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Chômage et migration

Les analyses keynésienne (1.2.1) et marxiste (1.2.2) considèrent le chômage comme une variable essentielle et déterminante de la migration internationale. Cependant, les explications fournies par ces deux analyses sont très différentes.

1.2.1 L’analyse keynésienne de la migration

Le chômage ou la pénurie de la demande de travail et l’écart des revenus sont, chez les keynésiens, les facteurs explicatifs de la migration internationale de la main-d’œuvre27. La quête d’un emploi par les chômeurs ne se limite pas à leur espace national. La main-d’œuvre dépourvue de travail est prête à émigrer si elle espère obtenir un emploi à l’étranger. La faiblesse des revenus constitue aussi un puissant facteur d’émigration. Cette analyse suppose implicitement que les mouvements de main-d’œuvre s’effectuent dans un sens unique, des pays dits pauvres vers les pays dits riches ; ce qui est contraire à la réalité. Les statistiques des migrations internationales révèlent l’existence de flux symétriques même si l’intensité de ces mouvements diffère selon le niveau de développement des pays.

26 Malcolm Gillis et al. (1997), op. cit., p. 299.

27 En revanche, les mouvements de capitaux se justifient par les déséquilibres de l’épargne, excès ou insuffisance de l’épargne.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’immense majorité des études, qu’elles se fondent sur la théorie néoclassique de l’égalisation des rémunérations des facteurs ou sur celle keynésienne d’écarts de revenus ou d’emplois offerts, ont privilégié l’optique push and pull, facteurs attractifs dans le pays hôte et facteurs répulsifs dans le pays de départ, pour expliquer les phénomènes migratoires.

Analysant les migrations trans-océaniques du XIXe siècle qu’il considère comme un prolongement de l’exode rural et la hausse de la productivité agricole28, B. Thomas (1954) montre que les migrations internationales et les mouvements de capitaux évoluent dans le même sens tandis que les fluctuations du cycle de la construction sont de sens inverse dans les pays d’émigration et d’immigration29. Compte tenu de l’importance du rôle du secteur de la construction dans la croissance économique, il conclut que les déplacements internationaux de travailleurs constituent un élément crucial de la détermination du niveau des taux de croissance économique des pays d’accueil et d’origine.

L’immigration, en accroissant l’élasticité de l’offre de travail, contribue à la croissance économique du pays d’accueil en permettant le transfert de travailleurs des secteurs en déclin vers les secteurs en forte expansion.

Certains voient dans cette mobilité distributive sur le marché du travail un énorme avantage pour la main-d’œuvre du pays d’accueil qui va se réorienter vers les emplois les plus qualifiés, et par conséquent les mieux rémunérés.

Bohning (1974)30, étudiant les phénomènes migratoires européens, a abouti à un processus auto-entretenu de développement de l’immigration. Confrontés à un manque crucial en main-d’œuvre, les pays européens ont fait un appel pressant aux travailleurs étrangers. Cet appel, résultant d’un changement de comportement de la main-d’œuvre européenne – désaffection pour certains emplois –, a conduit à un accroissement de plus en plus important de la population immigrée. Ce constat lui fait dire que l’immigration constitue une donnée endogène des marchés du travail européens31.

1.2.2 L’analyse marxiste de la migration

Dans une perspective marxiste, le chômage est en lui-même un facteur de migration internationale. Analysant les effets destructeurs de l’avènement du capitalisme en Angleterre – destruction des structures sociales internes –,

28 Les mouvements de main-d’œuvre peuvent aussi devenir un substitut de l’exode rural lorsque le pays d’origine ne s’industrialise pas.

29 Colette Nême (1991) op. cit, p. 145.

30 W. R. Bohning [1974]. “ Les effets de l'emploi des travailleurs étrangers ”, Rapport préparé pour l'OCDE, cité par Colette Nême (1991) op. cit, p. 146.

31 Il s’appuie sur l’analyse marxiste de l’offre de travail. En effet, Marx considère l’offre de travail comme une donnée endogène du système capitaliste, une conséquence de la surproduction et de l’armée de réserve. Voir Christian Mercier [1977]. Les déracinés du capital : Immigration et accumulation, PUL, Lyon, 321 p.

