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Chapitre III : Les flexibilités de l’Accord sur les ADPIC et leurs limites à résoudre le problème

III.2. Le recours aux importations parallèles

III.2.2. Les limites des importations parallèles

En théorie, l’application du principe d’épuisement international des droits du breveté est susceptible de résoudre le problème de la disponibilité des médicaments dans les pays du Sud.

71Pour plus de détails, voir l’Arrêt de la CJCE du 14 juillet 1981 dans l’affaire Merck & C o Inc. contre Stephar BV & Petrus Stephanus Exler (UE, 1981).

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L’importation d’un médicament breveté en provenance d’un pays exportateur dans lequel son prix est inférieur à celui du pays importateur peut permettre l’accès de ce produit à un grand nombre de patients, tout en assurant que le détenteur du brevet reçoive la rémunération correspondant à l’invention brevetée dans le pays où le produit a été vendu pour la première fois. C’est ainsi que les importations parallèles ont été souvent présentées comme pouvant être l’une des solutions compatibles avec les dispositions de l’Accord sur les ADPIC que les pays membres peuvent exploiter pour protéger la santé de leurs populations. La possibilité de recourir aux importations parallèles peut en effet empêcher que les titulaires de brevets ne favorisent la segmentation des marchés et une discrimination des pays et des patients par les prix. Les importations parallèles permettent aux consommateurs de chercher le meilleur prix sur le marché mondial pour un médicament donné, car l’industrie pharmaceutique module souvent les prix pratiqués selon les marchés. En outre, une étude menée dans certains pays développés (Grande-Bretagne, Allemagne, Suède, Pays-Bas et Danemark) a montré que les importations parallèles permettent de faire des économies; que ce soit pour les systèmes sociaux des pays étudiés, les patients et les compagnies elles -mêmes. En effet, sur 635 millions d’euros économisés, il a été établi que 421 millions concernaient au final le patient lui-même. Ainsi, dans les pays développés, les consommateurs profitent des importations parallèles (Manser, 2003 : 29).

Cela n’est cependant pas le cas en ce qui concerne les importations parallèles des médicaments pour les pays en développement. En effet, étant donné que les prix des médicaments sont généralement le résultat des négociations entre le pays de commercialisation et les firmes pharmaceutiques, ces prix sont le reflet de la situation économique du pays producteur et ne peuvent pas être transposés à aucun autre. En outre, la structure même du commerce international implique des coûts liés à l’importation qui viennent s’ajouter au prix pratiqué dans le pays exportateur, faisant le prix dans le pays d’importation encore plus élevé. Enfin, cette option est mal perçue par les pays industrialisés, ceux-ci usant de leur pouvoir de dissuasion sur les pays du Sud pour que ceux-ci ne les utilisent pas, malgré leur caractère licite et légitime.

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a. Le rôle des facteurs nationaux dans la fixation des prix des médicaments

Dans la plupart des pays, les prix des médicaments sont régulés par l’État (Trivigno, 2003 : 20). En effet, les différences de prix qui existent entre les différents pays72, n’ont généralement rien à voir avec le coût de production ou les marges bénéficiaires du producteur, mais sont le fruit de l’intervention de l’État en fonction des facteurs qui lui sont propres. Pour les médicaments, les prix sont souvent le résultat de négociations entre les autorités nationales et les fabricants et sont le fruit de plusieurs facteurs qui diffèrent largement selon les pays comme les normes nationales de santé, règles sur les tests cliniques et d’admission du médicament, taux d’inflation, impôts, valeur des devises, etc.) (Manser, 2003 : 29). Par conséquent, les importations parallèles mettent en concurrence, non pas les prix du produit en soi, mais les règlements et les politiques nationales dans plusieurs secteurs (emploi, sécurités sociales, normes environnementales, etc.) (Cueni, 2006 : 40; Trivigno, 2003 : 20). Ainsi, les prix fixés dans les pays riches restent élevés, comparés à ceux qui seraient pratiqués s’il y avait des structures de production locale dans les pays du Sud. Les importations parallèles ne seraient rentables que si les différences de prix entre les pays du Nord sont grandes, ou si les frais d’importation et de distribution sont très faibles (Trivigno, 2003 : 18). Or, dans les pays du Sud, toutes les importations de médicaments proviennent des pays développés où les prix sont sensiblement identiques et subissent les mêmes procédures d’importation et de distribution (Mansen, 2003 : 29). Par conséquent, les importations parallèles ne permettent pas la baisse des prix des médicaments et leur accessibilité pour ces populations à faib le revenu.

