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Chapitre II : La nature du problème posé par les brevets dans l’accès aux médicaments dans

II.1. Analyse du système des brevets par rapport à la santé

II.1.2. Les brevets et la promotion du bien-être social

La législation sur la propriété intellectuelle n’a pas uniquement pour but de promouvoir les droits des titulaires des titres de propriété intellectuelle. Elle tient aussi compte d’autres impératifs, notamment le progrès et la promotion du bien-être social. L’article 7 de l’Accord sur les ADPIC fournit un cadre dans lequel les pays sont susceptibles de se référer pour y arriver. En effet, le rôle des droits de propriété intellectuelle dans la promotion du bien-être social, y compris la bonne santé indispensable à l’épanouissement des populations, est stipulé à l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC, même si l’usage du conditionnel dans ce type de traité n’est pas fréquent et nécessite quelques observations.

a. Le rôle des brevets dans la promotion du bien-être social

La légitimité du système des brevets repose sur l’hypothèse d’un cercle vertueux entre le respect des règles de protection de l’innovation, la diffusion des technologies et l’amélioration du bien-être social de la société. L’article 7 de l’Accord sur les ADPIC détermine les objectifs en stipulant que la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle « devraient contribuer à la promotion de l’innovation, au transfert et à la diffusion des technologies, à l’avantage mutuel de ceux qui les génèrent et de ceux qui utilisent les connaissances techniques ainsi créées d’une manière propice au bien-être social et économique ». Ainsi, le renforcement de la protection des droits de propriété intellectuelle est destiné, à travers l’innovation et le transfert de technologie, à contribuer « au bien-être social et économique », le tout à l’avantage de ceux qui génèrent ces innovations et ceux qui les utilisent.

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Rapportée au secteur pharmaceutique, et par conséquent à la santé, cette disposition vise à sauvegarder les intérêts aussi bien des inventeurs que des utilisateurs des médicaments que sont les patients pour qui les produits pharmaceutiques sont essentiels pour leur vie. En principe, les droits des uns et des autres devraient être préservés si l’on s’en tient à l’énoncé de l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC. Bien protégés, les brevets pharmaceutiques devraient théoriquement stimuler le progrès de la médecine en encourageant l’innovation, les firmes pharmaceutiques profitant des retombées de leurs investissements en temps et en argent; les populations et la société en général bénéficiant de la bonne santé apportée par ce progrès de la médecine. Ainsi, l’équilibre entre les intérêts des titulaires des brevets pharmaceutiques, de ceux des patients et de ceux de la société en général est théoriquement préservé. Toutefois, alors que les obligations et les mesures d’application ont été adoptées et mises en œuvre, les progrès et le bien-être sociaux ne sont pas au rendez-vous dans les pays en développement. D’ailleurs, les termes de l’Accord à ce sujet sont si ambigus que l’on se demande si les signataires de ces derniers en étaient conv aincus. Non seulement l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC promet une contribution, et même cette contribution est conditionnelle.

b. Une contribution au bien-être social qui est conditionnelle

L’article 7 de l’Accord sur les ADPIC ne prévoit seulement qu’une contribution, ce qui laisse penser ou supposer qu’il existe d’autres facteurs ou éléments qui doivent entrer en jeu pour atteindre les objectifs assignés aux droits de propriété intellectuelle. Le problème est que ces autres facteurs ne sont ni précisés, ni même définis à titre indicatif ou au moins dans leurs caractéristiques générales, on ne connaît pas non plus dans quelle mesure et dans quelle proportion cette contribution sera effectuée. Le fait que l’Accord sur les ADPIC ne promet qu’une simple contribution implique que l’on ne peut pas le remettre en cause d’autant plus qu’il sera toujours possible d’évoquer d’autres causes, qui sont en dehors de l’Accord lui-même et qui viendraient expliquer la non-réalisation des objectifs qu’il avait pour but d’atteindre.

En outre, en plus de ne promettre qu’une contribution, celle-ci est incertaine. En effet, le problème des dispositions contenues dans l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC est qu’il est rédigé au conditionnel, ce qui limite considérablement l’appréciation de l’engagement des États, en enlevant toute obligation, les dégageant de leur responsabilité et en rendant la portée juridique de cette

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disposition très minime. Il n’est pas fréquent de trouver des traités internationaux avec des dispositions énoncées au conditionnel. En tout cas, cela ne doit pas se trouver dans un traité au sens du droit international. En effet, l’usage du conditionnel réduit la possibilité de classer les engagements pris par les membres de l’OMC dans les catégories classiques des obligations (obligations de moyens, de résultat et de garantie)43.

La nature programmatrice de l’article 7 de l’Accord sur les ADPIC indique que c’est une simple recommandation en ce qui concerne le bien-être socio-économique et le transfert des technologies. En effet, à bien l’analyser, on remarque que cette disposition ne donne que des orientations générales et prospectives, énoncées sous forme de programme, exprimant un vœu formulé à l’endroit des États. Même si cette disposition note la nécessité pour les États de trouver un équilibre entre les droits et les obligations qui découlent de l’Accord sur les ADPIC, elle ne donne aucune indication sur la façon dont les États doivent procéder pour réaliser cet équilibre. Dans l’ensemble, cette disposition ne contient que des principes généraux non susceptibles de déboucher sur des obligations juridiques précises et déterminées. Les buts et les objectifs étant exprimés d’une manière solennelle sous une forme générale, les obligations sont ainsi atténuée s par l’utilisation du conditionnel qui les rend encore plus vagues. En cela, elles ne se différencient guère des engagements non contraignants (Carreau, 2010 : 255).

