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La capacité du compromis à limiter les exceptions d’irrecevabilité

Chapitre II : Les implications de la mise en œuvre du consensualisme sur le cours de la

Paragraphe 2 La capacité du compromis à limiter les exceptions d’irrecevabilité

Selon le Dictionnaire de droit international public, on appelle exception d’irrecevabilité un « moyen de procédure tendant à obtenir que le juge compétent pour connaitre d’une affaire ne procède pas à l’examen au fond pour le motif qu’une condition préalable à cet examen fait défaut »424. Si les exceptions préliminaires ont pour objet de révéler l’incompétence du juge international de telle sorte qu’il ne devrait avoir autre choix que de se dessaisir du différend qui lui fut porté, les exceptions d’irrecevabilité pour leur part, traduisent généralement l’idée de la non-satisfaction d’une condition préalable à la saisine du juge. De ce fait, le juge pourrait valablement connaitre du différend dans le cas où le préalable aurait été accompli. Par exemple dans l’affaire Mavrommatis, la CPJI affirmait, se rendre à l’évidence de « l’importance de la règle suivant laquelle ne doivent être portées devant elle que des affaires qui ne sont pas susceptibles d’être réglées par des négociations » 425. L’idée de l’exception d’irrecevabilité traduit de ce fait, une faute du demandeur

420 Déclaration reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour internationale de Justice, conformément au paragraphe 2 de l'Article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice, conclue le 1er mai 2008, 2515 RTNU n0

44914.

421 Supra note 390.

422 Déclaration reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour internationale de Justice, conformément au paragraphe 2 de l'Article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice. New York, 15 septembre 1958, conclue le 15 septembre 1958, 312 RTNU n0 4517.

423 Déclaration reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour internationale de Justice, conformément au paragraphe 2 de l'article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice, entrée en vigueur le 31 décembre 2014, RTNU n0 52381.

424 Salmon, supra note 2 à la p 1198. 425 Supra note 16 à la p 15.

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à l’instance en général, d’avoir manqué d’accomplir une condition préalable à la saisine de la Cour.426Il appartiendra en retour à la Cour de l’examiner au même titre que les exceptions préliminaires (s’il y a lieu). Elle pourra soit la rejeter au cas où elle ne serait pas fondée en droit. Ainsi, l’instance poursuivra-t-elle son cours pour aboutir à un examen au fond.

La Cour pourrait dans une autre mesure, à la suite de l’examen des exceptions d’irrecevabilité, mettre un terme à l’instance et radier l’affaire de son rôle, au cas où la ou les conditions préalables à l’introduction de l’instance n’auraient pas été accomplies. Tout compte fait, la distinction entre exception préliminaire et exception d’irrecevabilité n’est souvent pas très nette. Parfois, des questions relatives à l’épuisement de négociations diplomatiques ont été assimilées à des exceptions préliminaires.427 C’est à ce sujet que sir Gerald Fitzmaurice déclarait au titre de son

opinion individuelle dans l’affaire Cameroun septentrional (Cameroun c Royaume-Uni) 428 que :

Il se peut qu'une exception préliminaire donnée concerne et la compétence et la recevabilité ; mais la distinction, le test réel, dépend, semble-t-il du point de savoir si l'exception repose ou est fondée sur la clause ou les clauses juridictionnelles en vertu desquelles on prétend établir la compétence. Si tel est le cas, l'exception porte essentiellement sur la compétence. Si elle repose sur des considérations extérieures à une clause juridictionnelle et ne mettant pas en jeu l'interprétation ou l'application d'une telle disposition, il s'agira normalement d'une exception à la recevabilité de la demande.429

En principe, la question des exceptions d’irrecevabilité ne pourrait se poser que dans les hypothèses du recours à la Cour par la voie de la requête unilatérale. Pour cause, « lorsque la compétence de la Cour est fondée sur des déclarations unilatérales ou sur une clause compromissoire, l’État qui se voit attrait unilatéralement devant la Cour sur de telles bases soulève fréquemment des exceptions »430. Elles sont donc en réalité, l’œuvre du défendeur à l’instance. Or, l’instance dans laquelle on parle de défendeur est celle introduite par la voie de requête unilatérale.431 Le défendeur, c’est en effet, celui contre qui une instance est engagée. Pourtant le

426 Pour plus de détails sur les exceptions d’irrecevabilité et les motifs de leur évocation au cours d’une instance, voir

Kolb, supra note 41 aux pp 227-230.

