difficultés de transcription que les créations ol-factives »674. A ce stade du raisonnement, on ne peut cependant que rejeter ces arguments, au motif qu’ils ne doivent pas être analysés lors de l’examen des conditions de protection, comme rappelé ci-dessus.

Conclusions sur la perception par les sens

327. Dans le cadre de l’exigence de perception par les sens, il est suffisant de constater que le parfum est perceptible par le sens de l’odorat. Il peut ainsi être communiqué au monde extérieur, ce qui constitue la finalité de toute œuvre. A cet égard, la condition de perception par les sens n’apporte aucun élément nouveau par rapport à la création de l’esprit qui a un caractère indi-viduel. Par conséquent, le législateur ne l’a pas retranscrite dans la LDA avec raison.

328. En revanche, pour que le parfum puisse être perceptible par les sens, il doit se présenter sous une forme concrète. Or, l’exigence, selon laquelle l’œuvre doit être perceptible par les sens, semble destinée à exclure la protec-tion des idées, selon Dessemontet675. Se pose dès lors la question de savoir comment le droit d’auteur doit appréhender l’opposition entre la forme et les idées dans le cas du parfum. Pour ce faire, on examinera, dans la section qui suit, la forme protégeable (§ 1) et les éléments sur lesquels doit porter le carac-tère individuel (§ 2).

672 Glemas, Emmanuelle, « La protection du parfum par le droit d’auteur », RDPI 1997/82, p. 38.

673 Balana,op. cit., p. 261.

674 Bruguière,op. cit., p. 1698 ; dans le même sens Barbet et al., op. cit., p. 301, 302, 303.

675 Dessemontet, Le droit d’auteur,op. cit., n° 48, p. 32.

Section 1 – Les conditions de la protection

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