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B. Typologie, attribution et datation

VIII. Histoire du manuscrit

L’ex-libris apposé sur le folio 3, les diverses notes recensées et identifiées et la signature présente au folio 182v permettent d’affirmer que le manuscrit des RARG appartint à Jerónimo Zurita. Mais quelle fut ensuite son destin62 ? Nous savons que le chroniqueur aragonais léga sa riche collection à l’Aula Dei de Saragosse,

excepto los [libros] de vulgar de mano y impresos con todas las otras scripturas antiguas, registros y libros que estan en dos arcas y en dos arquimesas que tengo en dicho monasterio de Aula Dei, que estos los dexo a mi heredero infrascripto63.

Selon les conditions stipulées par son testament du 3 novembre 1580, l’héritier – son fils, Jerónimo Zurita de Oliván – devait toutefois restituer aux chartreux « los libros impresos de historias en romance » à la fin de sa vie. La bibliothèque de Zurita fut alors divisée. D’un côté, les livres de l’Aula Dei, ultérieurement retirés de la chartreuse par le conde-duque de Olivares en 1629, allèrent finalement grossir les fonds de la RBME. De l’autre, plusieurs ouvrages restèrent aux mains du fils de Zurita. À la mort de celui-ci, certains livres furent sans doute restitués au monastère mais la plupart furent vendus par ses descendants64. La vente fut confiée au libraire saragossain d’origine française Nicolás Ballur65. Nous est parvenu un document préparatoire à la vente, mentionnant la valeur estimée des ouvrages répartis en plusieurs lots66. Dans le dernier lot, exclusivement composé de manuscrits, est cité une « istoria de los reyes de Aragón por García de Santa […] », sans nul doute l’actuel manuscrit

62 La bibliographie au sujet de la bibliothèque de Jerónimo Zurita est fournie. Anna Gudayol en fait la synthèse jusqu’au tournant des XXe et XXIe siècles (Anna GUDAYOL, « Inventaris de biblioteques en el món hispànic a l'època tardomedieval i moderna. Balanç bibliogràfic (1980-1997) », Anuari de Filologia. Secció C, 21, 1998-1999, p. 29-113).

63 Ángel CANELLAS LÓPEZ, « El testamento de Jerónimo Zurita y otros documentos a él relativos », Revista

Zurita, I, 4, 1933, p. 301-320, p. 313. En dehors de sa bibliothèque proprement dite, un certain nombre de

documents et de registres devaient être remis, selon les dernières volontés de Zurita, au Conseil de l’Inquisition, aux archives royales et au roi lui-même.

64 Si dans son dernier testament, datant de 1596, Jerónimo Zurita de Oliván avait affirmé son intention de rendre à l’Aula Dei les manuscrits dus – trente-deux livres historiques imprimés, en langue vulgaire –, il n’est pas clair que ses propres héritiers respectèrent entièrement ses volontés. Voir Arantxa DOMINGO MALVADI, Disponiendo

anaqueles para libros. Nuevos datos sobre la biblioteca de Jerónimo Zurita, Zaragoza : Institutción Fernando el

Católico (CSIC), 2010, p. 34-35.

65 Andrés de Uztarroz le nomme Nicolás Boller (J. F. ANDRÉS DE UZTARROZ et Diego José DORMER, Progresos

de la historia en Aragón y vidas de sus cronistas, desde que se instituyó este cargo hasta su extinción, I. Biografía de Jerónimo Zurita, Zaragoza : Diputación Provincial (Imprenta del Hospicio), 1878, p. 149) mais

Arantxa Domingo Malvadi rétablit son patronyme correct (A. DOMINGO MALVADI, op. cit., p. 36).

66 Memoria de los libros que se an allado que eran de Jerónimo de Zurita, mi señor, i las tasa de hellos, RAH, A-111, fol. 433-436v (édité par A. DOMINGO MALVADI, op. cit., p. 93-130).

992 de la Biblioteca de Catalunya67. Juan Francisco Andrés de Uztarroz donne quelques informations au sujet de l’issue de la vente :

Se vendieron otros y diferentes libros manuscritos e impresos en la librería de Nicolás Boller, que por buena dicha compró el doctor Diego de Morlanes, muy curioso y docto ; los libros manuscritos guarda hoy el conde de San Clemente y nosotros las escrituras y de todo daremos cumplida noticia en su lugar68.

