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L’immigration facteur de déséquilibres économiques et sociaux

2. Les conséquences des mouvements internationaux de main d’œuvre

2.3 L’immigration facteur de déséquilibres économiques et sociaux

La montée du chômage après 1974 a conduit les pays de la Communauté européenne (devenue l’Union européenne), l’un après l’autre, à restreindre fortement les flux migratoires74 de main-d’œuvre pour à la fois protéger les emplois nationaux et atténuer voire enrayer la montée des tensions culturelles75. Parallèlement, des migratoires fluctuaient ainsi en fonction de la conjoncture économique. Voir Henry Bussery [1976]. “ Incidence sur l’économie française d’une réduction durable de la main-d’œuvre immigrée ”, Economie et Statistiques, n°

76, mars, pp. 37-47.

74 Pour Paul R. Krugman et Maurice Obstfeld (1992), les restrictions sur les flux de main-d’œuvre sont pratiquement universelles. Paul R. Krugman et Maurice Obstfeld (1992), op. cit., p. 186.

75 Ces restrictions de la liberté de circulation ne concernent pas les ressortissants des pays membres de l’Union européenne. Les accords de Schengen du 14 juin 1985 et du 14 juin 1990 ont été signés par treize États européens : la France, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l'Italie, la Grèce, l'Espagne, le Portugal, le Danemark, l'Autriche, la Suède et la Finlande. L’objet de ces accords est la suppression des contrôles de personnes aux frontières communes entre ces États et le renforcement de la coopération policière, douanière et judiciaire par la mise en place d’un système informatique de signalements policiers : le SIS pour

contrôles partiels de flux migratoires ont été instaurés dans plusieurs pays développés, en particulier au Canada et aux États-Unis. Ces contrôles visent à filtrer les entrées en sélectionnant souvent les migrants qui possèdent une bonne formation et/ou de l’expérience professionnelle. Ces faits révèlent l’ambivalence des conséquences sociales de l’immigration (2.3.1) et de son impact sur les finances publiques (2.3.2).

2.3.1 Les conséquences sociales de l’immigration

Des études ont été réalisées pour cerner les effets socio-économiques de la migration. Ainsi, P. H. Lindert et T.

A. Pugel (1997) ont présenté une analyse des effets des migrations de main-d’œuvre sur les marchés du travail de deux pays représentatifs du monde entier, le “ Nord ”, à revenu élevé et le “ Sud ”, à revenu faible. La liberté des mouvements migratoires, comme le libre-échange, génère des gains et des pertes.

Les principaux bénéficiaires de la liberté des migrations internationales sont les migrants, leurs nouveaux employeurs et les travailleurs restés dans le pays d’émigration. En revanche, les principaux perdants de la liberté de circulation internationale de la main-d’œuvre sont les travailleurs du pays d’accueil concurrencés par les migrants, surtout les travailleurs non qualifiés, et les employeurs du pays d’origine de ces derniers.

En ce qui concerne les nations, le pays d’émigration, le Sud, subit globalement une perte tant au niveau de la main d’œuvre qu’au niveau des finances publiques. Les arguments ne manquent pas pour les partisans d’un dédommagement du pays d’émigration par l’instauration d’un impôt sur la fuite des cerveaux de sorte qu’il puisse récupérer au moins une partie des fonds publics investis pour la formation, la santé et la sécurité des émigrants76. Cette idée d’une compensation sous forme d’impôt au titre de l’“ exode des cerveaux ” a été défendue par Jagdish Bhagwati77. Cette compensation est d’autant plus juste que les émigrants sont généralement des personnes jeunes, dynamiques et vraisemblablement des contributeurs nets d’impôts pour le pays d’accueil78.

combler le déficit réel ou présumé de sécurité en Europe. Voir Paul Masson [1999]. “ Intégration de l’acquis de Schengen dans l’Union européenne ”, Rapport d’information, n° 99, Délégation du Sénat pour l’Union européenne, Paris, Sénat.

76 En sus des coûts économiques, l’émigration porte en elle-même des coûts psychologiques. Les migrants, coupés de leur famille et de leurs amis, se sentent incertains de l’accueil que leur réserve le pays d’accueil. Ils sont souvent victimes de craintes et répugnances et d'hostilités d’une partie de la population à leur égard.

