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Rôle du crédit dans le développement économique

Dans le document UNIVERSITE MONTPELLIER I (Page 60-66)

2.1. LES REPONSES APPORTEES PAR LA LITTERATURE

2.1.1. Rôle du crédit dans le développement économique

La théorie économique récente a développé de façon détaillée les diverses interactions et le rôle du crédit dans l’économie (Gertler et Hubbard, 1988) et Blinder 1987). La théorie financière du cycle a été développée par les néo-keynésiens afin d’expliquer les fondements microéconomiques et les conséquences macroéconomiques du rationnement endogène du crédit. Ces analyses complètent les travaux de Friedman et Schwartz (1963) qui attribuent à la contraction de l’offre de monnaie (course aux dépôts, faillites bancaires…), la responsabilité dans la transformation de la récession de 1929 en dépression de grande ampleur. En effet, selon cette théorie, la politique monétaire affecte l’économie principalement par le biais de l’offre de crédit des banques primaires. Les banquiers centraux, selon cette école, ne peuvent plus fermer les yeux sur le caractère largement financier du cycle. Une correction par exemple, sévère du prix des actifs détériore le bilan des institutions financières et réduit leur capacité de prêt, d’autant plus que la valeur des collatéraux des prêts tend à diminuer par le biais « des appels de marge ». Ainsi, un cycle vicieux peut se créer. La banque centrale peut être amenée à intervenir dans le cadre de ses fonctions de régulation (mission de supervision et d’intervention dans la gestion des crises). On peut donc s’attendre à ce qu’elle suive de près tous les indicateurs pertinents en la matière (rendement d’équité ou «Return on Equity » du secteur bancaire, évolution des crédits aux sociétés, évolution de la marge d’intérêt, taux de progression des résultats des activités-titres, taux de prêts non-performants, etc.). La bonne santé du secteur bancaire est dès lors un indicateur empirique robuste de l’activité, à condition toutefois de tenir compte des changements dans la réglementation prudentielle en particulier.

Les banques elles-mêmes jouent un grand rôle dans l’économie et de leur bonne santé dépend 44

tant la réponse de l’économie à un changement de politique monétaire que la facilité du crédit.

Plus qu’un indicateur avancé, la santé de ce secteur peut, surtout lorsqu’il s’agit d’une économie d’endettement, influencer directement les performances macroéconomiques (Mucherie, 2006 ; Bernanke, 1983 ; Stein, 1995). Selon Mucherie (2006), le japon des années 1990 en est une illustration la plus saisissante. Ainsi, les théoriciens de cette pensée croient que le rôle du crédit est central sur la solidité du système bancaire. Le crédit est un élément central dans les politiques monétaires modernes en tant qu'indicateur d'objectif intermédiaire de développement. Il est également perçu comme un indicateur de stabilité du système financier par le mécanisme de confiance qu’il inspire, et en tant que moyen de transmission de cette politique monétaire. Si l’équilibre du marché du crédit est non maîtrisé, le taux d’intérêt perd son rôle de signal pour la conduite de la politique monétaire au profit des flux de crédit.

Par rapport aux prix d'actifs, le crédit a l'avantage d'être une variable monétaire, donc située dans le champ d'action des banques centrales.

Du point de vue de la théorie sur le consommateur, le crédit joue le rôle d’équilibre budgétaire. En effet, il constitue, par exemple, un moyen au consommateur de gérer son budget de la manière la plus souple (ex. besoins d’argent ponctuels pour les dépenses de consommation, de cérémonie, etc.) ou une stratégie de dissocier un achat de son paiement.

Dans le premier cas, on parle de problèmes d’échelonnement de trésorerie (le besoin ponctuel perturbe souvent la trésorerie disponible). Dans le second cas, il règle les problèmes d’anticipation de l’épargne (sans le crédit, il faut donc épargner l’intégralité de la somme requise pour faire face à ces besoins au risque de devoir y renoncer). C’est ainsi donc un moyen de différer le paiement d’un bien sans utiliser l’épargne (si elle existe).

Mais comment faire passer l’étape de crédit ou du système financier à une option de développement économique et social ?

