• Aucun résultat trouvé

Immigration et croissance économique

2. Les conséquences des mouvements internationaux de main d’œuvre

2.1 Immigration et croissance économique

Jusqu'à une période relativement récente, les études scientifiques sur l'immigration ont été davantage axées sur les aspects politique, historique et sociologique, reléguant totalement au second plan la dimension économique du phénomène migratoire. L'accroissement du flux de migrants aux États-Unis et la montée du chômage en Europe après le premier choc pétrolier ont suscité un regain d'intérêt chez les économistes notamment américains. Ainsi, la question de l'incidence économique de l'immigration dans les pays d'accueil a été étudiée par plusieurs économistes.

Mais, un consensus ne s'est pas dégagé en ce qui concerne les effets économiques de l'immigration51. Toutefois, pour la majeure partie de ces derniers, l'immigration contribue de manière significative et positive à la croissance économique52. Cependant, il subsiste des divergences quant à l'ampleur de cet impact. Les pays occidentaux, en particulier l'Europe, ont bénéficié de la présence des travailleurs étrangers pour pallier leur pénurie de main-d'œuvre et maintenir ainsi leur fort taux de croissance économique pendant la période dite des Trente Glorieuses.

Une série de travaux économétriques, essentiellement fondés sur le modèle de croissance néoclassique de base (2.1.1), ont permis d'évaluer quantitativement l'impact économique global de l'apport de la main-d'œuvre étrangère dans les pays d'accueil (2.1.2). Pour apprécier les effets de l'immigration sur les agrégats économiques, les économistes ont recours à des indicateurs et à des mécanismes différents selon l'horizon temporel choisi, court terme ou long terme.

49 Paul R. Krugman et Maurice Obstfeld [1992]. Economie internationale, De Boeck Université, Bruxelles, 862 p, pp. 189-192.

50 P. H Lindert et T. A Pugel (1997), op. cit. Les auteurs ont montré l’importance et l’évolution des flux migratoires contemporaines en Amérique du Nord et en Europe et surtout leur rôle dans l’expansion économique de ces pays.

51 A. de Rugy et G. Tapinos [1994]. “ L'impact macro-économique de l'immigration : revue critique de la littérature depuis le milieu de la décennie 70 ”, in SOPEMI [1994]. Tendances des migrations internationales, Rapport Annuel 1993, Paris, OCDE, 243 p, p. 173 et p. 188.

52 A. de Rugy et G. Tapinos (1994), op. cit., p. 173.

2.1.1 Le modèle néoclassique, point de départ des analyses de la relation entre migration et croissance

L’analyse néoclassique de la croissance a été l’œuvre d’un économiste keynésien, R. Solow (1956). Cet auteur est le premier à construire un modèle de croissance selon les schémas néo-classiques. La principale caractéristique de ce modèle par rapport aux modèles keynésiens de première génération53 est, d’une part, la variabilité et l’endogénéité du coefficient de capital et, d’autre part, l’existence d’une croissance équilibrée stable lorsque les taux d’épargne global et de croissance de la population sont donnés et constants.

Le modèle repose sur l’hypothèse fondamentale de concurrence pure et parfaite où l’économie se trouve dans un univers walrasien d’équilibre simultané des marchés des produits et des facteurs de production. La fonction de production utilisée est linéaire et homogène ; ce qui signifie économiquement des rendements d’échelle constants et par conséquent le produit se répartit entièrement entre la rémunération des salariés – la masse salariale – et la rémunération des capitalistes – les profits – du fait de la rémunération des facteurs, capital et travail, à leur productivité marginale (règle de l’épuisement du produit).

Il importe de remarquer qu’il n’y a pas de chômage dans ce modèle à cause de l’équilibre simultané de tous les marchés, y compris donc le marché du travail. En effet, la malléabilité du système productif permet l’ajustement de la demande de travail, et ce quel que soit le taux de croissance de la population.

Grâce à la flexibilité du système permettant l’adaptation de la combinaison productive et aux forces du marché, la rareté relative d’un facteur de production est compensée par l’utilisation plus intensive de l’autre. Dans cette perspective, l’arrivée de travailleurs migrants perturbe l’équilibre des marchés du travail, du capital et des produits en même temps qu’elle déclenche les mécanismes correcteurs appropriés qui conduisent au retour à une situation d’équilibre54.

