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Définition et types d’expérimentation

Conclusion du chapitre 1

Chapitre 2 : La méthode des entretiens de récits de vie

1. Les limites de l’expérimentation en économie comme justificatifs du recours à l’enquête par entretien

1.1 Définition et types d’expérimentation

La complexité de l’expérimentation exige d’abord qu’elle soit définie (1.1.1). Il importe dans un second temps d’exposer la diversité des types d’expérimentation (1.1.2).

1.1.1 Définition de l’expérimentation

Dans les sciences de la nature, le recueil d’informations de base s’effectue à partir de la méthode expérimentale qui permet d’explorer ou de vérifier l’existence d’un lien de causalité entre phénomènes bien repérés. Le processus d’expérimentation exige deux conditions. D’une part, les phénomènes étudiés doivent être isolables de leur contexte. Autrement dit, l’expérimentateur doit être en mesure de fixer les variables d’environnement afin de neutraliser, le plus possible, le risque de multicausalité dû à l’intervention de facteurs externes.

D’autre part, les variables observées doivent être “ manipulables ” de l’extérieur, au sens où le chercheur peut modifier séparément les variables de commande de façon à pouvoir décomposer le cas échéant la causalité circulaire. De plus, l’expérimentation doit être reproductible dans d’autres cadres spatio-temporels où l’on repère les mêmes phénomènes examinés, ce qui permet de vérifier si l’on retrouve les mêmes relations de cause à effet.

123 B. Walliser (1994), op. cit., p. 8.

124 B. Walliser (1994), op. cit., p. 239.

L’expérimentation s’avère parfois très délicate à réaliser du fait de contraintes techniques – difficulté de modifier et/ou de contrôler certaines variables – et de considérations éthiques – problème de moralité quant au traitement différencié des personnes.

Dans le schéma classique du raisonnement scientifique expérimental, il s'agit d'observer l'effet produit dans une situation donnée par la manipulation intentionnelle d'une variable par le chercheur. L'expérimentation est ainsi considérée par Claude Bernard125 comme une “ observation provoquée ”. Le chercheur doit, selon Claude Bernard, imaginer et réaliser les conditions matérielles de l'expérimentation.

L'hypothèse est validée lorsque l'effet observé correspond à l'effet prévu. Dans les sciences sociales, cette intervention du chercheur n'est pas sans difficulté, et ce pour plusieurs raisons (J.-L. Loubet Del Bayle, 1978).

D'abord, l'expérimentation pose des “ problèmes éthiques ”, car elle porte sur des phénomènes sociaux et par conséquent fait appel directement ou indirectement à l'être humain. Elle touche l'être humain dans sa personnalité tant physique, psychologique, intellectuelle que spirituelle.

Ensuite, l'expérimentation se heurte à des difficultés techniques de réalisation dues à la complexité des phénomènes sociaux. Une expérimentation rigoureuse requiert trois conditions. La première est que le chercheur retrouve dans la réalité une situation analogue ou identique à celle qu'il a observée ou qu'il puisse la reconstituer en laboratoire. La seconde est que l'expérimentateur puisse modifier de manière intentionnelle et précise une et une seule variable de cette situation.

La dernière condition est, pour le chercheur, de s'assurer que les effets constatés résultent uniquement de la modification de la seule variable manipulée et non d'autres variables non contrôlées.

1.1.2 Les types d’expérimentation en sciences sociales

Il existe deux techniques d'expérimentation : l'expérimentation invoquée et l'expérimentation provoquée.

