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La répartition de l’épargne

Conclusion du chapitre 1 : Les hypothèses d’étude

Chapitre 2 : Un comportement financier faiblement différencié

2. Premier critère de différenciation : l’importance et la répartition de l’épargne : l’influence de la conjoncture économique et sociale de la

2.2 La répartition de l’épargne

La répartition de l’épargne dépend, d’une part, de son volume et, d’autre part, des caractéristiques de l’économie, des mutations intervenues dans le monde financier et de la législation. Le comportement des épargnants réagit instantanément à l’évolution de l’environnement économique et financier mais aussi aux modifications législatives. Tous ces facteurs influent sur le volume et l’orientation de l’épargne.

En France, l’épargne a profondément évolué quant à son montant et sa composition. Le taux d’épargne est passé de 18 % à 12,2 % entre 1981 et 1988, pour se fixer à 15,6 % en 1998. Cette évolution s’est doublée d’une recomposition de l’épargne, c’est-à-dire d’un changement de l’importance relative des différents types de placements financiers.

L’émergence de nouvelles gammes de produits favorisée par les innovations financières ont permis aux agents d’élargir le champ de leur choix financier. Comme les réformes fiscales et réglementaires créent des distorsions entre les produits financiers, le choix se fait en fonction des avantages propres à chaque produit financier par rapport aux opportunités qu’offraient les anciens produits et la fiscalité.

La population des immigrés se caractérise par une certaine inertie de leur comportement financier, et ce en dépit de l’influence des facteurs économiques, financiers et fiscaux que nous venons d’évoquer. Leur épargne se répartit essentiellement entre les transferts de fonds, les placements financiers et les encaisses transactionnelles.

Nous aborderons successivement chacune des composantes de l’épargne en insistant beaucoup sur la plus importante, à savoir les transferts.

La moitié des travailleurs immigrés interrogés en 1995251 affirme avoir fait des placements financiers en actions ou obligations et/ou des placements en assurance, notamment en assurance-vie. La portion de l’épargne destinée à ces deux types de placement ainsi que celle placée sur les tontines (cf. infra) constituent une épargne de précaution. Celle-ci est généralement immobilisée pour une période assez longue. Cet horizon temporel n’est pas sans conséquence sur le choix des types de placements à effectuer. En effet, 33 % des travailleurs ont souscrit des contrats d’assurance-vie.

Cette préférence pour l’assurance montre la volonté d’épargne de ces derniers. Ils sont obligés d’épargner une somme d’argent au moins égale au montant de la prime mensuelle ou annuelle à payer à leur organisme d’assurance. Les indemnités d’assurance-vie, pour une période et une prime données, sont connues avec certitude puisque le taux de placement est bien défini dans le contrat d’adhésion. Ce type de placement constitue une sorte de gage sécuritaire car on connaît le montant des fonds à recevoir compte tenu des primes payées et de la durée du contrat. Ce qui justifie l’engouement des travailleurs pour les placements en assurance.

Parallèlement, 17 % des sondés ont des placements en valeurs mobilières. Ce taux représente presque la moitié de celui des placements en assurance. Cela s’explique très probablement par une grande aversion à l’égard du risque. Les valeurs des titres fluctuent régulièrement selon “ l’état du marché boursier ”. Les opérateurs du marché des titres n’agissent pas qu’en fonction de la qualité économique et financière de l’entreprise émettrice.

Ils se bornent à suivre le mouvement d’ensemble du marché, sinon ils perdent de l’argent ; ce qui rend efficient leur comportement.

Dans ce contexte on connaît le montant investi mais pas celui qu’on va recevoir à la fin. Ainsi, les titres de valeurs mobilières n’intéressent que les immigrés qui ont le goût du risque. Or, ceux-ci ne sont pas nombreux.

Cela se comprend car peu d’épargnants en Afrique subsaharienne poursuivent un mobile de rendement et de spéculation252. L’arrivée très tardive des marchés boursiers constitue sans doute une des explications les plus plausibles du faible recours des Africains aux titres de valeurs mobilières.

