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Définition du fonds d’affectation spéciale destinée à aider les États à faire face

Chapitre I : La portée du recours à la CIJ par voie de compromis à travers une mise en œuvre

Paragraphe 1 : Les atouts liés au bénéfice du fonds d’affectation spéciale au règlement des

A- Définition du fonds d’affectation spéciale destinée à aider les États à faire face

La justice internationale a un coût. Que ce soit au stade du recours des États à cette justice ou de l’exécution des décisions qui pourraient résulter d’elle, des dépenses financières non moins négligeables s’imposent souvent, et ce sont les parties elles-mêmes qui doivent s’en acquitter. Compte tenu de cette réalité, il peut arriver que des États parties à un différend soient disposés à porter devant cette justice le différend qui les opposent, mais pour des raisons liées à des coûts financiers, ils s’y abstiennent. Dans un autre sens, les parties peuvent être financièrement capables de supporter le coût que requiert la saisine de cette justice et le déroulement de tout le procès, mais

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qu’elles ne soient pas en mesure de pouvoir exécuter la décision qui pourrait survenir en raison des implications financières que cela comporterait.

Ce coût financier se justifie dans le fait pour les parties d’avoir recours à des spécialistes et experts (conseillers, agents, avocats, etc.) qui les assisteront dans l’accomplissement des différentes procédures nécessaires devant cette justice internationale, et qu’il faut payer en retour. Par ailleurs, et dans le cas où l’exécution des décisions suppose certaines actions matérielles sur le terrain comme le tracé de frontières, les travaux de cartographie ou de balisage ou de détermination du sort de certaines étendues de terre ou de mer ou de bornage, la vérification de la fin d’hostilités, la remise en état de droits acquis, le besoin de recours à des personnels et agents de terrain qui se chargeront de telles missions et leur prise en charge financière, s’impose.341

Ce qui n’est pas toujours facile pour tous les États, compte tenu de leurs disponibilités financières et leurs niveaux de développement économique, qui les obligent souvent à investir les fonds à leur disposition dans d’autres objectifs qu’ils jugent prioritaires, que de les dépenser devant une justice internationale. Ce peut être le cas de certains États en Afrique, dont les objectifs prioritaires restent le développement de leurs secteurs agricoles, industriels, de la finance, du commerce, de l’éducation, ou de la création d’emploi (lutte contre le chômage).342

Le coût de la justice internationale peut donc s’avérer une limite dans une certaine mesure à son attractivité, surtout pour les États en voie de développement qui ne s’empêcheront pas de voir d’un mauvais œil l’idée d’engager des frais importants pour bénéficier de son règlement, pendant qu’ils font face à bien d’autres besoins plus primordiaux. Sur cette base, les États peuvent se retrouver dans une incapacité financière d’aller devant la CIJ. D’ailleurs, tous les modes de règlement (article 33, paragraphe 1, de la Charte), supposent en réalité des dépenses financières de la part des États qui les choisissent. Ces dépenses peuvent être liées aux différents déplacements ou émoluments des agents impliqués dans le mode de règlement choisi, en plus des frais que l’exécution des décisions prises par ce mode de règlement pourra entraîner. Cette idée semble s’accommoder avec le recours à la force armée auquel certains États (se sentant plus puissant sur

341 Daniel Vignes, « Aide au développement et assistance judiciaire pour le règlement des différends par la Cour

internationale de justice » (1989) 35 :1 AFDI 321 aux pp 321-322.

342 African Development Bank,OECD, United Nations Development Programme, «Perspectives économiques en

Afrique 2015 :Développement territorial et inclusion spatiale», Paris, OCDE, 2015, en ligne, < http://www.oecd- ilibrary.org/sites/fa724c7c-fr/index.html?itemId=%2fcontent%2fsummary%2ffa724c7c-fr>.

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le plan militaire), se livrent contre d’autres en violation de l’obligation343 faite par la Charte de

régler pacifiquement les différends interétatiques, pour couper court avec toute initiative de voir un tiers régler leurs différends.

