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Immigration, système productif et marché du travail

2. Les conséquences des mouvements internationaux de main d’œuvre

2.2 Immigration, système productif et marché du travail

La migration, étant synonyme de mobilité d’un facteur de production, le travail, exerce naturellement des effets tant sur le marché du travail (2.2.2) que sur le système productif du pays d’accueil en particulier (2.2.1).

2.2.1 L’impact de l’immigration sur le système productif

Des auteurs se sont aussi intéressés à l'impact de l'immigration sur la dynamique de la structure du système productif des pays d'accueil. L'immigration exerce deux effets antagoniques sur l'intensité capitalistique, c'est-à-dire sur le ratio capital/travail.

D'une part, l'afflux de travailleurs étrangers tend à réduire ce rapport. En effet, l'emploi de cette main-d'œuvre le plus souvent peu qualifiée est interprété comme un facteur de réduction de la productivité globale et un frein à la modernisation du système productif. Certains entrepreneurs en ont profité pour maintenir artificiellement leurs activités en retardant l'introduction de nouvelles technologies qui imposait une substitution du capital au travail.

D'autre part, l'arrivée de main d'œuvre étrangère bon marché a non seulement permis de pallier les pénuries chroniques pour certains types d'emplois délaissés par les travailleurs nationaux, mais elle a surtout accru la disponibilité de l'offre de travail. Elle a ainsi favorisé, par une pression à la baisse sur les salaires, une hausse des profits et donc une accumulation du capital68.

65 P. Aydalot et J.-P. de Gaudemar (dir.) (1972), op. cit., p. 7.

66 P. Aydalot (1980), op. cit. Il a établi, à partir d'observations de données françaises relatives à la période 1962-1968, que les migrations internes en France ne répondaient pas aux injonctions du marché et n'avaient que très peu d'effets compatibles avec l'obtention de nouveaux équilibres spatiaux.

67 En exposant les résultats des différentes études, A. de Rugy et G. Tapinos (1994) ont fait en même temps une analyse critique des méthodes et des hypothèses retenues.

68 Voir P. Dockès (1975), op. cit., C. Mercier (1977), op. cit. et R. –E. Verhaeren (1990), op. cit.

Aussi, la mobilité professionnelle et sectorielle des travailleurs immigrés, a facilité l'essor économique de certaines industries et accru la flexibilité du système productif des pays d'accueil69. À court terme, l'immigration joue un rôle régulateur sur le marché du travail des pays d'accueil en amortissant les fluctuations conjoncturelles.

À moyen terme et long terme, l'immigration contribue à la transformation de la structure du marché du travail, de l'organisation du système de production, du mode de croissance et du degré de spécialisation de l'économie des pays d'accueil70. Ainsi, la main-d'œuvre étrangère joue un rôle spécifique dans la dynamique du système productif des pays d'accueil.

P. Lavagne (1969) a construit un modèle à partir des hypothèses néoclassiques de base avec comme objectif principal l’étude du niveau et des déterminants de la variation de la productivité et les conséquences des migrations de main-d’œuvre sur le produit mondial et sur celui des deux pays considérés dans le modèle. Les productivités moyennes et marginales des deux pays sont considérées au départ comme différentes. Il est établi dans son modèle que le passage de l’immobilité à la libre circulation du facteur travail contribue incontestablement à l’accroissement du produit mondial. D’autre part, la variation du produit national s’effectue souvent de manière contrastée mais non systématique dans les deux pays avec une possibilité d’obtenir une hausse simultanée du produit dans les deux pays.

2.2.2 Les effets de l’immigration sur le marché du travail

Les immigrés exercent des fonctions spécifiques dans l’organisation de la production. Lorsque les immigrés constituent une main-d’œuvre complémentaire, toute réduction de leur nombre entraînerait une baisse simultanée de la production globale et de l’emploi et par conséquent un chômage technique pour une partie des travailleurs nationaux. En revanche, si les immigrés constituent une main-d’œuvre substituable, ils peuvent être remplacés par les travailleurs nationaux. Dans ce cas, toute réduction de leur nombre créerait de l’emploi pour les nationaux, toutes choses égales par ailleurs – maintien du rapport capital/travail et de l’organisation de la production.

Jusqu’au milieu des années 70, la main-d’œuvre immigrée était plutôt un facteur de production complémentaire en France. Elle était fortement et reste concentrée en quelques sous-secteurs tels que le nettoyage, le bâtiment et les travaux publics. Elle constitue donc une main-d’œuvre d’appoint nécessaire pour répondre aux variations de la demande dans les emplois peu recherchés par les Français.

