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La protection de la compétence de la Cour contre la catégorie des exceptions

Chapitre II : Les implications de la mise en œuvre du consensualisme sur le cours de la

Paragraphe 1 : La capacité du compromis à limiter les exceptions préliminaires

A- La protection de la compétence de la Cour contre la catégorie des exceptions

materiae par le recours par la voie de compromis

Selon Jean Salmon, l’exception ratione materiae suppose « l’inexistence d’un différend juridique actuel et de caractère international ».386 En sa qualité d’organe judiciaire principal des Nations Unies, la CIJ n’est en charge que du règlement des différends juridiques qui oppose des États en tant principaux sujets de droit international. Cela limite la compétence de la Cour en principe à la catégorie des matières juridiques à l’exception des matières revêtues de toute autre connotation et celles politiques surtout.

En cela, la partie qui introduit une instance devant la Cour devra se rendre à l’évidence de la nature juridique du différend pour lequel elle souhaite voir la Cour trancher. Le cas échéant et s’il apparaît que le différend relève d’autres catégories de matières (politiques par exemple), l’autre partie pourra faire objection à la compétence de la Cour. Celle-ci n’étant habilitée qu’en vertu des différends d’ordre juridique, il va sans dire qu’elle ne pourrait connaître de différends d’ordre politique et que de tels différends pourront faire objet d’exceptions préliminaires que le défendeur pourra soulever.

Toutefois, il n’en demeure pas moins que quand bien même que la compétence de la Cour s’étendrait à tous les différends juridiques à caractère international, elle ne pourra connaître de tels différends que dans la mesure où la base juridique de compétence ayant permis sa saisine se réfèrerait à leur catégorie. En effet, en droit international, il y a différentes catégories de matières et chaque matière comporte des démembrements dont chacun peut faire objet d’adoption de traité. Par exemple, en DIH, on peut avoir des traités qui portent sur les violences sexuelles, ou sur la protection des enfants en temps de guerre ou sur les enfants soldats ; en droit de la décolonisation, on pourrait procéder à l’adoption de traité portant délimitation frontalière terrestre et maritime, etc. C’est pourquoi, on a à titre de preuve, laConvention de Vienne sur les relations diplomatiques387, la Convention relative à l'esclavage388, le Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe389, etc. Même dans les hypothèses où le demandeur à l’instance entend fonder la compétence de la Cour en vertu de déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire de la

386 Salmon, supra note 2 à la p 1198.

387 Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, conclue le 18 avril 1961 à Vienne, 500 RTNU n0 7310. 388 Convention relative à l'esclavage, conclu le 25 septembre 1926 à Genève, 60 RTSN n0 1414.

389 Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe, conclu le 19 novembre 1990 à Paris, 2441 RTNU n0

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Cour, il lui importe de savoir les catégories de matières visées par celles-ci. Certaines déclarations excluent certaines catégories de matières particulières à l’exception d’autres. C’est le cas de la déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, du Canada390, qui exclue les

«différends relatifs à des questions qui, d'après le droit international, relèvent exclusivement de la juridiction du Canada».

Sur ce, lorsqu’un différend est soumis à la Cour, à moins que cela n’ait été que par compromis, le demandeur devra indiquer dans sa requête la base de compétence en vertu de laquelle, il croit pouvoir voir la Cour statuer.391 Lorsque la base de compétence est par exemple une clause compromissoire insérée dans un traité, il faudrait que le traité en question et le différend en cause relèvent de la même catégorie de matière en droit international. En cela, si le différend a trait par exemple au crime de génocide relativement au DIH, il faudrait pour établir la compétence de la Cour et éviter l’exception ratione materiae que le traité dont la clause prévoit la compétence de la Cour, soit relatif au crime de génocide en lien avec le DIH.

Lorsque la compétence de la Cour devra découler de déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, supposons que ce soit contre le Canada que le demandeur introduit une l’instance. La Cour se heurterait inévitablement à l’exception ratione materiae, si le différend en cause est en lien avec la sécurité intérieure ou la défense nationale du Canada, dans la mesure où ces différentes matières font partie de celles qui ne sont pas prises en compte par la déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour faite par le Canada392. Cela dit, la

sécurité intérieure ou la défense nationale, tout comme les affaires étrangères et la justice, font partie des matières qui relèvent des Ministères régaliens du Canada.393 Souvenons-nous en effet, des affaires Essais nucléaires entre l’Australie et la France394 et entre la Nouvelle-Zélande et la France395. En réalité, dans ces affaires, la France était fondée à évoquer l’incompétence de la Cour

390 Déclaration reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour internationale de Justice, conformément au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice, faite le 10 mai 1994 à New York, 1776 RTNU n0 30941.

