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Chapitre I : Problématique, cadre opératoire et définition des principaux concepts

I.1. Problématique, question, réponse provisoire et cadre opératoire

I.1.3. Réponse provisoire à la question de recherche

Outre les flexibilités contenues dans l’Accord sur les ADPIC évoquées comme possibles réponses à la problématique des brevets et de l’accès aux médicaments dans les pays du Sud, mais qui n’ont pas produit les effets escomptés, d’autres solutions ont été proposées, allant de la suppression des brevets à la régulation des prix des médicaments en passant par l’exonération des

15Mike Moore a été le Directeur général de l’OMC de 1999 à 2002 (voir le site internet de l’OMC).

16 En 2001, Moore Mike a prononcé la phrase suivante : « oui aux médicaments pour les pauvres et oui aussi aux brevets » (International Herald tribune, 22 février 2001), devenue depuis lors la référence pour montrer la nécessité de concilier la protection des brevets et l’accès aux médicaments.

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pays pauvres des obligations protectrices des brevets dans leurs relations commerciales internationales, la transférabilité des droits d’exclusivité, l’application des prix différenciés ou multi - niveaux selon les niveaux de développement des pays, l’augmentation des aides internationales destinées à la santé publique, les subventions ou allègements fiscaux pour la recherche médicale, « la propriété intellectuelle verte »17, les contrats ou accords d’achat anticipé (advanced market commitments ou AMC), le Fonds tenant compte de l’impact sur la santé (Health impact fund ou HIF), etc. Comme on va revenir sur la plupart de ces différentes solutions dans les développements ultérieurs, mentionnons seulement que certaines de ces solutions vont dans le sens d’un meilleur accès aux médicaments, mais qu’elles sont, elles aussi, inapplicables ou incomplètes.

Le but de ce travail de recherche n’est pas de remettre en cause le système des brevets, mais de soutenir l’idée de la nécessité d’en faire un outil de développement par la p rise en compte de l’intérêt général, sans ignorer les intérêts légitimes des chercheurs. Dans cette perspective, la solution recherchée est celle qui propose des mécanismes ou des moyens de financer la recherche de nouveaux médicaments autrement que par le système de « péage » qui, à travers les brevets, consiste à faire payer les consommateurs des médicaments. Ainsi, en vue de résoudre le problème posé par les brevets dans le domaine de la santé publique dans les pays en développement, nous posons comme réponse que les formules et les procédés de fabrication des médicaments, qui sont les biens protégés par les brevets pharmaceutiques, relèvent des biens publics mondiaux et que, comme pour tout bien public, leur production nécessite un mécanisme international de financement

17 La proposition de la « propriété intellectuelle verte » a pour but de créer un fonds international pour financer le libre accès à des médicaments « indispensables » dans les pays en développement et pour encourager la recherche destinée à lutter contre les maladies dont souffrent les populations de ces pays (OMS, 2012 : 184). Selon ses promoteurs, ce Fonds serait financé par trois sources. La première serait « une prime d’assurance sur les brevets », c’est-à-dire un supplément de 100 dollars américains qui serait facturé aux déposants et aux titulaires de brevets dans les pays développés et dans les économies émergentes. La deuxième serait une allocation financée grâce aux recettes des offices des brevets : 10% du revenu que l’OMPI tire du Traité de coopération en matière de brevets pourraient être alloués au Fonds (OMS, 2012 : 185). Enfin, 10% des revenus réalisés à l’étranger par les titulaires de brevets seraient réservés au financement du Fonds. L’aspect « vert » du Fonds résulte du fait que les fonds générés par les prélèvements supplémentaires sur les titulaires de brevets seraient utilisés pour atténuer les effets négatifs du système de brevets sur l’accès aux médicaments ou pour stimuler des innovations intéressant les pays en développement lorsque le marché ne fournit pas des incitations suffisantes (OMS, 2012 : 185). Cette proposition est critiquable à plusieurs égards : il s’agit en fait d'une sorte d’amendes imposée aux brevetés. On peut en effet craindre qu’elle ne se répercute sur le prix final, puisque le breveté voudra garder sa marge bénéficiaire, ce qui ferait que le prix supporté par le consommateur serait encore plus élevé, écartant plus davantage de patients, du Sud comme du Nord. En outre, pourquoi prélever un impôt supplémentaire de 10% sur les ventes de médicaments effectuées à l’étranger ? Si on sait que les médicaments vendus à l’étranger proviennent de quelques pays développés, cela signifie que ceux qui seront pénalisés par ce prélèvement seraient en grande partie les pays en développement, ces derniers étant ceux -là mêmes que le système était censé faciliter l’accès aux médicaments. Cette proposition de la « propriété intellectuelle verte » suggère que les ressources générées par la propriété intellectuelle doivent être frappées d’un impôt mondial qui serait par la suite reversé aux agences spécialisées des Nations-Unies et qui servirait à augmenter les chances des pays en développement de tirer parti du bien commun mondial des connaissances, et leur permettant par là même d’y contribuer à leur tour (Quéau, 2013).

