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Chapitre III : Les flexibilités de l’Accord sur les ADPIC et leurs limites à résoudre le problème

III.2. Le recours aux importations parallèles

III.2.1. Le principe de l’épuisement des droits du breveté

Comme il a été mentionné précédemment, la légalité des importations parallèles découle de l’article 6 de l’Accord sur les ADPIC qui encadre l’épuisement des droits de propriété intellectuelle. Dans la définition des importations parallèles, il est essentiel de comprendre la notion et le contenu de l’épuisement des droits. L’article 6 de l’Accord laisse à chaque membre la liberté d’incorporer le principe de l’épuisement international des droits, qui légitime les importations parallèles , dans sa législation nationale. Il faut enfin noter que toutes les importations des médicaments brevetés ne sont pas toujours parallèles.

a. Le contenu de la notion d’épuisement des droits du breveté

L’article 6 de l’Accord sur les ADPIC dispose qu’« aux fins du règlement des différends dans le cadre de l’Accord, et sous réserve des dispositions des articles 3 et 465, aucune disposition de l’Accord ne sera utilisée pour traiter la question de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle ». L’énoncé de cette disposition stipule donc une exception à la recevabilité, ce qui implique que l’ORD jugera irrecevable toute plainte qui lui sera soumise qui remet en cause le principe d’épuisement des droits. Les droits exclusifs du titulaire du brevet ne peuve nt être revendiqués en

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cas d’importation des produits commercialisés avec son consentement dans tout autre pays et, en vertu de cette disposition, aucun État ne peut se plaindre d’une violation de l’Accord sur cette base. Ainsi, un droit de propriété intellectuelle s’épuise dès le moment que le produit breveté est commercialisé par le breveté. Celui-ci ne pourra alors plus intenter une action en vue de contrôler sa circulation ultérieure. En effet, le brevet confère seulement un monopole sur l’invention (c’est-à-dire sur le savoir-faire) et sur la première vente ou mise en circulation, et non sur la circulation elle -même, y compris l’importation et la revente de ce produit sur d’autres marchés, et ce n’importe où sur la planète. Le titulaire du brevet conserve le droit exclusif de fabriquer le produit breveté et de le mettre sur le marché, mais à partir de ce moment, il n’a plus de droits sur le produit lui-même. Le détenteur du brevet ne peut pas continuer à exercer un contrôle sur l’utilisation des biens qu’il a introduits sur les marchés, ou dont il a autorisé la commercialisation par un preneur de licence.

En vertu de ce principe d’épuisement des droits, les droits qui découlent du brevet sur ce produit sont consommés, donc « épuisés », dès que le détenteur du brevet commercialise ce produit ou donne son accord à sa mise sur le marché (Correa & Velasquez, 2010 : 36-37). La théorie de l’épuisement des droits est fondée sur l’existence d’une licence implicite selon laquelle l’acquéreur du produit est libre de traiter le produit comme étant son propriétaire de plein droit. En effet, la vente d’un produit autorise l’acquéreur à exercer tous les droits normaux d’un propriétaire étant donné que l’acheteur, par l’acte d’achat, acquiert tous les droits portant sur ce produit puisqu’il lui appartient désormais, y compris le droit de le revendre (l’abusus) (Correa, 2011 : 36-37). Ainsi, le principe de l’épuisement des droits trace une frontière entre le monopole légal de l’inventeur et la liberté des acquéreurs successifs du bien breveté vendu.

Par conséquent, la logique de l’article 6 de l’Accord sur les ADPIC est que, lorsqu’un produit breveté a été vendu dans un pays66, il peut être revendu dans n’importe quel autre membre de l’OMC, et cela ne porte pas atteinte aux droits du titulaire du brevet. En stipulant que tout objet mis régulièrement67 dans le commerce échappe dès ce moment au droit exclusif du breveté et fait l’objet du libre commerce, elle a pour objet d’empêcher que le breveté puisse prétendre contrôler tout le

66La Cour européenne de justice a accepté le principe des importations parallèles même dans les cas où le produit n’était pas protégé par un brevet dans le pays exportateur (Merck & Co. vs. Primecrown Ltd., décembre 1996).

