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L’inexécution par la France de l’ordonnance de la Cour relative aux mesures

Chapitre I : Les incertitudes dans le règlement des affaires soumises à la Cour par la voie de

Paragraphe 2 : Les cas d’inexécution des décisions de la Cour par un membre permanent

B- L’inexécution par la France de l’ordonnance de la Cour relative aux mesures

Il ressort des faits de cette affaire qu’au début des années 70, la France avait entrepris de procéder à des essais d’armes nucléaires en haute Polynésie française.260 Vu la proximité entre

cette région et les territoires de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, ces derniers craignaient de subir des répercussions directes de ces essais, sous la forme de matières radioactives qui seraient dangereuses pour la santé de leurs populations.261 Ainsi, avaient-ils engagé des tentatives de

négociations avec la France afin de la convaincre à renoncer à ces essais d’armes nucléaires. Ces tentatives n’ayant pas abouti,262 ce fut l’occasion pour ces deux États de porter l’affaire devant la

CIJ par la voie de requête unilatérale, à la même date, soit le 9 mai 1973.263

La proximité entre les faits dans ces deux affaires par l’idée qu’ils avaient le même objet, fit en sorte que les requêtes par le biais desquelles elles furent introduites devant la Cour avaient presqu’un objet similaire. Sur ce, la Nouvelle-Zélande demandait à « la Cour de dire et juger que les essais nucléaires provoquant des retombées radioactives effectués par le Gouvernement français dans la région du pacifique Sud constituent une violation des droits de la Nouvelle-Zélande au regard du droit international et que ces droits seront enfreints par tout nouvel essai.».264 Quant à

258 Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c France), [1974] CIJ rec 457. 259 Essais nucléaires (Australie c France), [1974] CIJ rec 253.

260 David Ruzié, Droit international public, 18e éd., Paris, Dalloz, 2006 à la p 236 [Ruzié]. 261 Supra note 259 à la p 258 au para 18 ; voir aussi supra note 258 à la p. 462 au para18.

262 Supra note 259 aux pp 260-261 aux para 26-27 ; voir aussi Supra note 258 à la p 464 au para 26. 263 Supra note 258 à la p 458 au para 1 ; voir aussi supra note 259 à la p 254 au para 1.

264 Supra note 258 aux pp 459-460 au para 11. 265 Supra note 259 à la p 256 au para 11.

266 Essais nucléaires (Australie c France), Ordonnance du 22 juin 1973, [1973] CIJ rec 99 ; voir aussi supra note 160. 267 Supra note 259 à la p 255 au para 5.

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l’Australie, elle demandait pour sa part à « la Cour de dire et juger que (…), la poursuite des essais atmosphériques d'armes nucléaires dans l'océan Pacifique Sud n'est pas compatible avec les règles applicables du droit international et ordonner à la République française de ne plus faire de tels essais. ».265 C’est pourquoi d’ailleurs, les arrêts dans ces affaires ont tous été rendus à la même date, soit le 20 décembre 1974, de même que les ordonnances en indication de mesures conservatoires qui furent rendues le même jour du 22 juin 1973266, bien que leurs demandes ne fussent pas introduites à la même date. C’est le 9 mai 1973 en effet, que l’Australie fit sa demande à la Cour d’indiquer des mesures conservatoires, concomitamment à sa requête introductive d’instance.267 Contrairement à la Nouvelle-Zélande, dont la demande d’indication de mesures

conservatoires fut présentée le 14 mai 1973.268

Ce qui importe le plus dans ces affaires, c’est l’attitude de la France, en tant que défendeur, et qui est aussi un membre permanent269 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce qui permet

de déduire de ces affaires, qu’on aurait davantage gagné si chacun des demandeurs (Australie et nouvelle Zélande), avait pu associer la France dans la saisine de la Cour en réussissant à obtenir avec cet État, la conclusion d’un compromis pour servir de voie au recours à la Cour. Un certain nombre de faits nous permet ce point de vue.

D’abord, dans ces affaires, la Cour fut heurtée à une contestation de sa compétence par la France. Cette dernière soutenait son incompétence à pouvoir connaitre de ces affaires. Ce fut à travers une lettre qui datait du 16 mai 1973, adressée au greffe de la Cour. Cette lettre indiquait qu’ « ainsi qu'il en a averti (…), le Gouvernement de la République française estime que la Cour n'a

268 CIJ, communiqué, 73/10, « Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c France) » (14 mai 1973), en ligne :

<http://www.icj-cij.org/docket/files/59/11558.pdf>.

