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La nouveauté objective de la formule chimique

Conclusions sur l’objet de la protection

Section 2. La nouveauté objective et la non-évidence

1.4. La nouveauté objective de la formule chimique

d’un produit odorant ou d’un mélange de produits odorants 1.4.1. De manière générale

145. Dans le cas de la formule chimique, l’état de la technique com-prend toutes les antériorités de produits odorants naturels ou synthétiques.

Il contient également les formules chimiques d’une combinaison d’un ou de plusieurs de ces produits, voire du jus du parfum, qui sont connus par l’homme du métier. Comme Dessemontet le relève, l’ensemble des brevets et demandes de brevets, publiés en Suisse et dans le monde, constitue la source la plus importante, susceptible de détruire la nouveauté d’une invention333. Or, en matière de produits odorants, il existe de nombreux brevets d’inven-tion constituant des antériorités, comme par exemple le brevet CH 689 372 A5 qui porte sur le composé de formule « 2-(4-isobutyle-1-phényl)-propanal », déjà mentionné334.

146. En théorie, pour atteindre le seuil de la nouveauté, il suffirait de mo-difier les proportions, autrement dit la concentration d’un produit dans une formule335. En matière de chimie, il a néanmoins été jugé, selon la Convention de Munich, que le seul changement de proportions ne confère pas la nou-veauté dans le cas d’un effet déjà connu336. Par conséquent, un simple chan-gement de proportions d’une antériorité, constitué d’un ou de plusieurs pro-duits, voire du jus du parfum, est insuffisant pour atteindre la nouveauté.

147. Dans la mesure où nous avons réservé la nouveauté, à propos des hypothèses examinées au regard de l’exclusion des découvertes, il convient d’y revenir. Il va sans dire que lorsque le produit n’a pas d’équivalent dans la nature, ce qui constitue la seconde hypothèse, il n’existe aucune antériorité qui pourrait lui être opposée337. Tel est le cas de la formule chimique de pro-duits synthétiques artificiels ou du jus du parfum.

148. En revanche, la question de la nouveauté se pose dans la première hypothèse, dans laquelle l’inventeur a réalisé pour la première fois la syn-thèse d’un produit préexistant dans la nature, mais de composition connue338. Le produit naturel est ainsi susceptible de constituer une antériorité au

pro-333 Dessemontet,La propriété intellectuelle,op. cit., n° 203, p. 116, 117.

334 Brevet CH 689 372 A5, délivré à Firmenich SA le 31.03.1999, p. 1.

335 Pamoukdjian,op. cit., p. 194.

336 Décision de la Chambre de recours technique de l’Office européen des brevets T-958/90 (décision non publiée dans le JO, (ci-après décision «The Dow Chemical Company»), disponible sur Inter-net (dernière visite 5.11.2005) [http://legal.european-patent-office.org/dg3/biblio/t900958eu1.

htm]) ; Scheuchzer,L’invention brevetable en 2002,op. cit., p. 31.

337 Perret, La brevetabilité des inventions biotechnologiques,op. cit., p. 371, 359 ; Bergmans, op. cit., p. 198.

338 Perret,La brevetabilité des inventions biotechnologiques,op. cit., p. 371.

duit de synthèse339. Dans le cas des produits de remplacement, la composition du produit naturel, préexistant dans la nature, est connue. Il s’ensuit qu’elle constitue une antériorité destructrice de nouveauté du produit.

149. Au contraire, la synthèse artificielle, réussie pour la première fois par l’inventeur, est un nouveau procédé susceptible d’être brevetable. Avant de développer, à l’aide de la décision «Déodorant», la troisième et dernière hypo-thèse (selon laquelle le produit existe dans la nature, mais n’est pas connu340), il est nécessaire de définir l’invention de sélection.

1.4.2. L’invention de sélection

150. Dans le domaine de la chimie, l’invention de sélection peut être dé-finie comme une invention qui consiste dans le choix d’une substance par-ticulière, parmi un groupe de substances de formule chimique connue. La substance choisie n’est pas mentionnée spécifiquement, mais elle est com-prise dans la formule générale de ce groupe de substances341. La brevetabilité de l’invention de sélection fait cependant l’objet de controverses342.

