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Chapitre I : Problématique, cadre opératoire et définition des principaux concepts

I.2. Définition des principaux concepts

I.2.4. Les concepts relatifs au niveau économique des pays

Il est difficile de dégager des définitions simples et uniformes des concepts « pays développés, pays en développement ou pays émergents ». Les différentes organisations internationales qui emploient ces termes pour accorder à leurs membres des avantages différenciés ne retiennent que des critères qui leur sont propres et le nombre des pays classés dans telle ou telle autre catégorie varie d’une organisation à l’autre et diffère largement, leur nombre pouvant parfois aller du simple au double, ce qui rend difficile la possibilité de dégager des critères de classificatio n. Le PNUD considère qu’est développé un pays ayant l’indice de développement humain (IDH) supérieur ou égal à 0,8; ce qui concerne environ une cinquantaine de pays (PNUD, 2013). À l’OMC, il n’existe même pas de critères pour déterminer si un pays est « dé veloppé » ou « en développement ». Ce sont les membres qui font l’« auto-sélection » (OMC, 2013), c’est-à-dire que chaque pays informe lui-même aux autres qu’il se considère comme pays « développé » ou « en développement »28. D’autres organismes comme le FMI, la Banque mondiale et l’ISO mettent dans le même paquet le Brésil, le Cambodge, le Congo et le Burundi (Banque mondiale, 2012). Ainsi, chaque institution ou organisme donne la définition qui l’arrange dans son champ de compétence. Dans le cadre de la problématique de l’accès aux médicaments dans les pays en développement, il est primordial de préciser ces pays qui sont plus concernés par la problématique que les autres. En effet, pour faire face à ce problème, si le Brésil peut être mis dans le même groupe que l’Inde et la Thaïlande, il n’éprouve pas les mêmes difficultés que le Niger, le Tchad, le Laos ou encore le Haïti.

27 Pour ceux que cela intéresse d’en savoir plus sur ces maladies rares, il est suggéré de consulter la liste des maladies rares sur le site internet de Health on the net Foundation (2013).

28 L’application volontaire du principe d’autosélection mène à des situations étranges où la Chine, deuxième puissance économique mondiale, se dit être un pays en développement alors que la Namibie, classée au 125ème rang mondial au niveau du PIB en 2012 (Banque mondiale, 2012), s’est « auto sélectionnée » comme étant un pays développé.

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a. Les pays développés

On trouve dans les différents manuels une définition assez vague du concept « pays développés ». D’une manière générale, les pays développés sont ceux dont la majorité de la population a accès à tous ses besoins vitaux ainsi qu’à un certain niveau de confort matériel. C’est pour cela que la Banque mondiale classe les pays en fonction du revenu national brut (RNB) par habitant29. Le PIB a été longtemps le critère de classification, mais ce dernier n’est plus pertinent pour juger la richesse d’un pays depuis les travaux d’Amartya Sen30 sur le développement humain. C’est pour cela que d’autres indices, dont l’indice de développement humain (IDH)31, sont aujourd’hui pris en compte pour évaluer la situation économique d’un pays et le bien-être de ses populations. Pour ce qui concerne l’objet de cette étude, le classement à base de l’IDH ne permet pas de déterminer les pays qui sont considérés comme ayant des problèmes liés aux brevets dans la résolution de leurs problèmes de santé publique. En effet, l’Inde qui a la réputation d’être la « pharmacie du Sud » occupe la 136ème place dans le classement IDH de 2012, derrière les pays comme la Guinée équatoriale, le Ghana, le Cap-Vert et beaucoup d’autres qui sont classés dans les PMA (PNUD, 2013 : 155), qui ont de sérieux problèmes d’approvisionnement en médicaments brevetés.