D’ailleurs, le paragraphe 4 du Statut344 du fonds d’affectation spéciale confirme cette

évidence en ces termes :

« Les frais que peuvent entraîner les procédures sont une considération qui, dans certains cas, dissuade les États d’en appeler à la Cour. Dans l’arbitrage, les parties supportent le coût des arbitres et du fonctionnement du tribunal (par exemple, les activités du greffe). Les dépenses d’administration de la Cour sont prises en charge par l’Organisation des Nations Unies. Toutefois, comme dans l’arbitrage, les parties doivent rémunérer leurs conseils, défrayer, le cas échéant, leurs agents, experts et témoins et supporter les coûts liés à la rédaction des mémoires et contre-mémoires, etc. Le coût total peut être considérable. Aussi, les considérations de coût peuvent-elles peser dans la décision de porter ou non un litige devant la Cour. Une aide financière serait donc utile aux États qui n’ont pas les moyens nécessaires ».

C’est pour pallier à cette éventualité et pour améliorer la confiance des États dans le recours à la CIJ, que l’Assemblée générale de l’ONU a contribué en 1989 à l’institution d’un fonds d’affectation spéciale destiné à aider les États les plus démunis à faire face aux dépenses de justice internationale. 345 L’objectif étant donc, d’éviter que le motif financier serve de justificatif au refus

des États de recourir à la CIJ.

La demande du fonds est adressée au Secrétaire général de l’ONU par l’État partie qui souhaite en bénéficier. Dès lors que le Secrétaire général reçoit la demande, il constitue un comité de trois experts qui se chargera de l’examiner. Par la suite, c’est ce comité qui recommande au Secrétaire général le montant à allouer à l’État demandeur du fonds, au regard des dépenses.346

343 Cette obligation découle du paragraphe 4 de l’article 4 de la Charte de l’ONU qui stipule que « les Membres de

l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ».

344 Statut révisé du Fonds, « Statut, règlement et principes révisés applicables au Fonds d’affectation spéciale du

Secrétaire général devant aider les États à soumettre leurs différends à la Cour internationale de Justice », en ligne : <http://www.un.org/fr/aboutun/structure/statusrev.pdf>.

345 Ibid.

346 Le paragraphe 9 du Statut du fonds d’affectation stipule en effet que : « Une fois la demande d’aide financière jugée

recevable, le Secrétaire général constitue un comité d’experts composé de trois personnes présentant les plus hautes qualités de magistrat et jouissant de la plus grande considération morale. Le Comité a pour tâche d’examiner la demande présentée et de recommander au Secrétaire général le montant de l’aide financière à accorder, le montant de l’avance à allouer en vertu des dispositions du paragraphe 13 du Statut, et la nature des dépenses susceptibles d’être couvertes par l’aide : rédaction de mémoires, contre-mémoires et répliques; honoraires des conseils et défraiement, le

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Dans tous les cas, c’est au Secrétaire général de l’ONU de décider en dernier ressort du montant à allouer.

Le paragraphe 13 du Statut du fonds le précise en ces termes :

Sur la base de l’évaluation et des recommandations du Comité d’experts, le Secrétaire général décide en dernier ressort de l’aide financière qui sera prélevée sur le Fonds et du montant de l’avance qui sera alloué. Cette dernière ne peut dépasser 50 % de l’aide financière octroyée. Les versements de l’avance et du paiement final du montant octroyé sont faits au moyen d’un virement bancaire du Fonds d’affectation spéciale du Secrétaire général. Le paiement final est effectué sur présentation de justificatifs des dépenses effectives afférentes au montant total des coûts approuvés.

Les dépenses pouvant être couvertes par cette aide devant la Cour sont entre autres: la rédaction des mémoires, des contre-mémoires et répliques; les honoraires des conseils, des agents, des experts et témoins; les frais de recherche juridique; les coûts afférents à la procédure orale en ce qui concerne les services d’interprétation pour les langues autres que le français et l’anglais; les frais de production de documents techniques comme les cartographies et les coûts afférents à l’exécution d’un arrêt de la Cour347.

Toutefois, le bénéfice du fonds d’affectation aux États n’est pas automatique. Le Statut du fonds en question commande que les États litigants qui souhaitent bénéficier du soutien financier des Nations Unies remplissent un certain nombre de conditions. C’est en cela que la marge de manœuvre est grande chez les États qui soumettent leurs différends à la Cour par la voie de compromis, pour tirer profiter de ce fonds. De tels États sont en effet, soumis à des conditions moins rigoureuses.

B- Les motifs liés au bénéfice du fonds d’affectation aux États ayant fait recours à la Cour par la voie de compromis

Aux termes du paragraphe 6 du Statut du fonds, on peut lire que :

cas échéant, des agents, experts et témoins; frais de recherche juridique; coûts afférents à la procédure orale (par exemple services d’interprétation pour les langues autres que le français et l’anglais); frais de production de documents techniques (par exemple reproduction de pièces cartographiques) et coûts afférents à l’exécution d’un arrêt de la Cour (par exemple, démarcation de frontières).».