67Il est entendu que la mise dans le commerce d’un produit breveté est régulière ou licite lorsqu’elle est conforme à l’article 28 al.2 de l’Accord sur les ADPIC.

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processus de commercialisation des produits (Guesmi, 2011 : 264-265). L’épuisement des droits du brevet n’est pas soumis à l’opinion ou au consentement du détenteur du brevet, l’épuisement des droits est automatique, l’inventeur ayant été rémunéré par la première vente ou mise en circulation du produit (Correa, 2011 : 38). En effet, il suffit de déterminer que le produit a été introduit sur le marché de façon légale pour que le principe de l’épuisement des droits s’applique et sans restrictions.

b. La licéité de l’épuisement international des droits du breveté

Bien que l’article 6 laisse aux membres une grande latitude pour définir leur politique à l’égard d’importations parallèles, la doctrine de l’épuisement international des droits appliquée aux brevets reste controversée tant sur le plan juridique que sur le plan économique. Certains auteurs estiment que la théorie de l’épuisement des droits serait contraire au droit exclusif d’importation conféré par l’article 28 de l’Accord sur les ADPIC. On a aussi fait valoir que la doctrine de l’épuisement international des droits était contraire au principe de la portée territoriale et de l’indépendance des droits de brevet établi par la Convention de Paris de 1883. Même si le caractère illicite des importations parallèles peut être discuté et contesté, il faut reconnaître la pertinence de leurs observations qui traduisent une fois de plus une incohérence de l’Accord sur les ADPIC. En principe, l’importation d’un produit breveté par une autre personne que le bre veté, sans l’autorisation de ce dernier, serait illicite puisque le monopole conféré par l’article 28 de l’Accord sur les ADPIC comprend non seulement le droit exclusif de fabriquer et d’exploiter le produit breveté, mais aussi le droit de l’importer si le titulaire le fabrique lui-même, ou a accordé une licence d’exploitation de son brevet, dans un autre pays.

La note de bas de page 6 à laquelle renvoie l’article 28.1 de l’Accord sur les ADPIC précise que « ce droit [d’importation] comme tous les autres droits conférés en vertu de l’Accord en ce qui concerne l’utilisation, la vente, l’importation ou d’autres formes de distribution de marchandises, est subordonné aux dispositions de l’article 6 ». La note de bas de page 13 correspondant à l’article 51 ajoute qu’« il est entendu qu’il ne sera pas obligatoire d’appliquer ces procédures68 aux importations de marchandises mises sur le marché d’un autre pays par le détenteur du droit ou avec son consentement ». Ainsi, l’article 28 est subordonné à l’article 6 et ne peut faire l’objet de procédures

68 Les procédures que mentionne cette note renvoient aux mesures administratives que doivent prendre les autorités douanières, sur demande du breveté, en cas d’importations suspectes ou irrégulières.

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de règlement de différends au sein de l’OMC. Le dispositif de l’article 6 est donc une exception au régime général des brevets consacré par l’article 28 de l’Accord sur les ADPIC, et c’est la théorie de l’épuisement des droits qui est à la base de la licéité des importations parallèles. Cela permet de conclure avec certitude que les importations parallèles sont juridiquement autorisées par l’Accord sur les ADPIC ou du moins ne s’y oppose dans aucune de ses dispositions.

En outre, les principes généraux du GATT plaident également en faveur des importations parallèles. En vertu de l’article III du GATT de 1947 (traitement national), les pays membres doivent traiter les produits importés d’une manière qui ne soit pas moins favorable que les produits similaires d’origine nationale (article III.4), et les membres ne peuvent pas appliquer à ces produits des restrictions « autres que des droits de douane, taxes ou autres impositions » (article XI.1). L’interprétation de ces dispositions laisse déduire que non seulement les importations parallèles sont légales, mais également que le GATT impose même aux membres de l’OMC de ne pas interdire ces importations. Ainsi, la reconnaissance du principe de l’épuisement international dans l’Ac cord sur les ADPIC peut être considérée comme un résultat logique du processus de mondialisation économique entamé par la signature du GATT en 1947 (Correa, 2011 : 38). En effet, le commerce parallèle s’inscrit dans la suite logique de la concurrence et la compétitivité et se nourrit de la différence des prix d’un pays à l’autre en raison notamment des politiques de l’emploi et de protection sociale qui sont souvent nationales69 (Weder & Barsuglia, 2006 : 33).