La logique de retour est ici déterminante : 71,4 % des travailleurs ont fait un placement financier dans la perspective du retour après la retraite, alors que les travailleurs désirant rester en France ne sont que 17,1 % à faire de tels placements, et parmi ceux qui veulent retourner au pays avant la retraite, aucun d'entre eux n'a investi dans des placements financiers.

Actuellement, d’après les résultats de l’enquête 1998-1999, les immigrés maliens et sénégalais qui placent leur épargne sont très peu nombreux. Seul un tiers d’entre eux réalise des placements financiers. L’assurance-vie est le placement financier le plus fréquemment utilisé par les immigrés maliens et sénégalais (68 %). Les immigrés possèdent aussi des actions (29 %). Ils sont très rarement détenteurs d’obligations (3 %).

251 S. A. Dieng (1995), op. cit.

252 J. -M. Servet (1995), op. cit.

L’assurance-vie semble le placement financier le plus convoité par les migrants car la proportion de migrants souscripteurs d’assurance-vie a plus que doublé entre les deux enquêtes, passant ainsi de 33 % à 68 %. Il est aussi important de remarquer la prééminence de l’assurance-vie dans la composition du patrimoine financier des ménages français. En effet, chez les Français le taux de possession de placements en assurance-vie est de 45,9 % alors qu’il n’est que de 22,6 % pour les valeurs mobilières253.

Ce succès réel de l’assurance-vie auprès des migrants et des Français ne doit pas faire oublier le problème éthique qu’elle pose d’une manière générale. L’assurance-vie est l’exemple type de collision entre intérêts monétaires et préoccupations éthiques. Elle substitue une solidarité fictive du marché à une solidarité effective issue du lien social, ce qui, semble-t-il, avait obstrué son essor au XVIIIe siècle.

En effet, l’assurance-vie, reposant sur une évaluation monétaire de la vie humaine, avait heurté la réticence des Américains, car elle proposait à la place du “ système d’échange social relevant du don, caractérisé par l’assistance à la famille du mort, (…) un système impersonnel de marché. L’assurance sur la vie a bouleversé radicalement la signification de la mort mais aussi sa gestion. Une bureaucratie à buts lucratifs a progressivement remplacé amis, voisins et parents qui soulageaient la misère économique de la veuve du XVIIIe siècle ”254. Concernant les migrants maliens et sénégalais, l’assurance-vie constitue moins un substitut qu’un complément au système d’entraide et de solidarité communautaire (cf. chapitre suivant).

Par ailleurs, les résultats de l’enquête (1998-1999) montrent aussi qu’aucune variable n’a une influence significative sur le recours aux placements financiers. En effet, il n’existe pas de relation entre le montant moyen des versements dans les comptes d’épargne et les types de placement financier des migrants. Autrement dit, les immigrés qui versent régulièrement de l’argent dans leur compte d’épargne choisissent indifféremment entre les types de placement financier. Cependant, leur choix se limite aux deux produits financiers qu’ils apprécient le plus, l’assurance-vie et les actions.

Le fait de réaliser des placements financiers est indépendant du souhait de retourner ou non dans le pays d'origine. Cette indépendance signifie que le souhait de retour des immigrés maliens et sénégalais ne peut expliquer leur désintérêt ou leur recours aux placements financiers.

La relation entre l'âge et le recours aux placements financiers n'est pas significative. L'âge n'est pas un critère explicatif du recours des immigrés maliens et sénégalais aux placements financiers. L'exemple de la tranche d'âge des 30 – 50 ans illustre bien cette indépendance. Cette tranche d'âge comprend la plus grande proportion d'immigrés qui font des placements financiers mais aussi le plus grand nombre de personnes qui s'y désintéressent.

Le sexe n'est pas aussi un élément explicatif du recours aux placements financiers. Les variables sexe et placements financiers sont indépendantes. Les hommes et les femmes ont le même comportement à l'égard des

253 INSEE [1999]. Tableaux de l’économie française, op. cit., p. 113.

254 Viviana Zelizer [1992]. “ Repenser le marché : la construction sociale du “marché aux enfants” aux États-Unis ”, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 94, sept., pp. 3-26, p. 10.

placements financiers. La différence de proportions entre les hommes et les femmes par rapport à la variable placements financiers s'explique vraisemblablement par leur inégalité de présence dans l'échantillon.