391 En effet, le paragraphe 2 de l’article 38 du Statut de la Cour porte que dans le cas où une instance est introduite

devant la Cour par la voie de requête : « La requête indique autant que possible les moyens de droit sur lesquels le demandeur prétend fonder la compétence de la Cour ; elle indique en outre la nature précise de la demande et contient un exposé succinct des faits et moyens sur lesquels cette demande repose. ».

392 Supra note 390.

393 Bol de culture, en ligne : < http://boldeculture.blogspot.ca/2011/04/quest-ce-quun-ministere-regalien.html>. 394 Supra note 259.

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sous le motif que sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour du 20 mai 1966 excluait les matières ayant trait à sa défense nationale.396 La France pouvait donc soulever l’exception ratione materiae. Si la Cour ne lui a pas fait droit en cela, c’est certainement parce que sa compétence pouvait résulter d’une autre base juridique de compétence à savoir, l'article 17397 de l'Acte général pour le règlement pacifique des différends internationaux conclu à Genève le 26 septembre 1928 qui prévoyait la compétence de la CPJI en tant que devancière de la CIJ. La France était partie à cet Acte, et quoique conclu à l’époque de la CPJI, en vertu de l’article 37 du Statut de la CIJ, il demeurait toujours en vigueur et pouvait être invoqué comme fondement de la compétence de cette Cour.

Dans l’éventualité d’une exception ratione materiae, tout comme les autres catégories d’exceptions préliminaires, il appartiendra à la Cour de démontrer sa compétence en l’occurrence à travers un arrêt sur les exceptions préliminaires en question. C’est de là qu’apparait aussi l’un des inconvénients de l’introduction d’instance par la voie de requête unilatérale devant la Cour. Premièrement, l’éventualité d’une ou des exception (s) préliminaire (s) aura pour effet de retarder l’évolution rapide de la procédure de traitement du différend, car la Cour devra se donner tout le temps nécessaire pour examiner la question des exceptions. En second lieu, dans l’hypothèse où la Cour se déclare incompétente pour connaitre du différend au fond à l’issue de son arrêt sur les exceptions préliminaires, l’instance introduite se terminera dès lors, et l’affaire sera radiée de son rôle.398

Le recours à la Cour par la voie de compromis permet de protéger sa compétence contre l’exception ratione materiae, en ce sens que d’une part, le compromis peut couvrir à la fois toutes les matières du droit international, contrairement aux clauses compromissoires insérées dans des traités qui sont souvent conclus par rapport à des domaines ou matières spécifiques du droit international. Cela dit, quelle que soit la catégorie de matière à laquelle un différend juridique international se réfère, des États peuvent conclure un compromis de saisine pour fonder la compétence de la Cour. Mais, unilatéralement, un État partie à un différend, ne saurait porter celui- ci devant la Cour sur le fondement de n’importe quelle clause compromissoire. Les clauses compromissoires existent en effet dans des traités qui portent sur des matières spécifiques, d’où

396 Supra note 275.

397 Supra note 271.

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une seule clause compromissoire ne pourrait servir de fondement à la compétence de la Cour pour tous les différends juridiques internationaux. C’est aussi le cas des déclarations facultatives de juridiction obligatoire de la Cour, qui ont parfois des effets spécifiques et visent de ce fait des catégories particulières de matières pour ne pas pouvoir couvrir à la fois toutes les matières relatives au droit international. D’autre part, il est très rare, voire impossible que des États concluent un compromis de saisine de la Cour, pour le limiter ensuite par une exception ratione materiae. L’expérience de la jurisprudence de la Cour prouve en réalité que cette exception ne joue souvent que dans les hypothèses d’affaires introduites par la voie de requête unilatérale.399

Outre, la catégorie des exceptions ratione materiae, celle des exceptions ratione personae a tout de même des effets limités en ce qui concerne la saisine de la Cour par la voie de compromis.

B- La protection de la compétence de la Cour contre la catégorie des exceptions ratione personae par le recours par la voie de compromis

Seuls les États sont justiciables devant la CIJ. Le paragraphe 1 de l’Article 34 de son Statut l’affirme en ces termes : « Seuls les États ont la qualité pour se présenter devant la Cour ». La question reste à savoir ce que c’est qu’un État. Il semble que le terme « État » doive être compris dans son sens objectif, si l’on s’en tient à la nature des entités qui ont souvent l’habitude d’ester devant la Cour au niveau contentieux.

