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Les raisons justificatives de cette nécessité de renforcer la saisine de la

Chapitre II : Les implications de la mise en œuvre du consensualisme sur le cours de la

Paragraphe 1 Les raisons justificatives de cette nécessité de renforcer la saisine de la

Le principe de l’indépendance des juges de la Cour est affirmé à l’article 2455 du Statut de

la Cour. Cela suppose que les juges ne devront recevoir d’injonction de la part de qui que ce soit, encore non plus de leurs propres États quand bien même que leur élection dépendrait des propositions de ces derniers.456 Quant à leur impartialité, l’article 20 du même texte en dispose

que : « Tout membre de la Cour doit, avant d'entrer en fonction, en séance publique, prendre l'engagement solennel d'exercer ses attributions en pleine impartialité et en toute conscience ». L’impartialité sous-entend de façon précise, une « absence de parti pris, de préjugé et de conflit d’intérêt chez un juge, un arbitre, un expert ou une personne en position analogue par rapport aux parties se présentant devant lui ou par rapport à la question qu’il doit trancher »457.

L’indépendance et l’impartialité des juges sont de ce fait un socle qui contribue à la construction de la crédibilité de la Cour, comme il en est d’ailleurs de toute juridiction en général. Outre ces considérations, la confiance que la Cour pourrait susciter vis-à-vis des États semble dépendre d’autres facteurs. Ceux-ci peuvent concerner : la capacité de la Cour à pouvoir effectivement trancher un différend porté devant elle, avec comme finalité le dénouement (rapide) dudit différend; la capacité de la Cour de se soustraire d’éventuelles remises en cause de sa compétence à travers les différents types d’exceptions ; la capacité de la Cour de se défaire du

455 Selon cet article, « La Cour est un corps de magistrats indépendants, élus, sans égard à leur nationalité, parmi les

personnes jouissant de la plus haute considération morale, et qui réunissent les conditions requises pour l'exercice, dans leurs pays respectifs, des plus hautes fonctions judiciaires, ou qui sont des jurisconsultes possédant une compétence notoire en matière de droit international ».

456 Supra note 6 art 4 et 5.

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pouvoir des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, lié à l’usage de leur droit de véto pour paralyser l’exécution de ses décisions, etc.

Si l’on part de ce constat, le compromis de saisine de la Cour, apparaîtrait comme le cadre idéal qui peut contribuer à asseoir la crédibilité de la Cour. Par rapport à la requête unilatérale, le recours à la Cour par la voie de compromis, offre davantage la possibilité à celle-ci d’échapper à des objections à sa compétence ou à des exceptions d’irrecevabilité dues aux réserves. Par ces réserves, les États écartent de la compétence de la Cour, soit des catégories de matières458, soit des catégories d’États459 ou soit, des différends en raison de leurs dates de survenance460. Sur ce, on ne

devrait donc pas se satisfaire sur le simple fait d’un accroissement du nombre461 des déclarations

d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour ou même, encourager les États à accepter une telle juridiction. C’est ce constat qui se dégage pourtant, souvent des discours des différents Secrétaires généraux de l’ONU lors des anniversaires de la CIJ. Ceux-ci semblent mettre l’accent sur l’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, plutôt qu’à encourager les États à limiter au maximum leur formulation de réserves lorsqu’ils acceptent une telle juridiction. Par exemple, dans son discours lors du 70ème anniversaires de la CIJ, le Secrétaire général de l’ONU, en l’occurrence, monsieur Ban Ki-moon, martelait ce même cri de cœur en ces termes : « (…) J’appelle tous les États qui n’ont pas encore accepté la juridiction de la Cour à le faire ».462 C’est

le signe que la confiance des États à la CIJ n’est pas à son comble, sinon ils ne se donneraient pas tous les moyens de contester sa compétence et prétendre que leurs différends devront être réglés à travers d’autres mécanismes de règlement des différends.

De ce fait, si la crédibilité de la Cour dépend de la confiance que les États ont d’elle à pouvoir effectivement connaitre des différends qu’ils lui soumettent,463 il n’en demeure pas moins

458 Ce sont ces réserves qui suscitent les exceptions préliminaires communément appelées exceptions ratione materiae.

Ainsi, dès lors qu’une affaire est portée devant la Cour sur le fondement d’une déclaration de juridiction obligatoire ou d’une clause compromissoire, assorties d’une telle réserve à la compétence de la Cour, l’État défendeur pourra soulever une exception préliminaire (ratione materiae) qui aura pour effet de dessaisir la Cour de ladite affaire. Pour en savoir davantage, voir nos développements précédents sur les exceptions ratione materiae.

459 Voir notre dépècement sur les exceptions ratione personae. Ici, les réserves à la compétence de la Cour auront pour

effet de susciter les exceptions préliminaires de type ratione personae, visant à dessaisir la Cour des affaires portées devant elle pour motif que le ou les demandeurs n’auraient pas qualité pour agir devant elle.

460 Voir nos développements précédents sur les exceptions ratione temporis.

461 Cour internationale de Justice, « Déclarations d'acceptation de la juridiction obligatoire », en ligne : <

http://www.icj-cij.org/jurisdiction/index.php?p1=5&p2=1&p3=3&lang=fr>.

