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Les limites de l’introduction d’instance par la voie de requête unilatérale en

Chapitre I : Les incertitudes dans le règlement des affaires soumises à la Cour par la voie de

Paragraphe 1 Les limites de l’introduction d’instance par la voie de requête unilatérale en

Selon le Dictionnaire de droit international public, le désistement est l’« acte par lequel, unilatéralement ou par accord entre les parties, notification est faite à un organe judiciaire ou arbitral de l’abandon de l’instance, ce qui a pour effet de mettre fin à celle-ci »111. Cette définition

révèle deux cas dans lesquels le désistement à l’instance peut intervenir pour entraîner la radiation d’une affaire du rôle de la Cour. Cela dit, le désistement peut survenir, d’une part, suite à une initiative personnelle du demandeur à l’instance et le plus souvent pour cause d’une perte d’espoir de pouvoir obtenir gain de cause contre le défendeur.112 D’autre part, le désistement peut être dû à

110 Déclaration reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour, conformément à l'article 36, paragraphe 2, du statut de la Cour internationale de Justice, du 1er mars 1947, 9 RTNU N0 127. Aux termes de cette déclaration

de juridiction, la Cour n´est compétente que « pour tous les différends d'ordre juridique qui pourraient surgir à l'avenir entre les Etats-Unis du Mexique et tout autre pays relativement à des faits postérieurs à la présente déclaration, le Gouvernement du Mexique reconnaît comme obligatoire de plein droit, et sans qu'il soit besoin d'une convention spéciale, la juridiction de la Cour internationale de Justice, conformément à l'article 36, paragraphe 2, du Statut de ladite Cour, à l'égard de tout autre Etat acceptant la même obligation, c'est-à-dire sur une base de réciprocité absolue. La présente déclaration, qui n'est pas applicable aux différends nés de faits qui, de l'avis du Gouvernement du Mexique, relèvent de la juridiction interne des Etats-Unis du Mexique, vaut pour une période de cinq années à partir du 1er mars 1947, après laquelle elle restera en vigueur jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à dater du jour où le Gouvernement du Mexique fera connaître son intention d'y mettre fin ».

111 Salmon, supra note 2 aux pp 329-330.

112 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c États-Unis d’Amérique),

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un arrangement intervenu entre le demandeur et le défendeur, de telle sorte que le premier trouve inutile de maintenir sa demande devant la Cour.113 Le demandeur pourra à cet effet, renoncer à poursuivre l´instance qu’il avait pourtant engagée. Ce qui traduit l´idée qu´il a le choix de le faire ou pas à cause généralement d´un règlement amiable avec le défendeur114. Le fondement de ce désistement est donc un accord entre les parties. Toutefois, c’est le premier cas de désistement qui retiendra notre attention : celui issu d’une initiative personnelle du demandeur à l’instance parce qu’il ne croirait plus à une condamnation du défendeur à son profit. Ce type de désistement est prévu par l´article 89115 du Règlement de la Cour.

