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L’hostilité à l’égard du crédit bancaire

Conclusion du chapitre 1 : Les hypothèses d’étude

Chapitre 2 : Un comportement financier faiblement différencié

3.3 L’hostilité à l’égard du crédit bancaire

Plus d’un cinquième des immigrés maliens et sénégalais interrogés sont en train de rembourser un ou plusieurs prêts. Ce faible recours des immigrés au crédit se justifie de manière très rationnelle parce que la principale motivation de leur venue en France est de gagner plus d’argent et par conséquent d’épargner le plus possible.

Dans cet “ esprit d’accumulation ”, le crédit ne peut être qu’une exception, un choix contraint, le plus souvent, par l’impératif d’intégration sociale. Aussi, la satisfaction des besoins, y compris monétaires, est d’abord recherchée au sein des réseaux familial et communautaire. Ainsi, le migrant préfère emprunter à un des membres de son groupe ou au groupe en tant que structure collective – exemple des groupes d’entraide octroyant de petits crédits à leurs membres – que de demander un crédit bancaire.

De manière plus générale, les migrants maliens et sénégalais ne profitent que très rarement des services bancaires qui leur sont offerts. Ce constant est bien analysé dans le rapport du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité qui souligne le faible recours des migrants aux facilités bancaires, en particulier le découvert et l’emprunt263.

Cette réticence à l’égard du crédit bancaire doit être mise en rapport avec la perception négative de la dette dans les sociétés ouest-africaines. Les termes utilisés dans un grand nombre de langues ouest-africaines pour désigner la dette montre bien son caractère négatif. Ainsi, “ l’idée d’être endetté, d’avoir des dettes ou de posséder une créance sur quelqu’un, se dit en diola-Fogny, en manding, en baynuk, ‘avoir une corde’, ‘être attaché’. En

263 R. Blion (1998), op. cit., pp. 50-51.

manding emprunter se dira ‘prendre une corde’. La traduction de dette par corde, terme identique à la corde qui attache le bétail, peut se comprendre par le lien qui attache le débiteur au créancier, lien moral qui fait que celui-ci va dépendre de celui-là ; mais aussi certains vieux affirment que le débiteur qui ne pouvait pas rembourser sa dette était attaché comme un esclave et pouvait être vendu en tant que tel ”264. Cette représentation négative de la dette est apparemment restée ancrée dans les esprits de nombreux migrants.

Les emprunteurs sont pour la plupart des immigrés qui désirent “ rattraper le retard accusé ” en matière d’équipements en biens durables ou qui souhaitent renouveler leurs anciens équipements “ démodés ”, abîmés ou en panne.

Le lien existant entre le prêteur et l’utilisation de l’argent du prêt n’est pas significatif. L’utilisation prévue de l’argent du prêt par les immigrés maliens et sénégalais n’influe pas sur le choix de leur prêteur. Néanmoins, nous remarquons, par exemple, que les immigrés désirant acheter une voiture ou des équipements électroménagers par crédit sollicitent essentiellement les établissements financiers.

Contrairement à l’ensemble des ménages résidant en France, l’endettement des migrants maliens et sénégalais n’est pas lié à leur niveau de revenu. L’endettement des ménages en France augmente régulièrement avec leur revenu. Ainsi, un cinquième des ménages percevant moins de 90 000 francs est endetté et doit en moyenne 70 000 francs tandis qu’ils sont deux sur trois gagnant plus de 200 000 francs à avoir une dette moyenne de 250 000 francs265, soit presque l’équivalent du salaire net annuel moyen des cadres en France (254 210 francs266).

Alors que chez les immigrés maliens et sénégalais, le montant du dernier prêt contracté se situe entre 2 000 et 70 000 francs.

Le montant total des encours de prêts s’élève à près de 500 000 francs pour 23 immigrés maliens et sénégalais.

Ce qui représente en moyenne, un emprunt de 20 000 francs par personne avec une grande dispersion du montant des prêts autour de cette valeur moyenne, l’écart type étant de 19 237 francs. Cependant, plus de la moitié des prêts est inférieure à 13 500 francs et un peu plus du sixième des prêts dépasse 36 000 francs. La liaison entre le recours au prêt et la nationalité d’origine est peu significative. Les immigrés sénégalais sont beaucoup plus favorables au prêt que les immigrés maliens même si les taux d’endettement sont relativement faibles.

L’analyse des correspondances multiples267 entre les variables prêts, nationalité d’origine et montant d’épargne suggère, en dépit d’une dispersion marquée du nuage de points, un regroupement des observations en deux

264 J.-M. Servet (1995), op. cit. p. 307.

265 F. Guillaumat-Tailliet et C. Roineau [1998]. L’endettement des ménages : enquête actifs financiers 1992, Collection INSEE Résultats, Emploi-Revenus, n° 137, Paris, 131 p, pp. 14-15.

266 INSEE [1999]. Tableaux de l’économie française, op. cit., p. 87.

267 Pour la construction des axes factoriels et l’analyse statistique, voir l’annexe 5 des résultats statistiques, pp.

378-382. Pour la classification automatique, voir pp. 382-383.

principaux groupes. Le premier rassemble les migrants de nationalité sénégalaise ayant généralement contracté un emprunt et dont le montant d’épargne brut se situe entre 1 000 et 2 000 francs par mois. Le second groupe, majoritaire, est composé de migrants maliens qui ont un montant d’épargne brute supérieur ou égal à 2 000 francs par mois et qui sont “ créditphobes ”, c’est-à-dire qu’ils ne demandent pas de crédit.