427 Compagnie d'électricité de Sofia et de Bulgarie (Belgique c Bulgarie) (1939), CPJI (sér A/B) n0 77 à la p 80. 428 Affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c Royaume- Uni), [1963] CIJ rec 15.

429 Ibid, voir l’opinion individuelle de Gerald Fitzmaurice aux pp 102-103.

430 Philippe Couvreur, « Notes sur la Cour internationale de justice et la volonté des États », dans Pierre Argent, Les limites du droit international : essais en l'honneur de Joe Verhoeven = The limits of international law : essays in honour of Joe Verhoeven, Bruxelles, Bruylant, 2015 à la p 432 [Couvreur].

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compromis témoigne d’un accord des parties impliquées dans le différend à aller devant la Cour. Ainsi, l’expression « exception d’irrecevabilité » doit-elle être entendue comme une irrecevabilité de la requête du demandeur recommandée par le défendeur à la Cour.

Le lien entre les exceptions d’irrecevabilité et le recours à la Cour par la voie de requête unilatérale peut se démontrer si l’on part de la pratique de la jurisprudence que ce soit de la CPJI ou de la CIJ. À cet effet, l’expérience permet de révéler que les affaires ayant fait objet de telles exceptions, sont celles issues de saisines unilatérales de la Cour. Dans un premier temps, voyons- en avec la CPJI432 dans la mesure où la CIJ a hérité d’elle. Il existait également deux voies de saisine devant cette Cour dans la mesure où le contenu de l’article 40433 de son Statut ne différait

pas de celui de l’article 40 du Statut de la CIJ en tant que tel. Toutefois, c’est dans les cas de saisine par la voie de la requête unilatérale que cette Cour se heurtait davantage aux hypothèses d’exceptions d’irrecevabilité. L’on en veut pour preuve les affaires suivantes : affaire des

concessions Mavrommatis en Palestine434 ; affaire Losinger & Cie, S. A. (Exceptions

préliminaires)435, affaire Phosphates du Maroc (Exceptions préliminaires)436 ; affaire relative à

certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise437,affaire Usine de Chorzów (fond)438, etc.

L’affairedes concessions Mavrommatis, avait trait à une instance introduite devant la CPJI

sur requête du Gouvernement de la République hellénique (ou grecque), le 13 mai 1924 contre la Grande Bretagne. Dans cette affaire, la Grèce prenait fait et cause pour son national, le sieur

Mavrommatis, dont les droits auraient été violés aux termes de contrats et accords qu’il aurait

passés avec les autorités ottomanes. La Grèce plaidait de ce fait, pour une réparation de ce préjudice subi par le sieur Mavrommatis, par le gouvernement britannique, et réclamait ainsi la somme de 234.339 livres sterling.439 Toutefois, pour la Grande Bretagne, les conditions auxquelles l’exercice

432 Protocole de signature concernant le Statut de la Cour permanente de Justice internationale visé par l'article 14 du Pacte de la Société des Nations, conclu le 16 décembre 1920, 6 RTSN n0 170.

433 Selon l’article 40 du Statut de la CPJI, « Les affaires sont portes devant la Cour, selon le cas, soit par notification

du compromis, soit par une requête, adressée au Greffe ; dans les deux cas, l’objet du différend et les parties en cause doivent être indiqués. […].».

434 Supra note 16.

435 Affaire Losinger & Cie, S. A. (Suisse c Yougoslavie) (1936), CPJI (sér A/B) n0 67 aux pp 15-24. 436 Affaire Phosphates du Maroc (Maroc c France) (1938), CPJI (sér A/B) n0 74 aux pp 16-23.

437 Affaire relative à certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (Allemagne c Pologne) (1925), CPJI (sér

A) n0 6 aux pp 26-27.

