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Une indifférence relative dans le choix des établissements de crédit français

Conclusion du chapitre 1 : Les hypothèses d’étude

Chapitre 2 : Un comportement financier faiblement différencié

3.1 Une indifférence relative dans le choix des établissements de crédit français

L’épargne de transaction est une épargne à très court terme dont la finalité est de faire face aux besoins imprévus de consommation courante. Cet objectif peut être atteint soit en thésaurisant de l’argent liquide chez soi, soit en faisant des dépôts de liquidités sur un compte à vue postal ou bancaire. La quasi totalité des immigrés maliens et sénégalais de France (96 %) confient leur épargne aux établissements financiers. Les banques attirent 74 % des épargnants tandis que la Poste, qui semble a priori l’établissement financier des immigrés, ne reçoit que l’épargne de 22 % des immigrés.

En outre, il existe une différence de fréquences très significative entre les immigrés qui gardent leur épargne sous forme d’encaisses liquides chez eux et ceux qui la déposent à la Poste ou dans une banque. Par rapport à l’enquête effectuée en 1995, seuls 39 % des travailleurs et 80 % des étudiants déposaient leur argent auprès d’un établissement de crédit. Les personnes concernées ont donc en leur possession des cartes de retrait et de paiement et/ou des chéquiers. Ceux-ci leur permettent de faire des opérations commerciales sans avoir recours à la monnaie au sens strict.

Les immigrés qui préfèrent détenir des encaisses liquides chez eux (2 %) et ceux qui confient leur épargne à leur ami (1 %) ne sont pas forcément dépourvus de compte bancaire ou postal. En effet, nombreux sont les immigrés qui ont ouvert un compte mais qui ne l’utilisent pas comme instrument d’épargne. Il s’agit, dans leur majeure

partie, de commerçants, en particulier les saisonniers, et de femmes au foyer. Ils étaient 11 % de travailleurs migrants à garder des encaisses liquides chez eux. L’argent étant toujours à leur disposition, ils peuvent effectuer les achats qu’ils souhaitent à n’importe quel moment sans avoir à se présenter au guichet d’un établissement de crédit ; ce qui leur permet de réaliser un gain de temps.

Cette proportion est de 20 % chez les étudiants. Cette pratique se justifie par leur “ habitus ”. Elle provient principalement du fait que les immigrés avaient l’habitude d’opérer des échanges avec la monnaie stricte (pièces et billets) qu’avec des chèques ou des cartes de paiement. Aussi certains voient dans ces instruments un puissant moyen d’incitation à dépenser plus d’argent qu’ils n’en disposent.

Les immigrés maliens et sénégalais ont en moyenne deux comptes chèques. Une proportion non négligeable d’immigrés maliens et sénégalais (11 %) n’a pas de compte bancaire avec chéquier. Plus des deux tiers des immigrés ont un seul compte chèque et 15 % en possèdent deux. Les immigrés qui disposent d’au moins deux comptes bancaires (2 %) ont généralement un compte dans une institution financière africaine.

Faciliter les paiements et recevoir les salaires sont les deux principales raisons avancées par les immigrés maliens et sénégalais pour justifier l’ouverture de leur compte bancaire avec chéquier. En revanche, très peu nombreux sont les immigrés qui évoquent la sécurité comme motivation essentielle de l’ouverture de leur compte chèque. Les deux principaux mobiles évoqués par les immigrés illustrent le rôle pratique joué par le compte chèque dans leur vie quotidienne. Le compte chèque est perçu comme un instrument nécessaire qui permet tout à la fois de recevoir et dépenser de l’argent, et ce de façon très commode.

Les principaux établissements financiers où les immigrés ont ouvert leur compte chèque le plus utilisé, c’est-à-dire le compte chèque qui enregistre le plus d’opérations de dépôt et de retrait réalisées, sont le Crédit Lyonnais, la Poste, la BNP et la Société Générale. Les filiales de banques africaines établies en France sont beaucoup moins sollicitées par les immigrés maliens et sénégalais. La Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS) est l’institution financière africaine la plus présente chez la population immigrée et gère plus de 7 % de leurs comptes chèques.

La date d’ouverture du compte chèque est très liée à la date d’entrée en France. Les immigrés maliens et sénégalais ouvrent généralement un compte chèque dès les premiers moments de leur arrivée en France.

