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Chapitre IV : Les solutions non juridiques proposées pour résoudre le problème d’accès au

IV.1. Les solutions fondées sur la particularité des médicaments

IV.1.4. Les prix différentiés ou multiniveaux

Traiter de manière égale les situations qui ne le sont pas ne peut que conduire à renforcer les inégalités et les injustices (Guesmi, 2011 : 253).

Malgré la diversité des situations des membres de l’OMC liée aux écarts de développement, l’Accord sur les ADPIC consacre un régime juridique homogène et uniforme pour tous les pays (Guesmi, 2011 : 91). Les pays du Sud ont été convaincus par les pays du Nord qu’une protection accrue des droits de propriété intellectuelle attirerait les investissements étrangers et permettrait le développement de leurs industries nationales. Ils avaient l’espoir qu’en garantissant au breveté que sa technologie ne sera pas utilisée sans son autorisation, cela l’incitera à transfé rer sa technologie là où elle fait défaut (Guesmi, 2011 : 82). Mais, outre que cela ne semble pas avoir été le cas, d’autres effets inattendus se sont manifestés, dont l’exclusion des populations pauvres aux médicaments brevetés.

Pour corriger ces effets négatifs provoqués par les brevets sur la santé publique dans les pays du Sud, c’est-à-dire l’augmentation des prix des médicaments, certains auteurs ont suggéré que des règles différentielles relatives aux prix soient appliquées aux médicaments essentiels , pour permettre aux pays économiquement moins nantis se les procurer à des prix bas, en ne payant seulement que le prix coûtant pour la production dudit médicament. Ils proposent de mettre en place un système des prix différenciés en tarifant les médicaments en fonction des revenus et le pouvoir d’achat des différents marchés (Vujisic, 2007 : 5). Ainsi, cette tarification différenciée ou ce système des prix multiples consisterait à adapter les prix au pouvoir d’achat des consommateurs. Ce système devrait permettre de diminuer notablement, en faveur des pays du Sud, le prix des médicaments essentiels encore sous brevet et, par conséquent, d’élargir leur accessibilité, sans remettre en cause

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le système des brevets. Mais, cette solution, fondée essentiellement sur des considérations éthiques ou morales, ne pourrait pas changer notablement la situation des patients dans les pays du Sud.

a. En quoi consiste le système des prix multiniveaux ?

Par différenciation des prix, on entend la vente de biens identiques à des prix différents selon les endroits dans lesquels la vente se fait. Cette différenciation des prix crée un système des prix multiniveaux. Elle a des effets stimulants puisqu’elle permet de maintenir une offre, alors que normalement le prix unitaire trop élevé, en raison d’une demande trop faible, ne le permettrait pas. Si, par exemple, un fabricant est en mesure d’appliquer un prix élevé pour son produit dans un marché A, et peut simultanément isoler ce marché d’un autre marché B, il pourra, sous certaines conditions, approvisionner également ce marché B, en dépit du fait que les niveaux des prix ou du pouvoir d’achat y sont plus bas. Dans cette situation, le premier bloc de clients paie un prix relativement élevé, tandis que le second bloc s’acquitte d’un prix optimal équivalant au coût de production. Sur ce dernier bloc, le producteur connaît une perte d’exploitation, mais il est largement compensé par les gains qu’il réalise sur le premier marché (Vujisic, 2007 : 6). Cette situation a souvent lieu quand le fabricant se voit obligé, sous la pression de la collectivité ou de l’État, d’approvisionner des marchés au faible pouvoir d’achat dans certaines régions, en y appliquant des prix adaptés à ces régions, en échange de quelques autres avantages, par exe mple les allégements fiscaux, l’octroi des terrains pour installer les unités de production à des prix avantageux ou d’autres facilités administratives. Pour pouvoir bénéficier de ces avantages, les entreprises doivent accepter en contrepartie d’opérer la différenciation des prix de leurs produits, soit dans le temps (en instaurant une sorte de gèle des prix pendant un temps limité par exemple pendant la durée d’une épidémie ou d’une catastrophe naturelle qui s’est abattue sur une région donnée), ou dans l’espace (en appliquant des prix différents dans les différentes zones de distribution) (Scherer & Watal, 2002 : 918). Elles peuvent encore modifier les écarts des prix, en les augmentant ou en les diminuant selon les facteurs locaux de chaque marché, notamment en les conformant à la fluctuation saisonnière du pouvoir d’achat des consommateurs (période de récolte, de disette, de sécheresse, etc.). Les producteurs peuvent également se charger eux-mêmes de la distribution, en éliminant les intermédiaires, ce qui a pour finalité de maintenir ou de créer des différences de prix entre les régions approvisionnées ou non approvisionnées directement par l’entreprise productrice (CFS, 2000 : 15).

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Pour les auteurs qui s’appuient sur cette théorie pour proposer une répo nse au problème d’accès aux médicaments, le système des prix multiniveaux serait approprié pour résoudre ce problème (Scherer & Watal, 2002 : 919). Il s’agirait en fait du pendant international de la version interne de la discrimination par le prix. La différenciation des prix permettrait de segmenter les marchés et de pratiquer des prix différenciés en les adaptant au pouvoir d’achat des populations et selon le niveau de développement économique des pays. Dans un tel système, les consommateurs des pays développés contribueraient à amortir les coûts fixes de recherche et développement, tandis que ceux des pays en développement ne paieraient que les coûts de production (Scherer & Watal, 2002 : 919).