462 ONU, « Discours du Secrétaire général de l’ONU pour commémorer le #ICJ70 », En ligne : <

http://unric.org/fr/actualite/4006-discours-du-secretaire-general-de-lonu-pour-commemorer-le-icj70>.

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que la voie du compromis de saisine soit celle qui puisse davantage la renforcer. Cela dit, dans la mesure où les États qui concluent un compromis de saisine doivent avoir le sentiment d’être liés à un traité qui doit donc être exécuté de bonne foi, de manière générale, il en découle que les hypothèses de compromis de saisine peuvent renforcer davantage la confiance à la Cour en tant que cadre de dénouement des différends.

Au-delà de ce constat, force est de savoir que les critiques souvent portées à l’encontre de la Cour sont pour la plupart du temps relatives à son rôle joué dans le règlement d’affaires dont elle a été saisie par la voie de requête unilatérale. C’est le cas avec l’idée même des négociations préalables à la saisine de la Cour. Évoquée souvent dans les hypothèses de saisine de la Cour par la voie de requête unilatérale par le défendeur, cette exigence commande que le demandeur doive avoir épuisé la voie de négociation avant de se prêter au règlement judiciaire devant la Cour. Si la Cour a parfois débouté des demandeurs à la suite de leurs recours pour n’avoir pas respecté cette règle, il n’en demeure pas moins des affaires où elle ne semblait pas subordonner le recours à elle à des négociations préalables. C’est l’exemple du Différend de la frontière terrestre et maritime

entre le Cameroun et le Nigéria464. Dans cette affaire (introduite par requête unilatérale), la deuxième exception soulevée par le Nigeria, visait à ce que la Cour se déclare incompétente pour connaître du différend pour motif que la condition de négociations préalables n’aurait pas été accomplie avant sa saisine.465 La Cour rappela son précédent judiciaire dans l’affaire du Plateau

continental de la mer Egée (Grèce c Turquie)466, où elle affirma que : «La négociation et le règlement judiciaire sont l'une et l'autre cités comme moyens de règlement pacifique des différends à l'article 33 de la Charte des Nations Unies. La jurisprudence de la Cour fournit divers exemples d'affaires dans lesquelles négociations et règlement judiciaire se sont poursuivis en même temps»467. Elle ne fit donc pas droit au Nigeria.

Or, dans l’affaire de l’Application de la convention internationale sur l’élimination de

toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c Fédération de Russie)468, la Cour débouta la Géorgie de sa demande contre la Fédération de Russie, au motif qu’elle ne s’était pas d’abord

464 Supra note 170 aux pp 302-304. 465 Supra note 170 aux pp 300-301. 466 Supra note 170 à la p 287 au para 19.

467 Plateau continental de la mer Égée (Grèce c Turquie), [1978] CIJ rec 3 à la p 12 au para 29. 468 Supra note 91.

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prêtée à des négociations avec le défendeur avant d’introduire sa requête.469 Cette condition des

négociations préalables ressort de l’article 22470 de la Convention internationale sur l’élimination

de toutes les formes de discrimination raciale. Cette affaire a donné à assister à une sorte de revirement jurisprudentiel de la Cour. Toutefois, quoique cet article 22 de la Convention, subordonne la saisine de la Cour à des négociations préalables, rien dans le Statut de la Cour elle- même ou dans la Charte de l’ONU ne prévoit une telle condition. Au contraire, les États parties à un différend devraient être libres de recourir au mode de règlement de leur choix, à en croire à la disposition du paragraphe 1 de l’article 33 de la Charte. D’où, l’idée selon laquelle la situation des États face aux différents mécanismes de règlement des différends doit-elle être perçue comme celle d’une « personne qui aurait le devoir de se rendre dans un lieu déterminé mais qui aurait la faculté de refuser d’emprunter chacun des chemins qui y conduisent »471.

Ainsi, le fait pour la Cour d’avoir débouté la Géorgie de sa demande dans le différend avec la Fédération de la Russie, n’est-il pas exempt de critiques à bien des égards.472 La Cour ne serait

pas restée fidèle à sa jurisprudence antérieure (Plateau continental de la mer Égée (Grèce c

Turquie), [1978] CIJ rec 3 à la p 12 au para 29).

Cette inconstance ou attitude divergente de la Cour à pouvoir demeurer fidèle à un seul point de vue, n’est pourtant pas loin d’être nuisible à la confiance des États en elle. Toutefois, cette hypothèse reste liée aux hypothèses de saisines de la Cour par la voie de la requête unilatérale, car c’est avec cette voie que la condition des négociations préalables est souvent évoquée par les défendeurs (supra notes 465,469 et 470.). Par rapport à la requête unilatérale, le recours à la Cour par la voie du compromis a l’air d’être plus propice pour une manifestation de sa crédibilité aux États. Le compromis étant la voie idéale pour les États pour faire triompher le consensualisme entre eux en guise leur acceptation de la compétence de la Cour, il aura le mérite de soustraire la Cour de toutes sortes de préjugés que ces États pourraient avoir à son encontre, pour ternir son image et ritualiser sa fonction. D’où l’idée selon laquelle, « la crédibilité de la Cour comme organe principal

470 Selon cet article, « tout différend entre deux ou plusieurs Etats parties touchant l'interprétation ou l'application de

la présente Convention qui n'aura pas été réglé par voie de négociation ou au moyen des procédures expressément prévues par ladite Convention sera porté, à la requête de toute partie au différend, devant la Cour internationale de Justice pour qu'elle statue à son sujet, à moins que les parties au différend ne conviennent d'un autre mode de règlement. ».