151. De l’avis de Bertschinger, la brevetabilité de l’invention de sélec-tion doit être tranchée, au cas par cas, entre deux posisélec-tions extrêmes343. L’une consiste à soutenir que seules les liaisons qui se trouvent effectivement dans la formule générale détruisent la nouveauté, tandis que la position opposée revient à affirmer que la formule générale anticipe toute liaison qui en fait partie de sorte à en détruire la nouveauté344. De manière tout à fait générale, on peut néanmoins relever que la seule sélection, sans contribution à l’état de la technique, devrait être insuffisante.

1.4.3. La décision « Déodorant »

152. La décision «Déodorant» est issue d’une procédure d’opposition de-vant la Chambre de recours technique de l’OEB. Elle concerne un brevet dont les revendications portaient sur l’utilisation d’esters aromatiques, dans un déodorant, en tant qu’inhibiteurs de la croissance de micro-organismes,

339 Perret,La brevetabilité des inventions biotechnologiques,op. cit., p. 371 ; Bergmans,op. cit., p. 202.

340 Perret,La brevetabilité des inventions biotechnologiques,op. cit., p. 371.

341 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 21 ; Scheuchzer,Nouveauté et activité inventive, op. cit., p. 266 ; cf. aussi A. Troller,op. cit., vol. I, § 12, p. 184 ; Bertschinger,op. cit., § 4 n° 4.104, p. 133, § 4 n°4.105, p. 134 ; Grubb,op. cit., p. 131 et ss.

342 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 21 ; Bertschinger,op. cit., § 4 n° 4.104, p. 133 ; Grubb, op. cit., p. 131 ; Pedrazzini,op. cit., p. 45 ; Scheuchzer,Nouveauté et activité inventive, op. cit., p. 266.

343 Bertschinger,op. cit., § 4 n° 4.104, p. 133, 134.

344 Bertschinger,op. cit., § 4 n° 4.104, p. 133.

Section 2 – La nouveauté objective et la non-évidence

Chapitre 2 – La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

producteurs d’estérases dans les sécrétions du corps345. On précisera que ces estérases sont responsables des odeurs indésirables du corps humain346. 153. Le mécanisme d’inhibition des micro-organismes producteurs des estérases se produisait déjà antérieurement, mais à l’insu des utilisateurs347. La Chambre de recours technique de l’OEB rappelle ainsi que « […] le simple fait d’expliquer un effet obtenu lorsque l’on utilise un composé dans une com-position connue, ne saurait conférer un caractère de nouveauté à un procédé connu, si l’homme du métier a déjà constaté l’effet désiré »348. La Chambre de recours technique OEB a annulé le brevet pour défaut de nouveauté, dès lors que les esters aromatiques étaient déjà utilisés dans le domaine des déodorants349.

154. Scheuchzer observe, à juste titre, à propos de cette décision, qu’elle porte sur une invention de sélection350. En effet, ces esters aromatiques consti-tuent un choix de substance particulière dans la formule générale du déodo-rant. Selon Scheuchzer cette invention enrichit la technique351. Par consé-quent, il ne voit pas pourquoi la nouveauté devrait être refusée au seul motif que l’effet découvert a lieu dans le même domaine, alors que si l’on avait pu l’appliquer dans un autre domaine, elle aurait été admise352.

155. On rappellera ici que, dans la troisième hypothèse examinée à pro-pos des découvertes, le produit existe dans la nature, mais n’est pas connu353. Comme Perret le relève, considérer que la seule préexistence dans la nature constitue une antériorité est incompatible avec la définition de l’état de la technique qui exige que le produit soit accessible354. Il s’ensuit, de manière générale pour cette hypothèse, que l’exclusion ne peut se situer qu’au stade de l’objet de la protection355, comme la décision «Relaxine», commentée ci-dessous, le démontre également.

156. A notre avis, le cas de la décision «Déodorant» est assimilable à la troisième hypothèse évoquée ci-dessus. L’inventeur a découvert que

l’inhi-345 Décision de la Chambre de recours technique de l’OEB, du 19 janvier 1999, T-892/94-3.3.2, (ci-après Décision «Déodorant»), JO 2002/1, p. 2, 3 : la procédure d’opposition portait sur le brevet dans son ensemble (brevet européen n° 0 307 400, délivré sur la base du brevet européen n° 87 902 669.8).