Le modèle néo-classique de base a subi plusieurs modifications de sorte à ce qu’il intègre une plus grande part de la réalité migratoire, tout en sauvegardant ses principales conclusions, en particulier l’existence d’un équilibre au niveau international. Ainsi, par exemple, l’hypothèse d’homogénéité du facteur travail a été abandonnée au profit d’une distinction entre travail qualifié et travail non qualifié. Cependant, quelle que soit la complexité des modifications apportées, les présupposés de la théorie néo-classique restent la référence de base des

“ nouveaux ” modèles qui constituent le fondement de l’analyse du lien entre immigration et croissance économique.

53 Les modèles keynésiens de première génération sont ceux de Harrod (1939, 1940) et de Domar (1946).

Contrairement au modèle néo-classique, la fonction de production est à coefficients fixes, ce qui implique un rapport capital travail constant. Ces modèles supposent à la fois la rigidité des taux d’épargne et de croissance de la population et la constance des prix, des salaires et des taux d’intérêt. Pour une présentation des modèles de croissance, voir en particulier : P.-Y. Henin [1981]. Macrodynamique : Fluctuations et croissance, 2e édition, Economica, Paris, 512 p, pp. 189-321.

54 Pour un exposé et une critique du modèle néo-classique, voir C. Mercier, op. cit., pp. 11-76.

2.1.2 La migration source de croissance économique

L'impact macro-économique de l'immigration sur la croissance a fait l'objet de divergences au niveau des résultats des travaux, lesquelles sont dues à la complexité des relations en cause55. En présentant le fonctionnement de l’économie à travers un modèle à deux secteurs, le secteur capitalistique et le secteur de subsistance, A. Lewis (1954) suppose illimitée l’offre de travail au secteur capitalistique56. Autrement dit, toute offre d’emploi émanant du secteur capitalistique est immédiatement satisfaite en raison notamment de l’existence d’un chômage déguisé dans le secteur de subsistance et d’un différentiel de revenus. Ce transfert de main-d’œuvre du secteur de subsistance au secteur capitalistique est ainsi un processus continu.

Certains économistes, comme Kindleberger (1967), se sont appuyés sur cette hypothèse d’une offre de travail infiniment élastique de A. Lewis (1954) pour affirmer le rôle de la main-d'œuvre étrangère sur la croissance économique57. L’immigration profite ainsi aux pays d’accueil en leur permettant, par l’apport de main-d’œuvre d’appoint dans les secteurs qui en sont déficitaires, de maintenir voire d’accroître leur taux d’expansion économique.

Cependant, il est très difficile d’évaluer les avantages retirés de l’immigration, à savoir la valeur de la contribution brute à la production des travailleurs immigrés et la part effective de leur apport sur la croissance économique par rapport à celle des autres facteurs de production que sont les travailleurs nationaux et le capital.

De nombreuses études, faites aux États-Unis, au Canada et en Australie, concluent à une incidence positive de l'immigration sur la croissance économique bien qu'elle soit considérée comme faible par certains auteurs58. Pour Henry Bussery (1976), une très forte réduction de travailleurs immigrés, par rapport à l’état de la conjoncture du milieu des années 70, aurait entraînée en France un léger ralentissement du PIB (produit intérieur brut) et une dégradation de la balance commerciale, partiellement compensée par la diminution du montant des transferts financiers des immigrés vers leurs pays d’origine.

L'immigration accroît simultanément l'efficacité économique et le revenu disponible par habitant des pays d'accueil du fait des économies d'échelle et de l'extension du marché qu'elle engendre. En effet, les nouveaux arrivants doivent impérativement satisfaire leurs besoins de consommation courante ; et ce faisant ils contribuent à l’accroissement de la demande effective.

G.C. Bjork (1968)59 est le premier à intégrer les migrations dans un modèle de croissance. Pour mesurer l'impact de la croissance économique sur l'emploi agricole et non agricole, Bjork construit un modèle de migration et de

55 A. de Rugy et G. Tapinos (1994), op. cit., p. 181.

56 Sur le modèle de A. Lewis, voir en particulier Marc Penouil [1990]. Socio-économie du sous-développement, Précis Dalloz, 683 p.