Pour répondre à ce postulat, Schumpeter (1911) développe la notion de crédit et son rôle sur l’entreprenariat. Selon, ce penseur, l'entrepreneur a, en principe et régulièrement besoin de l'octroi de crédit, au sens d'une concession temporaire de pouvoir d'achat. Pour pouvoir produire en général, pour pouvoir exécuter ses nouvelles combinaisons, l'entrepreneur ne peut se passer de pouvoir d'achat. Celui-ci ne lui est pas offert comme pour le cas du producteur par le biais de la recette des produits de la période économique précédente. Si, par hasard, l'entrepreneur ne possède pas par ailleurs ces ressources, il lui faut les emprunter. S'il n'y

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réussit pas, il ne peut pas devenir un entrepreneur. Il conclut sa pensée en disant «on ne peut devenir entrepreneur qu'en devenant auparavant débiteur» et «s'endetter appartient à l'essence de l'entreprise». Ainsi, le premier besoin de l'entrepreneur est un besoin de crédit. Schumpeter poursuit sa logique et avance que «toute espèce d'octroi de crédit en vue d’innovations, d'améliorations, etc., apparaît par définition comme un octroi de crédit à l'entrepreneur, et constitue un élément de l'évolution économique».

Au niveau économique et social, le crédit est aussi un important pourvoyeur d'emplois, non seulement pour le secteur financier en tant que tel, mais également indirectement pour tous les secteurs qu'il soutient (en tant que biens d’investissements et ou capacités de production et/ou garantie de risque) comme par exemple dans l’industrie, le bâtiment, etc.). Le crédit, outre sa fonction économique, joue donc également un rôle social (amélioration des conditions de vie, nécessité de faire face à des événements, constitution de réserves, etc.). Pour Schumpeter (1911) « toute l'évolution économique en principe a besoin de crédit, là où il n'y a pas de chefs ayant le pouvoir de disposer des biens ». En effet, l'octroi de crédit permet à l'entrepreneur de détourner de leurs emplois actuels les moyens de production, dont il a besoin, d'affirmer une demande à leur égard; ainsi il contraint l'économie nationale à entrer dans de nouvelles voies. Le crédit est ainsi le levier de ce prélèvement de biens. L’auteur affirme que le crédit est essentiellement une création de pouvoir d'achat en vue de sa concession à l'entrepreneur. La création de pouvoir d'achat caractérise en principe la méthode selon laquelle s'exécute l'évolution économique dans l'économie nationale ouverte. L'octroi d'un crédit agit comme un ordre donné à l'économie nationale de se soumettre aux desseins de l’entrepreneur, comme une assignation sur les biens dont il a besoin comme «forces productives». C'est cette fonction qui fait le fondement de l'édifice moderne du crédit.

Les systèmes financiers, surtout ruraux, ont été longtemps façonnés par les conceptions économiques du développement. Dans le contexte de l’Afrique et particulièrement du Sénégal, on peut en distinguer trois principales phases de développement (du modèle keynésien à l’économie néo-institutionnelle). La première phase (1960 à 1980) rappelle le fondement théorique Keynésien sur le « crédit agricole » comme outil de développement qui approfondit la conception de Schumpeter. La deuxième phase (1980 à 2000) est l’approche de la théorie néo-classique et la libéralisation des économies du sud. La dernière est développée à partir des années 2000 avec la remise en cause des précédentes approches et l’introduction de la théorie institutionnelle et l’information imparfaite. Chacune de ces phases correspond à des

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dispositifs financiers de type public ou privé ou mixte, et induit le renouvellement de cadre théorique sur les marchés financiers.

Juste après les indépendances, le sous-développement était analysé comme le résultat d’un déficit d’investissement tant au niveau macro-économique qu’au niveau microéconomique (Wampfler, 2004c). Ce postulat inspiré des thèses keynésiennes s’appuyait sur le crédit pour moderniser l’agriculture. Du fait de la faiblesse de l’épargne rurale, le crédit était considéré comme une approche pour amorcer le cercle vicieux de l’investissement privé. Dans cette logique, le crédit public est considéré comme un outil nécessaire au changement technique, au financement et à l’adoption de l’innovation dans les pratiques culturales et au développement de la production agricole. Cette période (1960 à 1980) correspondait, sur le plan institutionnel de financement, à l’intervention des banques nationales de développement (BND) partout ailleurs en Afrique de l’Ouest, dès les premiers moments de l’indépendance. La volonté d’impulsion du développement a motivé ces Etats à la mise en place de ces banques.