269 Supra note 1, art 23 au para 1.

270 Supra note 259 aux 256-257 au para 13; voir aussi supra note 258 à la p 460 au para 13.

271 Cet article stipule que, « Tous différends au sujet desquels les parties se contesteraient réciproquement un droit

seront, sauf les réserves éventuelles prévues à l'art. 39, soumis pour jugement à la Cour permanente de Justice internationale, à moins que les parties ne tombent d'accord, dans les termes prévus ci-après, pour recourir à un tribunal arbitral. Il est entendu que les différends ci-dessus visés comprennent notamment ceux que mentionne l'art. 36 du Statut de la Cour permanente de Justice internationale ».

272 Aux termes de cet article, « Lorsqu’un traité ou une convention en vigueur prévoit le renvoi à une juridiction que

devait instituer la Société des Nations ou à la Cour permanente de Justice internationale, la Cour internationale de Justice constituera cette juridiction entre les parties au présent Statut. ».

273 Ce paragraphe 1 de l’article 36 dispose que, « La compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que les parties

lui soumettront, ainsi qu'à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en vigueur ».

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manifestement pas compétence dans cette affaire et qu'il ne peut accepter sa juridiction ».270 En conséquence de son incompétence, la Cour devrait radier ces affaires de son rôle. Toutefois, aux termes des paragraphes premiers des arrêts définitifs rendus dans ces affaires le 20 décembre 1974, les demandeurs entendaient fonder la compétence de la Cour en vertu de l'article 17271 de l'Acte général pour le règlement pacifique des différends internationaux conclu à Genève le 26 septembre 1928, l’article 37272 et les paragraphes 1273 et 2274 de l’article 36 du Statut de la Cour. Du point de

vue de la France, rien de tout cela ne devrait habiliter la Cour à faire droit aux demandeurs dans la réception de leurs requêtes. Elle avait effectivement consenti à la compétence de la Cour à travers sa déclaration d’acceptation de sa juridiction obligatoire du 20 mai 1966. Il n’en demeurait pas moins que celle-ci était assortie d’une réserve prévue à son paragraphe 3 et qui excluait de la compétence de la Cour, «des différends nés d’une guerre ou d’hostilités internationales, des différends nés à l’occasion d’une crise intéressant la sécurité de la nation ou de toute mesure ou action s’y rapportant et des différends concernant des activités se rapportant à la défense nationale».275

Ensuite, dans la mesure où la Cour paraissait incompétente de son point de vue pour connaitre de ces affaires, la France refusa de se conformer à l’ordonnance de la Cour du 22 juin 1973, qui la sommait de surseoir à ses expériences nucléaires en continuant ainsi ses essais nucléaires.276Par ailleurs, elle se réserva de ne pas comparaître durant toute la suite de la procédure consacrée au fond277, au grand regret de la Cour et des demandeurs, un peu comme dans l’affaire

274 Il ressort de ce paragraphe 2 que : « Les États parties au présent Statut pourront, à n'importe quel moment, déclarer

reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l'égard de tout autre État acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour sur tous les différends d'ordre juridique ayant pour objet : a. l'interprétation d'un traité; b. tout point de droit international; c. la réalité de tout fait qui, s'il était établi, constituerait la violation d'un engagement international; d. la nature ou l'étendue de la réparation due pour la rupture d'un engagement international.».

275 Feydy, supra note 79 à la p 161. 276 Ruzié, supra note 260 à la p 236.

277 Supra note 259 aux pp 256-257 aux para 13 et 15 ; voir aussi supra note 258 aux pp 460-461 aux para 13 et 15. 278 La France ayant pris l’engagement de ne plus procéder à de tels essais d’armes nucléaires dans le futur. Ainsi, la

Cour jugea-t-elle sans objet les demandes qui lui avait été adressées par l’Australie et la Nouvelle Zélande : Supra note 259 à la p 272 aux para 60 et 62 ; voir aussi supra note 258 aux pp 477-478 aux para 63 et 65.