À ce sujet, c’est la Convention de Montevideo de 1933 sur les droits et les devoirs des États, offre une définition du terme « État » en l’articulant autour de la réunion de trois éléments sine qua

non à travers son article premier qui porte que : « Un État en tant qu'entité du droit international

doit posséder les éléments suivants : une population permanente, un territoire défini, un gouvernement, et la capacité d'entrer en relation directe avec les autres États ». Cela dit, pour être partie devant la Cour, l’entité qui le souhaite doit avoir une population, un territoire et un pouvoir politique, sans méconnaitre le critère de souveraineté : C’est la question du locus standi et c’est ce sur quoi la CIJ se base pour attester la justiciabilité d’une entité. Une entité de ce genre, quand bien

399 Nous tirons notre raisonnement sur la base d’un constat réalisé sur l’ensemble des affaires portées devant la Cour

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même qu’elle ne serait pas membre de l’ONU pourra avoir accès à la Cour si toutefois elle est partie à son Statut.

Toutefois, il ne suffit pas pour un État donné de pouvoir avoir accès à la Cour. Aussi, lui incombe-t-il d’avoir en effet, consenti à la compétence de la Cour pour donner à celle-ci de pouvoir se prononcer valablement sur le différend auquel il est partie. De ce point de vue, et dans l’hypothèse d’une saisine unilatérale de la Cour, l’État qui en est à la base devra prouver la compétence de la Cour soit au moyen d’une clause compromissoire, soit sur le fondement d’une déclaration facultative de juridiction obligatoire, soit dans un dernier cas relatif au forum

prorogatum.

Si la compétence de la Cour a été établie par le demandeur sur le fondement d’une clause compromissoire, cela doit supposer l’existence d’un traité auquel non seulement le demandeur, mais aussi le défendeur seraient parties. L’exception ratione personae peut de ce fait, être évoquée par le défendeur s’il avère que le traité contenant la clause compromissoire, est caduc ou bien s’il se trouve que l’un des États parties (au différend) n’y est pas valablement partie (au traité).

Supposons par ailleurs que la compétence de la Cour ait été établie en vertu d’une déclaration facultative de juridiction obligatoire. Les hypothèses de l’exception ratione personae, sont d’autant plus perceptibles dans ce cas-ci au regard des réserves faites audites déclarations et qui visent parfois à exclure certains États de la sphère de compétence de la Cour. Sur ce, il peut arriver qu’État partie à un différend ne puisse pas le porter devant la Cour sur le fondement de sa déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour dans la mesure où l’État défendeur aurait pour sa part, formulé une réserve à sa déclaration de juridiction obligatoire pour soustraire de la compétence de celle-ci une catégorie d’États à laquelle appartient le demandeur. C’est le cas du Canada qui exclut les États du Commonwealth britannique de la sphère de compétence de la Cour aux termes de sa déclaration de juridiction obligatoire dans tout différend entre lui et l’un quelconque de ces États.400 Parmi ces États, figurent l’Australie, la Grande-Bretagne, l’Afrique du Sud, etc.401 Sur ce, le Canada pourra soulever une exception ratione personae pour contester la

400 Supra note 390

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compétence de la Cour dans une instance introduite devant elle par exemple par l’Australie, sur le fondement de sa déclaration de juridiction obligatoire.

C’est ainsi qu’il ne devrait pas être étonnant de constater que des États soient limités d’un point de vue ratione personae, dans la possibilité de saisir la Cour par le biais d’une requête unilatérale. Selon le Dictionnaire de Droit international public, «l’incompétence ratione personae est soulevée par un État s’il considère que l’autre partie n’a pas qualité pour agir devant la Cour»402.

Les États qui recourent à la Cour par la voie du compromis, échappent souvent et pour ne pas dire dans presque tous les cas, à l’exception ratione personae, pour une bonne raison. D’une part, la conclusion d’un compromis de saisine de la Cour suppose d’emblée que c’est des États qui sont à la base et qu’en aucun cas cela ne pourrait être l’œuvre d’autres sujets de droit international, au regard de l’article 34 paragraphe 1 du Statut de la Cour. Ainsi, dans l’hypothèse où une entité qui ne serait pas un État, mais qui voudrait quand même être partie à un différend devant la Cour par la voie de compromis, l’autre partie avec laquelle elle entend conclure le compromis, pourrait facilement opposer son refus pour un tel compromis de saisine, en vertu du paragraphe 1 de l’article précité. D’autre part, en plus d’être une voie de recours, le compromis sert aussi de fondement juridique à la compétence de la Cour. Cela dit, l’acte de compromis notifié à la Cour en vue de sa saisine, contient en principe l’expression du consentement de chaque partie au différend en cause. De ce fait, aucune des parties ne pourra une fois, pendant l’instance, nier à l’autre sa qualité à pouvoir agir devant la Cour sous prétexte qu’elle n’aurait pas consenti à la compétence de la Cour de telle sorte qu’il y aurait une exception ratione personae à son encontre.