113 Ce fut le cas dans l´affaire certaines terres à phosphates à Nauru entre le Nauru et l’Australie : Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c Australie), [1992] CIJ rec 240. En l’occurrence, c’est le gouvernement de la république du Nauru qui avait à la date du 19 mai 1989, intenté une action devant la Cour contre l’Australie. Ce différend était relatif à la remise en état de certaines terres à phosphates [de Nauru] exploitées par l’Australie avant l'indépendance de Nauru (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c Australie), [1992] CIJ rec 240 à la p 242 au para 1). La Cour avait à statuer sur sa compétence car en la matière, le défendeur s´y était opposé par voie d´exception préliminaire. Ainsi, aux termes de son arrêt du 26 juin 1992, se déclara-t-elle compétente pour connaitre de l´affaire (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c Australie), [1992] CIJ rec 240 à la p 268 au para 72). À la suite de cet arrêt, et après être parvenus à un accord amiable, ces deux États ont notifié conjointement au greffe de la Cour leur intention de désister de l´instance le 9 septembre 1993. L´affaire fut ainsi radiée du rôle de la Cour par ordonnance du 13 septembre 1993 (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c Australie), Ordonnance du 13 septembre 1993, [1993] CIJ rec 322 à la p 323). L’on pourrait aussi mentionner dans cette liste de désistement de l’instance par accord commun des parties à la suite d’un règlement amiable, l´affaire de l’Incident aérien du 3 juillet 1988 introduite le 17 mai 1989 par la République islamique d'Iran contre les États-Unis d'Amérique (Incident aérien du 3 juillet 1988 (République islamique d'Iran c États-Unis d'Amérique), Ordonnance du 22 février 1996, [1996] CIJ rec 9). Ces deux États avaient notifié par lettre conjointe datée du 8 août 1994 à la Cour qu´ils avaient « entamé des négociations qui pourraient aboutir à un règlement total et définitif de [l'] affaire ». Par cette lettre, ils prièrent la Cour de « renvoyer sine die l'ouverture de la procédure orale », dont elle avait fixé la date au 12 septembre 1994 » (Incident aérien du 3 juillet 1988 (République islamique d'Iran c États-Unis d'Amérique), Ordonnance du 22 février 1996, [1996] CIJ rec 9 à la p 10). Ce fut le lieu pour eux de désister de l’instance suite à un arrangement auquel ils étaient parvenus. Ce désistement prit acte par une autre lettre qu’ils firent parvenir à la Cour le 22 février 1996 (Incident aérien du 3 juillet 1988 (République islamique d'Iran c États-Unis d'Amérique), Ordonnance du 22 février 1996, [1996] CIJ rec 9 à la p 10).

114 Protection de ressortissants et protégés français en Égypte (France c Égypte), Ordonnance du 29 mars 1950, [1950]

CIJ rec 59 à la p 60. La France avait dans cette affaire, introduite par voie de requête une instance devant la Cour contre l´Égypte, sur la base de la convention de Montreux du 8 mai 1937 dont elle critiquait des manquements de l´Égypte dans son application au sujet des biens, droits et intérêts de ses ressortissants vivant dans cet État. Par lettre du 21 février 1950 qui parvenu au greffe de la Cour le 23 du même mois, la France demanda que son action fût rayée du rôle de la Cour parce que l´Égypte avait selon elle, levé les mesures qu´elle critiquait.

115 Cet article stipule que : « 1. Si, au cours d’une instance introduite par requête, le demandeur fait connaître par écrit

à la Cour qu’il renonce à poursuivre la procédure, et si, à la date de la réception par le Greffe de ce désistement, le défendeur n’a pas encore fait acte de procédure, la Cour rend une ordonnance prenant acte du désistement et prescrivant la radiation de l’affaire sur le rôle. Copie de ladite ordonnance est adressée par le Greffier au défendeur. 2. Si, à la date de la réception du désistement, le défendeur a déjà fait acte de procédure, la Cour fixe un délai dans lequel il peut déclarer s’il s’oppose au désistement. Si, dans le délai fixé, il n’est pas fait objection au désistement, celui-ci est réputé acquis et la Cour rend une ordonnance en prenant acte et prescrivant la radiation de l’affaire sur le rôle. S’il est fait objection, l’instance se poursuit. 3. Si la Cour ne siège pas, les pouvoirs que lui confère le présent article peuvent être exercés par le Président ».

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Il importe donc d´avoir à l´esprit des exceptions à ce phénomène de la renonciation par le demandeur de l´instance qu’il a engagée. Cela dit, dans certains cas, ce n´est pas forcement parce qu´il a reçu une indemnisation quelconque pour justifier son désistement de l´instance. Le demandeur pourrait donc désister de l’instance qu’il a engagée, parce qu’il ne croit plus que son recours à la Cour puisse aboutir à un dénouement du différend, ou parce qu’il ne croit plus que son action devant la Cour puisse effectivement aboutir à une condamnation du défendeur à son profit. Le demandeur pourrait aussi désister de l’instance parce qu’il ne croirait plus à la bonne foi du défendeur à accepter d’exécuter la décision de la Cour. C’est par désespoir qu’il se désiste donc de l’instance.116

