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Chapitre II : La nature du problème posé par les brevets dans l’accès aux médicaments dans

II.1. Analyse du système des brevets par rapport à la santé

II.1.1. Les fondements des brevets pharmaceutiques

Le système des brevets se fonde sur l’idée d’un compromis entre l’incitation à l’innovation et sa divulgation en vue de son utilisation pour l’intérêt public (Lévêques & Ménière, 2003 : 17). L’instauration du système des brevets est la conséquence de l’une des caractéristiques de la connaissance : la non-exclusivité. En effet, la connaissance est un bien non exclusif, c’est-à-dire qu’il est impossible d’interdire quelqu’un de son usage même si celui-ci n’a pas contribué à sa production. Ainsi, le problème que pose le savoir est celui du manque d’incitation pour les investisseurs privés à le produire puisqu’il est difficile de faire payer son usage une fois qu’il a été produit (Lévêques & Ménière, 2003 : 20). Dans son article traitant du bien-être social et l’allocation des ressources pour l’invention, Arrow (1962 : 6-7) montre que la science est un bien dont la production, de par sa nature, ne peut être prise en charge de façon optimale par le marché. Pour lui, les seuls mécanismes pour inciter à la production de la connaissance et la science sont soit le bre vet, soit le financement public42. Les brevets ont donc avant tout un but incitatif, mais les spéculations de leurs détenteurs les ont poussés à les utiliser pour des visées pécuniaires.

42L’approche actuellement privilégiée pour encourager la production de la connaissance est le recours au brevet. Mais, le recours au financement public, sous forme de subventions ou d’allègements fiscaux par exemple, est l’autre moyen de promouvoir la recherche.

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a. Le caractère incitatif des brevets

En accordant un monopole temporaire à l’inventeur, le brevet est un incitatif pour les investisseurs privés dans la production de la connaissance et la science. Théoriquement, le brevet préserve les intérêts de l’inventeur, qui reçoit l’assurance d’un retour sur son capital en lui permettant de se faire rembourser ce qu’il a investi pour la recherche et en lui procurant une certaine rémunération pour ses efforts. Ainsi, dans leur conception, les brevets constituent une incitation aux personnes, morales et privées, à investir dans les activités de recherche; l’inventeur jouissant, grâce au brevet, d’une exclusivité sur son invention pendant une durée déterminée.

En outre, le brevet, en facilitant la divulgation des inventions qui, sans eux, seraient restées secrètes, permet à d’autres chercheurs de mettre au point de nouvelles inventions, permettant ainsi d’éviter la duplication inutile des efforts de recherche en gaspillant le temps et l’énergie à « réinventer la roue ». Cela permet d’épargner les ressources en permettant aux chercheurs de se concentrer sur des recherches véritablement nouvelles (OCDE, 2009 : 107). De plus, les brevets, étant des titres, peuvent faire l’objet de transactions. Ils facilitent ainsi le développement des marchés de technologies, ce qui améliore l’allocation des ressources au sein de l’économie, e n permettant à d’autres utilisateurs d’exploiter utilement ces inventions, même s’ils n’en sont pas les auteurs (OCDE, 2009 : 109).

Dans le domaine pharmaceutique, les brevets jouent un rôle important dans la mise au point des nouveaux médicaments. En effet, deux éléments caractérisant la recherche sur les médicaments donnent plus de poids aux fondements socio-économiques des brevets dans ce domaine. D’une part, les coûts des recherches sur médicaments sont très élevés et souvent évalués à plusieurs centaines millions de dollars américains par projet. Ils sont souvent irrécupérables à cause du taux élevé des échecs puisque tous les projets de recherche n’aboutissent pas à des médicaments commercialisables (Kettler & Collins, 2002 : 34). D’autre part, bien q ue le processus de recherche et développement pour un produit soit long et risqué, dans la plupart des cas, le médicament, une fois mis au point et commercialisé, est très facile à copier et cela coûte relativement peu cher par rapport

Nous verrons dans la deuxième partie que c’est de ce côté qu’il convient de chercher la solution durable au problème d’accès des médicaments dans les pays du Sud.

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au processus de recherche. C’est ce qui explique pourquoi les firmes de génériques mettent sur le marché, très rapidement dès la fin de la validité des brevets, des médicaments génériques beaucoup moins chers. Sans la protection offerte par le brevet, les génériques vendus au coût marginal apparaîtraient sur le marché immédiatement après le lancement du nouveau produit et, dans la mesure où leurs prix sont basés uniquement sur les coûts de fabrication, sans inclure les charges liées à la recherche, cela nuirait aux intérêts légitimes de l’inventeur ou du chercheur.

b. Les spéculations sur les brevets et leurs effets sur le bien-être

Les conséquences de cette orientation économique du brevet ont été que les laboratoires ont concentré leurs activités de recherche en fonction de la rentabilité des produits et des marchés visés. Par conséquent, les recherches ont été orientées vers les maladies des pays développés. À peine 1/10ème de la recherche est consacrée à 90% des problèmes de santé dans le monde et sur les 163 médicaments produits entre 1999 et 2004, seuls trois comptaient des molécules innovantes pour les maladies tropicales (Vershave, 2004 : 229). Les laboratoires font des calculs économiques et lorsqu’il s’agit de maladies rares ou négligées, les fonds consacrés à ces dernières sont insuffisants, car, pour eux, les marchés sont étroits, petits ou encore insolvables (Guesmi, 2011 : 278).

Le modèle actuel des brevets est donc en crise, puisqu’il consiste à définir un marché et à apporter des nouveautés à ce marché. Le cercle vertueux entre les brevets et le progrès social devient vicieux, sans parler du « coût social » que cela suppose, à savoir de s’occuper, non pas les maladies, mais des malades qui disposent des capacités financières suffisantes de payer les prix élevés auxquels les firmes et les laboratoires pharmaceutiques commercialisent leurs nouveaux médicaments brevetés (Guesmi, 2011 : 414-415). Au sein même des pays industrialisés, comme les États-Unis, la recherche est orientée vers le marché solvable des malades riches ou assurés et les individus à faibles revenus (puisqu’ils existent aussi dans ces pays) n’ont pas accès aux médicaments et aux soins, en raison de revenus insuffisants qui ne leur permettent pas de se les payer ou de souscrire à une assurance (Guesmi, 2011 : 423). Ainsi, le renforcement des règles de la propriété intellectuelle par l’Accord sur les ADPIC a eu pour effet d’instaurer le monopole sur le commerce des médicaments, causant l’augmentation de leurs prix, favorisant une discrimination des marchés et conduisant à l’exclusion de l’accès aux médicaments pour les personnes à faibles revenus (Correa, 2010 : 33).

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C’est pour cette raison que plusieurs auteurs estiment que la protection des brevets pharmaceutiques ne contribue pas d’une manière effective au progrès du bien-être social de l’humanité, mais seulement pour quelques privilégiés (Coriat & Orsi, 2003 : 9). En effet, on va voir, dans le paragraphe suivant, que les apports des brevets dans le progrès social ne sont pas évidents, l’Accord sur les ADPIC étant d’ailleurs moins affirmatif à ce sujet.