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Définition de la création de l’esprit

La protection du parfum par le droit d’auteur

Section 1. Les conditions de la protection

2.1. Définition de la création de l’esprit

265. Le bien immatériel, la « création de l’esprit » au sens de l’article 2 LDA, présuppose l’existence d’une personne physique comme auteur de l’œuvre (art. 6 LDA). Le principe de création («Schöpferprinzip»), selon lequel le droit d’auteur naît en la personne physique à l’origine de la création, a été confirmé par le Tribunal fédéral déjà sous l’empire de l’ancien droit542.

266. Kummer a développé la «Präsentationstheorie», d’après laquelle par exemple une racine serait susceptible de protection du simple fait qu’elle est présentée par son auteur comme étant une œuvre d’art, plus précisément comme donnant l’illusion d’être une danseuse543. Cet avis minoritaire est tou-tefois largement critiqué. La doctrine majoritaire considère en effet que l’exi-gence d’une personne physique comme auteur implique la nécessité d’une activité humaine pour la création544.

267. Par conséquent, même s’ils sont rares ou particulièrement esthétiques, les objets créés naturellement, les produits de la nature ou de la technique ne sauraient être considérés comme des œuvres545. En revanche, selon les termes de Barrelet et Egloff, « […] le résultat d’une utilisation consciente des lois du hasard […] » peut constituer une œuvre de l’esprit546.

268. La précision, selon laquelle l’œuvre doit être une création de « l’es-prit », semble indiquer qu’elle implique l’expression d’une idée, d’une pensée humaine547. Le terme de création de « l’esprit » n’ajoute cependant rien à la définition, comme Gaide le démontre de manière convaincante548. En effet, si la protection devait être limitée à des œuvres dont le public perçoit les

542 S. und Verein G. c/ F., du 14 juin 1990, (ci-après arrêt «Verein G.»), ATF 116 II 351, 352, 353, JdT 1991 I 616, 617 ; cf. aussi Gaide,op. cit., p. 7 et s.

543 Kummer, Max, Das urheberrechtlich schützbare Werk, Berne 1968, p. 75 et ss, 80, 103 et ss ; cf.

également Wild, Gregor, « Von der statistischen Einmaligkeit zum soziologischen Werkbegriff – zum 35-jährigen Publikationsjubiläum von Max Kummers „Das urheberrechtlich schützbare Werk“ », sic ! 2004/1, p. 65 : «Die Gedanken Max Kummers sind aktueller denn je. »

544 Gaide,op. cit., p. 8 ; Barrelet / Egloff,op. cit.,ad art. 2, n° 5, p. 11 ; Wang, Markus, Die schutz-fähige Formgebung, thèse Saint-Gall, Berne / Stuttgart / Wien 1998, p. 259 ; Stutz, Robert M., Individualität, Originalität oder Eigenart ? Schutzvoraussetzungen des Design, thèse Berne 2002, (ci-après Stutz,Individualität), p. 113, 114 ; Mijatovic, Ivan, Kreativität als Voraussetzung für den urheberrechtlichen Schutz von Geisteserzeugnissen, thèse Zurich, Berne 2006, p. 70.

545 Barrelet / Egloff,op. cit.,ad art. 2, n° 5, p. 11.

546 Barrelet / Egloff,op. cit.,ad art. 2, n° 5, p. 11.

547 Gaide,op. cit., p. 9 ; Message du CF, FF 1989/141 III 465, 506 ; Barrelet / Egloff,op. cit.,ad art. 2, n° 5, p. 11.

548 Gaide,op. cit., p. 9, 10, 11.

Section 1 – Les conditions de la protection

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idées exprimées549 ou « […] l’expression d’une pensée humaine »550, certaines œuvres d’art abstraites pourraient d’emblée être exclues du droit d’auteur, faute de contenu intellectuel déterminable551.

269. Les œuvres musicales, pourtant citées parmi les créations de l’esprit à l’article 2 al. 2litt. b LDA, devraient par ailleurs être écartées selon une telle hypothèse. A propos du droit français, Desbois expose en effet que ces der-nières éveillent avant tout des sensations et non pas des idées552. Selon les termes de Desbois, les œuvres musicales « […] constituent des créations de forme à l’état pur, à la manière des œuvres de ‹ l’art abstrait ›, car elles répu-gnent à toute compréhension, ou plutôt elles se prêtent à toutes les interpréta-tions […] »553. Le fait qu’aucun contenu intellectuel ne puisse être déduit d’une œuvre ne constitue dès lors pas un obstacle, contrairement à ce que pourrait laisser entendre le terme de « l’esprit »554.

270. Le Message du Conseil fédéral précise encore que « Ne sauraient être des œuvres les objets qui résultent d’une simple activité manuelle non créatrice ou qui n’ont pas été fabriqués par l’homme, telle une racine555. » Si l’on comprend qu’il rejette ainsi la «Präsentationstheorie» de Kummer, avec l’exemple de la racine, on ne voit cependant pas très bien en quoi « une simple activité manuelle » devrait être exclue. Comme Gaide le fait remar-quer, on doit plutôt y voir les objets dépourvus de caractère individuel556, notion qui sera définie ci-dessous. En conséquence, seule l’absence d’activité humaine motive le refus de protection à ce stade557. Si une curiosité de la nature n’est certes pas suffisante à elle seule, le fait non seulement de la choi-sir, mais encore d’en faire quelque chose est une création au regard du droit d’auteur558.