438 Affaire Usine de Chorzów (Allemagne c Pologne) (1928), CPJI (sér A) n0 17 à la p 51. 439 Supra note 16 à la p 7.

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de la compétence de la Cour devrait être subordonné, n’étaient pas réunies dans l'espèce, si bien que la Cour devrait se dessaisir de l’instance.440 La Cour fit droit au défendeur en étant d’avis avec lui sur l’exception en question, sans pour autant refuser de statuer au fond dans cette affaire.441

L’affaire relative à certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise avait été introduite le 15 mai 1925 devant la CPJI sur requête de l’Allemagne contre la Pologne.442 L’Allemagne entendait obtenir de cette instance, la protection de certains de ses intérêts en Haute- Silésie polonais.D’une part, ces intérêts étaient relatifs

à la reprise, par un délégué du Gouvernement polonais, de la gestion de l'exploitation de l'usine d'azote à chaux sise à Chorzów, à la prise de possession par lui des biens meubles et des brevets, licences, etc., de la société qui avait antérieurement assuré l'exploitation de l'usine, ainsi qu'à la radiation aux registres fonciers de cette société comme propriétaire de certains bienfonds à Chorzów et à l'inscription à leur place du Trésor polonais.443

D’autre part, ces intérêts portaient sur l’expropriation de grands fonds à laquelle le gouvernement de la République polonaise entendait se livrer auprès de leurs propriétaires. La Pologne opposa une exception à l’exercice par la Cour de sa compétence sur trois motifs, dont l’un avait trait à la recevabilité de la requête, selon la Cour. Se fondant sur ce motif, la Pologne estimait que la requête de l’Allemagne était similaire à une requête relative à une demande d’avis consultatif. Or, seulement le Conseil ou de l'Assemblée de la SDN étaient habilités à faire une pareille demande devant la CPJI.444 Toutefois, à l’issue de son examen, la Cour rejeta cette exception et décida de la poursuite de la procédure au fond.445

Par ailleurs, cette complicité entre exception d’irrecevabilité et introduction d’instance par la voie de requête unilatérale, se démontre tout de même devant la CIJ, à travers des affaires dont elle a été saisie par des États demandeurs. C’est l’exemple des affaires : Cameroun septentrional

(Cameroun c Royaume-Uni)446 ; Nottebohm (Liechtenstein c Guatemala)447 ; Droit de passage sur

441 Supra note 16 à la p 30. 442 Supra note 437 à la p 5. 443 Supra note 437. 444 Supra note 437 à la p 13. 445 Supra note 437 à la p 27. 446 Supra note 428 aux pp 33-36.

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territoire indien (Portugal c Inde)448 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre

celui-ci (Nicaragua c États-Unis d'Amérique)449 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c Nigéria ; Guinée Équatoriale (intervenant))450, etc.

L’affaire relative au Droit de passage sur territoire indien (Portugal c Inde) fut introduite devant la Cour sur requête du Portugal à la date du 22 décembre 1955, sur le fondement de la clause facultative de juridiction obligatoire de la Cour, à laquelle chacune des parties avait souscrit.451 Le Portugal entendait obtenir de la Cour qu’elle lui fasse droit sur son droit de passage entre son territoire de Damão et ses territoires enclavés de Dadra et de Nagar-Aveli et entre ceux-ci. Ainsi, soutenait-il que l’Inde s’y opposait.452 L’Inde estimait pour sa part que la Cour devrait en l’occurrence se dessaisir de cette affaire pour un certain nombre de raisons. Parmi celles-ci figurait le fait pour le Portugal d’avoir recouru à la Cour sans que les parties n’aient au préalable satisfait à l’obligation des négociations diplomatiques.453 Pour la Cour, cette exigence des négociations

préalables aurait été remplie, faisant ainsi droit à la requête du Portugal plutôt que de la rejeter pour satisfaire au vœu du défendeur.454

Comme développé plus haut, les exceptions d’irrecevabilité partagent avec les exceptions préliminaires, l’inconvénient de paralyser le cours de la procédure de traitement des affaires devant la Cour. Elles visent un dessaisissement de celle-ci des instances à elle soumises, et retardent souvent des décisions au fond, devant pourtant mettre un terme aux différends. Ces différentes hypothèses sont pour la plupart du temps dues à des saisines de la Cour par la voie de requête unilatérale. Autrement dit, le compromis de saisine conserve une grande probabilité de mettre la Cour à l’abri des exceptions d’irrecevabilité. En plus de cet atout, le compromis génère bien d’autres avantages non moins négligeables dans le processus de règlement des différends devant la Cour, par l’effet de la règle du consensualisme dont il fait la promotion. D’où l’idée de la renforcer.

448 Affaire du droit de passage sur territoire indien (Portugal c Inde), [1957] CIJ rec 125 aux pp 130-150. 449 Supra note 80 aux pp 438-441.

450 Supra note 170 aux pp 302-304. 451 Supra note 448 à la p 127. 452 Supra note 448 à la p 128. 453 Supra note 448 aux pp 130 et 148. 454 Supra note 448 à la p 149.

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