• Aucun résultat trouvé

Le parfum en tant que création de l’esprit

La protection du parfum par le droit d’auteur

Section 1. Les conditions de la protection

2.2. Le parfum en tant que création de l’esprit

275. Le parfum en tant que réalisation concrète perceptible par l’odorat est une création effectuée par une personne physique, en l’occurrence un compo-siteur de parfums. L’activité humaine, déterminante pour l’exigence de créa-tion de l’esprit, est en principe satisfaite. En effet, le simple fait de mélanger plusieurs ingrédients odorants à la base du parfum est une intervention suf-fisante à cet égard.

276. L’hypothèse selon laquelle cette opération serait faite de manière aléatoire n’est pas du tout réaliste en matière de parfumerie. Un parfum est une création complexe et en principe consciente. En effet, on imagine diffici-lement une fragrance agréable à notre sens de l’odorat sans au moins éliminer un certain nombre d’ingrédients. Or, cette dernière opération constitue une activité humaine et, partant, justifie à elle seule l’admission de la condition de création de l’esprit.

277. En revanche, dans le cas d’une fragrance qui provient d’une matière première découverte dans la nature, l’activité humaine fera sans doute défaut, à moins de soutenir, comme Kummer, que l’auteur est la personne physique à l’origine de cette découverte567. Dans la mesure où, d’une part, le message olfactif d’un parfum n’est jamais composé d’une seule matière première et que, d’autre part, une telle découverte est protégeable par le droit des brevets d’invention, examiné dans le chapitre précédent, nous pensons qu’une telle découverte doit être exclue du droit d’auteur.

Conclusions sur la création de l’esprit

278. La condition de création de l’esprit se limite à exiger qu’une réalisa-tion soit le résultat d’une activité humaine. Par conséquent, ne sont exclus que les objets trouvés dans la nature, comme par exemple un produit odorant naturel que l’auteur n’a fait que découvrir. En revanche, à partir du moment où le compositeur de parfums a effectué un premier mélange, la réalisation concrète perceptible par l’odorat provient d’une activité humaine et constitue ainsi une création de l’esprit au sens du droit d’auteur.

279. L’exigence de création de l’esprit ne pose dès lors aucune difficulté dans le cadre de la protection du parfum par le droit d’auteur. Toute réalisa-tion concrète perceptible par l’odorat ne constitue cependant pas une activité créatrice, de sorte qu’il est nécessaire de définir le caractère individuel.

567 Kummer,op. cit., p. 75 et ss, 80, 103 et ss.

§ 3. La notion du caractère individuel

3.1. Notions générales

280. Le mot création implique nécessairement la nouveauté et l’originalité de l’œuvre. La définition de l’œuvre au sens de l’article 2 al. 1 LDA peut, dans ce sens, être considérée comme tautologique. En effet, le caractère individuel se recoupe avec la notion de création568. Etant donné que nous avons limité la création de l’esprit à une réalisation provenant d’une activité humaine, l’exa-men du caractère individuel prend tout son sens.

281. Parmi les différents concepts utilisés pour définir l’originalité au sens du droit d’auteur, le législateur a tranché, à l’article 2 al. 1 LDA, en faveur du ca-ractère individuel. Il s’agit d’une conception objectivée de l’originalité qui doit découler de l’œuvre elle-même569. Elle doit ainsi être détachée des considéra-tions subjectives en relation avec l’auteur et les circonstances de la création570. 282. Selon l’ancienne loi fédérale concernant le droit d’auteur sur les œu-vres littéraires et artistiques du 7 décembre 1922 (ci-après aLDA)571, l’origi-nalité n’était mentionnée expressément que pour les œuvres cinématogra-phiques (art. 1 al. 2 aLDA)572. Cette condition de protection générale était cependant valable pour toutes les œuvres au sens de l’aLDA573. Le Tribunal fédéral a jugé, sous l’empire de cette loi, que « Le critère n’est pas la nouveauté, mais l’originalité de la production. L’œuvre doit avoir son cachet propre, por-ter la marque de l’activité créatrice et de la personnalité de l’auteur »574. Il s’agit d’une conception qualifiée de subjective de l’originalité575. On peut s’y référer sous la dénomination de « thèse de l’empreinte personnelle ».