La dépendance entre la langue maternelle et le recours aux placements financiers n'est pas significative. La langue maternelle des immigrés maliens et sénégalais et par conséquent l'ethnie n'est pas un critère qui peut expliquer le recours aux placements financiers. On retrouve dans toutes les ethnies des avis partagés quant au recours aux placements financiers.

Cependant, la répartition de l’épargne – ou encore le partage de la rente migratoire (c’est-à-dire les revenus issus de la migration) – repose chez certaines communautés d’immigrés sur des règles, implicites ou explicites. Ainsi, la règle sociale de partage de l’épargne du migrant sooninke repose, selon C. Quiminal255 et P. Lavigne Delville256, sur le fait que le migrant doit participer à la reproduction économique de la famille. Dans les migrations d’hivernage, l’essentiel de l’épargne du migrant est affectée à la famille car le migrant doit compenser le manque à gagner résultant de son absence aux champs familiaux.

Dans un contexte de risque agro-climatique élevé257, la répartition du revenu des migrants répond avant tout au souci d’assurer la sécurité alimentaire de leur famille. La clé de répartition est un tiers pour respectivement les dépenses de la vie quotidienne en France, l’épargne personnelle et les envois réguliers à la famille258.

Le lien entre le fait d'avoir un conjoint européen et le recours aux placements financiers n'est pas significatif.

Avoir un conjoint européen ne favorise ni n'empêche les immigrés à recourir aux placements financiers. Les immigrés maliens et sénégalais ayant un conjoint européen ont plutôt une attitude neutre ou équilibrée à l'égard des placements financiers. En effet, la proportion de ceux qui font des placements financiers (5 %) est presque la même que celle de ceux qui n’en font pas (4 %).

La dépendance entre le nombre d'enfants et le recours aux placements financiers n'est pas significative. Le nombre d'enfants parmi les familles immigrées maliennes et sénégalaises n'est pas un facteur explicatif de l'acquisition ou non de titres financiers.

Il y a une absence de lien significatif entre la date d'entrée en France et le recours aux placements financiers. La durée de séjour des immigrés maliens et sénégalais sur le territoire français n'est pas une variable qui influe sur le recours ou non aux produits financiers. Cependant, mise à part la catégorie des immigrés maliens et sénégalais

255 C. Quiminal [1991]. Gens d’ici, gens d’ailleurs, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 222 p.

256 P. Lavigne Delville [1991b]. La rizière et la valise : irrigation, migration et stratégies paysannes dans la vallée du fleuve Sénégal, Paris, Syros-Alternatives, 231 p.

257 Voir Kako Nubukpo [2000]. L’insécurité alimentaire en Afrique subsaharienne : le rôle des incertitudes, L’Harmattan, Paris, 212 p.

258 P. Lavigne Delville (1991b), op. cit.

qui ont vécu plus de vingt ans en France, on remarque que plus la durée de séjour en France est importante, plus les immigrés s'intéressent aux placements financiers.

Le type de contrat de travail des migrants n’a aucune influence sur leur décision de faire ou non des placements financiers. La dépendance entre la nationalité d’origine et l’acquisition de titres financiers n’est pas significative.

Le pays de provenance de l’immigré n’a aucune influence sur le recours aux produits financiers. Au vu de ces résultats, l’intérêt accordé par les immigrés maliens et sénégalais aux placements financiers n’est pas important.

La relation entre le recours au prêt et le recours aux placements financiers n'est pas significative. Il y a une absence de lien entre les immigrés qui ont un prêt à rembourser et ceux qui font des placements financiers. Il convient néanmoins de signaler que la proportion d'immigrés maliens et sénégalais la moins endettée est celle qui réalise des placements financiers.

3. Second critère de différenciation : les relations avec le système

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