L'expérimentation provoquée consiste pour le chercheur à modifier intentionnellement une variable afin d'observer l'effet produit dans une situation donnée. Elle se fait généralement en laboratoire ou sur le terrain126. L'expérimentation en laboratoire se caractérise par la création de situations artificielles aptes à reconstituer le cadre habituel de déroulement du phénomène étudié. Cette reconstitution fidèle du phénomène va permettre à l'expérimentateur de retrouver les conditions exactes nécessaires pour sa recherche et de manipuler la variable qui l'intéresse tout en contrôlant les autres. Selon les besoins de l'expérience, le chercheur peut recourir soit aux groupes artificiels, soit à la reconstitution artificielle d'un processus. Lorsqu'il s'agit de recherches sur les groupes, l'expérimentateur doit constituer des groupes artificiels. Ce type d'expérimentation permet d'étudier les

125 Auteur cité par J.-L. Loubet Del Bayle [1978]. Introduction aux méthodes des sciences sociales, Éditions Privat, Toulouse, 240 p.

126 Dans la pratique l'expérimentation provoquée peut se présenter sous plusieurs formes intermédiaires entre ces deux situations-types.

relations interpersonnelles, les tensions et les coalitions au sein des groupes, etc. Il sert souvent de complément à une expérience déjà effectuée sur le terrain. L'inconvénient majeur de cette méthode est que les résultats risquent d'être biaisés ; certains recrutés pour l'expérience, sachant qu'ils sont observés, changent leurs conduites. Les comportements constatés deviennent alors de simples comportements artificiels. La portée de telles expériences est donc limitée et il demeure très difficile de transposer de tels résultats aux groupes réels, encore moins de les généraliser à d'autres groupes. Le sociodrame ou “ psychodrame ”127 est un exemple illustratif d'une reconstitution artificielle d'un processus. L'objectif est de saisir, au-delà des apparences conventionnelles, la vraie nature des rapports sociaux qu'entretiennent les acteurs entre eux et avec leur groupe d'appartenance.

Dans le cadre de l'expérimentation sur le terrain, le chercheur travaille sur des phénomènes naturels ou sociaux qui existent réellement ou sur des groupes réels ayant un caractère particulier – groupe de commerçants, par exemple – qu'il observe in situ. Le principal obstacle de l'expérimentation sur le terrain est la difficulté de maîtriser les variables non manipulées qui peuvent avoir un effet sur les résultats de l'expérimentation. Cette difficulté de neutraliser l'influence des variables non contrôlées conduit certains chercheurs à recourir au procédé d'expérimentation invoquée.

Quant à l'expérimentation invoquée, le chercheur n’intervient pas dans le déroulement du phénomène observé, il se contente de récupérer les données fournies par la réalité. L’expérimentation invoquée se présente sous deux formes : l’expérimentation naturelle et l’analyse ex post facto.

Il y a expérimentation naturelle lorsque la réalité elle-même fournit les conditions d’une quasi-expérimentation.

Ceci correspond à deux cas : l’observation d’une situation avant et après la modification d’une variable ; l’analyse comparative de situations ne différant que par une variable.

Dans le premier cas, on se situe dans une logique d’expérimentation dans la mesure où le phénomène est observé avant et après modification d’une variable, sauf que cette modification est indépendante de l’expérimentateur. Ce dernier profite donc d’une situation qu’il n’a pas engendrée, autrement dit il ne crée ni ne contrôle la modification de la variable. Nous avons utilisé l’expérimentation naturelle pour apprécier l’influence possible de la conjoncture économique et sociale de la France sur le comportement financier des migrants maliens et sénégalais. C’est ainsi que nous avons pu comparer le comportement financier des migrants entre deux périodes de temps (1995 et 1997-1998) caractérisées par une situation économique et sociale différente (cf. section 2 du premier chapitre de la 2e partie). On peut aussi citer l’exemple d’une étude économique des effets de l’introduction d’une taxe fiscale sur le comportement d’investissement des entreprises dans une région donnée en comparant les situations avant et après que celle-ci soit introduite. On retrouve ici la difficulté déjà évoquée, à