568 Perret, François, « La nouvelle loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992 », SJ 1995, (ci-après Perret,Nouvelle LDA), p. 20 et s ; Gaide,op. cit., p. 23, qui considère que « […] la notion de nouveauté est implicite aussi bien dans l’exigence d’une création de l’es-prit que dans celle d’individualité […]. »

569 Message du CF, FF 1989/141 III 465, 507 ; Gaide,op. cit., p. 17.

570 Kummer,op. cit., p. 30 et ss.

571 Message du CF, FF 1922/50 III 981.

572 Message du CF, FF 1922/50 III 981 : l’article 1 al. 2 aLDA :

« L’expression ‹ œuvres littéraires et artistiques › comprend :

» […] les arrangements scéniques fixés par la cinématographie ou par un procédé analogue et constituant une création originale ; […]. »

573 Dessemontet, François, Le droit d’auteur, CEDIDAC N° 39, Lausanne 1999, (ci-après Dessemontet, Le droit d’auteur), n° 157, p. 107 ; Gaide,op. cit., p. 14.

574 Van Cleef et Arpels S.A. c/ Sarcar SA, du 27 novembre 1979, (ci-après arrêt «Van Cleef»), ATF 105 II 297, 299 ; cf. encore dans ce sens l’arrêt du Tribunal cantonal de St. Galles du 19 juin 2002, (ci-après arrêt «Mummenschanz»), sic ! 2003/2, p. 116, 119, critiqué avec raison par Cherpillod, Ivan / Berger, Mathis, Note sous l’arrêt «Mummenschanz», sic ! 2003/2, p. 125.

575 Cherpillod, Ivan, L’objet du droit d’auteur, CEDIDAC N° 1, thèse Lausanne 1985, (ci-après Cherpillod,L’objet du droit d’auteur), p. 132 ; Gaide, op. cit., p. 15 ; cf. aussi Stutz, Robert M.,

« Das originelle Design : eigenartig genug, um individuell zu sein ? »sic ! 2004/1, (ci-après Stutz, Das originelle Design), p. 10.

Section 1 – Les conditions de la protection

Chapitre 3 – La protection du parfum par le droit d’auteur

283. La « thèse de l’empreinte personnelle » est critiquable, car on ne peut l’envisager que par rapport aux œuvres traditionnelles du droit d’auteur ou

« noyau dur »576. Pour ces dernières, « la thèse de l’empreinte personnelle » est suffisante pour se prononcer sur la protection sans difficultés insurmon-tables577. Tel n’est cependant pas le cas des « petites œuvres » et, plus parti-culièrement, des œuvres soumises à des impératifs techniques, à « […] des facteurs dits anesthétiques, imposés par la réalité extérieure578». La gradation entre petites et grandes œuvres est du reste non seulement impossible à tra-duire juridiquement, mais a aussi pour effet de faire appel à la valeur artis-tique de l’œuvre, ce qui est contraire au droit positif579. L’article 2 al. 1 LDA interdit en effet de tenir compte de la valeur de l’œuvre.

284. On peut encore relever qu’une œuvre ne permet en principe pas de reconnaître la personnalité de son auteur, comme le suggère la « thèse de l’empreinte personnelle », mais plutôt son style580. Or ce dernier, comme nous le verrons ci-dessous, n’est pas protégeable par le droit d’auteur581. Lorsque l’artiste est encore inconnu, le cachet personnel ou le style ne sont de toute ma-nière pas perceptibles582, sans compter la possibilité d’imitation du style583. 285. Selon Kummer, l’individualité se confond avec l’unicité statistique, qui constitue la première acception objective de l’originalité584. L’œuvre doit être comparée non seulement à ce qui existe, mais également à ce qui pourrait exister. Si elle est statistiquement unique, elle est individuelle585. Le terme sta-tistique indique que la probabilité d’une œuvre parallèle peut être écartée.

