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Chapitre IV : Les solutions non juridiques proposées pour résoudre le problème d’accès au

IV.2. Les solutions fondées sur les compensations financières aux brevets pharmaceutiques

IV.2.2. Les garanties d’achat ou de marché

Que signifient les garanties anticipées d’achat et comment fonctionnent-elles ? Que peuvent être leurs avantages ou leurs inconvénients ?

a. Définition des garanties de marché anticipées

Les garanties d’achat à l’avance, encore appelées « engagements anticipés d’achat » (advanced market commitment ou AMC), sont des contrats juridiquement contraignants107 entre les chercheurs ou laboratoires pharmaceutiques et les bailleurs de fonds, composés essentiellement par des donateurs (les pays, les organisations internationales, les ONG, les Fondations, etc.). Ces derniers garantissent l’achat futur de médicaments qui sont dans leur phase de développement. En échange, les chercheurs s’engagent à fournir une certaine quantité de leurs produits à un prix fixe négocié préalablement (Hoffman, 2012 : 55-56). Les AMC sont une sorte de prix à l’innovation qui garantissent un marché aux laboratoires de recherche en promettant un marché et une récompense à l’innovateur qui sera le premier à mettre au point et à produire un méd icament qui répond à certaines spécifications. Ainsi, les AMC visent à créer un marché pour les médicaments en mettant en place des contrats entre les chercheurs et les éventuels acheteurs. En général, les AMC récompensent les premiers lots de médicaments ou de vaccins livrés dans le cadre de ces engagements de produire et de fournir ces médicaments au faible coût dans les pays du Sud pendant une période déterminée pendant laquelle ils ne pourront pas faire valoir leurs droits de propriété intellectuelle sur leurs inventions. Les AMC permettent aux entreprises de continuer à faire des profits sur ces médicaments dans les marchés riches, en continuant d’exploiter le régime actuel de la propriété intellectuelle (Zealand, 2012 : 6-8). Si ce mécanisme était mis en place à une plus grande échelle et devenait fonctionnel, il pourrait être un incitatif pour les recherches sur les maladies négligées, étant donné qu’il garantit l’achat de ces médicaments une fois mis au point. En effet, pouvant être considérés comme des compléments au système actuel des brevets, ces contrats présenteraient l’avantage de réduire les risques associés à un manque de marché, en créant des marchés qui sont assez fiables pour stimuler l’investissement privé dans la recherche sur les

107 En effet, pour que ces programmes soient efficaces, il faut que les chercheurs potentiels soient convaincus que les parrains du programme ne reviendront pas sur leur engagement d’achat. En fait, les tribunaux ont jugé que des engagements publics analogues portant sur l’achat de biens précis constituent des contrats juridiquement contraignants et que les décisions de lancer de tels programmes par des parties indépendantes engagent leurs auteurs.

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médicaments portant sur les maladies négligées, encourageant les firmes et les laboratoires à investir dans la Recherche et le développement de médicaments sur ces pathologies (Hoffman, 2012 : 57).