127 Le sociodrame est , selon J.-L. Loubet Del Bayle, une technique née aux États-Unis sous l'égide de Jacob Moreno. Théoriquement, le sociodrame suppose que tout homme possède une spontanéité créatrice fondamentale qui est son être authentique. Cependant, cette spontanéité est gênée par la “ personnalité ” qui l'empêche de s'exprimer. D'où donc la nécessité d'organiser une expérience (dite du sociodrame) sous forme scénique, avec un animateur qui fournit les thèmes de discussion, un auditoire et des participants, pour permettre à ces derniers de se libérer de leur “ personnalité ” et d'exprimer ainsi leur vérité profonde.

savoir si les conséquences observées sont réellement dues à la modification de la variable et non à d’autres facteurs intervenant simultanément128.

Dans le second cas, il n’y a aucune modification des données des situations observées. Le chercheur compare seulement les deux situations qui ne diffèrent que par une seule variable. Si l’évolution des deux séries d’observations est différente, la cause sera imputée à la seule variable qui différencie les deux situations.

Cependant, l’analyse des observations est moins facile qu’il n’y paraît au premier abord. Comme exemple d’illustration de ce procédé, on peut citer la technique des “ suffrages séparés ”. Cette technique consistait à faire voter les hommes et les femmes dans des urnes différentes. L’objectif de cette discrimination était d’étudier l’influence du facteur sexuel sur les résultats électoraux129.

L’analyse ex post facto, projective ou rétrospective, est un procédé particulier de traitement des données observées. Elle a pour but de reconstituer après coup l’enchaînement des causes et des effets de phénomènes spécifiés, cet enchaînement étant la cause d’une situation donnée.

L’analyse ex post facto rétrospective vise à étudier les antécédents d’un certain nombre de situations identiques et à rechercher dans ceux-ci les facteurs semblables qui pourraient être à l’origine de ces situations. Par exemple, dans une recherche sur l’entrepreneuriat immigré, on pourrait constituer un groupe d’immigrés ayant créé une entreprise industrielle et, en remontant dans leur biographie, on examinera s'il n'y a pas dans leur passé des éléments similaires qui pourraient être considérés comme des facteurs déterminants de cet entrepreneuriat. Une autre variante de ce procédé consiste à sélectionner deux situations différentes et à voir si ces différences sont la conséquence ou non de différences significatives dans les antécédents de ces situations.

Avec l'analyse ex post facto projective, le chercheur part de situations caractérisées par certains facteurs et analyse ensuite l'impact de ces facteurs sur l'évolution postérieure de ces situations. M. F. Christiaensen (1935) a fait une étude sur les liens existant entre le niveau scolaire et la réussite sociale130. Il a sélectionné deux situations – des personnes de la même génération ayant fait la même école sont réparties en deux groupes selon qu'elles avaient ou non terminé leurs études – en prenant en considération un facteur causal – le niveau scolaire – et en analysant ensuite les conséquences – la position sociale – de ces situations.

128 C’est le problème de la plausibilité de l’hypothèse de “ toutes choses égales par ailleurs ”, utilisée par plusieurs disciplines y compris en économie, qui se pose ici. Cette hypothèse permet d’étudier les caractéristiques et les mécanismes d’un phénomène ou d’une variable en supposant figées toutes les autres variables. S’il est vrai qu’elle ne colle pas avec la réalité du fait de la complexité des relations qu’entretiennent les variables entre elles, son utilité reste cependant incontestée.

129 J.-L. Loubet Del Bayle donne l’exemple d’une expérience de votes séparés organisée en 1956 à Vienne (département de l’Isère – France). Il ressortait de cette expérience deux résultats intéressants. D’une part, le taux d’abstention des femmes était plus élevé que celui des hommes. D’autre part, les hommes votaient davantage pour les partis extrémistes et moins pour les partis modérés ou conservateurs, contrairement aux femmes.

130 J.-L. Loubet Del Bayle, op.cit. p. 177.

Par ailleurs, les économistes utilisent souvent la théorie des jeux qui constitue un exemple type d’expérimentation provoquée.

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