286. Pour Perret, la notion d’unicité statistique est cependant critiquable.

Une telle conception de l’originalité aurait non seulement pour effet d’exclure

576 Dessemontet,Le droit d’auteur,op. cit., n° 166, p. 115 et ss.

577 Perret,Nouvelle LDA,op. cit., p. 22 ; cf. Belhumeur, Jeanne, Droit international de la mode, thèse Genève, Canova 2000, p. 50 ; Eschmann,op. cit., p. 15.

578 Perret,Nouvelle LDA,op. cit., p. 23.

579 Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 126.

580 Cherpillod,L’objet du droit d’auteur, op. cit., p. 132.

581 Cherpillod,L’objet du droit d’auteur, op. cit., p. 132 ; Eschmann,op. cit., p. 13, 14, 17, 18 ; Kehrli, Thomy, Der urheberrechtliche Werkbegriff im Bereich der bildenden Kunst, thèse Zurich 1989, p. 14 ; Kummer,op. cit., p. 52 ; Perret,Nouvelle LDA,op. cit., p. 22 ; A. Troller,op. cit., vol. I,

§ 25, p. 394.

582 Dessemontet,Le droit d’auteur,op. cit., n° 166, p. 116 ; cf. aussi A. Troller,op. cit., vol. I, § 19, p. 361 ; Altenpohl, Martina, Der urheberrechtliche Schutz von Forschungsresultaten, thèse Zurich, Berne 1987, p. 58 ; Gaide,op. cit., p. 15, 16.

583 Cherpillod,L’objet du droit d’auteur, op. cit., p. 132 ; Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 125 ; Gaide,op. cit., p. 16.

584 Kummer,op. cit., p. 30 et ss ; à noter que A. Troller,op. cit., vol. I, § 19, p. 362 et K. Troller, Manuel du droit suisse,op. cit., vol. I, § 19 n° 3.2.1, p. 255 ont développé la notion d’« originalité qualifiée » ; à noter également que l’« acte créatif indépendant » serait un critère subsidiaire se-lon Dessemontet,La propriété intellectuelle,op. cit., n° 63, p. 53.

585 Kummer,op. cit., p. 30 : « Individuell heisst einmalig […]. »

du droit d’auteur les « petites œuvres », pour lesquelles le risque de création parallèle est élevé, mais également de protéger des œuvres, certes uniques statistiquement, mais dont la seule nouveauté ne présente pas forcément un intérêt créatif586. Dessemontet relève que « […] l’inconvénient principal de la doctrine de l’unicité statistique réside dans le fait que nul mérite, nul talent ou génie ne sera nécessaire pour obtenir la protection »587.

287. De l’avis de Cherpillod, même si un jugement de valeur sur l’œuvre doit être exclu, il est impossible d’éviter, de la part de celui qui juge l’origi-nalité, une certaine part d’appréciation. Par conséquent, l’unicité statistique n’est pas aussi rigoureuse qu’elle ne le laisse entendre588. Il en déduit que le terme utilisé pour désigner l’originalité n’est pas relevant, et ce pour autant que l’œuvre elle-même puisse être qualifiée d’originale, indépendamment de son auteur589. Il accorde en revanche à la thèse de Kummer le mérite d’avoir mis fin à l’analyse de l’originalité par référence à l’auteur590, autrement dit à la

« thèse de l’empreinte personnelle ». D’après le Tribunal fédéral, étant donné que la LDA s’attache exclusivement au caractère individuel, elle se réfère dans cette mesure à la thèse de Kummer591.