Les défenseurs des importations parallèles se fondent en général sur le simple modèle de concurrence, selon lequel, globalement, l’arbitrage du prix par les importations parallèles renforce la concurrence, mais ils ne tiennent pas compte des différences de pouvoir d’achat (Cueni, 2003 : 28). L’idée que la concurrence par les prix pour les produits brevetés contribuerait à l’émergence d’un « prix mondial » grâce aux importations parallèles qui favoriserait la concurrence entre les producteurs et les importateurs relève plus du mythe que de la réalité. En dépit de ces importations, les prix restent différents et il ne pourrait exister de « prix mondial ». On ne peut donc pas s’attendre à ce que les importations parallèles des médicaments, en provenance des pays développés dans lesquels les prix ont été négociés pour ce marché, puissent avoir des effets qui vont dans le sens

72 Il arrive même que le prix du même médicament soit plus élevé dans un pays en développement que dans un pays riche. Par exemple, un mois de cure au Prozac coûte 18,49€ en Italie et 40,48€ en Slovaquie (Remiche & Kors, 2007 : 134).

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d’accessibilité des médicaments dans les pays où les revenus sont faibles (Cueni, 2006 : 40). Bien que les importations parallèles de médicaments brevetés puissent permettre la disponibilité de ces derniers dans les pays pauvres, leurs prix ne seraient pas moins élevés, car ce sont les intermédiaires et les commerçants, qui bénéficient de la différence des prix (Trivigno, 2003 : 20). Ce qui fait que, dans la plupart des cas, les prix des médicaments importés dans le pays d’importation du Sud soient supérieurs à ceux des pays du Nord, comme on va le voir dans le paragraphe qui suit.

b. Les prix des médicaments importés plus élevés dans les pays pauvres que dans les pays riches

Les défenseurs de l’épuisement international des droits des brevets font valoir que si les importations parallèles étaient autorisées partout dans le monde, les firmes pharmaceutiques auraient tendance à pratiquer le même prix dans le monde entier, ce qui entraînerait un nivellement du prix par le bas et qui serait appliqué aussi dans les pays à faibles revenus (Guesmi, 2011 : 278). Comme il a été mentionné plus haut, cet argument n’est pas réaliste pour deux raisons principales qui ont déjà été évoquées. D’une part le niveau des prix, dans les différents pays, est généralement fixé en fonction du pouvoir d’achat et d’autres facteurs qui y prévalent et non selon un hypothétique prix mondial. L’application d’un prix unique à l’échelle mondiale favorable aux populations à faibles revenus des pays en développement n’est donc ni envisageable, ni possible. D’autre part, les importateurs ou les intermédiaires, dans leur quête aux profits, vont plutôt avoir tendance à pencher vers le nivellement du prix le plus élevé, notamment quand l’offre des médicaments n’est pas importante par rapport à la demande, ce qui est souvent le cas dans les pays pauvres.

En plus, les importations parallèles, bien qu’elles ne soient pas prévues officiellement dans les législations nationales, sont pratiquées dans les faits dans beaucoup de pays, y compris dans les pays en développement. On y retrouve en effet les médicaments originaux, mais cela n’implique pas que tout le monde y a accès. En effet, ils sont trop chers pour les pauvres et les moins nantis et ne sont accessibles que pour les plus riches de ces pays, car les importations parallèles des médicaments n’entraînent pas la baisse des prix de ces derniers. C’est plutôt le contraire qui se produit, les prix dans le pays d’importation sont généralement supérieurs à ceux pratiqués dans le pays d’exportation. Ceci s’explique par le fait que les importateurs (parallèles ou pas) veulent avant tout profiter de la différence des prix pour maximiser leur profit. En outre, en plus du prix d’achat dans le pays exportateur, ils y ajoutent les divers frais liés à l’importation (les frais de transport, les droits

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de douane et autres taxes intérieures, les frais d’étalage, d’entreposage et de distribution, les frais du personnel, etc.). En fin de compte, en additionnant ces divers coûts, les prix des médicaments brevetés importés reviennent plus chers dans les pays pauvres que dans les pays d’exportation, qui sont généralement des pays riches.

