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Gonzalo García de Santa María (1447-1521) : portrait d'un érudit aragonais

D. La bibliothèque de Gonzalo García de Santa María

1. Une bibliothèque riche et organisée

C’est grâce au testament que Micer Gonzalo rédigea en 1519 que la composition de cette bibliothèque est connue. En effet, celui-ci prend essentiellement la forme d’un inventaire sélectif de livres dont je propose ici la liste (voir Figure 15), avant d’en offrir un commentaire ordonné367.

365 À vrai dire, nous ne savons même pas si l’affaire fut portée à sa connaissance car il n’est pas certain que Gonzalo envoya au roi la lettre qu’il rédigea. Cf. p. 45.

366 « La más importante biblioteca que haya reunido un intelectual en el siglo XV », selon Jorge Manuel Alaya (J. M. AYALA MARTÍNEZ, op. cit., 2001, p. 190).

367 Il est recensé dans María Isabel HERNÁNDEZ GONZÁLEZ, « Suma de inventarios de bibliotecas del siglo XVI

(1501-1560) », in : María Luisa LÓPEZ-VIDRIERO, et al. (éds.), Coleccionismo y bibliotecas (siglos XV-XVIII),

Salamanca : Universidad de Salamanca/ Patrimonio Nacional/ Sociedad Española de Historia del Libro, 1998, p. 375-446, p. 388. Micer Gonzalo ne cite ici probablement que les livres ayant le plus de valeur.

Figure 15 : LISTE DES OUVRAGES MENTIONNES DANS LE TESTAMENT DE MICER GONZALO

Je reprends l’ordre d’apparition des titres dans le testament, à l’exception des lettres de Pedro Tolón. Je cite l’édition de Manuel Serrano y Sanz368 et en respecte strictement la transcription (italiques comprises).

Manuscrits de valeur

los testuales del Cuerpo del Drecho Civil que son Vº, que costaron más de CC florines [en pergamino, muy corregidos].

II Bartulos uno sobre el Codigo, y otro sobre la segunda parte del Digesto Nuevo [en pergamino, muy corregidos].

una Biblia en pergaminos muy delgados, y de muy buena letra de mano, que costo L florines de oro.

Laertio, De vitis Philosophorum, de mano, de letra antigua italiana, que no fue fecho por XXX ducados.

Epistolas de Tulio, familiares y De Oratore ad Quintum fratrem, y la Rhetorica ad Herennium, que costaron más de XV florines.

Orationes de Tulio, en pergamino, y la Topica y Partitiones tambien, que costaron más de X florines.

el Eneidos de Vergilio, en pergamino, que costo C sueldos.

Trogo Pompeo, de mano y en pergamino.

Otros libros de mano y en pergamino, los quales no pongo aqui por evitar trabaio.

Livres possédés en double ou en triple

Eneidos de Vergilio, que tengo tres volumes dellos; el uno de pergamino [cf. supra]; el otro de paper en forma luenga, scriptos de mano; el tercero, de emprenta, donde estan todas las obras de Vergilio.

dos volumes de Epistolas de Tulio; unas en pergamino [cf. supra]; otras en paper, de mano.

dos volumes de obras de Lorenço de Valla, en paper, de mano.

dos Juvenales: uno en pergamino, otro en paper, de mano.

dos volumes de Epistolas de Sant Hieronymo : unas de emprenta y otras de mano.

Autres

cartas de latin de Pedro Tolon […], mi buen amigo, y otras scripturas muchas de otros singulares hombres.

los Bartulos [...] en VIIII piezas con II de pergamino [cf. supra].

los Baldos, que son de paper, y de ellos hai de mano, y de ellos de emprenta, y son XI o XII.

Paulos de Castro.

Conseios.

libros […] de Leyes, Canones, Theologia, Sagrada Scritura, Philosophia moral, Arte oratoria, Historia, Gramatica, Poesia, Arithmetica, Geometria, Vocabulistas, etc.

libros de negociation o mercaderia que tractaua mi padre, [libros] de soldades.