77 Lindert P. H. et Pugel T. A. (1997), op. cit.

78 L'économiste libéral Gary Becker (1975) proposait plutôt l'instauration d'une taxe sous forme de péage que doivent s'acquitter les migrants lors de leur entrée dans le pays d'accueil. Pour une discussion de cette idée, voir Yves Crozet et al. [1997]. Les grandes questions de l'économie internationale, Paris, Nathan, 448 p, pp. 39-40.

Les effets de l’immigration sur le marché du travail79 font du pays d’accueil un gagnant net, et ce d’autant plus qu’on assiste actuellement à des migrations temporaires. Bien qu'étant souvent le prélude à l'installation définitive de migrants, le travail temporaire présente néanmoins un intérêt certain pour les pays d'accueil. En particulier, la présence temporaire des travailleurs étrangers qualifiés et hautement qualifiés permet aux nationaux de profiter pleinement de leur savoir-faire et de leur expérience. De plus, le travail temporaire ne conduit pas à une hausse des coûts sociaux.

2.3.2 L'impact de l'immigration sur les finances publiques

Des études transversales visant à évaluer l'incidence de l'immigration sur les finances publiques ont également été menées notamment aux États-Unis et au Canada. L'objectif de ces études est de voir si les contributions des immigrés au système de protection sociale sont supérieures ou inférieures aux subventions qu'ils reçoivent de la part de l'État du pays d'accueil. Il s'agit d'abord de quantifier les différents versements, impôts et cotisations sociales, effectués par les immigrés et l'ensemble des prestations, allocations familiales, indemnités de chômage et sécurité sociale, reçues par les immigrés. Ensuite, il est question de faire un bilan global net entre les contributions versées et les prestations reçues par l'ensemble des immigrés.

Au-delà des limites intrinsèques que revêtent de telles évaluations, dues en général aux difficultés de disposer de données pertinentes, les résultats de ces études se caractérisent par leur divergence quant à la contribution nette des migrants au budget national du pays d'accueil. Les auteurs américains80 ayant utilisé cette méthode ont abouti à des conclusions concordantes, a savoir qu'au niveau fédéral les immigrés cotisent au moins autant qu'ils bénéficient de prestations sociales. Autrement dit, l'effet de l'immigration sur le budget du pays d'accueil est neutre, voire positif.

L'étude réalisée en Australie en 1991 a montré que le ratio du montant total des cotisations d'impôts (sur le revenu) sur le montant total des prestations sociales était de 2,31 pour les Australiens et de 2,18 pour les personnes nées à l'étranger. Bien que cette différence semble peu significative, elle révèle néanmoins que les étrangers ont plus bénéficié du système de protection sociale australien qu'ils n'ont payé d'impôts sur le revenu.

En France, le financement de la protection sociale (maladie, chômage, retraite) transite beaucoup moins par le budget. Tous les travailleurs, y compris les migrants, s’acquittent de leurs cotisations sociales. La protection sociale est ainsi une forme collective d’épargne et de prestations. En 1988, les chômeurs étrangers en France n’ont perçu que 10 % des 65 milliards de francs d’allocations. Cependant avec le vieillissement et l’installation définitive de la première génération d’immigrés ainsi que le taux de chômage élevé de la seconde génération – près de 30 % –, le coût de l’immigration risque de devenir important81.

Plusieurs de ces études ont donc montré que les immigrés payent plus d’impôts qu’ils ne bénéficient de services publics de la part du pays d’accueil. Cela est singulièrement vrai pour les immigrés “ clandestins ”, qui sont le

79 Le dilemme que suscite les effets de l’immigration sur le marché du travail est bien résumé dans George J.

Borjas (1993), op. cit.

80 Voir A. de Rugy et G. Tapinos (1994), op. cit., p. 186.

plus souvent des contribuables nets car ils s’acquittent de taxes sans pour autant bénéficier d’aide sociale.

Cependant, à partir des années quatre-vingt, les immigrés ont davantage profité des services publics qu’ils n’ont payé d’impôts, faisant ainsi supporter une charge budgétaire nette aux autres contribuables du pays d’accueil (en Amérique du Nord).

Toutefois, les pays d’accueil peuvent, par le biais d’une politique sélective d’immigration, améliorer les effets budgétaires nets en n’acceptant sur leur territoire que des immigrés qualifiés voire hautement qualifiés, autrement dit les contributeurs nets d’impôts. Les candidats à l’émigration dotés de faibles qualifications, considérés comme de potentiels pauvres qui vont très probablement émarger aux programmes d’aide sociale, ne sont pas admis.