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public. Ainsi, la réponse proposée par cette thèse est que la mise en place d’un Fonds international pour la recherche médicale (FIRM), ayant pour mission de racheter les brevets portant sur les nouveaux médicaments, permet l’accessibilité de ces médicaments pour les populations des pays du Sud tout en encourageant la recherche et en sauvegardant les intérêts des titulaires des brevets.

Ainsi, la réponse au problème d’accès aux nouveaux médicaments passe par des licences publiques portant sur les brevets pharmaceutiques après que ces derniers eurent été « internationalement publicisés » par une procédure de rachat rendue possible par l’instauration d’une structure internationale, pouvant être intégrée dans une institution qui s’occupe de la santé ou des brevets au niveau mondial ou dans une nouvelle institution créée à cette fin. La nouveauté de cette solution est qu’elle permet d’anticiper l’échéance des 20 ans de protection et de lever ce « péage » qui s’intercale, pendant cette longue période18, entre les médicaments et les patients qui en ont besoin. En d’autres termes, ce mécanisme de rachat des brevets pharmaceutiques par un organisme international public vise la transformation d’un bien privé en bien public mondial, en assurant la prise en charge du coût social induit par la recherche sur les médicaments. Comme pour tout bien public, ce coût doit être couvert, non pas par le consommateur uniquement, c’est-à-dire le patient à travers le prix à payer qui est abordable pour lui en fonction de ses revenus, mais également par les contribuables, ces derniers étant eux-mêmes des malades en puissance, et ce à travers les taxes et divers prélèvements, subventions et autres transferts publics. Ainsi, c’est le citoyen en général qui, à travers certains prélèvements, couvrirait tout ou partie de la charge financière nécessaire pour encourager les recherches sur les nouveaux médicaments, assurer la protection des droits des inventeurs par le rachat des droits portant sur les brevets pharmaceutiques en vue de les rendre disponibles pour toute entreprise, publique ou privée, qui voudrait produire les génériques.

L’instauration de ce fonds destiné à financer le rachat des brevets portant sur les nouveaux médicaments permettrait ainsi d’atteindre l’équilibre recherché par l’Accord sur les ADPIC et la déclaration de Doha, c’est-à-dire l’équilibre entre l’accessibilité des médicaments pour tous ceux qui en ont besoin et la sauvegarde des intérêts des titulaires de ces brevets. Par la mise en place de ce mécanisme international de financement, le problème de la protection des brevets pharmaceutiques

18 En effet, pour une personne qui souffre et qui ne peut pas recevoir un médicament disponible, simplement parce qu’il n’a pas les moyens de l’acheter en raison du monopole conféré par le brevet, ce temps de 20 ans lui paraît comme une éternité.

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ainsi que celui de l’accès des médicaments pour les populations démunies seraient réglés. En effet, en remboursant à l’inventeur ce qu’il a investi et en rémunérant ses efforts (éloignant ainsi pour lui le risque des investissements à perte), le FIRM permettrait, et ceci en faveur des titulaires des brevets, d’anticiper la fin théorique du délai de 20 ans prévu par l’Accord sur les ADPIC pour que les biens couverts par les brevets tombent dans le domaine public. Un marché solvable serait donc garanti pour les firmes innovantes, les médicaments génériques étant ensuite fabriqués et distribués à des prix abordables, voire gratuitement aux populations les plus démunies. Par ailleurs, ce mécanisme permettrait le financement des recherches sur des pathologies qui n’intéressent pas les investisseurs privés (les maladies rares ou négligées), alors qu’elles constituent une menace pour la santé publique mondiale. Ainsi, avec cette solution qui puise ses fondements dans la théorie des biens publics mondiaux, tout le monde y trouve son compte : le malade pourra être soigné, quels que soient ses revenus; l’inventeur recouvra rapidement ce qu’il a dépensé et pourra réutiliser cet argent pour d’autres recherches ou d’autres investissements, la société en général bénéficiera d’une bonne santé de sa population, tout en stimulant les recherches sur d’autres pathologies.

Cette solution propose une autre alternative que la politique « assistancielle » axée sur l’aide publique au développement ou à la solidarité internationale comme c’est le cas maintenant. La démarche privilégiée ici consiste à changer de paradigme en adoptant l’approche des biens publics mondiaux. Cette approche est novatrice dans la mesure où elle se réfère à « l’internationalisation de la santé », en référence tout à la fois à sa nature de bien public mondial, aux mouvements transnationaux des biens et des personnes, avec les menaces sanitaires qui vont avec, ainsi que l’instauration des institutions et mécanismes internationaux pour sa mise en œuvre. Cette solution s’inscrit dans le sens des recommandations de la Commission sur la propriété intellectuelle, l’innovation et la santé publique (Commission on intellectual property rights, innovation and public health, CIPIH), créée par l’OMS pour analyser les liens entre la propriété intellectuelle et l’accès aux médicaments, qui invite cette organisation à « préparer un plan mondial pour assurer le financement durable pour développer la recherche et permettre l’accès à des produits qui touchent de façon disproportionnée les pays en développement » (CIPIH report, 2006 : 187; Correa, 2009 : 148).

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