Arantxa Domingo interprète les propos d’Andrés de Uztarroz en dessinant une nouvelle division : d’un côté les livres imprimés auraient été acquis par Diego de Morlanes puis légués aux jésuites, tandis que, de l’autre, les manuscrits auraient rejoint la bibliothèque du comte de San Clemente69. Pourtant, la différence dans les temps verbaux (« compró » vs « guarda hoy ») et le fait que, selon la syntaxe de la phrase, Morlanes ait acquis « otros y diferentes libros manuscritos e impresos » ne semble pas justifier une telle répartition, du moins pas dans un premier temps. L’analyse de la phrase d’Andrés de Uztarroz n’est pas le seul argument. À la Biblioteca Nacional de España est conservée, sous le nom de Museo antiguo y moderno de los historiadores de Aragón y su Corona (ou Museo Aragonés), une collection de notes manuscrites rédigées en 1639 par cet érudit70. Dans l’une d’entre elles, Andrés de Uztarroz affirme avoir consulté l’« historia de los reyes de Aragón en latín » de Gonzalo García de Santa María, manuscrit détenu par Bartolomé Morlanes71. Il en recopiera d’ailleurs plusieurs fragments qui permettent d’identifier sans le moindre doute le manuscrit 992 de la Biblioteca de Catalunya72. Quelles conclusions tirer de ces divers documents ? Entre 1596 – date du dernier testament de Jerónimo Zurita de Oliván73 – et 1611 – mort de Nicolás

67 Arantxa Domingo Malvadi identifie ce manuscrit comme celui de l’Historia de los reyes de Aragón par Gonzalo García de Santa María, mais ne parvient pas à le localiser (contrairement aux manuscrits 943, 987, 991, 1158, 1018 et 2013, conservés aujourd’hui à la BC, qu’elle reconnaît dans cette même liste).

68

J. F. ANDRES DE UZTARROZ et D. J. DORMER, op. cit., p. 149.

69 « Los libros impresos fueron vendidos a Diego Morlanes, licenciado en derecho, que poseía una copiosa biblioteca que legó a los jesuitas a su muerte en 1649. El colegio y la biblioteca de los jesuitas de Zaragoza pasaron, tras la expulsión de la orden en época de Carlos III, al Seminario Conciliar de San Carlos Borromeo de Zaragoza, por lo que hemos de creer que los libros de Zurita que compró Morlanes y que éste donó al colegio de jesuitas pasaron a formar parte del Seminario Conciliar. […] Los manuscritos en cambio se incorporaron a una de las más notables bibliotecas aragonesas del XVII, la de don Miguel Marín de Villanueva, Conde de San Clemente, que falleció en 1684 » (A. DOMINGO MALVADI, op. cit., p. 35-36).

70 J. F. ANDRES DE UZTARROZ,op. cit., fol. 30. 71

L’affirmation est reprise par Félix Latassa y Ortín (Miguel GÓMEZ URIEL, Bibliotecas antigua y nueva de

escritores aragoneses de Latassa, aumentadas y refundidas en forma de diccionario bibliográfico-biográfico : 3 vols., Zaragoza : Imprenta Calixto Ariño, 1884-1886, p. 595 ou Félix LATASSAY ORTÍN, Bibliotheca antigua de

los escritores aragoneses que florecieron desde la venida de Christo hasta el año 1500, Zaragoza : M. Heras,

1796, p. 429) et ultérieurement par Robert Brian Tate (R. B. TATE, « Gonzalo García… », p. 224-225).