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Le Fonds d’affectation spéciale (ci-après dénommé « le Fonds ») est créé par le Secrétaire général conformément au Règlement financier et règles de gestion financière de l’Organisation des Nations Unies et aux termes et conditions énoncés dans les présents Statut, règlement et principes (ci-après dénommés « le Statut du Fonds »). Il a pour objet de fournir aux États une aide financière pour les aider à couvrir les dépenses engagées dans le cadre : a) D’un différend soumis à la Cour internationale de Justice en vertu du paragraphe 1 de l’article 40 du Statut de la Cour : i) Par la voie d’un compromis conclu en vertu du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour; ii) Par la voie d’une requête présentée en vertu des paragraphes 1 et 2 de l’article 36 du Statut de la Cour, sous réserve que :a. Dans le cas où des exceptions préliminaires au sens de l’article 79 du Règlement de la Cour ont été soulevées par l’une des parties, ou les deux, ces exceptions ont été soit rejetées par la Cour, soit définitivement retirées par la ou les parties concernées ; b. Dans le cas où aucune exception préliminaire n’a été présentée, l’État qui sollicite l’aide financière s’engage auprès du Secrétaire général à ne soulever aucune exception préliminaire au sens de l’article 79 du Règlement de la Cour et à plaider l’affaire au fond ; cet engagement sera dûment notifié à la Cour par le Secrétaire général ; b) De l’exécution d’un arrêt de la Cour internationale de Justice.

De cette stipulation, l’on retient que le bénéfice du fonds d’affectation se situe à deux niveaux, à savoir d’une part pour engager une instance devant la Cour, et, d’autre part, pour faire exécuter les décisions de la Cour. Par ailleurs, certains points de ce paragraphe 6 méritent une attention particulière en ce qui concerne les États pouvant bénéficier de ce fonds et dans quelles conditions. En principe, tous les États habilités à ester devant la Cour, peuvent bénéficier du soutien financier des Nations Unies à travers ce fonds, dans le cadre d’un différend qui les oppose devant la CIJ.348

Au titre des conditions de fond liées à l’attribution de ce fonds d’affectation spéciale, il convient de savoir que celles-ci existent seulement au cas où le différend entre des États parties aurait été porté devant la Cour par la voie de requête unilatérale. Cela dit, les États désirant soumettre leur différend à la Cour par la voie de compromis ne seront soumis à aucune condition s’ils souhaitent bénéficier de la couverture financière du fonds d’affectation spéciale, à moins d’en faire la demande au Secrétaire général de l’ONU et en y joignant une copie de l’acte du compromis conclu.349

En réalité, l’on peut déduire de la mise en œuvre de ce fonds qu’il vise à encourager les États à soumettre leurs différends à la Cour par la voie de compromis, qui est censé protéger

348 Supra note 344 au para 8. 349 Ibid au point a.

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davantage la compétence de celle-ci contre les incidents de procédure (exceptions d’incompétence ou d’irrecevabilité). C’est pourquoi d’ailleurs, le communiqué de presse AG/1213 du 30 octobre 2001, du Secrétariat général de l’ONU, ne fait point mention du bénéfice de ce fonds aux États qui font recours à la CIJ par la voie de requête unilatérale. Il ressort en effet, de ce communiqué que : « Tout État partie au Statut de la Cour internationale de Justice et tout État non membre de l’ONU qui satisfait aux conditions prescrites par la résolution 9 (1946) du Conseil de sécurité peut bénéficier de l’aide de ce Fonds créé en 1989, pour les dépenses encourues à l’occasion du renvoi d’un différend à la Cour en vertu d’un compromis, ou de l’exécution d’un arrêt pris par la Cour en vertu de ce compromis. »350.

Le cas échéant et lorsque la saisine de la Cour intervient par la voie d’une requête unilatérale d’un État partie à un différend, il faudrait distinguer deux cas. D’une part, au cas cet État partie aurait demandé ce fonds pour la couverture de dépenses, il n’en bénéficiera que si les exceptions préliminaires soulevées par le défendeur pour contester à la Cour sa compétence ont toutes été rejetées à travers un arrêt. D’autre part, si aucune exception préliminaire n’a été soulevée dans le cadre du différend, l’État partie qui sollicite le bénéfice du fonds d’affectation spéciale devra s’assurer auprès du Secrétaire général de l’ONU de ne point lui-même en soulever et à s’engager à plaider l’affaire au fond. C’est-à-dire qu’il devra obligatoirement comparaître.