L´affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-

ci117 entre le Nicaragua et les États-Unis d'Amérique constitue un exemple illustratif de ce type de

désistement unilatéral du requérant de l´instance qu´il avait pourtant engagée et sans qu´il ait reçu une indemnisation de la part du défendeur. Après avoir reconnu sa compétence pour statuer sur l´affaire que le Nicaragua lui avait portée sur le fondement de l´article 36 paragraphe 2 et 5 du Statut de la Cour,118 la Cour concluait que « les États-Unis d'Amérique sont tenus envers la République du Nicaragua de l'obligation de réparer tout préjudice causé à celle-ci par la violation des obligations imposées par le droit international coutumier »119. Les États-Unis ne procèderont pas à une telle réparation jusqu´à une date où le Nicaragua décida de se désister de l´instance. C´est par lettre adressée au greffe de la Cour le 12 septembre 1991, que cet État avait choisi de « renoncer à faire valoir tous autres droits fondés sur cette affaire et ne souhaitait pas poursuivre la procédure, et a demandé qu'une ordonnance prenne acte du désistement et prescrive la radiation de l'affaire du rôle. ».120

116 Il convient donc de se souvenir que la saisine de la Cour par un État demandeur ne suppose pas qu’elle pourra

effectivement connaitre du différend porté devant elle. La Cour doit dans tous les cas, vérifier sa compétence dans une affaire donnée (article 36 paragraphe 6 de son Statut), et se déclarer incompétente et radier l’affaire de son rôle s’il apparait qu’elle n’a pas compétence en la matière. Cela pourrait arriver lorsque le demandeur entendait fonder la compétence de la Cour sur une base juridique erronée (parce que sanctionnée par une réserve), ou inexistante (parce que le défendeur n’aurait pas consenti à la compétence de la Cour). Dans d’autres cas, l’État demandeur pourrait désister de l’instance engagée par lui, parce que l’État défendeur pourrait s’opposer à toute initiative visant à lui faire endosser la responsabilité de la réparation des préjudices qu’il aurait subi (c’est le cas lorsque la condamnation vise un membre permanent du Conseil de sécurité. Celui-ci pourrait user de son droit de véto même pour paralyser une Résolution de ce Conseil qui l’obligerait à exécuter une décision de la CIJ au profit de tout autre État : Supra note 112.

117 Supra note 49.

118 Supra note 80 à la p 442 au para 113. 119 Supra note 49 à la p 146 au para 292. 120 Supra note 112.

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Pour rappel, la compétence de la Cour repose sur le consentement des États et ce consentement doit exister de part et d´autre chez chacun des États parties à un différend.121 Lorsqu´une affaire est portée devant la Cour, il lui appartient de vérifier en premier lieu sa compétence à la connaitre au cas où l´une des parties conteste cette compétence. C´est à travers un arrêt sur les exceptions préliminaires ou d´irrecevabilité que la Cour décide soit de continuer la procédure parce qu´elle est en l´occurrence compétente, soit de radier l´affaire de son rôle parce que son incompétence est manifeste.122Ainsi, la Cour a-t-elle eu à radier de son rôle un certain nombre d´affaires introduites devant elle par la voie de requête unilatérale pour faute de compétence de sa part. Cela dit, les radiations d´affaires du rôle de la Cour pour motifs liés à son incompétence ne peuvent intervenir que dans le cadre d´affaires introduites par voie de requêtes introductives d´instance. Autrement dit, de telles radiations qui portent atteinte au déroulement de la procédure de règlement des différends devant la Cour, sont dues à la requête unilatérale. Le lien qui existe entre la voie du recours par la requête unilatérale et la possibilité des défendeurs de soulever des exceptions d´incompétence ou d’irrecevabilité de la Cour, est celui qui est à la base des radiations d´affaires du rôle de la Cour.