Le choix de l’établissement financier par les immigrés repose essentiellement (36 %) sur la proximité de celui-ci avec leur domicile ou leur lieu de travail et sur conseil de leurs proches, parents ou amis. Le hasard (12 %), la commodité (8 %) et la confiance (7 %) sont les trois autres éléments déclarés apparaissant comme déterminants dans le choix d’un établissement financier par les immigrés maliens et sénégalais vivant en France. L’importance du hasard comme critère de choix d’un établissement financier met implicitement en relief l’indifférence d’une grande partie des immigrés. Cette indifférence de choix d’une institution financière est d’autant plus plausible que le critère de choix dominant est la proximité du domicile ou du lieu de travail.

Ce résultat semble sous-estimer le rôle de la confiance dans les relations monétaires. La confiance est d’autant plus importante qu’il existe une proximité étroite entre l’argent et le corps, notamment chez les Africains259. Le fait de transporter sur soi son argent (dans son soutien-gorge par exemple) ou de le conserver “ dans des coffres attenant au lit, ou sous l’oreiller, participe non seulement à la recherche d’une certaine sécurité mais aussi au même besoin d’une proximité de l’argent avec le corps et son intimité ”260. Ainsi, “ donner son argent à une institution, banque ou poste, c’est confier une partie de soi ”261.

Les raisons de l’ouverture d’un compte d’épargne sont peu dépendantes du choix de l’établissement financier qui gère ce compte. Pour les migrants maliens et sénégalais, il existe une certaine spécificité particulière propre à un établissement financier ou à un type d’établissements financiers. Ainsi, nous constatons que ceux qui ont évoqué comme motif la constitution d’une épargne ont principalement choisi d’avoir un compte d’épargne à la Poste et aux Caisses d’épargne. En revanche, la plupart des migrants qui sont intéressés par une rémunération favorable de leur épargne ont majoritairement ouvert leur compte d’épargne dans une banque, la Société Générale étant la banque la plus fréquemment citée.

Le lien entre la raison de l’ouverture d’un compte d’épargne et le sexe est peu significatif. Les hommes et les femmes ont, d’une manière générale, les mêmes raisons qui les incitent à ouvrir un compte d’épargne.

Cependant, contrairement aux hommes, les femmes n’ont en aucun moment raisonné en termes de rémunération favorable de l’épargne pour justifier l’ouverture de leur compte d’épargne.

Un cinquième des comptes chèques les plus couramment utilisés ont été ouverts après 1993. Aussi, pour près d’un cinquième des immigrés, la date d’ouverture de leur principal compte chèque remonte à plus de vingt ans.

Cependant, plus d’un quart des comptes bancaires avec chéquier ont une date d’ouverture comprise entre dix et quinze ans. La durée d’existence moyenne des comptes chèques ouverts par les immigrés maliens et sénégalais est de 9 ans 3 mois.

Les immigrés maliens et sénégalais ont souvent plusieurs comptes d’épargne. Le livret A (40 %), le Codevi (26

%) et le PEL (20 %) sont les comptes d’épargne les plus fréquents. Les autres types de compte, notamment le livret B, sont très rarement cités par les immigrés.

Les principaux comptes d’épargne qu’utilisent les immigrés pour faire leurs opérations financières sont ceux qui sont les plus fréquents, à savoir le livret A, le Codevi et le PEL. Cependant, le livret A et le Codevi sont les

259 Ce rapport particulier entre la monnaie et le corps doit être recherché dans les pratiques paléomonétaires des sociétés africaines. “ Il faut se souvenir, nous rappelle J.-M. Servet, que dans ces sociétés, les pagnes ont servi d’instruments monétaires ”. On pourra lire avec intérêt, pour des informations plus détaillées sur cette question, J.-M. Servet [1995]. “ Légitimité et illégitimité des pratiques monétaires et financières : exemples africains ”, op.

cit., p. 290.

260 J.-M. Servet (1995), op. cit. p. 306.

261 L. Sagna (1998). “ Les usages sociaux et culturels de la monnaie : une clientèle en difficulté à la Poste et la gestion de ces incertitudes ”, Thèse de Doctorat, UFR de Sociologie, Université de Caen, 398 p, p. 214.

comptes d’épargne les plus couramment utilisés. Plus de la moitié des immigrés se servent de leur livret A pour effectuer leurs opérations financières alors que seul le quart d’entre eux a recours au Codevi.

