• Aucun résultat trouvé

La complémentarité du droit et de la science politique dans la problématique des brevets et l’accès

Chapitre I : Problématique, cadre opératoire et définition des principaux concepts

I.1. Problématique, question, réponse provisoire et cadre opératoire

I.1.5. La complémentarité du droit et de la science politique dans la problématique des brevets et l’accès

La problématique des brevets pharmaceutiques et de l’accès aux médicaments dans les pays en développement renvoie à la question du lien entre le droit et les objectifs politiques recherchés lors de son adoption et illustre la complexité des rapports entre ces deux champs (Guesmi, 2011 : 21). En effet, les instruments d’analyse qu’offre la technique juridique ne permettent pas d’apporter une réponse satisfaisante au problème posé. En effet, si le problème s’est d’abord manifesté en termes juridiques, le droit, à lui seul, ne peut expliquer l’entièreté de la problématique ni

20 En effet, selon Chalmers (1997 : 44), on ne peut jamais dire d’une réponse qu’elle est vraie, même si elle a surmonté victorieusement des tests rigoureux, mais on peut seulement dire qu’elle supérieure à celles qui l’ont précédée au cas où elle est capable de résister aux tests qui ont disqualifié ces dernières (Chalmers, 1997 : 44).

19

apporter une réponse satisfaisante aux différentes implications sociales et économiques de la question des brevets et de l’accès aux médicaments dans les pays en développement. Plusieurs auteurs et chercheurs ont essayé d’analyser l’Accord sur les ADPIC et les autres traités connexes, d’interpréter leurs règles et de décrire autant que possible le fonctionnement du système international des brevets, mais sans arriver à proposer des solutions crédibles à cette problématique. Se contenter de l’étude du droit dans cette problématique ne présente plus guère d’intérêt puisqu’elle est complexe avec plusieurs éléments qui entrent dans son explication. Certains éléments du problème relèvent des questions économiques, d’autres s’expliquent par une logique politique, sans oublier les considérations d’ordre social, éthique, etc. L’interdisciplinarité constitue donc « un te rreau fertile » (Le Prestre & al., 2009 : 6) pour son analyse puisque les « approches disciplinaires » ont montré leurs limites sur certains enjeux qui entrent dans son explication. Ainsi, la démarche interdisciplinaire qui est privilégiée dans ce travail va consister à ajouter à l’approche juridique une analyse politique de l’action internationale en faisant une adaptation des concepts provenant du Droit à la science politique et vice-versa. Ainsi, cette combinaison du droit et de la science politique permet d’analyser les tensions entre l’énonciation des principes et les orientations souhaitables par la communauté internationale et les difficultés de leur mise en œuvre (Roche, 2005 : 14). Au-delà de l’analyse juridique formelle, c’est donc une analyse sur le fond que nous allons faire en prenant en compte les dimensions politiques et socioéconomiques de la question et une analyse pluridisciplinaire permet de mettre en exergue les enjeux sous-jacents en vue de résoudre ce problème face auquel on éprouve un sentiment d’incomplétude des solutions proposées par l’approche juridique qui était privilégiée jusqu’ici (Guesmi, 2011 : 54-60). Pour cela, le concept de biens publics mondiaux, tiré de la science politique, est mis en contribution dans la compréhension et la résolution du problème posé par le droit. Mais, la notion de « bien » qui est mal appréhendée en science politique est précisée par le droit qui en apporte une définition précise. Ainsi, la complémentarité de ces deux disciplines dans ce cas devient circulaire : la science politique complète le droit, qui la complète à son tour dans la définition des concepts qui entrent en jeu dans la résolution du problème.

En outre, l’approche axée sur la science politique permet de s’interroger sur les limites du système actuel des brevets qui privilégie une gestion internationale privée des médicaments en laissant toute la liberté au marché et aux acteurs privés qui visent essentiellement la maximisation de leurs profits (Hugon, 2004 : 270). Tout en admettant la pluralité des objectifs, cette approche pose

20

comme principe la primauté de l’intérêt général, notamment lorsque l’intérêt collectif est menacé. En posant ce postulat, l’approche politique implique une conception des biens publics mondiaux qui pose les limites à l’autorégulation des décisions individuelles par la seule main invisible du marché (Boidin, & al., 2008 : 7).

Enfin, la recherche d’une solution « politique » à la problématique des brevets a été entreprise dans le cadre des négociations du cycle de Doha, les membres de l’OMC ayant constaté les limites des solutions juridiques contenues dans l’Accord sur les ADPIC et les autres Accords régissant le commerce international. En reconnaissant l’importance de la question de l’accès aux médicaments et de l’urgence de trouver des solutions adaptées, la déclaration de Doha a été « le coup d’envoi d’une action politique internationale en faveur de la santé mondiale » (Guesmi, 2011 : 306). Même si cette déclaration n’a pas été suivie des mesures à la hauteur des enjeux21, les membres de l’OMC ont reconnu l’existence d’incidences des brevets sur l’accès aux médicaments. Les négociations qui ont suivi cette déclaration ont abouti à la relecture de l’Accord sur les ADPIC, traduite par l’adoption par le Conseil général de l’OMC de la décision du 30 août 2003 portant mise en œuvre du paragraphe 6 de la déclaration de Doha sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique, suivie en décembre 2005 par le seul amendement à ce jour d’un accord de l’OMC, rendant permanente la dérogation de l’article 31f de l’Accord sur les ADPIC en faveur de la santé publique des pays qui sont dépourvus d’infrastructures locales de production des médicaments (Guesmi, 2011 : 306), amendement qui n’est toujours pas officiellement entré en vigueur comme on le verra plus loin dans les développements ultérieurs.

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de préciser ce qu’on entend, dans ce travail, par certains concepts clés, comme « brevets pharmaceutiques », « pays en développement ou du Sud », « pays riches ou du Nord », « médicaments génériques », « médicaments princeps, originaux ou spécialités », etc. Toutefois, cette section ne reprend pas les concepts qui seront définis et développés en détail ultérieurement comme les importations parallèles, les licences obligatoires, etc.

21 On verra plus tard que la décision d’aout 2003 et l’amendement de 2005 adoptés dans la suite de la déclaration de Doha n’ont pas produit les effets escomptés.

21