Ainsi, des politiques d’incitation à l’utilisation du crédit furent inspirées par la mise en œuvre des taux d’intérêts subventionnés par l’Etat qui devraient stimuler la demande de crédit et par ricochet l’utilisation des intrants pour améliorer le niveau de productivité des producteurs. Ce modèle économique classique interventionniste (de nature keynésienne) : « tout Etat ou Etat providence » inspirait les options de développement des Etats. L’allocation des ressources ne considérait que cette option d’intensification et le rôle du système financier est ignoré (Krahnen et Schidt in Wampfler, 2004c). Au Sénégal, cette période coïncidait avec l’ère d’interventionnisme de l’Etat dans le secteur agricole avec des filières agricoles administrées.

Ce fut le Programme Agricole avec un dispositif coopératif d’interventions en amont et en aval de la production et des prix administrés/garantis/contrôlés. L’effort de développement a été ainsi consenti sur la création d’institutions de crédit. L’USAID a investi à environ 700 millions US dollars entre 1950 et 1970, la FAO a été très active dans le développement des réseaux coopératifs de crédit durant la même période. La banque mondiale estime son investissement à ce créneau de 16 milliards US dollars (World Bank, 1993). Ceci n’a pas donné pour autant les résultats escomptés car le crédit n’a pas pu éradiquer la pauvreté ciblée dans les zones rurales exclusivement jugée liée à l’incomplétude du marché financier.

Cette approche est remise en cause entre 1970 et 1980 avec la répression financière et un changement de paradigme sur les politiques de développement agricole. L’appui des banques

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de l’Etat à des secteurs publics en faillite, à l’aristocratie locale en déperdition, et l’intervention tout azimut de l’Etat entravant la liberté de mouvement du secteur financier, ont été, entre autre, des facteurs d’échec de cette conception de développement (Sy, 1988). Ainsi, on assiste à partir des années 1980 à des ajustements structurels limitant les interventions de l’Etat dans plusieurs secteurs. On assiste à une restructuration des formes d’intervention marquée par le désengagement de l’Etat et l’émergence de dispositifs collectifs privés, la libéralisation des marchés notamment céréaliers dans le cadre d’une économie de marché. Ce nouveau modèle économique s’apparente au néoclassique « du laisser faire, vérité des prix, correction des distorsions (ex : élimination subventions) » avec le concept de « moins d’Etat ou mieux d’Etat». Cette approche néoclassique est marquée au Sénégal par les ajustements structurels et la libéralisation à travers la mise en place de la Nouvelle Politique Agricole (NPA) de 1984, puis la LPDA, la PASA, la LPDFA, etc.). Sur le plan institutionnel de financement, on assiste à la mise en place en 1987 de la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCAS) suite à un assainissement financier prôné par les institutions de Brettons Wood. Bien que les politiques agricoles soient d’inspiration d’économie de marché avec le désengagement de l’Etat, le système financier reste sous l’intermédiation de l’Etat. En effet, constatant l’échec des banques de développement et la réticence des banques classiques pour le financement du secteur agricole, l’Etat opte pour ce système avec en partenariat les privés tout en restant majoritaire.

Ainsi l’intermédiation financière mettra en relation en plus des principaux acteurs (épargnants et emprunteurs), l’Etat et ses partenaires financiers qui lui permettent de mobiliser les fonds annuellement.

Pourtant, l’écart entre les promesses de redressement économique et les réalités, reste considérable. On note des difficultés dans les réformes libérales et le retour de l’Etat depuis 2000 vers des dispositifs politiques d’intervention mixtes (ex. agence de régulation des marchés, l’existence des interprofessions..) ; et des stratégies dirigistes et volontaristes. Ce modèle économique est inspiré par la nouvelle économie institutionnelle. Ceci se traduit par la prise en compte du facteur institutionnel qui s’ajoute aux forces naturelles du marché comme mécanisme de coordination et de régulation des filières agricoles. Cette politique s’est traduite pour le cas du Sénégal, par une forte allocation de ressources financières et tout récemment le recours aux subventions au secteur agricole en 2006-2007. On note également le maintien de la CNCAS comme outil de financement du secteur agricole avec l’implication plus étendue de la microfinance. On se focalise davantage vers le concept de «marché financier rural» avec une intermédiation entre les acteurs. Cependant, une libéralisation du système financier aurait