Le testateur apparaît comme un grand bibliophile. Micer Gonzalo avertit le lecteur : « Y no se marauille alguno que tanta diligencia pongo en mis libros, porque segun mi affection, más valen que todo el resto de mi mueble »369. Outre l’inestimable valeur intellectuelle de la collection, le juriste en évalue la valeur vénale à environ cinq mille sous370. Il indique d’ailleurs à plusieurs reprises le coût de nombreux ouvrages, en plus de la valeur globale estimée, espérant probablement que, dans l’hypothèse où ses livres seraient vendus, ils le soient au prix adéquat. Le soin qu’il porte à choisir les légataires de ses ouvrages et les instructions qu’il donne sur le destin des livres après sa mort démontrent l’attachement profond du juriste à sa bibliothèque ainsi que sa minutie :

Item, otros libros de mano y en pergamino, los quales no pongo aqui por evitar trabaio; los quales todos quiero que los tenga la dicha mi mujer y conserue en caxas por inventario, y conserue para mi nieto Hypolito, fijo de mi hijo Gonçalo, y que los reconosca para adobar, si estan mal ligados; y no quiero que los presten a persona del mundo, sin prenda que valga dos tanto que el libro que prestara la dicha mi mujer, y no quiero que en aquellos, aunque haya alguno de romance, tenga que ver Gonçalo mi fijo, porque segun la poca deuotion que tiene a letras, ni a letrados, y segun presta y malmete lo suyo, en III meses no ternia uno; y si el dicho Hypolito no quisiesse ser letrado, sean para otro fijo legitimo del dicho mi fijo, aunque de ello yo no tengo sperança; y no hoviendolo, ni queriendo ser alguno letrado, que los dichos libros sean de la dicha mi mujer para que se pueda socorrer, que segun son muchos y de diuersas facultades, si se vendian juntos creo que ahun valdrian hoi mas de V.m sueldos, porque hai libros peregrinos con los quales, dando en buenas manos, se podria fazer uno mucha honra, porque tengo los más de ellos muy studiados y corregidos371.[...] Item, lexo a la dicha mi mujer unas cartas de latin que estan en los canexones del tablero de mi studio, de micer Pedro Tolon, que Dios perdone, mi buen amigo, y otras scripturas muchas de otros singulares hombres, y todas aquellas le ruego que conserue para el dicho mi nieto Hypolito [...]. E porque yo tengo algunos libros duplicados [...] tome mi mujer lo meior de lo dublado, y guárdelo para el suso dicho mi nieto Hypolito ; [...] y porque más sin fatiga lo pueda fazer, haya algun letrado amigo, y pusiendolo en el studio uno y otro vera quales libros se han de poner en una caxa, y quales en otra372.

Transparaît de ce texte la contrariété que supposa vraisemblablement pour Micer Gonzalo le désintérêt de son fils pour les lettres373 et les espoirs mesurés qu’il plaçait dans son petit-fils

369 Ibid., p. 474.

370 Ibid., p. 473. À titre de comparaison, en 1521, celui que l’on suppose être le fils du juriste et sa femme, propriétaires, louent à une veuve une maison dans le quartier de Saint-Paul contre un loyer annuel de 320 sous (APZ, Notario Juan Arruego, Loguero, 7-10-1521, fol. 608-609).

371 Micer Gonzalo semble sous-entendre ici que ses annotations personnelles confèrent une valeur ajoutée aux livres rares.

372

M. SERRANO Y SANZ, « Testamento de Gonzalo… », p. 473-475.

373 Il réserve à celui-ci les livres de commerce hérités de son père marchand : « Item por quanto he fecho mencion de libros que los dexo todos a mi mujer para que los conserue para mi nieto Hypolito, quiero que se

pour reprendre le flambeau. Réaliste, le juriste envisage toutefois la vente de sa collection, préférablement en bloc, pour une meilleure estimation des ouvrages mais sans doute aussi pour éviter la dispersion d’un ensemble constitué à grand-peine.

Le testament cite les titres de nombreux ouvrages mais en indique également la disposition matérielle, dans la maison de Gonzalo. Document précieux pour une approche historique de la bibliothéconomie, le texte donne un exemple de l’organisation et du rangement d’une bibliothèque privée au début du XVIe siècle. Celle-ci était tout d’abord divisée en deux pièces, le Studio mayor et le Studio pequeño. Le Studio mayor renfermait les ouvrages de « Derecho, Leyes y Canones » tandis que le Studio pequeño était le réceptacle des livres d’« Arte oratoria, Philosophia moral, Theologia (Sagrada Scritura) y Historia ». Par terre, des « arcas », « caxas » et « caxones » contenaient également des ouvrages appartenant à ces catégories, ainsi que des volumes de poésie. D’autres catégories sont citées – « Gramatica, Arithmetica, Geometria, Vocabulistas » – mais elles ne sont pas localisées dans l’espace. Il y avait manifestement une division utilitariste des ouvrages : dans la grande pièce, se trouvaient les livres les plus employés pour l’activité de juriste et correspondant à la spécialisation universitaire de Gonzalo ; dans le petit cabinet, les ouvrages relatifs aux principales disciplines de l’éducation humaniste, art oratoire en tête374. On remarquera, en outre, l’existence d’une section « Vocabulistas », équivalent à notre subdivision « Dictionnaires ». Les livres moins fondamentaux devaient être conservés dans les coffres et caisses et, dans les tiroirs, la correspondance et les notes éparses. Dans la grande étude, lieu principal de l’activité du juriste, les livres étaient placés sur des étagères à portée de main depuis le bureau et classés alphabétiquement selon leur désignation d’usage375. La disparité des supports – il était fréquent qu’une même œuvre fût constituée de certains volumes manuscrits, sur parchemin ou papier, et d’autres volumes imprimés – n’entravait en rien l’ergonomie et l’ordre qui régissaient l’espace professionnel, tandis qu’une plus grande