George J. Borjas (1993)71 a présenté une synthèse et une analyse critique des résultats des études empiriques relatives à l'impact de l'immigration sur la rémunération et les possibilités d'emploi des travailleurs natifs du pays d'accueil. Ces études se fondent sur une hypothèse théorique qui consiste à supposer l'alternative de

69 A. de Rugy et G. Tapinos (1994), op. cit., p.184.

70 A. de Rugy et G. Tapinos (1994), op. cit., p.185.

71 George J. Borjas [1993]. “ L'impact des immigrés sur les possibilités d'emploi des nationaux ”, in SOPEMI [1993]. Migrations internationales : le tournant, Rapport Annuel 1992, Paris, OCDE, 298 p, pp. 215-222.

complémentarité ou de substituabilité entre les travailleurs immigrés et les travailleurs nationaux pour le système productif du pays d'accueil. Lorsque ces deux groupes sont complémentaires, une faible offre de travailleurs immigrés devrait conduire à une légère baisse de la rémunération des travailleurs nationaux. Dit d'une autre manière, plus l'offre de travailleurs immigrés est importante, plus elle a d'effet bénéfique sur la rémunération des nationaux.

Au contraire, lorsqu'ils sont substituables, un afflux important de travailleurs immigrés devrait entraîner une baisse des salaires des travailleurs nationaux. Cependant, les analyses qui reposent sur l'hypothèse stricte de parfaite substituabilité entre les nationaux et les immigrés ne sont guère pertinentes puisqu'elles aboutissent indiscutablement au résultat que les immigrés “ prennent ” l'emploi des travailleurs nationaux.

En revanche, les analyses pertinentes sont celles qui ont différencié le facteur travail en plusieurs catégories de main-d'œuvre et intégré le plus possible les facteurs de variation des taux de salaires des travailleurs nationaux dans les différents marchés du travail. Le degré de validité de ces analyses dépend effectivement de la capacité à neutraliser les facteurs de variation des taux de rémunération, que sont les différences de niveau d'instruction donc de compétences et les différences de salaires entre les régions ainsi que les différences relatives au niveau d'activité économique d'un marché du travail à l'autre.

La plupart de ces études ont été réalisées aux États-Unis. Il ressort de ces études empiriques tant transversales que longitudinales que l'immigration n'a globalement pas d'impact sensible ni sur la rémunération ni sur le niveau d'emploi des travailleurs nationaux même s'il peut y exister des effets positifs et négatifs non négligeables au niveau de différentes catégories (George J. Borjas, 1993 et A. de Rugy et G. Tapinos, 1994). Toutefois, certaines de ces études empiriques ont révélé que la rémunération moyenne des travailleurs nationaux était légèrement inférieure sur les marchés enregistrant une forte augmentation de la main-d'œuvre immigrée.

La plupart des études sur la causalité entre immigration et chômage conduisent à une absence de corrélation entre ces deux variables. R. Vedder et L. Gallaway ont réalisé une étude relative au lien entre immigration et chômage aux États-Unis entre 1960 et 1990. Ils ont remarqué que sur cette période, les dix États où les taux de chômage étaient les plus bas sont ceux qui avaient les plus forts taux d’immigration et inversement72.

En somme, le recours à l'immigration a permis d'améliorer la croissance et de pallier les déséquilibres structurels – les pénuries de main-d'œuvre et les rigidités – du marché du travail de certains pays développés. Comme l’avait si bien remarqué C. Mercier (1977) en considérant que le lien entre l'immigration et l'activité économique du pays d'accueil et la question de la substituabilité ou de la complémentarité entre les travailleurs immigrés et les travailleurs nationaux dépendent de l'évolution du système économique capitaliste73 – c'est-à-dire des phases

72 Nicole Morgan et Rémy Oudghiri [1997]. “ Immigration : le laboratoire américain ”, Futuribles, n° 219, avril, pp. 59-71, p. 67.

73 La France avait mis en place une structure de recrutement de travailleurs étrangers, l’Office national d’immigration (l’ONI), pour satisfaire aux besoins de main-d’œuvre exprimés par les employeurs ayant des difficultés à trouver sur le territoire français du personnel suffisant ou acceptant certains emplois. Les flux

de l'accumulation du capital et de l'apparition de crises de suraccumulation. La dynamique de l'immigration en France entre 1949 et 1974 peut se résumer, selon C. Mercier, en trois phases :

 une immigration naissante qui répondait aux fluctuations du marché du travail ;

 une immigration complémentaire de la main-d'œuvre française et devenant de plus en plus déconnectée de l'évolution du marché du travail ;

 une immigration redevenue dépendante de l'activité économique et du marché du travail suite à l'accroissement du chômage issu de la crise de suraccumulation.

Ainsi, lorsque l’immigration est strictement contrôlée par les autorités administratives – ce qui semble très difficile –, le pays d’accueil peut réguler les flux d’entrée des travailleurs étrangers selon les besoins du marché du travail et donc selon le rythme des cycles économiques.

Les effets des migrations sur le marché du travail dans le pays d’origine sont une diminution du taux de chômage voire une amélioration des rémunérations suite à la baisse de l’offre de travail après le départ des migrants.

L’émigration permet de valoriser certes dans le pays d’arrivée le potentiel de facteur surabondant et inutilisé.

De plus, les chômeurs qui partent constituent autant de personnes en moins à nourrir et à entretenir sur les ressources propres du pays. Si cette situation d’hémorragie de la force de travail est individuellement profitable aux travailleurs locaux, elle génère des pertes au niveau collectif en particulier la baisse de la production nationale et des recettes fiscales. Le migrant profite naturellement du taux de salaire élevé du pays d’accueil comparativement à celui du pays d’origine.

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