57 Kindleberger (1967) affirme que la disponibilité des travailleurs immigrés, ayant favorisée une offre illimitée de travail, a été un des éléments moteurs de la croissance européenne au lendemain de la Seconde guerre.

58 Pour les références des études, voir A. de Rugy et G. Tapinos (1994), op. cit., p. 181.

variation des salaires relatifs. Il montre à travers son modèle que le mécanisme explicatif des migrations est les différences de taux de croissance dans la demande et l'offre de travail des secteurs agricole et non agricole et les inégalités dans les proportions initiales d'emploi agricole dans les divers États (des États-Unis). Cependant, le toile de fond de son analyse demeure l'idée que la mobilité joue le rôle de mécanisme ajusteur.

Par rapport au modèle de G.C. Bjork (1968), le modèle de M. Todaro (1969)60 a la particularité d'être plus réaliste en introduisant notamment des probabilités pour le migrant de trouver un emploi en ville sachant qu'il existe deux types d'emplois en ville : les emplois du secteur urbain de production traditionnelle et les emplois du secteur urbain moderne. Il demeure ainsi une incertitude sur les revenus réels escomptés au terme de la migration par le futur migrant dans la mesure où ce dernier ne sait même pas s'il trouvera un emploi.

Le modèle aboutit à un rapport d'équilibre entre le volume de la main-d'œuvre du secteur urbain moderne et celui de la main-d'œuvre du secteur urbain dans son ensemble. Ce rapport d'équilibre dépend des taux de croissance de la production industrielle et de la productivité du travail dans le secteur moderne d'une part, et d'autre part, du taux d'écart des revenus entre la ville et la campagne et du taux naturel de croissance de la main-d'œuvre urbaine.

Une des critiques essentielles que l'on peut avancer avec P. Aydalot (1972), est que le modèle ne différencie pas les probabilités de trouver un emploi selon les catégories professionnelles61. Là aussi, l'idée de l'équilibre domine in fine car, en effet, les migrations contribuent à l'harmonisation des taux de croissance des divers secteurs urbains.

D'autres auteurs ont en revanche mis en exergue l'aspect néfaste de l'immigration. Blattner et Sheldon (1989)62 ont montré dans le cas de la Suisse que l'effet positif de l'immigration sur la croissance du produit se faisait au détriment de la productivité et du produit par tête. Ainsi, pour ces deux auteurs, ce résultat relève de l'improductivité des travailleurs immigrés ou de celle des emplois qu'ils occupent. Une étude réalisée au Japon par Goto (1991)63 a conduit au résultat d'une incidence négative de l'arrivée de travailleurs migrants sur le produit national.

Par ailleurs, dans une optique des relations interspatiales64, la migration joue un rôle essentiel. En effet, en modifiant la structure de la main-d’œuvre et la mobilité spatiale des activités et des produits, la migration modifie la structuration de l’espace économique et par conséquent elle engendre des

destructurations-59 P. Aydalot et J.-P. de Gaudemar (dir.) [1972]. Les migrations, Gauthier-Villars, 278 p, p. 50.

60 M. Todaro (1969), op cit.

61 P. Aydalot et J.-P. de Gaudemar (dir.) (1972), op. cit., p. 55.

62 A. de Rugy et G. Tapinos (1994), op. cit., p. 182.

63 A. de Rugy et G. Tapinos (1994), op. cit., p. 183.

64 P. Aydalot (1980), op. cit.

restructurations dynamiques de l’espace. Elle participe donc aux processus qui permettent de différencier les niveaux relatifs de développement des espaces65. La migration est ainsi à la fois un instrument d’analyse et un indicateur de l’état de la croissance spatiale. Le facteur travail apparaît alors comme un élément fondamental de la croissance spatiale66.

Les résultats de ces études, qu'ils aboutissent à un impact positif ou négatif de l'immigration sur la croissance ou sur une autre variable quelconque, sont tous tributaires du cadre analytique de référence – des hypothèses théoriques retenues – et surtout des méthodes d'évaluation choisies67.

Documents relatifs