entienda de los libros de qualquiere scientia, y no de los libros de negociation o mercaderia que tractaua mi padre, ni de soldades, de los quales hai mios tambien algunos; antes aquellos quiero que se den a mi heredero [Gonzalo] para que se aproveche de ellos en lo que de compras de heredades, etc » (Ibid., p. 476).

374 Quant à la poésie, citée plus haut, elle faisait également partie des fondements de l’érudition. Perrine Galand-Hallyn rappelle qu’entre 1476 et 1478, l’Italien Filippo Beroaldo, de passage à l’université de Paris, commentait Lucain et vantait dans sa leçon d'ouverture, l'importance de la poésie dans une éducation humaniste. Cf. Perrine GALAND-HALLYN, Un professeur poète humaniste : Joannes Vaccaeus. La Sylve parisienne (1522), collab. Georges André BERGERE, Genève : Droz, 2002, p. xlviii.

375 Ils sont classés par lettre initiale puis, au sein de chaque lettre, l’ordre alphabétique ne semble pas strictement respecté : « tengo en el studio por orden mis libros, que todos los Bartulos estan a una parte en VIIII piezas con II de pergamino, y estan en la paret a mano ezquiera donde yo estoi assentado […] y despues alli en aquella misma tabla comiençan los Baldos […] y se siguen despues de los Bartulos en aquella misma tabla, con la tabla

souplesse caractérisait le petit cabinet, où les livres étaient parfois entreposés par terre. C’est essentiellement dans cet espace, que l’on imagine volontiers foisonnant et chaleureux, que Micer Gonzalo compléta et amplifia sa vaste érudition. Détaillons-en le contenu.

2. Les lectures de Micer Gonzalo : commentaire ordonné

Dans la grande étude, Micer Gonzalo avait entreposé les ouvrages juridiques, à usage « professionnel » et ayant servi à sa formation de juriste. La liste commence par un ouvrage de base : le Corpus Iuris Civilis, la plus importante compilation de droit romain de l’histoire, qui fut composée entre 529 et 534 sur la demande de l’empereur Justinien et sous la direction du juriste Tribonien. Logiquement, Micer Gonzalo détenait aussi les écrits des grands commentateurs médiévaux italiens de cette œuvre, les prolixes post-glossateurs du XIVe siècle Bartole de Sassoferrato, Balde de Ubaldis376 et Paul de Castro. Les thèses de ces juristes connurent dans la péninsule ibérique, comme dans toute l’Europe, une diffusion extraordinaire et firent encore l’objet de débats théoriques et de controverses autour de cas pratiques au XVIe siècle377. Bien que critiqué au XVe siècle par les représentants de l’humanisme juridique, qui prônèrent l’abandon des gloses, Bartole, en particulier, eut une profonde influence sur les mentalités du Quattrocento. J’en veux pour preuve sa conception de la noblesse, résumée par Vicenzo Piano-Mortari et annonciatrice des valeurs défendues par les humanistes de la Renaissance :

Chez Bartolo, l’idée d’une nobilitas, d’une dignitas nécessaire à une charge publique reposait sur le talent ou la culture. A son époque, les domini legum doctores faisaient déjà partie du corps de la militia inermis, digne d’être placée tout en haut de l’échelle sociale comme seule la militia armata l’avait été jadis. Or, Bartolo ouvrit la voie, une ligne de pensée qui chez les juristes ne cessa d’être suivie. Voilà pourquoi Luca de Penne a placé dans le savoir le critère de la noblesse individuelle […]. Ainsi valeurs

o fagistor que está detras del studio […]. Despues hai Paulo de Castro consecutiuamente y Conseios » (M. SERRANO Y SANZ, « Testamento de Gonzalo… », p. 476).