En outre, malgré le fait qu’il n’ait été utilisé que d’une façon limitée et marginale, le mécanisme des AMC a déjà montré ses preuves dans le cadre des médicaments antipaludéens à des prix abordables, programme pilote géré par le Fonds mondial, les bas prix négociés avec les producteurs de médicaments, en échange d’un marché assuré et d’une subvention temporaire (ONU, 2012 : 19). Les AMC ont également été particulièrement intéressants dans le cas des projets de recherche sur les vaccins. En effet, les vaccins offrent le meilleur espoir d’une solution durable à long terme au problème des maladies infectieuses. Ils sont plus faciles à livrer que les médicaments et n’ont pas à être administrés par des médecins. Or, parce que les sociétés pharmaceutiques estiment avoir peu de chances de récupérer leurs frais de recherche-développement sur les vaccins, peu de recherche privée est consacrée aux vaccins contre plusieurs pandémies mondiales comme la tuberculose, les maladies virales, etc. Un moyen pour les organisations internationales, les pays ou les fondations de stimuler la recherche sur ces vaccins consiste à s’engager à acheter ces vaccins lorsqu’ils auront été mis au point. Un tel engagement d’achat constitue non seulement une incitation à mettre au point ces vaccins, mais également une garantie que le prix ne fera pas obstacle à l’utilisation de ces vaccins par les populations (Kaul, & al., 2002 b : 70-72). C’est d’ailleurs dans le secteur des recherches de vaccins qu’on trouve les exemples d’AMC qui ont bien fonctionné. Après avoir été mis en œuvre en 2009 pour la recherche d’un vaccin contre les pneumocoques, les AMC se sont révélés comme pouvant constituer une méthode susceptible de rendre les médicaments accessibles pour les populations des pays du Sud. Établi entre Pfizer, GlaxoSmithKline et un consortium de gouvernements (Canada, Italie, Norvège, Russie et Royaume-Uni) et de la Fondation Gates, cet AMC a donné lieu à un vaccin qui a depuis été distribué à moindre coût dans de nombreux pays en développement (Hoffman, 2012 : 57). Ce programme pilote de mécanisme de garantie de marché pour les vaccins contre le pneumocoque avait mobilisé 1,5 milliard de dollars américains de financement auprès de sources bilatérales et philanthropiques (ONU, 2012 : 19).

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b. Les inconvénients des AMC

Les AMC présentent néanmoins quelques inconvénients majeurs. Tout d’abord, les politiques et les lobbies jouent certainement un rôle dans la détermination des projets de recherche à financer. On comprend ici que l’objectivité dans la détermination des projets à accorder les garanties d’achat peut être compromise. Ensuite, chaque récompense doit définir des objectifs bien précis, spécifiant clairement la maladie que le médicament doit attaquer. En effet, un AMC est spécifique à une seule maladie et est financé en fonction de la volonté des donate urs, la représentation disproportionnée du VIH/SIDA dans les AMC suggère la difficulté de la sélection d’une maladie parmi la multitude de celles négligées (Zealand, 2012 : 7). Cette spécificité est problématique, car elle suppose des connaissances avancées sur la maladie ou le médicament à produire alors que c’est précisément l’acquisition de ce genre de connaissances qui doit encore être encouragée. Par conséquent, le cahier des charges de l’AMC peut être trop exigeant, avec le résultat que les innovateurs donnent des efforts inutiles même s’ils avaient déjà une solution recherchée d’une manière générale. Il peut aussi être insuffisamment exigeant, avec le résultat que les innovateurs, pour économiser temps et argent, fournissent des produits qui sont à pe ine assez bons pour gagner le prix ou la récompense, même quand ils auraient pu faire mieux à peu de frais.

En outre, la forme que doit prendre la récompense doit être déterminée à l’avance. Or, rien ne permet au décideur public de déterminer un montant avant que la recherche ne commence. Il y a lieu donc de craindre que les potentiels bailleurs de fonds des AMC soient submergés par des demandes de récompense pour d’hypothétiques ou improbables inventions. Enfin, les AMC sont certes intéressants pour stimuler la recherche sur les maladies négligées, mais ils ne concernent pas les médicaments qui sont déjà sur le marché que les populations des pays du Sud n’ont pas accès alors qu’ils en ont besoin maintenant. La solution recherchée dans la présente étude est de permettre l’accès à ces médicaments existants et non d’attendre d’hypothétiques découvertes qui viendront plus tard ou même pas. C’est certainement cela qui a incité Pogge et son équipe de monter un autre mécanisme, qui reste encore au stade de proposition, mais qui est intéressant à analyser étant donné qu’il a beaucoup d’éléments de ressemblance avec la solution envisagée par cette thèse dans le but d’apporter une réponse satisfaisante à la question de l’accès aux nouveaux médicaments brevetés dans les pays en développement. Le mécanisme proposé par Pogge et son équipe porte le

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nom de « Fonds tenant compte de l’impact sur la santé »108, mais il est préférable de garder son appellation anglaise de « Health impact fund » que les initiateurs du projet lui ont donnée.