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permis de mettre en relation directe entre les détenteurs de capitaux et ceux qui en ont besoin avec le jeu transparent du marché. L’immixtion de l’Etat dans les intermédiations (appel annuel à des fonds, cautionnement des prêts, etc.) pose des questionnements sur le mode de gestion. On note des difficultés dans la mobilisation annuelle des fonds des institutions partenaires de financement. Il ya également la faible attention portée sur la mobilisation de l’épargne compromettant la viabilité de l’institution financière et sa dépendance sur l’extérieur. Souvent, on pose le questionnement sur la gestion rigoureuse de l’institution (malversations, faible niveau de remboursement des crédits avec l’implication des politiques dans la gestion de ce remboursement et dans la distribution du crédit, etc.). La rigidité des interventions de l’Etat dans le système financier pose la problématique de déréglementation (subvention dans les taux d’intérêt, suppression des dettes paysannes..).

Néanmoins, le crédit joue le rôle d’interface au niveau économique et social, (Ramos, 2001).

On dit en effet souvent que le crédit est le moteur de l'économie, parce qu'en facilitant l'accès aux biens de consommation, il permet une production de masse qui, à son tour conduit à une réduction des prix de vente dont bénéficie en fin de compte le consommateur. Dans une économie de marché, le crédit joue le rôle d’intermédiations entre différentes branches de l’économie. Il permet d’accéder aux ressources, d’accroître les capacités d’investissements et de production des entrepreneurs et de gérer les risques et incertitudes des agents économiques.

Le rôle du crédit est encore plus fondamental dans les pays en développement où la majorité de la population est rurale, pauvre et dépourvue de ressources. Au Sénégal, la plupart des producteurs sont exclus du système de crédit (Sy, 1988 ; USAID, 1991). Ces producteurs dépourvus de ressources sont limités dans l’accroissement de leur production avec des faibles niveaux de rendements agricoles. Il est prouvé que l’accès au crédit est un facteur d’amélioration de la productivité (Diagne, 1988, Diagne et Zeller, 2001). Cependant, un des principaux obstacles à une participation accrue de ces plus défavorisés au développement économique (accès aux technologies et à l’innovation) dans les pays en développement est leur difficulté à accéder aux ressources financières (Bassole, 2003).

En quoi donc le marché financier peut –il être utile au secteur agricole ? Et comment le rendre accessible aux producteurs du monde rural ?

Un des principes de la théorie néoclassique du bien être économique est que toutes les caractéristiques des commodités (biens et services) sont observables par tous les participants

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du marché. Sans cette condition, différents marchés ne peuvent pas co-exister pour des biens ayant de différentes caractéristiques, et ainsi les hypothèses de marché parfait ne sauraient tenir. Ceci met en évidence, le rôle de la parfaite information dans le mécanisme de marché.

Parallèlement à ces évolutions théoriques dans le marché du crédit, l’absence d’informations parfaites entre l’emprunteur et le prêteur pose des dysfonctionnements dans les mécanismes.

Les économistes pionniers sur ce domaine Akerlof (1970), Spencer (1973), etc., ont commencé à identifier l’asymétrie de l’information comme la principale cause du dysfonctionnement du marché. Par la suite beaucoup d’autres économistes ont commenté l’importance de la parfaite information dans les relations de marché. Cependant, la réalité quotidienne montre que dans la plupart des relations de marché, notamment celui du crédit, l’information est souvent asymétrique entre acteurs. Ainsi se pose la question de savoir comment atteindre l’équilibre du marché en présence d’informations asymétriques ou problèmes connexes du marché du crédit ? Quelles sont les propriétés de ce déséquilibre et les effets attendus ? Dans ce cas précis, existe t-il des possibilités d’amélioration dans les mécanismes d’intervention du marché ? Ces questions sont des domaines d’actualité de recherche en théories microéconomiques durant ces deux dernières décennies. Ces axes et questions de recherchent tournent autour des principaux concepts rencontrés dans le marché du crédit soit en tant que dysfonctionnement : les incertitudes, la sélection adverse, le hasard moral, etc. ou en tant que solutions proposées : l’incitation dynamique, le monitoring, les pressions de groupes, l’existence d’un cadre juridique et garant pour l’application des lois sur les contrats « Contract enforcement », etc. Tous ces concepts clefs à des enjeux divers dans le fonctionnement du marché du crédit méritent au préalable des clarifications.

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