Ainsi, si les importations de médicaments brevetés peuvent bien résoudre le problème de disponibilité des médicaments dans les pays qui ne les produisent pas, elles sont loin de résoudre le problème d’accessibilité de ces derniers puisque le problème des coûts re ste entier et devient même plus accru avec les importations parallèles, sans que les bénéfices engendrés par ce mécanisme ne contribuent pas au renforcement des laboratoires de recherche puisque les importations parallèles effectuent en réalité un transfert des fonds de la recherche vers les intermédiaires sans que cela bénéficie ni au consommateur, ni à la recherche, ni aux systèmes de couverture sociale des pays riches (Weder & Barsglia, 2006 : 30). Si on ajoute que les pays développés ne sont pas favorab les au principe d’épuisement international, les pertes deviennent alors importantes pour que les pays du Sud n’encouragent pas le mécanisme des importations parallèles pour éviter les malentendus avec les pays du Nord.

c. Les pressions des lobbies des firmes pharmaceutiques et des pays du Nord sur ceux du Sud

Tout comme les autres mesures nécessaires pour protéger la santé qui sont souvent contestées par les grandes puissances, soucieuses d’abord de protéger leurs firmes pharmaceutiques, les importations parallèles sont également remises en cause par les pays industrialisés et les lobbies des médicaments. Malgré leur caractère légal au regard des instruments internationaux en la matière, presque tous les pays n’ont pas pris des mesures et des aménagements pour favoriser les importations parallèles. En effet, à l’exception de l’Argentine et de Hong-Kong, tous les autres pays ne reconnaissent pas l’épuisement international des droits portant sur les produits protégés par un brevet, y compris les pays les moins avancés, bien qu’ils ne disposent pas de structure locale de production des médicaments. Ils ne se contentent que d’appliquer le principe de l’épuisement national ou de demander au breveté de concéder, sous forme de contrat, les droits d’importation et de revente du produit breveté (CFS : 2000 : 20).

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Il n’est pas exclu de penser que les pays du Sud ne prévoient pas des mesures allant dans le sens des importations parallèles pour ne pas subir des mesures de rétorsion économiques de la part des pays industrialisés. En effet, les États-Unis n’ont pas hésité à recourir aux mesures de rétorsion prévues par la « Special 301 » en vue de pousser l’Afrique du Sud à revoir la section 15C73 de son Medicines and related substances control amendment Act74 de 1997 qui permettait au ministre de « définir les conditions selon lesquelles […] tout médicament qui a été mis sur le marché par le détenteur du brevet, ou avec son consentement, pouvait être importé en Afrique du Sud par un tiers » (Ituku, 2007 : 389). Malgré la légalité des dispositions de cette loi sud-africaine par rapport à l’Accord sur les ADPIC, les États-Unis ont exercé des pressions sur le gouvernement sud-africain pour qu’il supprime ces mesures, en le mettant sur « la liste des pays à surveiller »75 jusqu’à son retrait en décembre 1999 (Trivigno, 2003 : 19; Correa & Velasquez, 2010 : 39-40). Plus que cette section relative aux importations parallèles, c’étaient deux autres sections contenues dans cette loi sud-africaine, et qui prévoyait un autre mécanisme plus intéressant, qui avait suscité le courroux de l’administration américaine et des lobbies des firmes pharmaceutiques. Ces sections, 22C et 22F76, envisageaient le recours aux licences obligatoires pour permettre la production locale, par les entreprises sud-africaines, des médicaments génériques des antirétroviraux que le pays avait tant besoin pour ses citoyens séropositifs (Ituku, 2007 : 384). En quoi consiste le mécanisme des licences obligatoires ?