L'existence d'un système de protection sociale et d'un revenu minimum constitue un facteur d'attraction des migrants potentiels et déconnecte partiellement, selon Borjas (1991), la décision de migration de la situation sur le marché du travail du pays d'accueil. Dans cette optique, la demande de prestations sociales ferait partie des éléments d'appréciation de l'opportunité de la migration. Le cas échéant, si le marché du travail se trouve dans l'incapacité d'absorber le supplément de main-d'œuvre dû à la nouvelle immigration, il est évident que l'immigration aura un effet très néfaste sur le budget social du pays d'accueil puisque essentiellement consommatrice de prestations sociales.

Le caractère souvent sélectif du marché migratoire, préférence orientée vers les jeunes célibataires compétents, permet de modifier la structure par âge de la population du pays d'accueil. Ainsi, une approche en termes de cycle de vie devrait certainement conduire, pour les pays développés confrontés au vieillissement démographique, à un effet très positif de l'immigration (sélective) sur l'épargne et les transferts sociaux.

Les conséquences de l’immigration pour les pays de départ ont été très peu étudiées. Les auteurs se sont souvent contentés d’évoquer très sommairement certaines conséquences possibles. Certains auteurs considèrent l'immigration comme un moment de formation et d'acquisition d'expérience professionnelle. L'immigration constitue, par conséquent, un avantage certain pour les migrants, et pour leurs pays d'origine lors du retour définitif.

Cependant, les compétences acquises à l’étranger par les migrants ne sont pas facilement utilisées au retour. Il semble, selon Reginald T. Appleyard82, qu’il y a un consensus des auteurs à ce sujet. La plupart des économies domestiques n’offrent pas de travail productif aux migrants de retour. Les migrants retournés au pays sont des acteurs du changement social en ce sens qu’ils peuvent contribuer à lutter contre les rigidités sociales néfastes au développement économique.

81 J.-P. Coulange [1991]. “ Les immigrés dans l’entreprise : de moins en moins nombreux. Voici pourquoi ”, Le nouvel Économiste, n° 799 - 7 juin, pp. 46-52.

82 Reginald T. Appleyard (dir.) [1995]. International migration today, Volume 1 Trends et prospects, Unesco, Paris, 382 p, p. 12.

Les envois de fonds des travailleurs immigrés ne constituent pas une perte pour le pays d’accueil même si ces envois sont comptabilisés comme une sortie de capitaux dans la balance des paiements. L’entrée de devises permet aux pays d’émigration moins compétitifs au niveau international de compenser entièrement ou en partie leur déficit commercial. Pour les immigrés, les transferts sont une partie du fruit de leur travail autrement dit de leur rémunération. Au travers de ces dons, les immigrés “ achètent une satisfaction psychique ” 83, laquelle contribue à leur bien-être physique et surtout moral.

En définitive, l’immigration génère des avantages positifs, le transfert de nouvelles connaissances tant dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine en cas de retour effectif du migrant, et des effets externes négatifs, les coûts d’encombrement et les tensions sociales. L'immigration engendre des effets négatifs sur le pays d'origine qui voit sa réserve de main-d'œuvre la plus productive et la plus dynamique s'épuiser.

L’étude des effets de la migration internationale a abouti à un certain nombre de résultats intéressants. En premier lieu, une plus grande liberté des mouvements migratoires conduit à un accroissement de la production mondiale et favorise dans le même temps un rapprochement des taux de salaires des différents pays dans les emplois occupés par les travailleurs migrants.

En second lieu, les travailleurs du pays d’accueil directement concurrencés par les migrants voient leur salaire diminuer par rapport à celui des autres nationaux et par rapport aux revenus autres que les salaires, en particulier les rentes foncières. Toutefois, il importe de souligner la faiblesse relative du nombre de travailleurs natifs directement menacés par l’arrivée des migrants puisque ces derniers n’occupent, dans la plupart du temps, que des emplois “ durs ” délaissés par les premiers.

Enfin, la convergence des salaires des migrants vers celui, plus élevé, des travailleurs natifs du pays hôte est loin d’être parfaite ; le rattrapage n’étant que partiel. Par ailleurs, il demeure important de présenter l’intérêt et les limites des analyses de la migration internationale.

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