Les dates d’ouverture des comptes d’épargne les plus utilisés sont assez variées mais généralement récentes. La date d’ouverture moyenne des comptes d’épargne est de 7 ans. La dispersion autour de cette moyenne est assez élevée (écart type de 6 ans). En effet, 28 % des comptes d’épargne ont moins de 5 ans et près du tiers a entre 5 et 10 ans d’existence. En revanche, très peu nombreux sont les comptes d’épargne les plus utilisés par les immigrés qui ont plus de vingt ans (8 %).

Épargner est, pour près des deux tiers des immigrés maliens et sénégalais, la principale raison justificative de l’ouverture de leur compte d’épargne. La valorisation de l’épargne est aussi un mobile important car plus d’un cinquième des immigrés maliens et sénégalais a ouvert un compte d’épargne pour profiter uniquement de la rémunération favorable. Ce résultat corrobore celui de J.-M. Servet (1995) qui a montré que l’utilisation d’un compte d’épargne en Afrique subsaharienne répond essentiellement voire exclusivement à un besoin de sécuriser l’épargne ou de diversifier les risques qu’à une quête de rémunération de l’épargne262. L’argent mis dans ces comptes d’épargne correspond, pour 9 % des immigrés, à une épargne de précaution.

Nous remarquons ainsi que la rentabilité escomptée de l’épargne placée est loin d’être le principal critère de choix d’un établissement de crédit par les migrants. Ce constat insinue deux types d’interprétations alternatives au sens de la théorie économique, à savoir la rationalité ou l’irrationalité des migrants maliens et sénégalais. La faiblesse marquée des disparités de taux de rémunération entre les établissements financiers, très souvent non significative, et l’absence d’une information complète et parfaite sur les opportunités de placements et les gains potentiels associés plaident plutôt en faveur d’une rationalité limitée des migrants mais aussi des Français en général.

La Poste (32 %) et les Caisses d’Épargne (24 %) sont les deux principaux établissements financiers qui gèrent plus de la moitié des comptes d’épargne des immigrés maliens et sénégalais. La Société Générale (12 %) et le Crédit Lyonnais (12 %) contrôlent une part non négligeable des comptes ouverts par les immigrés.

D’une manière générale, les raisons évoquées par les immigrés pour justifier le choix de l’établissement financier qui gère leur compte d’épargne le plus utilisé sont différentes de celles relatives au choix de l’établissement financier pour leur compte chèque. Le critère dominant du choix d’une institution financière est le couple proximité du domicile ou du lieu de travail/conseil d’un proche. Le choix d’un établissement financier pour le compte d’épargne s’est parfois fait au hasard (10 %). La confiance et encore moins la sécurité sont rarement mentionnées par les immigrés comme critères de choix d’un établissement financier.

Les deux tiers des immigrés détenteurs de compte d’épargne effectuent des versements réguliers sur leur compte.

Parmi les immigrés maliens et sénégalais qui alimentent régulièrement leur compte d’épargne, 9 sur 10 font, en moyenne, des versements mensuels. La moyenne des fréquences de versements est le mois. La valeur de cette moyenne s’explique par la faible proportion d’immigrés effectuant des versements d’une périodicité supérieure

262 J.-M. Servet (1995), op. cit. p. 310.

au mois (10 %). L’écart moyen entre deux versements des immigrés sur leur compte d’épargne dépasse très rarement le trimestre.

Une plus grande partie des immigrés effectue des versements d’un montant moyen compris entre 500 et 1 000 francs. La proportion d’immigrés qui versent sur leur compte d’épargne un montant moyen inférieur à 500 francs est la même que celle qui en versent plus de 2 500 francs. Le nombre d’immigrés concernés par ces deux situations extrêmes est tout de même relativement important. Cependant, la moyenne du montant moyen des versements est de 1 010 francs avec un écart type de 973 francs.

Les migrants maliens et sénégalais sont, à 80 %, détenteurs d’une carte bancaire. La moitié de ces immigrés possèdent une carte de retrait et de paiement. L’autre moitié dispose uniquement d’une carte de retrait. Il y a une absence de lien significatif entre la possession d’une carte bancaire et l’appartenance ethnique des immigrés maliens et sénégalais.

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