346 Scheuchzer,L’invention brevetable en 2002,op. cit., p. 32.

347 Décision «Déodorant», op. cit., JO 2002/1, p. 1 et ss.

348 Décision «Déodorant», op. cit., JO 2002/1, p. 17.

349 Décision «Déodorant», op. cit., JO 2002/1, p. 17.

350 Scheuchzer,L’invention brevetable en 2002,op. cit., p. 32.

351 Scheuchzer,L’invention brevetable en 2002,op. cit., p. 32.

352 Scheuchzer,L’invention brevetable en 2002,op. cit., p. 32.

353 Perret,La brevetabilité des inventions biotechnologiques,op. cit., p. 371.

354 Perret,La brevetabilité des inventions biotechnologiques,op. cit., p. 371.

355 Perret,La brevetabilité des inventions biotechnologiques,op. cit., p. 371.

bition des micro-organismes producteurs d’estérases a pour effet d’éliminer les odeurs indésirables. Il a par ailleurs décrit une application pratique, plus précisément le domaine de la parfumerie. Toutefois, il se trouve que cette application pratique était déjà utilisée dans ce domaine, sans que les raisons exactes ne soient expliquées.

157. Par conséquent, l’application pratique n’était pas nouvelle. La Cham-bre de recours technique de l’OEB a affirmé, avec raison, qu’on doit éviter de créer un monopole sur l’utilisation connue pour un usage connu356. Ce faisant, la Chambre de recours technique de l’OEB ne refuse pas le principe de la brevetabilité de l’invention de sélection. La question de l’activité inven-tive soulevée par Scheuchzer357, n’avait en conséquence pas besoin d’être tranchée.

158. De manière générale, on peut ainsi retenir que lorsqu’un produit odorant est préexistant dans la nature ou lorsque l’inventeur fait une inven-tion de sélecinven-tion qui consiste dans le choix d’un produit odorant particulier dans une formule générale avec une application pratique, la nouveauté n’est pas détruite. Toutefois, si l’invention de sélection ne fait qu’expliquer un phé-nomène olfactif qui était déjà utilisé antérieurement, elle n’est pas nouvelle.

159. Après ces considérations sur la nouveauté objective, il nous in-combe de nous concentrer sur la condition de non-évidence. Pour ce faire, nous commencerons par exposer quelques notions générales (2.1), avant de développer l’appréciation de la non-évidence (2.2). Nous définirons alors les procédés dits d’analogie (2.3) et commenterons la décision «Relaxine» (2.4).

Cela nous permettra d’appréhender la non-évidence de la formule chimique d’un produit odorant ou d’un mélange de produits odorants (2.5) et du jus du parfum (2.6).

§ 2. La non-évidence (l’activité inventive)

2.1. Notions générales

160. Le seuil, à partir duquel une invention est protégée, correspond au critère de l’originalité. En droit des brevets d’invention celui-ci est exprimé par le terme « non-évidence ». Dans la LBI, la non-évidence, inspirée de l’ar-ticle 56 CBE (activité inventive)358, a remplacé le niveau inventif de l’ancienne

356 Décision «Déodorant», op. cit., JO 2002/1, p. 17.

357 Scheuchzer,L’invention brevetable en 2002,op. cit., p. 32.

358 L’article 56 CBE dispose : « Une invention est considérée comme impliquant une activité inven-tive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente de l’état de la technique. Si l’état de la technique comprend des documents visés à l’article 54, paragraphe 3, ils ne sont pas pris en considération pour l’appréciation de l’activité inventive. »

Section 2 – La nouveauté objective et la non-évidence

Chapitre 2 – La protection du parfum par le droit des brevets d’invention

loi359. L’article 1 al. 2 LBI stipule que « Ce qui découle d’une manière évidente de l’état de la technique (art. 7) ne constitue pas une invention brevetable ».

En raison de la discordance du texte français et allemand, le Tribunal fé-déral a tranché en faveur de ce dernier qui emploie l’expression nicht nahe-liegend360. Dans un premier temps, il a été soutenu, par rapport à l’ancienne jurisprudence sur le niveau inventif, que la nouvelle loi permettait un abais-sement des exigences d’originalité361. Cette interprétation n’est toutefois plus d’actualité362.