376 Certains volumes de Balde sont des imprimés.

377

Même la production littéraire est marquée de leur empreinte. Voir Faustino MARTÍNEZ MARTÍNEZ, « El Derecho Común en la obra de Lope de Vega : unos breves apuntamientos », in : Nuria GONZÁLEZ MARTÍN

(coord.), Estudios jurídicos en homenaje a Marta Morineau. Tomo 1. Derecho romano. Historia del derecho, México : UNAM, 2006, p. 381-396. D’ailleurs, le juriste Bartole fut à ce point célèbre que son nom fut fréquemment utilisé dans le théâtre européen pour désigner le personnage de l’avocat. Bartolomé Clavero rappelle l’adage: « nullus bonus iurista nisi sit bartolista » [nul n’est bon juriste s’il n’est bartoliste] (Bartolomé CLAVERO, Historia del Derecho : Derecho Común, Salamanca : Universidad de Salamanca, 1994, p. 27).

anciennes et valeurs nouvelles préparèrent une fusion possible entre noblesse ancienne et noblesse nouvelle378.

Il rédigea par ailleurs des commentaires célèbres sur l’articulation entre jus commune et jura propria et sur la légitimité de la résistance à la tyrannie379. Gonzalo fut probablement fortement pénétré des idées bartolistes, qui n’avaient rien perdu de leur acuité aux XVe et XVIe

siècles380. Autres textes éminents pratiques en possession de Micer Gonzalo : les Conseios. Je ne pense pas que, sous cette désignation, Gonzalo se référât aux Consilia de Bartole ; je crois qu’il s’agit en réalité d’une section de la bibliothèque ou d’une compilation composée d’avis juridiques divers que les juristes étaient amenés à consulter lorsque l’on sollicitait leur opinion sur un point précis. Il faudrait en quelque sorte comparer ceci à des recueils de jurisprudence381. Ici s’arrête la liste des ouvrages juridiques, dont seul est cité un échantillon restreint que Gonzalo a sélectionné dans les premières étagères de la collection382. Les ouvrages de la grande étude ne constituent pas le gros de la description.

C’est le petit cabinet qui offre l’inventaire le plus fourni. Gonzalo passe toutefois rapidement sur les textes sacrés et des pères de l’Église. Seuls une bible en parchemin et deux exemplaires de la Correspondance de Saint Jérôme – l’un manuscrit, l’autre en parchemin – sont cités. La plupart des titres mentionnés sont des travaux de philosophes, historiens, rhéteurs et poètes classiques. Quantitativement, c’est sans surprise que Virgile et Cicéron l’emportent. De Virgile, Micer Gonzalo détenait en effet les œuvres complètes imprimées. Il s’agissait probablement de la première édition de celles-ci réalisée en Espagne par les soins de

378 Vincenzo PIANO-MORTARI, « Problèmes des États de la Renaissance », in : André STEGMAN (éd.), Pouvoirs

et institutions en Europe au XVIe siècle, Paris : Vrin, 1987, p. 7-13, p. 12.

379 Sur les rapports entre hégémonie impériale et potestates locales chez Bartolo, voir Marcel DAVID, « Le contenu de l’hégémonie impériale dans le doctrine de Bartole », in : Danilo SEGOLONI (dir.), Bartolo da

Sassoferrato : studi e documenti per il VI centenario, Milano : Giuffrè, 1962, vol. 2, p. 199-216. Sur la résistance

à la tyrannie, cf. Diego QUAGLIONI, Politica e diritto ne trecento italiano. Il « De tyranno » di Bartolo de

Sassoferrato (1314-1357), Firenze : Leo S. Olschki, 1983 et José Manuel NIETO SORIA, « La parole : un instrument de la lutte politique dans la Castille de la fin du Moyen Âge », Revue historique, 632, 2004, p. 707-725, p. 713.

380 Ainsi les idées de Bartole furent-elles débattues lors de la préparation des Leyes de Toro.

381 Plusieurs ouvrages décrivent la pratique des avis juridiques et les compilations à disposition des juristes à la fin du Moyen Âge et au début des temps modernes : Guido KISCH, Consilia. Eine Bibliographie der juristischen

Konsiliensammlungen, Basel, Stuttgart : Helbing und Lichtenhahn, 1970 ; Mario ASCHERI, I consilia dei giuristi

medievali : per un repertorio-incipitario computerizzato, Siena : Edizioni Il Leccio, 1982 ; Ulrich FALK,

Consilia. Studien zur Praxis der Rechtsgutachten in der frühen Neuzeit, Frankfurt am Main : Vittorio

Klostermann, 2006.

