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Considérations méta-juridiques sur les créations de la parfumerie

Section 4. La forme olfactive

30. Le parfum s’adresse à l’esprit plutôt qu’au nez, qui ne constitue qu’un capteur. Par conséquent, la forme olfactive est une matière abstraite. Il ne faut pas confondre l’aspect visuel du parfum, soit le contour (dicté par le flacon) et le liquide en tant que tel, avec l’odeur du parfum. Celle-ci se distingue encore de la vapeur, autre aspect extérieur du parfum. Il faut entendre par forme olfactive le concept d’une odeur donnée, par exemple « le concept odeur de rose » ou souvenir évoquant l’odeur de rose qui permet au créateur-parfu-meur de composer sa création77. La forme olfactive constitue le message ol-factif du parfum78.

31. Plus précisément, le compositeur de parfums se sert de qualias (qua-lité), soit de formes regroupant toutes les caractéristiques communes à une famille. Ainsi, le qualia rose exprime les attributs de base spécifiques à toutes les formes d’odeur de rose79. Comme déjà relevé, la forme olfactive ne doit pas être confondue avec ce que Breesé appelle le substrat, autrement dit la subs-tance, la molécule chimique, synthétique ou naturelle80. Roudnitska nous enseigne à cet égard :

« Chacun de nos matériaux possède ainsi une forme singulière, que notre mémoire olfactive enregistre et classe dans un répertoire surtout mental qui comprend un certain nombre d’échelles approximatives de valeurs pratiques telles que : fugaces à tenaces, frais à chauds, amers à doux, acides à onctueux, aigus à graves, secs à gras, fleuris à fruités, légers ou éthérés à lourds, mon-tants à plats, intenses à faibles, etc.81»

32. Comme le compositeur, le créateur de parfums dispose de notes. Sa palette est composée d’adjectifs qui qualifient les formes olfactives. Mais le langage du parfum est difficile : « Chaque adjectif reste imprécis, subjectif, lié à la perception de celui qui l’énonce.82» Le langage olfactif peut être dé-composé en deux niveaux. Le premier est le langage subjectif qui renvoie aux impressions ou sensations, par exemple de douceur ou de fraîcheur que chacun interprète selon son propre vécu. Il n’a pas grand intérêt au regard de la description du parfum en raison de cette subjectivité.

33. En revanche, le deuxième, le langage technique objectif repose sur une réalité de la composition. Il consiste à dire que « […] ce parfum est fleuri,

77 Roudnitska,op. cit., p. 19, 20.

78 Galloux,op. cit., p. 2642.

79 Roudnitska,op. cit., p. 24.

80 Breesé,Emergence des marques olfactives,op. cit., p. 3.

81 RoudnitskA, op. cit., p. 22.

82 de Barry / Turonnet / Vindry,op. cit., p. 85 ; Baumann, Max, «Die Nase der Justitia», RSJ 89, p. 409.

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boisé, vanillé, parce qu’il contient des notes fleuries, boisées, vanillées »83. Barbet et al. relèvent qu’« […] il est possible, pour deux personnes entraî-nées à sentir, de s’accorder sur la description olfactive d’un parfum, si tant est qu’elles ont défini des vocables communs84».

34. Pour la classification des parfums, il existe aujourd’hui sept palettes ou familles de fragrances. La plus importante est celle des « floraux », soit les parfums élaborés autour d’un ou de plusieurs thèmes de fleurs (soliflores) et à dominante florale. Les « hespéridés » regroupent les essences provenant des agrumes, les eaux de Cologne classiques et les eaux fraîches. Dans la famille des « fougères », plutôt dédiée aux eaux de toilettes masculines, on trouve les notes lavandées et boisées, mousse de chêne, coumarine et bergamote85. 35. Les « chyprés », en général pour des parfums de femmes, forment en revanche un accord mousse de chêne, de ciste labdanum, de patchouli et de bergamote. La palette des « orientaux » ou « ambrés », plutôt féminins, est composée de vanille, d’un fond d’essence animale, tandis que la famille des

« boisés », est essentiellement masculine, imprégnée par l’essence de bois de santal, de cèdre, de conifères, de patchouli et de vétiver. Enfin les « cuirs », moins nombreux, sentent le miel, le tabac et l’essence de bouleau ou de bois de cade fumé86.

36. Ces familles de parfums peuvent encore être décomposées. On trouve ainsi les floraux aldéhydés (l’aldéhyde est un produit de synthèse utilisé pour la première fois de façon moderne dans le N° 5 de Chanel87), les floraux verts, fruités, les chyprés cuirés, marins, les fougères aromatiques, les ambrés épi-cés, boisés ou fleuris88. S’y ajoutent de nouvelles tendances formant des sous-groupes tels que les transparents, les laiteux ou les gourmands89. Dans cette

83 Barbet et al., op. cit., p. 66.

84 Barbet at al., op. cit., p. 67.

85 de Barry / Turonnet / Vindry, op. cit., p. 64, 85 ; Barille / Laroze,op. cit., p. 212 ; Laszlo / Rivière,op. cit., p. 57 ; cf. aussi Barbet et al., op. cit., p. 67 ; Comité Français du Parfum, Clas-sification des parfums et terminologie (SFP) : cette brochure, réactualisée chaque année sous forme de fiches, répertorie tous les parfums anciens et nouveaux en fonction des sept familles (hespéridée A1-A6, florale B1-B9, fougère C1-C6, Chypre D1-D7, boisée E1-E8, ambrée F1-F6, cuir G1-G3).

