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Le réseau judéo-convers de Saragosse : pratiques matrimoniales, géographie sociale, affaires

Gonzalo García de Santa María (1447-1521) : portrait d'un érudit aragonais

A. Le réseau judéo-convers de Saragosse : pratiques matrimoniales, géographie sociale, affaires

Quoique des alliances matrimoniales avec plusieurs familles d’infanzones et de caballeros (les Cerdán et les Albion) apparaissent au cours du XVIe siècle, l’arbre généalogique des Santa María montre initialement et avant tout plusieurs unions avec deux importantes familles conversas de Saragosse : les Caballería et les Sánchez. Les membres de ces deux familles occupèrent des charges notoires dans l’administration du royaume et des grandes villes d’Aragon. Elles accumulèrent également d’importantes richesses et certains de leurs membres firent une brillante carrière comme juristes, médecins ou écrivains150. Ces familles étaient proches des souverains. Elles avaient un rôle économique décisif auprès de ceux-ci et recevaient en échange, dans les limites du possible, leur protection. La dépendance financière des rois vis-à-vis des grandes familles conversas est un fait établi, et les Santa María figurèrent parmi les « prêteurs de confiance » des souverains, nous y reviendrons. Le mariage de Micer Gonzalo avec Violante de Velviure démontre, par ailleurs, que les

148 Voir citation à la note 123.

149

El libro verde…, p. 10, 12 et 84.

150 Voir M. SERRANO Y SANZ, « El linaje hebraico de los Caballería según el Libro Verde de Aragón y otros documentos », Boletín de la Real Academia de la Historia, LXXIII, 1918, p. 160-185 ; Francisca VENDRELL

GALLOSTRA, « Aportaciones documentales para el estudio de la familia Cavallería », Sefarad, 3, 1943, p. 115-154 ; Emilia SALVADOR ESTEBAN, « Un aragonés en la Valencia de Fernando el Católico : Alfonso Sánchez, lugarteniente de tesorero general », Aragón en la Edad Media, 20, 2008, p. 709-721 ; M. SERRANO Y SANZ,

convers aragonais étaient également en contact avec ceux de Valence, si l’on en croit les informations données par le Libro verde au sujet de l’épouse du juriste.

Les entrelacs matrimoniaux entre les Sánchez, les Caballería et les Santa María reflétaient sans nul doute une proximité quotidienne des membres de ces différentes familles dans les lieux de vie et d’affaires fréquentés. Ainsi, la mention portée par le notaire sur le testament de Micer Gonzalo, au moment de sa mort, localisait sa maison dans la paroisse de Saint-Pierre, en face de celle de Fernando de la Caballería151. María Isabel Falcón Pérez confirme qu’un Gonzalo García de Santa María, « insigne zaragozano » – probablement le père du juriste – possédait, en 1470, des maisons dans cette même paroisse de Saint-Pierre, près du Peso Real et qu’une des branches de la puissante famille Caballería vivait effectivement tout près, dans la paroisse contiguë de Saint-Gilles. La proximité de la judería vieja n’empêchait pas cette zone d’être une des plus prisée de la ville, en particulier par les riches conversos152. Initialement, dans son testament rédigé le 13 mai 1519, Micer Gonzalo avait demandé à être enterré aux côtés de son père et de ses frères dans le monastère de Saint-François153 – un des cimetières de prédilection des judéo-convers saragossains et de la famille Caballería154, situé de l’autre côté de la muraille – mais il obtint finalement une concession dans l’église de sa paroisse de résidence155. Il fit par ailleurs de Pedro de la Cavallería un de ses exécuteurs testamentaires.

On retrouve par ailleurs la trace des Santa María, quelques années auparavant, à la limite du centre ancien de la ville et du quartier extérieur de Saint-Paul156, sur la muraille est,

151 « Die II.ª mensis Julii anno M.° quingentesimo vicesimo primo, Cesarauguste. Dentro de las casas de la propria habitacion del dicho Gonçalo de Sancta Maria, que son fechas en la dicha ciudat en las botigas fondas, en la parrochia de Sant Pedro, que afruentan con casas de Fernando la Caballeria ; con calliço que no tiene sallida » (Id., « Testamento de Gonzalo… », p. 477-478).

152 María Isabel FALCÓN PÉREZ, Zaragoza en el siglo XV. Morfología urbana, huertas y término municipal,

Zaragoza : Institución Fernando el Católico, 1981, p. 58 – elle cite en particulier un protocole notarial de Juan de Barrachina, 1470 – et p. 80-81.

153 M. SERRANO Y SANZ, « Testamento de Gonzalo… », p. 472.

154 R. B. TATE, « Gonzalo García… », p. 216, n. 8. Alfonso de la Caballería, vice-chancelier du roi Ferdinand II d’Aragon, avait par exemple également demandé à y être enterré (M. SERRANO Y SANZ, Orígenes de la

dominación…, p. 195).

155 En effet, son fils avait entre temps obtenu une concession dans cette église, où les places étaient visiblement très disputées, en échange d’une rente en monnaie (quarante sous de Jaca) et en huile. Le codicille témoignant de ce revirement est resté jusqu’ici inaperçu aux archives de Saragosse (APZ, Juan Arruego, 17-01-1521, Codicillo, fol. 54-56v). C’est également le cas d’un amendement antérieur à son testament (APZ, Juan Arruego, 20-11-1520, Codicillo).