161. Au regard de l’ancienne loi, en vigueur jusqu’à la révision de 1976, le Tribunal fédéral exigeait par ailleurs le progrès technique comme condi-tion de la brevetabilité363. Le progrès technique devenait ainsi une « condition autonome de brevetabilité »364. Sous l’empire de l’ancienne jurisprudence, le Tribunal fédéral a d’abord jugé que le progrès technique devait avoir un ca-ractère essentiel365. Par la suite, il a cependant renoncé à cette exigence pour se contenter d’un « progrès technique nettement établi »366. Le progrès technique était défini comme un résultat qui « […] constitue l’aboutissement d’une ac-tivité intellectuelle, qui peut revêtir les formes les plus variées, allant de l’in-tuition subite à la recherche méthodique et persévérante »367. Plus le progrès technique était important, plus l’ancien critère du niveau inventif devait être admis368.

359 K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.3, p. 82 et ss ; Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 10 ; arrêt «Prélèvement d’un liquide I et II», sic ! 2004/2, p. 111, 113.

360 K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.3, p. 83 note 45 ; K. Troller, Pré-cis du droit suisse,op. cit., § 11 n° 6.3, p. 49, 50 ; arrêt «BAT», ATF 120 II 312, 317 ; cf. aussi Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 10, à propos de la différence des deux textes ; Scheuchzer, Nouveauté et activité inventive, op. cit., p. 326 et ss, explique la différence entre les termes « évi-dent », «obvious» et «naheliegend» et confirme que le texte allemand doit être retenu selon l’art. 56 CBE (p. 340).

361 Europea Tosolini und Mitbeteiligte c/ EVG Entwicklungs- und Verwaltungsgesellschaft GmbH, du 18 octobre 1982, (ci-après arrêt «Tosolini»), ATF 108 II 325, 326.

362 Arrêt «Zeller Plastik», ATF 123 III 485, 489, JdT 1998 I 343, 345 ; ASTA Medica AG c/ Peter Lendi et Groupement suisse pour l’encouragement de la culture des plantes médicales et aromatiques en montagne, du 27 mars 1995, (ci-après arrêt «ASTA Medica»), ATF 121 III 125, 137 ; Dessemontet, La propriété intellectuelle,op. cit., n° 207, p. 118 ; Perret / Aegerter, FJS 520, op. cit., p. 11 ; K. Troller,Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 12 n° 6.3, p. 86.

363 Dessemontet,La propriété intellectuelle,op. cit., n° 225, p. 126 ; Fabrique suisse de ressorts d’horlogerie SA c/ Hausheer et Nerfos Sàrl, du 28 avril 1959, (ci-après arrêt «Fabrique de res-sorts»), ATF 85 II 131, 138 ; Ficher c/ Attenhofer, du 11 novembre 1976, (ci-après arrêt «Fischer»), ATF 102 II 370, 372.

364 Perret / Aegerter,FJS 520, op. cit., p. 9, qui critiquent cette condition à propos de l’arrêt Philips N.V. Gloeilampenfabriken c/ Betschard, du 9 juin 1937, (ci-après arrêt «Philips»), ATF 63 II 271, 276.

365 Arrêt «Philips», ATF 63 II 271, 276.

366 Arrêt «Fabrique de ressorts», ATF 85 II 131, 142.

367 Arrêt «Fabrique de ressorts», ATF 85 II 131, 138, 139.

368 Arrêt «Fischer», ATF 102 II 370, 372.

162. Avec l’entrée en vigueur de la Convention de Munich et, plus par-ticulièrement de l’article 52 al. 1 CBE, la condition du progrès technique a cependant dû être abandonnée369. En effet, les conditions de brevetabilité sont énumérées de manière exhaustive dans cet article qui ne prévoit pas le pro-grès technique370. Si le progrès technique n’est plus une condition de breve-tabilité, il reste néanmoins un indice, un signe de non-évidence. Le Tribunal fédéral a ainsi une marge de manœuvre pour apprécier celui-ci371. Tout pro-grès technique ne mérite pas protection, de sorte qu’il existe une zone inter-médiaire qui constitue le développement normal de la technique372. La notion de progrès technique est à cet égard critiquable. En particulier, si le progrès technique constitue un enrichissement de la technique, il sera difficile de le distinguer de la nouveauté objective373. De plus, il ne suffit pas pour atteindre le seuil de la non-évidence.