Pour distinguer les pays riches des pauvres, on parle souvent des « pays du Nord » pour désigner les pays développés, par opposition aux « pays du Sud » qui sont considérés comme pays en développement. Cette distinction géographique est arbitraire et ne renseigne rien sur la réalité de la richesse économique de ces pays, étant donné que certains pays situés au « Nord »32 sont des pays émergents ou en développement. Ainsi, définir les performances économiques des pays par un « géographisme » (Cruse, 2011 : 15) ne permet pas de rendre compte de leur situation é conomique. C’est en effet oublier que l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont citées parmi les pays riches et qu’ils

29 Selon la Banque mondiale (2013), les pays sont classés comme suit : faible revenu : 1035 dollars américains et moins ; revenu moyen inférieur : de 1 036 à 4 085 dollars américains ; revenu moyen supérieur : de 4 086 à 12 615 dollars américains ; et revenu élevé: 12 616 dollars américains et plus (Banque mondiale : 2013).

30Professeur à l’université de Harvard, cet économiste d’origine indienne a reçu le prix Nobel d’économie en 1998, pour ses travaux sur la théorie de l’économie du bien-être et du développement humain. Amartya Sen est en effet le concepteur de l’indice de développement humain (IDH) qui est un indice composite combinant trois indicateurs (le revenu national, l’espérance de vie et le taux d’alphabétisation) qui est actuellement la référence dans l’appréciation du bien-être des populations des pays.

31L’IDH est un indice composite regroupant trois autres indices : l’espérance de vie, le niveau d’éducation et le niveau du rev enu par habitant en parité de pouvoir d’achat d’un pays (PNUD, 2012).

32Au nord de quoi ? De l’équateur ? De quel tropique ou de quel parallèle ? On ne pourrait objectivement répondre à cette question, et j’estime que personne n’est capable de le faire.

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sont situés au pôle Sud de notre planète. C’est également suggérer que la latitude ou le climat sont des éléments déterminants dans la situation de richesse ou de pauvreté des Nations, insinuant presque que les pays situés sous les tropiques ne se développeront jamais. Qu’à cela ne tienne, ces vocables (pays du Nord/Sud, riches/pauvres) seront parfois utilisés pour question de simplicité et d’accommodement à l’opinion. Ces vocables sont en effet déjà encrés dans le langage collectif qu’il est inutile de compliquer la compréhension du lecteur par un langage sophistiqué et pointilleux, qui n’est pas important dans la compréhension de la problématique d’étude et des solutions proposées.

Dans ce travail, quand il fait mention de pays développés, il faudra entendre les pays qui disposent des infrastructures industrielles performantes et qui peuvent compter sur leur savoir-faire dans la production des biens dont leurs populations ont besoin. Pour cela, il faut premièrement inclure, dans cette liste de pays développés, les pays membres de l’Union européenne. En effet, l’adhésion à ce groupe exige certaines performances économiques qui les situent à un niveau de développement comparable et assez élevé. Par ailleurs, la communauté économique que forment ces pays favorise le libre-échange, ce qui fait que le problème d’accès à un médicament disponible dans l’un des pays membres ne se pose pas pour les ressortissants d’autres pays, vu les facilités de circulation des biens et des personnes dans l’espace Schengen, ainsi que les niveaux de revenus qui sont assez proches au sein de l’Union européenne. Outre les 28 pays membres de l’UE (UE, 2013), il faut compter aussi, parmi les pays développés, les 12 pays non européens membres de l’OCDE33. Ils sont réputés avoir un secteur industriel très développé, à tel enseigne qu’ils pourraient se procurer les médicaments dont ils ont besoin quand ils le veulent, étant donné que les accords de l’OMC les permettent de le faire si certaines conditions sont remplies. À cette liste des pays identifiés comme développés ou réputés comme tels dans le cadre de cette étude, il faut ajouter les pays émergents, tels que définis dans le paragraphe suivant.

b. Les pays émergents

La définition de cette nouvelle catégorie de pays fait référence aux pays dont le PIB par habitant est inférieur à celui des pays développés, mais qui connaissent une croissance économique rapide, et dont le niveau de vie ainsi que les structures économiques convergent vers ceux des pays

33Ces pays non européens membres de l’OCDE sont : Australie, Canada, Chili, Corée du Sud, États-Unis d’Amérique, Islande, Israël, Japon, Mexique, Nouvelle-Zélande, Suisse et Turquie (OCDE, 2013).