72 Un extrait consacré à Garsias Jimenez, un autre à Iñigo Arista et la note finale rédigée par Zurita.

Ballur74 –, le docteur en droit Diego de Morlanes acquit l’intégralité ou une partie des livres que mirent en vente les descendants de Zurita. À sa mort, en 1610, cette bibliothèque passa probablement à son fils, Bartolomé75. Puis, entre 1639 et 1648, c’est-à-dire avant la conclusion de la rédaction des Progresos de la historia de Aragón par Andrés de Uztarroz – et donc avant la mort de Bartolomé Morlanes, intervenue en 1649, et le legs de la majeure partie de sa bibliothèque aux Jésuites –, les manuscrits issus du « lot Zurita » semblent être entrés en possession du comte de San Clemente. Les propos de Diego Dormer, éditeur et continuateur des Progresos parus en 1680, paraissent confirmer ce changement de propriétaire : Dormer indique que le manuscrit des RARG, tout comme l’histoire du roi Jean II de Gonzalo García de Santa María « se conservan ahora en la librería del conde de San Clemente »76. Du comte de San Clemente, deuxième du nom – Miguel Marín de Villanueva y Palafox, député du royaume pour la noblesse – Félix Latassa y Ortín nous dit effectivement qu’il réunit « un rico gabinete y una selecta librería donde se hallaron muchos volúmenes y manuscritos que tanto estimó Zurita »77. Après la mort du comte, en 1684, nous perdons la trace de ces manuscrits78 jusqu’en 1928, date où un certain nombre d’entre eux furent vendus par un libraire de Madrid,

74 A. DOMINGO MALVADI, op. cit., p. 36.

75 Arantxa Domingo confond vraisemblablement le père et le fils dans son analyse citée ci-dessus (voir supra note 69). Nous savons, en effet, que Diego de Morlanes « Célebre Doctor en derechos, doctísimo jurisperito y literato de vasta erudición, nació en Zaragoza antes de la mitad del siglo XVI. Fue […] Consejero de S.M., Lugarteniente de la córte del Justicia de Aragon, y despues de otros cargos, Jurado en Cap. de Zaragoza en 1599.[…] Fue tan universal la aceptación que tuvo, que del mismo modo se estimaba un discurso suyo jurídico que un tratado histórico, un comentario político, una advertencia erudita, una carta. Un poema del Cronista Andrés […] dice que fue varon de singular doctrina, ilustrador de las antigüedades de nuestro reino y de una librería émula de los que celebraron las plumas de los historiadores.[…] entre otros hijos tuvo al sabio don Bartolomé de Morlanes, Capellan Real del Pilar, y á D. Agustin de Morlanes, Regente del Supremo Consejo de Aragon. […] murió en 3 de junio de 1610 » (M. GÓMEZ URIEL, op. cit., p. 367). Ce n’est donc point lui, mais son fils, Bartolomé, qui mourut en 1649 (Ibid., p. 369). Latassa qualifie la bibliothèque de ce « varón eruditísmo » de « copiosa y selecta » (Ibid., p. 370). On pourra voir aussi l’article de José Solís de Santos sur ce personnage (José SOLÍS DE SANTOS, « En torno al Espistolario de Justo Lipio y los españoles : el aragonés Bartolomé Morlanes y Malo (1576-1649) », in : Luis CHARLO BREA, et al. (eds), Humanismo y pervivencia del mundo clásico. Homenaje al profesor Antonio Fontán. III. 3, Alcañiz/Madrid : Instituto de Estudios

Humanísticos/Ediciones del Laberinto, 2002, p. 1331-1345).

76J. F. ANDRES DE UZTARROZ et D. J. DORMER, op. cit., p. 309. Dans les différentes éditions des Progresos, les passages ajoutés par Dormer sont indiqués entre astérisques. Félix Latassa y Ortín reprend cette affirmation. Cf. M. GOMEZ URIEL, op. cit., p. 596.

77 Ibid., p. 240.

78

Alberto Montaner Frutos et María Jesús Lacarra, s’intéressant au destin d’un des manuscrits ayant appartenu à Zurita et au comte, suivent la piste de la transmission du titre nobiliaire de ce dernier jusqu’à nos jours. Ils relient le comté de San Clemente aux ducs de Parcent et aux marquis d’Ayerbe, ultérieurement installés à Madrid, sans pouvoir toutefois retrouver la trace de la bibliothèque de Miguel Marín de Villanueva y Palafox (Libro del

conosçimiento, ed facs. con transcripción, estudio e índices por María Jesús LACARRA, María del Carmen LACARRA DUCAY et Alberto MONTANER, Zaragoza : Institución Fernando el Católico (CSIC)-Excma. Diputación Provincial, 1999, p. 28).