156 C’est dans le quartier de Saint- Paul que, après la mort de Micer Gonzalo, celui que je suppose être son fils louera, en tant que propriétaire, une maison à une certaine Lena Burgos (APZ, Juan Arruego, 7-10-1521, Registro de bastardelos, fol. 412v-415 et Juan Arruego, 7-10-1521, Loguero, fol. 608-609). Il est très probable que les affaires des Santa María inclussent la gestion d’un portefeuille de rentes immobilières, en grande partie fruits de l’usure : « […] los instrumentes, empero, debitorios o censales, sean del dicho mi fijo y heredero. [...] Item por quanto he fecho mencion de libros que los dexo todos a mi mujer para que los conserue para mi nieto

dans la zone du marché. Celui-ci se trouvait anciennement près de la Porte Cinegia, mais avait été transféré à proximité de la Porte de Tolède, en 1210, sur ordre de Pierre II d’Aragon. Les abords du marchés étaient vraisemblablement eux aussi une zone fort prisée. Le voisinage y était constitué des Lanuza – qui y disposaient de plusieurs demeures cossues, de patios et de quatre boutiques –, d’infanzones et caballeros, de riches marchands et d’artisans ; plusieurs étaient d’origine conversa. Gonzalo García de Santa María père y jouissait, en 1460, et au moins depuis 1450, d’une maison pour laquelle il payait à la ville un treudo (loyer annuel d’une sorte de bail emphytéotique157) de trente-cinq sous de Jaca par an. Ses voisins directs158 étaient alors Rodrigo de Villalba et un certain « don Luis de Santángel, menor de días », probablement le fils du juriste converso du même nom, propriétaire de la tour contiguë et qui avait acquis ces maisons dix ans plus tôt159.

Ces proximités familiales et géographiques entre les familles conversas favorisaient logiquement les relations commerciales et les affaires de tous types160. Le réseau des judéo-convers se substituait progressivement au réseau juif tout en étendant sa zone d’influence. Les Santa María, en plus d’être une famille de riches marchands161, étaient une pièce essentielle de cet échiquier relationnel, en raison des charges politiques qu’ils occupaient, au niveau municipal ou à l’échelle du royaume162. Cette situation privilégiée leur permettait vraisemblablement d’accorder des faveurs aux membres de leurs réseaux sociaux et commerciaux. À en croire une accusation portée contre Micer Gonzalo par Catalina

Hypolito, quiero que se entienda de los libros de qualquiere scientia, y no de los libros de negociation o mercaderia que tractaua mi padre, ni de soldades, de los quales hai mios tambien algunos ; antes aquellos quiero que se den a mi heredero para que se aproveche de ellos en lo que de compras de heredades, etc. » (M. SERRANO Y SANZ, « Testamento de Gonzalo… », p. 475-476).

157

« Treudo : pensión anual, de suyo irredimible, en reconocimiento directo de una cosa dada en tributación ó enfiteusis » (Gerónimo BORAO, Diccionario de voces aragonesas, precedido de una introducción

filológico-histórica, Zaragoza : Imprenta y librería de D. Calisto Ariño, 1859, p. 249).

158 La liste complète du voisinage peut être consultée dans le « Cabreo de los bienes pertenecientes al común de la ciudad de Zaragoza (19-08-1460) », édité dans M. I. FALCÓN PÉREZ, Zaragoza en el siglo XV..., p. 234 et

suivantes. Il faut localiser, sur le plan nº 2 reproduit par María Isabel Falcón en annexe, la maison de Gonzalo García de Santa María, au numéro 24.

159 « 2 de Diciembre de 1450. Luis de Santangel, jurista dice haber comprado unas casas en el Mercado de Zaragoza, lindantes con otras de D. Gonzalvo de Santa Maria y con el muro de piedra » (M. SERRANO Y SANZ,

Orígenes de la dominación…, p. 494, n. 2). Sur l’identification des différents membres de la famille Santángel,

voir M. Á. MOTIS DOLADER, « La familia de Santángel de Zaragoza y su época », in : Lluís de Santàngel i el seu

temps, en colaboración con M. I. FALCÓN PÉREZ, Valencia : Ayuntamiento de Valencia, 1992, p. 133-162.

160 Voir par exemple les importantes relations commerciales entretenues entre judéo-convers et Italiens de Saragosse (Germán NAVARRO ESPINACH, et al., « Italianos en Zaragoza (siglos XV-XVI) », Historia,

instituciones, documentos, 30, 2003, p. 301-398). Gonzalo García de Santa María est cité dans un document de

1471 (p. 324).

161 En témoigne l’opulence dans laquelle Micer Gonzalo mourut, à en croire son testament. Outre une riche bibliothèque qui a émerveillé les érudits des siècles postérieurs, il mentionne plusieurs rentes de crédits et des bijoux (M. SERRANO Y SANZ, « Testamento de Gonzalo… »). Je reviens sur le testament de Gonzalo p. 122 et suivantes.

d’Andújar en 1497, celui-ci aurait ainsi commis un délit de prévarication, alors qu’il était lieutenant du Justice d’Aragon, le portant à favoriser son parent Antón Sánchez dans l’attribution de biens immobiliers163.

Ce n’était pas là le premier procès intenté contre un membre de la famille Santa María. Les affaires florissantes entraînant leur lot de contentieux et de rivalités parmi les judéo-convers saragossains, Gonzalo García de Santa María – père ou fils ? – obtenait en 1471 l’intervention de Jean II dans un litige porté devant le conseil du Justice d’Aragon et l’opposant à don Luis de Santángel, trésorier de l’Infante d’Aragon164. On ignore le motif de ce litige165, mais il me semble hautement probable qu’il s’agisse d’un conflit sur une thématique locale, commerciale ou financière. En effet, si les Santángel et les Santa María de Saragosse avaient des relations de voisinage, ils partageaient surtout une activité pour laquelle ils étaient souvent amenés à travailler côte à côte : la créance.