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développés (Lafargue, 2011 : 101). Parmi ces pays, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) viennent en premier lieu et cela est logique et compréhensible. En effet, outre l’Afrique du Sud qui a été incluse dans ce club pour des raisons géostratégiques, les quatre autres pays de ce groupe (BRIC) sont parmi les grandes puissances économiques en termes de PIB (Banque mondiale, 2013). À ces BRICS s’ajoutent les pays pétroliers du golfe Persique et du Moyen-Orient, comme l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït et les Émirats arabes unis, qui sont également considérés comme les économies émergentes. On y ajoute aussi, suivant les situations, les « Dragons »34 et les « Tigres »35 asiatiques qui ne sont pas encore membres de l’OCDE ainsi que quelques pays industriellement avancés de l’Amérique latine (Argentine, Colombie, le Chili et Venezuela). Ces derniers disposent des ressources suffisantes pour mettre en place ou mener à bien leurs politiques de santé publique en faveur des personnes à faibles revenus, ce qui n’est pas le cas pour les pays les moins avancés et la plupart des autres pays en développement.

c. Les pays en développement et les pays les moins avancés

Hormis les pays cités précédemment comme faisant partie du club des pays développés ou émergents, à des degrés variables certes, le reste des pays sont considérés comme pays en développement. Ils sont tous touchés d’une façon ou d’une autre par le problème d’accès aux nouveaux médicaments causé par les brevets pharmaceutiques. Il s’agit en effet des pays dont le tissu industriel est peu performant et qui ne peuvent donc pas de produire les médicaments localement. Dans cette catégorie de pays, on y retrouve à la fois les pays les moins avancés et les pays en voie de développement. Les termes pays en développement, pays en voie de développement ou pays du Sud seront utilisés invariablement pour évoquer à la fois les PMA et les autres pays ayant des revenus par habitant faibles ou moyens et qui ne sont donc pas bien classés dans les rapports internationaux en ce qui concerne les performances économiques.

34 Le concept de « Dragons asiatiques » est le nom qui a été donné aux quatre pays de l’Asie de l’Est qui ont connu une impressionnante croissance économique dans les années 1970-1980. Ces pays sont la Corée du Sud, le Hong Kong, Singapour et Taïwan (Deverge, 1989). Ces pays ou entités sont aujourd’hui considérés des pays développés, bien qu’ils soient parfois classés parmi les pays émergents par certaines institutions.

35 Les « Tigres asiatiques », appelés aussi « nouveaux pays industrialisés », ils forment la deuxième génération de pays à forte croissance en Asie. Leur croissance, inégale certes, est essentiellement fondée sur des industries exportatrices employant une grande masse de main-d’œuvre peu qualifiée. Ces « Tigres asiatiques » sont la Thaïlande, la Malaisie, l’Indonésie et les Philippines auxquelles s’ajoute parfois le Vietnam (Landry, 1988).

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Les PMA sont faciles à identifier puisqu’ils figurent sur une liste exhaustive instaurée en 1971 par l’ONU et qui regroupe les pays qui ont les indices de développement humain (IDH) les plus faibles de la planète. Dans sa liste de 2003, le Conseil économique et social de l’ONU a retenu trois critères pour déterminer la liste des PMA : un revenu par habitant inférieur à 995 dollars américains sur base d’une estimation moyenne du PIB par habitant pendant trois ans, un indice de développement humain inférieur à 0,4, vulnérabilité économique basée sur un indice composite incluant des indicateurs sur l’instabilité, la production, les exportations agricoles et le manque de diversification de la production (Lafargue, 2011 : 101 ; CNUCED, 2013 : 5). En application de ces critères, le Rapport 2013 de la CNUCED, mentionne que les PMA totalisent de nos jours 49 pays36.