549 Message du CF, FF 1989/141 III 465, 506.

550 Barrelet / Egloff,op. cit.,ad art. 2, n° 5, p. 11.

551 Gaide,op. cit., p. 9.

552 Desbois, Henri, Le droit d’auteur en France, 3eéd., Paris 1978, n° 11, p. 14.

553 Desbois,op. cit., n° 11, p. 15.

554 Gaide,op. cit., p. 9, 10 ; von Büren, Roland / Meer, Michael A., « Der Werkbegriff », in : von Büren / David, SIWR II/1, Bâle / Genève / Munich 2006, p. 67.

555 Message du CF, FF 1989/141 III 465, 506.

556 Gaide,op. cit., p. 10, 11.

557 Gaide,op. cit., p. 8, 10, 11.

558 Wild,op. cit., p. 62 : « Zusammenfassend kann die menschliche Schöpfung als Ergebnis eines

„geistigen Verfestigungsprozesses“ verstanden werden » ; cf. aussi X c/ Y AG, du 5 septembre 2003, (ci-après arrêt «Bob Marley»), ATF 130 III 168 et ss, dans lequel le Tribunal fédéral a ad-mis comme œuvre au sens du droit d’auteur une photographie de Bob Marley prise lors d’un de ses concerts, sans qu’une mise en scène particulière ne soit possible ; cf. en revanche Blau Guggenheim c/ British Broadcasting Corporation BBC, du 19 avril 2004, (ci-après arrêt « Wach-mann Meili II»), ATF 130 III 714 et ss, dans lequel le Tribunal fédéral a considéré, malgré la mise en scène, que la photographie ne pouvait pas être protégée, faute de caractère individuel.

271. En droit français, l’activité intellectuelle humaine qui intervient

« […] seulement pour partie […] » dans une réalisation est suffisante selon Laligant559. Il relève du reste « […] que point n’est besoin que cette réalisa-tion soit le produit direct d’une activité intellectuelle consciente, voire maî-trisée »560. Par conséquent, Laligant considère que « […] l’exigence de ‹ réali-sation › se ramène-t-elle, somme toute, à une simple exigence de participation intellectuelle d’une personne physique561. » A partir du moment où l’activité est de nature humaine, l’aspect intellectuel de celle-ci n’est dès lors pas déter-minant en tant que tel.

272. Tout récemment, le Kunstmuseum de Berne a retiré provisoirement d’une de ses expositions une réalisation composée du cadavre d’une mouette dont la tête a été remplacée par un fœtus humain562. Elle a par la suite été réinstallée dans l’exposition, mais dans un espace séparé563. Indépendam-ment de toute considération de nature artistique, se pose la question de savoir si l’assemblage, du corps d’une mouette et de la tête d’un fœtus humain, tous deux préexistants dans la nature, constitue une création de l’esprit.

273. Dans la mesure où il y a un assemblage, la réponse ne peut être que positive. La même question se pose pour les cadavres humains, transfor-més par un procédé de plastination, qui sont exposés par le Dr. Gunter von Hagens564. En raison de l’activité humaine qui consiste à transformer par plastination et à donner une position définitive à ces cadavres, la réponse est identique : la condition de création de l’esprit ne peut pas leur être refusée.

274. En fin de compte, le critère déterminant est de savoir s’il y a un auteur créateur ou non. Plus précisément, il convient de vérifier si une personne physique a exercé une activité dont le résultat est la forme concrète dont la protection est revendiquée565. Selon le Tribunal fédéral, même une création sous hypnose peut être qualifiée d’œuvre selon le droit d’auteur566.

559 Laligant,Problématique de la protection du parfum,op. cit., p. 607.

560 Laligant,Problématique de la protection du parfum,op. cit., p. 607.

561 Laligant,Problématique de la protection du parfum,op. cit., p. 607.

562 Coen, Lorette, « Le fœtus, la mouette et le censeur », Journal LE TEMPS, 10 août 2005, p. 24.

563 Chauvy, Laurence, « Le fœtus à corps de mouette de Xiao Yu réinstallé à Berne », Journal LE TEMPS, 2 septembre 2005, p. 30.

564 Rüf, Isabelle, « Ces artistes par qui le scandale arrive… », Journal LE TEMPS, 10 août 2005, p. 24.

565 Gaide,op. cit., p. 8 note 15 in fine, p. 11 ; Hug, Gitti, « Bob Marley vs Christophe Meili : ein Schnappschuss », sic ! 2005/1, p. 58 ; Eschmann, Saskia, Rechtschutz von Modedesign, thèse Zurich, Berne 2005, p. 8.

566 Arrêt «Verein G.», ATF 116 II 351, 354, JdT 1991 I 616, 617.

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