Dans l´affaire relative à l’ Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c Bulgarie)123, l’Israël

avait saisi la Cour d´une requête le 16 octobre 1957 contre la Bulgarie pour protester contre la destruction le 27 juillet 1955, par les forces de défense antiaérienne bulgares, d'un avion appartenant à la El Al Israël Airlines Ltd.124 Pour établir la compétence de la Cour, l’Israël invoqua sa déclaration d´acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour du 3 octobre 1956 d´une part, et celle faite par la Bulgarie le 29 juillet 1921 pour accepter la juridiction obligatoire de la CPJI, d’autre part.125 l’Israël se fondait sur le contenu du paragraphe 5126 de l´article 36 du Statut de la

Cour, pour attester que la déclaration d´acception de la Bulgarie faite au temps de la CPJI pourrait servir de fondement à la compétence de la Cour. Mais la Cour ne retint pas cette argumentation, car pour elle cette déclaration avait expiré et ne liait donc plus la Bulgarie depuis la dissolution de

121 Supra note 6, art 36 au para 1.

122 J.- Maurice Arbour et Geneviève Parent, supra note 29 à la p 633.

123 Affaire relative à l´Incident aérien du 27 juillet 1955 (Israël c Bulgarie), [1959] CIJ rec 127. 124 Ibid à la p 129.

125 Ibid.

126 Ce paragraphe stipule que, « Les déclarations faites en application de l'Article 36 du Statut de la Cour permanente

de Justice internationale pour une durée qui n'est pas encore expirée seront considérées, dans les rapports entre parties au présent Statut, comme comportant acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour internationale de Justice pour la durée restant à courir d'après ces déclarations et conformément à leurs termes ».

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la CPJI.127Ainsi, l´affaire fut-elle radiée du rôle de la Cour, en raison de son incompétence à pouvoir en connaître.128

Ce fut de même dans les affaires relatives aux Activités armées sur le territoire du Congo

(République démocratique du Congo c Rwanda)129 et Activités armées sur le territoire du Congo

(République démocratique du Congo c Burundi)130. Ces deux instances furent introduites à la même date soit le 23 juin 1999 par requête de la République Démocratique du Congo.131 Elles furent radiées du rôle de la Cour pour raison d´incompétence de celle dernière.132 En l´occurrence, le demandeur fondait son action sur sa déclaration d´acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour du 8 février 1989 et l´article 14 paragraphe 1 de la Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile signée à Montréal le 23 septembre 1971, ainsi que le paragraphe 1 de l´article 30 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée par l´Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1984 à New York.133 Rien de tout cela n´a pu convaincre les juges de la Cour pour qu’ils

puissent valablement statuer sur ces affaires. En clair, la requête de la République Démocratique du Congo dans ces affaires lui fut infructueuse. Raison pour laquelle, il « se réserv[ait] la possibilité de faire valoir ultérieurement de nouveaux chefs de compétence de la Cour » 134.

Ce qu´il y a lieu de retenir dans ce cas précis, c´est que ces affaires n´auraient pas été radiées pour incompétence si le compromis avait été la base juridique de saisine de la Cour. Le compromis, en tant qu’accord entre des États parties à un différend, matérialise leur consentement à la

127 Supra note 123 à la p 145. 128 Supra note 123 à la p 146.

129 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c Rwanda), Ordonnance du 21

octobre 1999, [1999] CIJ rec 1025.

130 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c Burundi), Ordonnance du 30

janvier 2001, [2001] CIJ rec 3.

131 CIJ, communiqué, 1999/34, « La République démocratique du Congo introduit des instances contre le Burundi,

l'Ouganda et le Rwanda « en raison [d’] actes d'agression armée » » (23 juin 1999), en ligne : < http://www.icj- cij.org/docket/index.php?pr=523&code=cr&p1=3&p2=3&p3=6&case=117&k=85>.

132 CIJ, communiqué, 2001/2, « Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c

Burundi) et (République démocratique du Congo c Rwanda), les deux affaires sont rayées du rôle à la demande de la République démocratique du Congo » (1er février 2001), en ligne : <http://www.icj-

cij.org/docket/index.php?pr=526&code=cr&p1=3&p2=3&p3=6&case=117&k=85>.

133 Supra note 129 à la p 1026. 134 Supa note 130.

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compétence de la Cour de telle sorte que celle-ci ne pourrait pas se déclarer incompétente pour radier de son rôle le différend en question.

Voyons-en à présent avec les limites que la règle du forum prorogatum pourrait avoir sur le cours de la procédure de règlement des affaires devant la Cour.

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