Outre les PMA37, la Banque mondiale considère comme pays en développement tous ceux qui ont

un revenu annuel par habitant se situant entre 1035 et 12 615 dollars américains38 (Banque mondiale, 2013). C’est donc ce dernier revenu qui sera un critère déterminant pour estime r qu’une personne ayant un revenu inférieur à ce montant ne peut pas se payer les médicaments brevetés dont il aurait besoin pour se faire soigner. Ainsi tous les pays ayant un revenu annuel par habitant inférieur à 12 000 dollars américains seront considérés comme pays en développement qui a une population qui, d’une manière globale, éprouve des difficultés dans l’accès aux médicaments brevetés.

L’expression « Tiers-monde » a été aussi employée à une époque comme synonyme de pays en développement, alors que son sens premier était différent39. Entré dans le vocabulaire

36 Ces pays sont Afghanistan, Angola, Bangladesh, Bénin, Bhoutan, Burkina Faso, Burundi, Cambodge, Comores, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Haïti, Îles Salomon, Kiribati, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Mozambique, Myanmar, Népal, Niger, Ouganda, République centrafricaine, République démocratique du Congo, République démocratique populaire lao, République-Unie de Tanzanie, Rwanda, Samoa, Sao Tomé-et-Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Tchad, Timor-Leste, Togo, Tuvalu, Vanuatu, Yémen et Zambie (CNUCED, 2013 : 5). Ils étaient 25 lors de l’instauration de la catégorie des PMA en 1971. Trois pays ont quitté le groupe des PMA à la suite de leur croissance économique remarquable. Il s’agit du Botswana en 1994, du Cap-Vert en 2007 et des Maldives en 2011. Le Samoa a aussi de grandes chances de quitter ce groupe dans un avenir très proche (Lafargue, 2011 : 101).

37 Sans pour autant fournir une liste précise des PMA, la Banque mondiale effectue son classement en utilisant le RNB annuel par habitant. Elle estime que les pays qui ont un revenu national brut inférieur à 1035 dollars américains sont des pays à faible revenu (Banque mondiale, 2013) qui sont en fait les PMA.

38 Cette tranche de revenu englobe les pays que la Banque mondiale qualifie de pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et ceux de la tranche supérieure (Banque mondiale 2013).

39 C’est en 1952 qu’Alfred Sauvy a employé pour la première fois cette expression, en référence au tiers état de la France de 1789, pour désigner un ensemble de pays qui, dans le contexte de la guerre froide, n’appartenaient ni au monde occidental développé (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest), ni au bloc communiste (l’ex -URSS et les pays de l’Europe de l’Est) (Bosschère, 1975 : 42). Généralement issue de la décolonisation, la majorité des pays du Tiers-monde est constituée par les pays africains, asiatiques et sud- américains.

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courant, le terme « Tiers-monde » s’est banalisé, mais est devenu de plus en plus obsolète et n’est plus souvent utilisé, probablement à la suite du démantèlement du bloc communiste qui constituait le deuxième monde après de l’Occident. Ainsi, ce concept ne sera pas utilisé dans ce travail pour désigner ces pays. En conclusion, les critères retenus pour classer un pays dans la catégorie de pays en développement sont les revenus annuels par habitant limités (en dessous de 12 000 dollars américains) ainsi que l’existence d’une infrastructure industrielle et technologique qui permet aux pays de produire localement les médicaments dont ils auraient besoin en cas d’urgence. Les PMA sont d’office réputés ne pas en avoir et les pays développés et émergents en sont pourvus. Ces derniers ont d’ailleurs annoncé à l’OMC qu’ils ne vont pas utiliser le mécanisme des licences obligatoires adopté pour permettre aux membres de faire face à ce problème. Entre ces deux pôles se trouvent tous ces pays qui, à des degrés divers, ont un niveau économique faible ou un tissu industriel peu performant, et l’OMC demande à chacun de prouver l’insuffisance ou l’absence d’une industrie pharmaceutique locale susceptible de lui permettre de faire face à la problématique des brevets et de l’accès aux médicaments qui va être présentée dans le deuxième chapitre consacré à la nature du problème posé par les brevets et aux effets de ces derniers sur les prix des médicaments et sur l’accessibilité de ces derniers dans les pays en développement.

Chapitre II : La nature du problème posé par les brevets dans l’accès