382

À côté de ces classiques génériques, Gonzalo devait probablement posséder les classiques du droit proprement hispanique et aragonais : Liber Iudicorum, Partidas ou encore Fors aragonais, dont Gonzalo réalisa une édition en 1494.

Juan Sobrarias et imprimée par Georg Koch en 1513383. Gonzalo possédait par ailleurs deux versions manuscrites de l’Énéide qu’il conserva malgré l’acquisition de l’imprimé. Quant aux œuvres de Cicéron, figurent les Lettres familières – en deux exemplaires manuscrits –, les Discours et plusieurs traités de rhétorique (le premier livre du De l’orateur, les Topiques et le Dialogue sur les partitions oratoires). La Rhétorique à Herennius apparaît également sur la liste. Sont mentionnées en outre une traduction en latin des Vies des philosophes du doxographe grec Diogène Laërce et une œuvre de Trogue Pompée – l’historien du Ier siècle originaire de Narbonnaise – probablement l’Histoire philippique, son œuvre principale. N’est pas non plus cité le titre de l’œuvre de Juvénal que Micer Gonzalo possédait en deux exemplaires manuscrits, mais tout porte à croire qu’il s’agissait des Satires. À cette collection de classiques venaient s’ajouter deux volumes répétés d’œuvres de Laurent Valla, le grand humaniste italien qui entra au service d’Alphonse V d’Aragon dans la première moitié du XVe

siècle. Parmi ces œuvres se trouvaient sans nul doute les Elegantiae linguae latinae, étant donné leur succès au cours des XVe et XVIe siècles – elles connurent plus de soixante rééditions avant 1537 – et l’influence directe des thèses qu’y exposa Valla sur le prologue aux Vidas de los sanctos religiosos rédigé par Micer Gonzalo384.

Enfin, le juriste dit posséder « en los canexones del tablero de [su] studio » des lettres en latin de Pedro Tolón, aumônier des archevêques de Saragosse Jean et Alphonse d’Aragon, mort en 1489, ainsi que « otras scripturas muchas de otros singulares hombres ». Sans nul doute, la relation entre ces deux érudits fut intime, puisque Gonzalo l’appelle « mi buen amigo » et qu’à la mort de Tolón, une partie de ses livres furent entre les mains du juriste385. La bibliothèque de Pedro Tolón fut également une des bibliothèques privées aragonaises les plus importantes du XVe siècle aux côtés de celle de Micer Gonzalo386. De fait, la comparaison des deux collections est rendue possible par la conservation de deux documents notariaux, outre le testament de Gonzalo : il s’agit d’un inventaire réalisé à la mort de l’aumônier et d’une liste de livres extraits de sa bibliothèque et remis au marchand Leonardo Ferrer après le

383 F. LATASSA Y ORTÍN, Biblioteca nueva de los escritores aragoneses que florecieron desde el año de 1500

hasta 1599, Pamplona : Joaquim de Domingo, 1798, vol. 1, p. 62-63.

384 Le lien entre les deux textes a été mis en évidence par Eugenio Asensio et commenté plus haut. Voir p. 96 et suivantes.

385 Cette information provient d’un document de l’APZ reproduit par Miguel Ángel Pallarés : « 1489, noviembre 12, Zaragoza. El procurador del mercader Leonardo Ferrer y de su mujer Magdalena Tolón, vecinos de Alcañiz (actual provincia de Teruel), reconoce haber recibido ciertos libros que pertenecían al finado Pedro Tolón, de manos de Gonzalo García de Santa María […] » (M. Á. PALLARÉS JIMÉNEZ, La imprenta de los incunables…, doc. 224, p. 690-691).

décès387. Parmi les livres qui sont cités dans l’inventaire et qui ne figurent pas dans la liste des livres remis au marchand, trois titres correspondent à des ouvrages détenus en double par Gonzalo García de Santa María. Les types de support – papier ou parchemin – correspondent. Il s’agit des Lettres familières de Cicéron, du Juvénal et des Elegantiae de Valla. Il est donc possible que le juriste ait hérité, entre autres, de ces ouvrages388. Au-delà de ces transferts directs, il est évident que les collections des deux lettrés avaient une composition très similaire. La grande majorité des ouvrages de la bibliothèque de Tolón étaient aussi des classiques latins et grecs389 en tous genres (Aristote, Platon, Démosthène, Euclide, Cicéron, Sénèque, Florus, Salluste, Pline, Tite-Live, Lucain, Plaute, Ovide, Juvénal, Virgile390) auxquels venaient s’ajouter les humanistes italiens (Laurent Valla, Bartolomeo Facio, Nicolas