Enfin, la légalité des importations parallèles est aussi consacrée par la jurisprudence internationale. Dans l’affaire Merck & Co inc. contre Stephar BV & Petrus Stephanus Exler du 14 juillet 198170, qui semble d’ailleurs avoir inspiré la rédaction de l’article 6 de l’Accord sur les ADPIC (Ituku, 2007 : 366), la CJCE a jugé que

la fonction et la substance du droit des brevets résident dans l’octroi à l’inventeur d’un droit exclusif de première mise en circulation du produit. Ce droit de première mise en circulation, en lui réservant le monopole d’exploitation de son produit, permet à l’inventeur d’obtenir la

69 Même dans les grands ensembles qui sont suffisamment avancés sur le plan de l’intégration comme l’Union européenne, les politiques sur le plan de l’emploi et des normes sociales relèvent presque exclusivement des compétences des États membres. 70Dans l’affaire opposant Merck & Co. Inc. et Stephar BV, Petrus Stephanus Exler relative à l’interprétation des règles du traité CEE relatives à la libre circulation des marchandises en particulier de l’article 36, en rapport avec le droit de brevets, la Cour a jugé les dispositions de l’article 36 doivent être comprises qu’elles s’opposent à ce que le détenteur d’un brevet au titre d’un médicament qui vend ce médicament dans un premier État membre où la protection par brevet existe, puis le commercialise lui-même dans un autre État membre où cette protection n’existe pas, puisse faire usage du droit que lui confère la législation du premier État membre d’interdire la commercialisation dans cet État dudit produit importé de l’autre État membre (CEE, 1981 : 5).

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récompense de son effort créateur. […]. Dans ces conditions, permettre à l’inventeur ou à ses ayants droit de se prévaloir du brevet qu’ils détiennent pour s’opposer à l’importation du produit commercialisé librement par eux dans un autre membre entrainerait un cloisonnement des marchés nationaux […]71.

De ce qui précède, il ressort que les importations parallèles des médicaments sont légales et libres de restrictions, si on ne tient pas compte des autres règlementations spécifiques. En effet, les importations parallèles des médicaments sont aussi soumises aux mêmes règles d’importation que n’importe quelle autre marchandise importée (les procédures d’importation, les règles en matière de droits de douane et autres taxes intérieures, etc.).

c. Les importations des médicaments ne sont pas toujours parallèles

Par définition, on parle d’importations parallèles des produits brevetés lorsque celles -ci se font en marge d’une structure de production ou de distribution mise en place par le titulaire du brevet ou son représentant. Lorsqu’une telle structure n’existe pas, il ne s’agit pas d’importations parallèles, mais d’importations tout court. Si on peut parler d’importations parallèles dans les pays développ és ou émergents qui disposent localement de capacités ou d’infrastructures de production de médicaments, de telles structures existent rarement dans les pays en développement, encore moins dans les pays les moins avancés (PMA). Il n’y a donc pas de production locale à laquelle les importations viendraient se superposer. Par ailleurs, le brevet étant un titre national, c’est un abus de langage de parler d’importations parallèles pour ces PMA, les inventeurs des nouveaux médicaments n’y déposent pas de demande de brevet, étant donné qu’ils savent que ces PMA n’ont pas l’obligation de leur accorder cette protection puisque l’Accord sur les ADPIC ne leur y contraint pas, au moins jusqu’en 2021 pour l’ensemble de ces pays (OMC, 2013) et indéfiniment pour ceux qui manifesteront cette intention individuellement auprès de l’OMC (article 66 de l’Accord sur les ADPIC).