288. Selon Wang, le caractère individuel correspond ainsi au critère de l’unicité statistique592. Stutz, également en faveur de la notion d’unicité sta-tistique, estime que des critères économiques, la reconnaissance par les mu-sées ou les médias, l’existence de copies, voire la célébrité de l’auteur, pour-raient constituer des indices pour admettre l’individualité593. Ce faisant, il

586 Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 129.

587 Dessemontet,La propriété intellectuelle,op. cit., n° 60, p. 52 ; dans le même sens Mijatovic, op. cit., p. 174, 175, qui considère que la seule nouveauté est insuffisante ; cf. cependant Straub, Wolfgang, « Individualität als Schlüsselkriterium des Urheberrechts », GRUR Int. 2001/1, p. 5 :

« Weder die Präexistenz noch eine spätere unabhängige Parallelschöpfung eines identischen Werks führen unmittelbar zur Verneinung der Statistischen Einmaligkeit » ; Macciacchini, Sandro,

« Die urheberrechtlich schützbare Doppelschöpfung : Ein populärer Irrtum », sic ! 2004/4, p. 354.

588 Cherpillod,L’objet du droit d’auteur, op. cit., p. 135 ; cf. aussi Cherpillod, Ivan, « Urheberrecht – Das Werk », in : Müller /Oertli, Urheberrechtsgesetz (URG), Berne 2006, (ci-après Cherpillod, Das Werk), ad art. 2, n° 31, p. 30 ; Mijatovic,op. cit., p. 174, 175, 242, 243.

589 Cherpillod,L’objet du droit d’auteur, op. cit., p. 135 ; cf. aussi Perret,L’autonomie du régime, op. cit., p. 128 ; cf. aussi Stutz,Individualität,op. cit., p. 135, 136.

590 Cherpillod,L’objet du droit d’auteur, op. cit., p. 134 ; Perret,L’autonomie du régime,op. cit., p. 128 ; Rauber, Georg, Der urheberrechtliche Schutz von Computerprogrammen, Zurich 1988, p. 91.

591 Arrêt «Bob Marley», ATF 130 III 168, 172.

592 Wang,op. cit., p. 284 ; cf. Rauber,op. cit., p. 94 : « Individuell bedeutet einmalig im Sinn von erstmalig (neuartig) und nicht erwartbar » ; von Büren, Roland, Immaterialgüter- und Wettbe-werbsrecht,von Büren / Marbach, Berne 2002, (ci-après von Büren,Immaterialgüterrecht), n° 208, p. 44.

593 Stutz,Individualität,op. cit., p. 162, 160, 161 ; dans le même sens Wild,op. cit., p. 63, 64, 65 ; plus nuancé Hug,op. cit., p. 63 ; plus nuancé aussi Eschmann,op. cit., p. 25, 26, 27, qui relève que la célébrité de l’auteur ne peut que difficilement constituer un indice de l’individualité.

Section 1 – Les conditions de la protection

Chapitre 3 – La protection du parfum par le droit d’auteur

réintroduit à notre avis, à tort, des considérations subjectives sur la valeur de l’œuvre qui, comme relevé ci-dessus, ne sont pas pertinentes selon l’article 2 al. 1 LDA594. Stutz admet du reste lui-même que la célébrité de l’auteur ne saurait être déterminante et qu’un juge n’est pas en mesure d’apprécier la valeur artistique595, notion sur laquelle nous reviendrons ci-dessous.

289. Le critère de la non-évidence, emprunté au droit des brevets d’in-vention, constitue une autre manière d’admettre l’individualité d’une œuvre lorsqu’elle est non-évidente par son expression et dépasse la pure création de routine596. De l’avis de Gaide, le critère de l’unicité statistique et celui de la non-évidence aboutissent à des résultats équivalents, de sorte qu’ils sont tous deux satisfaisants pour juger du caractère individuel d’une œuvre597. La véritable difficulté consiste à fixer le seuil à partir duquel une œuvre peut être considérée comme individuelle et, partant, mérite la protection.