279 Supra note 259 à la p 270 au para 52. 280 Supra note 259 aux pp 271-272.

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Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, où les États-Unis avaient de

même refusé de comparaître.278

Toutefois, il convient de retenir de ces affaires que la France ne fut pas condamnée aux termes des arrêts définitifs du 20 décembre 1974. La France ayant pris « l’engagement de ne plus procéder à des essais nucléaires en atmosphère dans le Pacifique sud »,279 la Cour ne trouva plus nécessaire de poursuivre la procédure.280 Or le 10 janvier 1974, soit onze mois avant la date des arrêts définitifs, susmentionnée, la France adressa une notification au Secrétaire général de l’ONU au motif qu’elle retirait sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour.281 Ce

retrait devrait donc être lié à un autre motif, à savoir celui qui conduisit la Cour à se déclarer compétente. Mais, est-ce que cela valait réellement le coût ?

Dans tous les cas, on peut alléguer qu’il n’en aurait pas été le cas si un compromis avait été à la base de la saisine de la Cour. Ainsi la déclaration française d’acceptation de la compétence de la Cour aurait-elle toujours été en vigueur, car la France n’aurait plus pu remettre en cause la compétence de la Cour, d’autant plus que ce compromis traduit la volonté commune des parties à un différend de s’en remettre à la compétence de celle-ci.

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Conclusion de la première partie

Au terme de notre analyse consacrée à cette première partie de notre étude, il importe de retenir que la simplicité qui réside dans le recours à la CIJ par la voie de requête unilatérale, ne suffit pas à constituer un atout de telle sorte à croire qu’il faille privilégier cette voie. Cette simplicité tient du fait qu’un État partie à un différend pourra de sa seule initiative le porter devant la Cour pourvu qu’il ait consenti à sa compétence, encore que cette voie de la requête unilatérale peut lui offrir le choix entre plusieurs bases juridiques pour fonder la compétence de cette juridiction. Malheureusement, ses garanties semblent demeurer maigres pour pouvoir préjuger que la Cour pourrait effectivement rendre un arrêt sur le fond du différend compte tenu des exceptions que le défendeur pourra évoquer,282 sans occulter la mauvaise foi dont il pourrait faire preuve dans la mise en œuvre des décisions de la Cour s’il s’avère que celles-ci iraient à l’encontre de ses intérêts. Surtout, lorsque cet État défendeur est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, il est d’emblée difficile de croire qu’il se conformerait aux décisions de la Cour tant que celles-ci le condamnent comme en témoigne l’histoire de la jurisprudence de la Cour elle-même. Face à ces insuffisances de la requête unilatérale, la voie du compromis de saisine pourrait constituer une réponse pour renforcer la compétence de la Cour durant toute la procédure de règlement avec l’espoir que les États qui la privilégieront n’auront presque pas la possibilité de se défaire de la mise en œuvre des décisions qui seront rendues (Deuxième partie).

282 J.- Maurice Arbour et Geneviève Parent, supra note 29 à la p 633. Force est de constater que ces auteurs partagent

ce point de vue sur les limites de l’introduction d’instance devant la CIJ par la voie de requête unilatérale. Ainsi, disent- ils que lorsque l’instance débute par une requête unilatérale, « puisque la compétence de la Cour dépend du consentement des parties, le défendeur se prévaudra habituellement du droit qu’il a de soulever des exceptions préliminaires ».

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Deuxième partie : La protection de la compétence de la Cour contre les incidents de procédure par le fait du compromis de saisine

On parle de saisine par la voie de compromis lorsque les parties conviennent de soumettre leur différend à la CIJ d’un commun accord, donc de reconnaître sa compétence en l’espèce. Elles concluent à cette fin ce qu’on appelle un compromis qui a, en principe la nature d’un accord international bilatéral. Une fois saisie de ce compromis, la Cour pourra alors connaître de l’affaire. La contribution du compromis au renforcement de la compétence de la Cour, apparaît évidente, comme le soutient d’ailleurs, Robert Kolb pour qui, la compétence de la Cour est d’ordinaire mieux assise sur la base d’un compromis, qui dans la grande majorité des cas, lui garantit une procédure débarrassée d’exceptions préliminaires283 voire d’irrecevabilité. Pour se rendre à l’évidence de

cette contribution, notre raisonnement portera sur deux points essentiels. D’une part, il concernera la portée du recours à la CIJ par voie de compromis à travers une mise en œuvre effective de la règle du consensus (chapitre 1). D’autre part, il nous importera de révéler le bien fondé de la mise en œuvre du consensualisme entre les parties qui recourent à la Cour par la voie de compromissur le cours de la procédure de règlement des différends (chapitre 2).

283 Supra note 53.

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Chapitre I : La portée du recours à la CIJ par voie de compromis à travers une mise en œuvre

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