Dans la mesure où l’introduction d’une instance devant la Cour par la voie de requête unilatérale n’entraîne pas automatiquement le bénéfice du fonds d’affectation spéciale, comme il en est du recours par la voie de compromis, ce doit être encore une occasion de témoigner des atouts du compromis. La preuve en est que les États parties à des différends qui ont pu bénéficier de ce fonds ont jusque-là été ceux ayant saisi la Cour par compromis.

C’est l’exemple de l’affaire du Différend frontalier entre le Bénin c Niger351. Dans ce

différend qui opposa le Bénin et le Niger et qui fut l’objet de leur saisine de la Cour par compromis (signé le 15 juin 2001 et entrée en vigueur le 11 avril 2001 à Cotonou), le 3 mai 2002,352 ces deux

350 ONU, communiqué, AG/1213, « Le rôle central de la cour internationale de justice dans le règlement pacifique des

différends réaffirme a l’Assemblée générale » (30 octobre 2001), en ligne : <http://www.un.org/press/fr/2001/AG1213.doc.htm>.

351 Supra note 310.

352 CIJ, communiqué, 2002/13, « Le Bénin et le Niger soumettent conjointement un différend frontalier

à la Cour internationale de Justice » (5 mai 2002), en ligne : < http://www.icj- cij.org/docket/index.php?pr=570&code=bn&p1=3&p2=3&p3=6&case=125&k=94>.

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parties ont eu recours au fonds d’affectation. Les parties ont en effet signé une lettre conjointe le 12 novembre 2003, qui fut adressée au Secrétaire général de l’ONU dans l’optique de bénéficier du fonds en question.353Le communiqué de presse SG/2087 L/3070 du Secrétariat général de l’ONU

du 3 juin 2004, indique que suite à leur différend, ces États (Bénin et Niger) ont sollicité l’octroi d’une aide financière au titre du fonds d’affectation spéciale des Nations Unies pour prendre en charge les dépenses judiciaires qui leur incombaient devant la Cour. Cette demande fut faite à la fin de l’année 2003, après avoir au préalable saisi la Cour le 3 mai 2002, par la voie de compromis354. Ainsi, un montant de 700 000 dollars US a-t-il été alloué aux deux États, soit 350 000 dollars à chacun d’eux.355

Cela dit, le fonds d’affectation contribue au règlement des différends devant la CIJ. Son fonctionnement facilite le déroulement du processus de règlement. Par voie de conséquence, les soucis financiers qui pourraient empêcher les États de comparaitre devant la Cour ou à accomplir tous les actes de procédure, voire à s’interroger sur la charge du coût financier de l’exécution des décisions, n’ont en principe plus de raison d’être par le jeu de fonds.

Bien avant l’institution du fonds d’affectation en 1989, le problème lié à la prise en charge des dépenses judiciaires des États qui ne pouvaient le faire par leurs propres moyens, s’était posé suite à l’arrêt rendu par la Cour sur le différend frontalier entre le Burkina Faso et le Mali, le 22 décembre 1986.356 En l’espèce, malgré leur engagement à se conformer à l’arrêt rendu, ces États se trouvaient dans l’incapacité d’assumer la responsabilité financière de la prise en charge des experts désignés pour procéder à la délimitation de leur frontière commune. Ainsi, en avaient-ils appelé à la Cour, qui leur trouva un bailleur de fonds, à savoir le gouvernement helvétique qui prit en charge les dépenses financières liées à la démarcation de leur frontière. 357

De ce fait, le recours des États à la Cour par la voie de compromis comporte un avantage financier que la requête unilatérale est loin de pouvoir leur garantir. Cet avantage s’analyse en un appui financier visant à alléger leurs dépenses judiciaires. Par ailleurs, le recours par la voie du

353 ONU, communiqué, SG/2087 « Le secrétaire général accorde 700 000 dollars au Bénin et au Niger pour les assister

à régler leur différend frontalier en le soumettant à la CIJ » (4 juin 2004), en ligne : < https://www.un.org/law/trustfund/press_release/French.htm>.

354 Supra note 310 à la p 94 au para 1. 355 Supra note 353.

356 Supra note 311.

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compromis entraine certaines garanties juridiques liées à l’acte même du compromis et qui facilitent le dénouement des différends.

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