471 Hubert Thierry et al, droit international public, 4e éd, Paris, Montchrestien, 1984 à la p 572. 472 J.- Maurice Arbour et Geneviève Parent, supra note 29 aux pp 619-620.

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et comme moyen éminent de solution pacifique des différends est donc largement entre les mains des États »473.

Paradoxalement, la voie du compromis de saisine qui renforce la compétence de la Cour en lui évitant généralement les procédures d’exceptions préliminaires,474 apparaît moins usitée par les

États. Quoique l’on dise des atouts que cette voie de saisine renferme, il n’en demeure pas moins une certaine réticence des États à y recourir. D’où, la nécessité de la renforcer. Il ressort en effet, du décompte des affaires portées devant la Cour par la voie du compromis depuis le début de son fonctionnement en 1946, que celles-ci sont au nombre de dix-sept475 jusqu’à ce jour. Or, pour la seule période de 2009 à 2016, le nombre des affaires portées devant la Cour par la voie de la requête unilatérale est de dix-neuf476.

473 Bedjaoui, supra note 200 à la p 92. 474 Kolb, supra note 41 à la p 182.

475 Voir, Liste des procédures contentieuses par date d’introduction en ligne <http://www.icj-

cij.org/docket/index.php?p1=3&p2=3&lang=fr>. Ce sont : l’affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Grande- Bretagne et d'Irlande du Nord c Albanie), [1949] CIJ rec 244 : Notons que cette affaire a d’abord été portée devant la Cour par la voie de la requête unilatérale le 22 mai 1947 par le Royaume Uni sur le fondement de l’article 36 de la Charte de l’ONU (Affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c Albanie), [1949] CIJ rec 15 aux pp 16-17). Après l’arrêt sur les exceptions préliminaires, les parties décidèrent de soumettre leur différend à la Cour par la voie du compromis à la date du 25 mars 1948 ; l’affaire des Minquiers et Ecréhous (France c Royaume-Uni), [1953] CIJ rec 17 ; l’affaire de la Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique c Pays- Bas), [1959] CIJ rec 209; l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d'Allemagne c Danemark), [1969] CIJ rec 3; l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d'Allemagne c Pays-Bas), [1969] CIJ rec 3 ; l’affaire du Plateau continental (Tunisie c Jamahiriya arabe libyenne), [1982] CIJ rec 18; l’affaire de la délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada c Etats-Unis d'Amérique), [1984] CIJ rec 246 ; l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne c Malte), [1985] CIJ rec 13 ; l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso c République du Mali), [1986] CIJ rec 554 ; l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador c Honduras; Nicaragua (intervenant)), [1992] CIJ rec 351; l’affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne c Tchad), [1994] CIJ rec 6 ; l’affaire du Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c Slovaquie), [1997] CIJ rec 7 ; l’affaire du Différend Frontalier (Burkina Faso c Niger), [2013] CIJ rec 44 ; l’affaire de la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie c Singapour), [2008] CIJ rec 12 ; l’affaire de la Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie c Malaisie), [2002] CIJ rec 625 ; l’affaire de Ile de Kasikili/Sedudu (Botswana c Namibie), [1999] CIJ rec 1045 ; l’affaire du Différend frontalier (Bénin c Niger), [2005] CIJ rec 90.

476 Voir « Liste des procédures contentieuses par date d'introduction » en ligne <http://www.icj-

cij.org/docket/index.php?p1=3&p2=3&lang=fr>. Ce sont : l’affaire des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c Sénégal), [2012] CIJ rec 422 ; l’affaire de Certaines questions en matière de relations diplomatiques (Honduras c Brésil), Ordonnance du 12 mai 2010, [2010] CIJ rec 303 ; l’affaire de la Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale (Belgique c Suisse), Ordonnance du 4 février 2010, [2010] CIJ rec 8 ; l’affaire de la Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant)), [2014] CIJ rec 226 ; l’affaire de Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c Nicaragua), [2015] CIJ rec 1 ; l’affaire de la Construction d'une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c Costa Rica), [2015] CIJ rec 1 ; l’affaire de la Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c Thaïlande) (Cambodge c Thaïlande), [2013] CIJ rec 281 ; l’affaire de l’Obligation de négocier un accès à l'océan Pacifique (Bolivie c Chili), [2015] CIJ rec 1 ; l’affaire de la Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de

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Mais comment pourrait-on procéder pour permettre un recours fréquent des États à la Cour

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