86 de Barry / Turonnet / Vindry, op. cit., p. 64, 85 ; Barille / Laroze,op. cit., p. 212 ; Laszlo / Rivière,op. cit., p. 57 ; cf. aussi Barbet et al., op. cit., p. 67 ; Comité Français du Parfum, Clas-sification des parfums et terminologie (SFP).

87 Jellinek,op. cit., p. 164 ; Barbet et al., op. cit., p. 77 : l’essai de parfum N° 5 choisi par Coco Chanel contenait une proportion d’aldéhydes dix fois supérieure à celle prévue initialement en raison d’une erreur de pesée.

88 de Barry / Turonnet / Vindry,op. cit., p. 65 ; Comité Français du Parfum (SFP), Classification des parfums et terminologie(SFP) : fleuri vert correspond par exemple à la catégorie B5, fleuri fruité à B9, chypre cuir à D4 et boisé marin à E7.

89 de Barry / Turonnet / Vindry, op. cit., p. 65 ; Comité Français du Parfum, Classification des par-fums et terminologie(SFP) : pour le moment ces catégories ne figurent pas dans la classification.

dernière catégorie, le parfum Angel de Thierry Mugler à la fragrance caramel, miel et chocolat est « […] un véritable coup de théâtre olfactif qui pousse la vogue des parfums dits ‹ gourmands › à ses extrêmes »90.

37. La forme olfactive ou « bouquet » peut être répertoriée en trois grandes catégories, selon sa volatilité. La première est celle des « notes de tête », légères, fraîches et immédiatement agréables. Volatiles, elles ne durent que quelques minutes, voire quelques heures. On les perçoit au débouché du flacon (exemple : lavande, citron, romarin, laurier, orange). Leur proportion est de 15 à 25%. La deuxième catégorie est définie comme les « notes de cœur », qui constituent le thème principal de la forme olfactive. Ces notes peuvent durer quelques jours (exemple : senteurs florales, muguet, rose, jasmin, géranium, thym, ainsi que quelques substances synthétiques). Elles représentent 30 à 40% du parfum91.

38. La troisième catégorie est celle des « notes de fond » ou « notes de queue » qui résistent le plus longtemps. On les appelle aussi fixateurs. Ce sont elles qui permettent de prolonger la durée des odeurs fugaces (véti-ver, patchouli, santal, céleri, civette, musc, ambre, castoréum, ainsi que des substances de synthèse). La proportion des notes de fond est d’environ 45 à 55% du mélange92. Un parfum peut dès lors être décrit au moyen du langage constitué par les notes de tête, de cœur et de fond, combiné avec les adjectifs objectivés par les compositeurs de parfums. Une telle méthode de descrip-tion du parfum, qui fait appel à des classificadescrip-tions, selon des descripteurs ad-mis par la profession93, reste toutefois réductrice et subjective. Elle sert plutôt de méthode complémentaire94. Elle constitue selon Barbet et al. une analyse sensorielle informelle95.

39. L’analyse sensorielle est un examen des propriétés organoleptiques d’un produit sur les organes des sens selon une méthode scientifique ri-goureuse qui peut faire appel à des sujets « naïfs », « experts » ou « experts

90 Barille / Laroze,op. cit., p. 92.

91 Pamoukdjian, Jean-Pierre, Le droit du parfum, thèse Paris 1982, p. 213 ; Laszlo / Rivière,op. cit., p. 38, 39 ; de Barry / Turonnet / Vindry,op. cit., p. 50 ; Barbet et al., op. cit., p. 48 ; Comité Français du Parfum,Classification des parfums et terminologie (SFP), p. 51 ; Comité Français du Parfum,Parfum l’expo, p. 62 ; Breesé,Contrefaçon,op. cit., p. 2.

92 Pamoukdjian,op. cit., p. 213 ; Laszlo / Rivière,op. cit., p. 38, 39 ; de Barry / Turonnet / Vindry, op. cit., p. 50 ; Barbet et al., op. cit., p. 48 ; Comité Français du Parfum,Classification des par-fums et terminologie (SFP), p. 53 ; Comité Français du Parfum,Parfum l’expo, p. 62 ; Breesé, Contrefaçon,op. cit., p. 2.

93 Il en existe plusieurs, dont la classification de la SFP : Comité Français du Parfum, Classifica-tion des parfums et terminologie (SFP), p. 1 et ss.

94 Breesé, Pierre, « L’apport de la métrologie et de l’analyse sensorielle pour défendre les droits du créateur », Dalloz Affaires 1998/111, (ci-après Breesé,Apport de la métrologie), p. 561 ; Barbet et al., op. cit., p. 309 et ss.

95 Barbet et al., op. cit., p. 310.

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spécialisés ». Cette méthode permet de comparer plusieurs sources senso-rielles et fournit des résultats objectifs, même si une part de subjectivité est inévitable96. Par exemple dans l’arrêt «Mugler», qui sera analysée dans notre étude, le Tribunal de commerce de Paris a fait appel à un test de consomma-trices pour comparer des parfums97.

40. La décomposition du parfum selon sa volatilité démontre qu’il n’a pas une forme statique. Par conséquent, le créateur-parfumeur doit imaginer un parfum dont les différentes composantes s’évaporent dans une harmonie progressive, soit une « […] dynamique du parfum […]98». Cela suppose bien entendu un travail de création subtil.