C’est au regard de ces considérations que dans la jurisprudence de la Cour, et selon les analyses que nous avons nous-mêmes réalisées, il n’y a jusque-là pas eu de différend porté devant elle par la voie de compromis et dans lequel l’une des parties aurait soulevé une exception ratione

personae pour contester la qualité de l’autre à pouvoir agir valablement devant la Cour. En clair,

les exceptions ratione personae sur lesquelles la Cour a eu à statuer, ont été l’œuvre du recours à elle par la voie de requête unilatérale.403 Cette dernière voie est d’ailleurs loin de pouvoir protéger la compétence de la Cour contre les exceptions préliminaires dans le sens où elle ne suppose pas

402 Salmon, supra note 2 à la p 1198.

403 Nous déduisons ce raisonnement du constat réalisé sur l’ensemble des affaires portées devant la Cour par la voie de

compromis. De ce constat, il ressort qu’aucune de ces affaires n’a fait objet d’exception ratione personae. Voir, infra note 474.

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que les parties aient pu procéder à des concessions entre elles avant la saisine de la Cour. D’ailleurs, le fait qu’un État A assigne un autre État B devant la Cour, laisse implicitement déduire qu’il n’y aurait pas eu un accord entre les deux États, et que l’État A voudrait obliger l’État B à se présenter devant la Cour contre son gré. C’est ce qui ouvre la voie à ce dernier, en tant que défendeur à l’instance à vouloir contester la compétence de la Cour sur le motif de l’existence par exemple, d’une exception ratione personae.

L’un des exemples d’application de l’exception ratione personae fut dans l’affaire Activités

militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c États-Unis d'Amérique)404, quoique la Cour n’ait pas fait droit aux États-Unis qui en furent auteur. Trois jours

avant l’introduction de cette instance par requête du Nicaragua, le 9 avril 1984, les États-Unis avaient entendu modifier leur déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour du 14 aout 1946 par le moyen d’une notification adressée (le 6 avril 1984) au Secrétaire général de l’ONU. 405 Cette notification avait en principe pour objet d’exclure «l'un quelconque des États de

1'Amérique centrale ou découlant d'évènements en Amérique centrale ou s'y rapportant» devant la Cour, dans un différend avec les États-Unis.406 Pour la Cour, la notification en question était assortie d’une clause de préavis de six mois407 et ne pouvait entrer en vigueur en principe que le 6

octobre 1984408, de telle sorte que le Nicaragua puisse bénéficier pendant ces six mois, du temps nécessaire pour y faire objection s’il le souhaitait.409

En sus des exceptions ratione personae, dont il est presqu’impossible pour elles de pouvoir prospérer à l’occasion d’instance introduite devant la Cour par la voie de compromis, la catégorie des exceptions ratione temporis a tout de même moins de chance de pouvoir être évoquée par les défendeurs pour contester à la Cour, sa compétence à pouvoir connaitre des différends devant elle par cette même voie.

404 Supra note 80.

405 Supra note 80 à la p 419 au para 63. 406 Supra note 80 à la p 417 au para 57. 407 Supra note 80 à la p 419 au para 62. 408 Supra note 80 à la p 416 au para 54.

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C- La protection de la compétence de la Cour contre la catégorie des exceptions ratione

temporis par le recours par la voie de compromis

En rappel, lorsque le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour porte que « la compétence de la Cour s'étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront […] », l’idée consiste à dire que la Cour ne serait pas compétente pour se prononcer sur un différend quoique lui ayant été soumis, que si les États parties en cause ont tous consenti à sa compétence de façon formelle. Dans l’affaire Certaines questions concernant l'entraide judiciaire en matière pénale

(Djibouti c France)410, la Cour elle-même n’a pas manqué de le signifier en ces termes : « La compétence de la Cour est fondée sur le consentement des États dans les conditions fixées par ceux- ci »411. À en croire à cette allégation de la Cour, les États peuvent sanctionner leur consentement à sa compétence par le respect de certaines conditions dont la définition dépendrait de chacun d’eux. C’est en cela, que certains États choisissent de subordonner la compétence de la Cour au respect

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