Bernardo Pereira, à la Diputación Provincial de Barcelona79. Ces manuscrits rejoignirent, en effet, la Biblioteca de Catalunya, comme fonds dépendant de l’Institut d’Estudis Catalans80. Dans l’inventaire des manuscrits de la Biblioteca de Catalunya, ces pièces se distinguent par la mention « Compra al llibreter B. Pereira Borrajo »81. Il s’agit des références 976 à 992. Parmi eux, se trouve le manuscrit des RARG mais également celui du Dietari de Jaume Safont. Dans l’introduction à son édition du Dietari, Josep Maria Sans i Travé affirme que le

lot de manuscrits que s’adquiriren al llibreter de Madrid, senyor Bernardo Pereira Borrajo […] van pertànyer a la Biblioteca de Jerónimo de Zurita i, posteriorment, a la del comte de Campomanes82.

Malheureusement, Josep Maria Sans i Travé ne cite pas ici ses sources. Faut-il effectivement voir la bibliothèque du comte de Campomanes, au XVIIIe siècle, comme un réceptacle intermédiaire du manuscrit 992, entre la bibliothèque du comte de San Clemente et la Biblioteca de Catalunya83 ? Faute d’avoir poussé plus avant ces recherches, j’en resterai, sur ce point, au stade de l’hypothèse84.

Malgré cette lacune, la trajectoire du manuscrit 992 est relativement complète et cohérente et permet d’envisager un destin similaire pour l’ensemble des manuscrits achetés par la Biblioteca de Catalunya à Bernardo Pereira en 1928 et ayant appartenu à Zurita. Grâce au manuscrit des RARG, une pièce supplémentaire peut donc être ajoutée à l’histoire de la bibliothèque de Jerónimo Zurita.

79 Voir « Zurita », in : Enciclopedia universal ilustrada europeo-americana, LXX, Madrid : Espasa-Calpe, 1930, p. 1566b. La date donnée pour la vente – 1928 – doit être rectifiée par 1938 (Libro del conosçimiento, p. 28 n. 56).

80 J. SAFONT,op. cit., p. XCV.

81 La comparaison des titres acquis avec les ouvrages ayant appartenu à Zurita puis au comte de San Clemente coïncide en grande part (voir les exemples donnés par Alberto Montaner et María Jesús Lacarra dans Libro del

conosçimiento, p. 28-29). 82 J. SAFONT,op. cit., p. XCV.

83

Cette bibliothèque, constituée dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, fut conservée par les descendants de Campomanes jusqu’en 1842 (Jacques SOUBEYROUX, « La biblioteca de Campomanes : contexto cultural de un ilustrado », in : Actas del VII Congreso de la Asociación Internacional de Hispanistas, Madrid : Instituto Cultural Cervantes, 1980, p. 997-1006, p. 998). Quant au manuscrit de la vie de Jean II, qui se trouvait également dans la bibliothèque du comte de San Clemente selon Dormer, il fut probablement séparé de celui des

RARG à la fin du XVIIe ou au XVIIIe siècle. Si c’est bien le même manuscrit qui est conservé sous la cote 9571 à la BNE, il appartint un temps, en vertu de son ex-libris, à la Biblioteca de los Capuchinos de la Paciencia de Cristo de Madrid tout comme un des incunables de la Crónica de Aragón de Vagad, annoté par Andrés de Uztarroz (Carmelo LISON TOLOSANA, « Vagad o la identidad aragonesa en el siglo XV (Antropología social e historia) »,

Revista Española de Investigaciones Sociológicas, 25, 1984, p. 95-136, p. 96). Les fonds conventuels désamortis

entrèrent à la BNE en 1836.

84 Il est tout à fait possible que Bartolomé Gallardo ait consulté le mansucrit 992 (op. cit., III, n. 2315) dans la bibliothèque du comte, conservée en l’état. La collection de Campomanes est en effet une des sources déclarées du répertoire bibliographique constitué par l’érudit. Au sujet de cette collection, voir également Jorge CEJUDO

LOPEZ, Catalogo del archivo del Conde de Campomanes, Madrid : FUE, 1975, et Jean-Michel LASPERAS, « Chronique du livre espagnol : inventaires de bibliothèques et documents de libraires dans le monde hispanique aux XVe, XVIe et XVIIe siècles », Revue Française d'Histoire du Livre, XXVIII, 1980, p. 535-557.

Chapitre 2.

Gonzalo García de Santa María (1447-1521) :