Scherer et Watal (2002) sont les grands défenseurs de cette solution. En se fondant sur un modèle algébrique mettant en comparaison deux systèmes de propriété intellectuelle, un avec les brevets pharmaceutiques dans les pays pauvres et un autre sans la protection des brevets dans ces pays, ils ont conclu que le bien-être global est supérieur dans un système qui permet aux pays pauvres d’user gratuitement de la recherche qui, de toute façon, est en grande partie supportée par les consommateurs des pays riches. Ils constatent en effet que les consommateurs des pays pauvres contribuent à une petite fraction aux bénéfices des entreprises pharmaceutiques, de sorte que l’élimination de cette contribution n’influence que très peu la recherche dans sa globalité (Remiche & Cassiers, 2010 : 175).

b. Les difficultés de mise en œuvre du système des prix différenciés

L’instauration d’un système d’offre de médicaments à prix cassés (puisqu’il s’agit bien de cela) uniquement dans les pays du Sud paraît bien faible et peu convaincante pour résoudre la problématique des brevets pharmaceutiques. L’instauration d’un tel système de double marché (produits brevetés dans les pays capables de fournir les médicaments à leurs populations, et les médicaments à bas prix dans les pays à faibles revenus) ne va pas nécessairement améliorer l’accès aux soins dans les pays du Sud. En effet, dans la mesure où la recherche des grandes firmes pharmaceutiques est orientée vers la seule demande solvable, et donc vers les affections qui touchent principalement les populations des pays du Nord, il y a de sérieuses raisons de penser que le peu de fonds affectés à la santé dans les pays du Sud pour acheter le peu de médicaments qu’ils

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sont capables de s’offrir ne profite qu’aux seules recherches portant sur les maladies qui se trouvent, encore une fois, dans les pays solvables du Nord (Remiche & Kors, 2007 : 233-236). En effet, cette solution de « brevet à géométrie variable », qui n’est digne d’intérêt que lorsqu’entrent en jeu des considérations éthiques, ne peut fonctionner que pour les maladies pour lesquelles il existe une demande dans les pays développés. Ce qui n’est pas le cas pour les maladies négligées, les maladies tropicales spécifiques aux pays du Sud ou pour les maladies rares.

En outre, les firmes pharmaceutiques ne sont pas enthousiastes à l’idée de mettre en place un système des prix différenciés systématiques sur les médicaments essentiels, puisque c’est de ceux-là que proviennent leurs profits. Elles préfèrent participer à certains programmes de dons qui, outre qu’ils ont l’inconvénient de manquer de prévisibilité et de durabilité, ont en fait pour objectif de mener la concurrence des génériques de leurs produits provenant d’autres pays du Sud. Entre un produit d’origine vendu à un prix du générique ou donné gratuitement et son générique, le choix est vite fait pour les pays et les populations qui bénéficient de ces programmes. En effet, quelques laboratoires proposent des prix différenciés ou même des dons de médicaments pour aider les PMA ou d’autres pays du Sud à faire face à certaines épidémies comme le VIH/SIDA, la tuberculose ou encore le paludisme. On peut citer en exemple le cas du laboratoire Gilead qui propose son traitement antisidéen Viread à environ 17 dollars américains dans certains pays du Sud, alors qu’il coûte plus de 600 dollars américains en Amérique du Nord et en Europe (Lévine, 2005). C’est également dans cette logique que des « prix aménagés » sont pratiqués pour les antibiotiques et des traitements contre le diabète par GlaxoSmithKline et pour les antiépileptiques par Sanofi-Aventis. Merck envisage de faire autant pour son vaccin contre le cancer du col de l’utérus (Guesmi, 2011 : 433-434). Les dons et les réductions consenties restent cependant dérisoires ou insuffisants pour que cela puisse apporter des changements notables dans les pays qui bénéficient de ces programmes. En effet, même si les firmes acceptaient de baisser leurs prix, ils resteraient souvent supérieurs au coût moyen des dépenses de santé qui pèsent sur les ménages ou sur les budgets publics des pays en développement (Guesmi, 2011 : 289). Il faut rappeler que les pays en développement n’occupent que 10% du marché mondial des médicaments, alors que 90% de la population mondiale y vit (Vershave, 2004 : 229). Pour couvrir leurs besoins en médicaments, il nécessiterait des budgets de santé dix fois supérieurs aux budgets de santé des pays développés pour avoir le même niveau de couverture médicale. En effets, les dépenses de santé, mesurées en

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termes de parité des pouvoirs d’achat, s’élèveraient seulement à 78 d ollars américains par habitant dans les pays à bas revenus, où les risques sont les plus élevés, contre plus de 3000 dollars américains dans les pays de l’OCDE à haut revenu (Correa & Velasquez : 121).

Enfin, un système des prix différenciés serait difficile à gérer au niveau international. En effet, si on se souvient de l’existence de la règle de l’épuisement international, les pays ayant des prix élevés seraient tentés d’effectuer des importations parallèles en provenance des pays qui bénéficient des bas prix. Comme pour le cas des licences obligatoires, un contrôle pour interdire ces importations serait coûteux à mettre en œuvre et son efficacité reste à démontrer. Par conséquent, les pays bénéficiant des prix bas ne seraient alors probablement plus approvisionnés puisque cela nuerait aux firmes qui les fournissent et elles n’auraient donc plus d’intérêt à jouer ce jeu. Même si c’est la pratique qu’ont adoptée certaines firmes pharmaceutiques, la baisse volontaire des prix et des dons de médicaments ne sont donc pas une solution durable pour résoudre la question de l’accès aux médicaments, tout comme l’accroissement de l’aide au développement dédiée à la santé publique des pays du Sud (Elliot & al., 2003 : 1).

IV.2. Les solutions fondées sur les compensations financières aux brevets