Figure 3.3-1 : Analyse des correspondances multiples des variables prêts, nationalité d'origine, montant d'épargne

fig1

Pour affiner cette interprétation par une analyse complémentaire, on procède à une classification automatique par la méthode des centres mobiles. Cette classification repose sur la variable Date de retour qui sert en même temps de critère de répartition des individus dans les groupes. Les deux classes retenues correspondent exactement aux deux strates définies dans l’analyse factorielle. Le groupe des Sénégalais, moins nombreux mais plus dispendieux et sensible au crédit, est, par rapport à l’échantillon total, beaucoup moins enclin au retour que celui des Maliens, plus économe et “ créditphobe ”. En effet, 37 % du groupe des migrants sénégalais est décidé à rentrer à tout moment alors qu’ils sont 47 % chez les migrants maliens.

S’il n’existe aucune corrélation entre le montant du dernier prêt et le nombre d’épouses résidant en France, il existe en revanche une corrélation positive entre le montant du dernier prêt et le nombre d’enfants résidant en France. Nous distinguons, d’après l’analyse en composantes principales268, deux groupes de migrants emprunteurs, l’un homogène correspondant aux migrants ayant en moyenne deux enfants ; l’autre groupe étant très dispersé avec des montants d’emprunt très variables (voir graphique ci-dessous).

Figure 3.3-2 Analyse en composantes principales des variables montant du dernier prêt, nombre de femmes et nombre d’enfants

fig2

Par ailleurs, la relation entre le recours au prêt et le sexe n’est pas significative. Les hommes et les femmes ont la même attitude face au prêt. Il n’y a aucune spécificité particulière des hommes ou des femmes en ce qui concerne le recours au crédit. Le recours plus important des hommes au crédit s’explique essentiellement par leur rôle de chef de famille.

La dépendance entre l’âge et le recours au prêt n’est pas significative. L’âge des immigrés maliens et sénégalais n’a pas d’influence sur le recours ou non au crédit. La tranche d’âge 40 – 50 ans est la plus endettée. Il s’agit essentiellement de responsables familiaux qui sont contraints de s’endetter pour régler certains besoins urgents.

268 Pour la construction des axes factoriels et l’analyse statistique, voir l’annexe 5 des résultats statistiques, pp.

372-375.

Il n’existe pas de lien significatif entre l’appartenance ethnique et le recours au prêt. Le recours ou non au crédit est indépendant du groupe ethnique dont fait partie l’immigré malien ou sénégalais. Il est important de constater qu’aucun immigré Soninké a sollicité un emprunt.

Le lien entre le recours au prêt et le fait d’avoir un conjoint européen n’est pas significatif. Les couples mixtes ne sont ni plus ni moins enthousiastes que les couples d’immigrés face au crédit. Le recours au prêt est indépendant de l’origine du conjoint, africaine ou européenne.

Le lien entre le type de contrat de travail et le recours au prêt est peu significatif. Cette faible dépendance explique toutefois le recours au crédit plus important des immigrés ayant un contrat de travail à durée indéterminée. Les immigrés possédant un contrat à durée déterminée ne constituent que 15 % de l’ensembles des personnes ayant contracté un emprunt.

Les banques sont, de loin, les premiers prêteurs aux immigrés maliens et sénégalais. En effet, dans quatre cas sur cinq, ce sont les banques qui ont accordé un prêt aux immigrés. Néanmoins, certaines associations d’immigrés octroient des prêts à leurs membres même si cela semble très marginal au regard des résultats de notre enquête.

Les principales garanties demandées aux emprunteurs sont les fiches de paie et les justificatifs de domicile et de salaires. Les bulletins de salaire ou les justificatifs de domicile et de salaires sont alternativement les garanties exigées par les établissements de crédit pour accorder un prêt à leurs clients immigrés. A ce niveau, il n’y a aucune discrimination entre les immigrés et la population autochtone. En revanche, près du quart des prêteurs, essentiellement les groupements d’immigrés, n’a exigé de leurs débiteurs aucune garantie.

Les prêts des immigrés ont servi, dans plus de la moitié des cas, à l’achat d’équipements électroménagers et à près du quart à l’achat d’une voiture. Les prêts sont aussi utilisés pour acquérir une maison (12 %) et pour satisfaire les besoins pressants de la famille (8 %). En somme, les immigrés ont sollicité des prêts pour s’équiper en biens durables. Ce résultat contraste avec la prééminence de l’endettement immobilier dans les crédits domestiques de l’ensemble des ménages en France269.

Près des deux tiers des immigrés endettés (65 %) remboursent moins de 1 000 francs par mois alors qu’ils sont 13 % à rembourser au moins 1 500 francs par mois. Le montant mensuel de remboursement des prêts est, dans la plupart des cas (35 %), compris entre 500 et 1 000 francs. Le montant moyen de remboursement s’élève à 839 francs et représente 4 % de l’encours moyen des prêts et 15 % du revenu moyen de l’ensemble des personnes interrogées.

L’importance du montant de remboursement des prêts par rapport au revenu et/ou au montant du crédit révèle l’envie des immigrés de se débarrasser au plus vite du fardeau de la dette. Elle montre, d’autre part, et compte tenu du faible taux de personnes endettées que le recours au prêt est plutôt une exception qu’une règle chez les immigrés maliens et sénégalais résidant en France.

269 F. Guillaumat-Tailliet et C. Roineau (1998), op. cit., p. 15.

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