En effet, avec l’usage du conditionnel, il ne s’agit même pas d’une « obligation de moyens » par laquelle les pays seraient tenus d’agir avec diligence, ce qui est, en droit des contrats, le critère minimal d’évaluation de l’exécution des obligations convenues44. En deçà de l’obligation de moyens ou de diligence, on tombe dans le non juridique et cela est surprenant de trouver ce genre de disposition dans un Accord qui instaure des obligations juridiquement contraignantes et susceptibles

43 En droit des obligations, on distingue entre les obligations « de s’efforcer de faire quelque chose » et les obligations « d’aboutir à quelque chose » (Combacau, 1991: 51). La première concerne les obligations de diligence mises en œuvre par l’État, celles que l’on est en droit de s’attendre de lui, c’est-à-dire le comportement dans l’ordre international d’« un État bien gouverné », équivalant dans l’ordre interne aux standards de comportement de diligence (Combacau, 1991: 53). L’obligation d’aboutir à quelque chose se situe à un niveau supérieur, équivalant à l’obligation de résultat en droit interne, ce qui signifie que les contractants s’engagent à « livrer la marchandise », sauf s’ils prouvent l’existence d’un cas de force majeure. Les obligations internationales des États sont typiquement et essentiellement des obligations de comportement au sens d’obligation de s’efforcer. Plus que d’autres domaines du droit international général, le droit international à finalité économique est caractérisé par la volonté de ses promoteurs de donner à leurs engagements réciproques un caractère souple et évolutif. Plus sans doute que d’autres secteurs du droit international, le droit international économique paraît se situer dans une sorte de négociation permanente au sein de laquelle la fixation d’objectifs programmatoires joue souvent un rôle important.

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d’être sanctionnées dans le cadre du système de règlement des différends de l’OMC. Ce procédé, approprié pour les déclarations de conférences diplomatiques, présente ce qui est souhaitable, et est souvent utilisé dans le cadre des engagements de caractère volontaristes ou humanitaires, tels que les engagements d’aide ou d’assistance aux pays sous-développés. Dans ces domaines, les règles sont moins rigoureuses, plus malléables et souvent floues (Daillier, 2009 : 1168-1169). Les pays, qui ne sont pas satisfaits par le fait que les objectifs attendus n’ont pas été atteints, se trouvent dépourvus d’arguments, puisque le conditionnel exclut toute appréciation des manquements à l’Accord sur les ADPIC ou du fautif45 (Daillier, 2009 : 1427). C’est ce qui se produit actuellement dans le secteur de la santé publique où les pays du Sud disposent peu de manœuvres pour protége r la santé de leurs populations depuis l’adoption de l’Accord sur les ADPIC.

De ce qui précède, il apparaît que, dans le cas des problèmes d’accès aux médicaments, on ne peut pas invoquer l’article 7 pour remettre en cause le système actuel des brevets en alléguant que les objectifs fixés n’ont pas été atteints. L’Accord sur les ADPIC ne promet rien, sauf une contribution aléatoire ou conditionnelle46. Or, la protection des droits de propriété intellectuelle est renforcée à travers les autres dispositions de l’Accord et sur ce point, celui-ci définit et précise, d’une manière détaillée, le contenu des obligations contraignantes pour les États. On ne trouve nulle part les mêmes précisions par rapport au bien-être socio-économique des États membres à travers les différentes dispositions de l’Accord sur les ADPIC (Ituku, 2007 : 354). L’équilibre des dispositions est donc rompu dès le départ au sein même de cet Accord. Mais, plus que cela, la vocation du brevet était de permettre à la société de profiter de l’innovation dont la vocation du brevet est précisément de la faire circuler. Mais comment la société peut-elle profiter des progrès de la médecine, alors que le prix s’est rapidement dressé comme une barrière à la diffusion de cette innovation protégée, et s’est posé comme l’entrave à l’accessibilité des médicaments (Guesmi, 2011 : 431), comme on va le voir dans la section suivante ?

45Il suffit de penser pour s’en convaincre de l’objectif fixé en 2000, à New York lors de la Conférence des Nations Unies sur les OMD, de consacrer au moins 0,7% du PIB des pays développés à l’aide au développement des pays du Sud. À ce jour, seuls quelques pays scandinaves (la Norvège, la Suède, le Danemark), les Pays-Bas et le Luxembourg respectent cet engagement (OCDE, 2012 : 204). 46Certains suggèrent à juste titre que, dans le texte de l’Accord sur les ADPIC, le verbe « devoir » devrait être conjugué au présent plutôt qu’au conditionnel à l’article 7 et se substituer au verbe « pouvoir » au premier paragraphe de l’article 8 (Guesmi, 2011 : 505).

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II.2. Les effets des brevets sur l’innovation et l’accès aux médicaments dans les