Marx évoquait les migrations d’ouvriers anglais “ en surnombre ” vers les colonies telles que les Indes Orientales qu’ils transformèrent en champs de production de matières premières pour la métropole32.

Marx n’a pas directement traité les phénomènes migratoires mais il a cependant souligné trois différences dont deux peuvent servir de point de départ d’une analyse de l’immigration33. La première différence est celle qui existe dans l’intensité et la productivité du travail. Pour un même volume horaire de travail, l’intensité moyenne du travail est différente selon les pays et ce d’autant plus qu’elle dépend de la nature des rapports sociaux dans chaque pays. La productivité peut aussi être différente ceteris paribus – hypothèse d’égalité de l’intensité de travail dans les différents pays. Le pays dont le travail est plus productif n’est pas obligé de baisser le prix au niveau de sa valeur, la valeur d’un travail étant égale à l’intensité fournie. D’où la différence entre prix et valeur est, en situation d’échange international, la première source d’exploitation des pays moins productifs par les nations plus productives.

Le second aspect concerne les différences dans les niveaux de salaire nominal. Le taux de salaire nominal est plus élevé dans les pays les plus avancés telle que l’Angleterre du XIXe siècle à cause notamment de l’augmentation des prix des biens salariaux.

La théorie marxiste des déplacements de facteurs ne constitue pas une originalité comparativement à l’analyse néoclassique dans la mesure où l’on retrouve presque les mêmes variables explicatives, à savoir les écarts de productivité, l’unité du marché international et la concurrence parfaite.

R.-E. Verhaeren (1990)34 propose de distinguer plusieurs niveaux d’approche dans le courant de pensée marxiste.

Le premier niveau d’approche est celui qui est adopté par plusieurs auteurs. Pour ces derniers, les mouvements migratoires entre les pays s’expliquent par le salaire (nominal) élevé dans le pays récepteur. Cette approche est souvent enrichie par des réflexions axées sur le fonctionnement du marché du travail et l’équilibre entre l’offre et la demande de travail. Ce premier niveau est fondamentalement proche de certaines des hypothèses néo-classiques.

Le deuxième niveau d’approche s’intéresse à la problématique du développement supérieur dans les nations d’immigration. L’inégal développement crée une situation d’attractivité pour le niveau supérieur de

32 M. Byé et G. Destanne de Bernis (1987), op. cit.

33 La troisième différence réside dans les compositions organiques du capital. Le niveau élevé des salaires dans le pays le plus développé engendre une augmentation du capital constant (c) par rapport au capital variable( v) et donc une composition organique du capital différente de celle du pays le moins avancé. Cette situation aboutit à une baisse du taux de profit dans le pays le plus développé ; ce qui pousse les capitalistes à aller dans les pays en développement pour compenser la baisse du taux de profit. A. Emmanuel (1969) s’appuie, entre autres, sur cette différence pour fonder une explication des mouvements de capitaux. Arrighi Emmanuel [1969]. L’échange inégal, Maspéro, Paris.

34 R.-E. Verhaeren [1990]. Partir ? Une théorie économique des migrations internationales, Grenoble, PUG, 316 p.

développement. Autrement dit, les mouvements de main-d’œuvre s’orientent des pays les moins avancés vers les régions plus prospères. Ainsi, l’écart entre le niveau de développement qui est la source de l’échange inégal devient aussi la source de la migration de la main-d’œuvre. Dans cette optique, le sous-emploi est étroitement lié au sous-développement et le plein-emploi au développement supérieur du capitalisme.

Les déplacements de travailleurs répondent aux besoins supplémentaires de main-d’œuvre des pays développés qui se trouvent en permanence dans une situation d’expansion économique et de quasi plein-emploi. Cette approche est très simpliste car elle fait fi de la réalité. En particulier, elle ne peut expliquer l’existence concomitante d’un taux de chômage élevé dans les pays développés et la permanence d’un haut niveau d’emploi des travailleurs migrants avec parfois une poursuite de l’immigration. Là aussi, l’analyse est essentiellement centrée sur le fonctionnement du marché du travail. Compte tenu de ses hypothèses restrictives, cette approche de développement inégal écarte les migrations vers les pays moins développés encore moins les migrations croisées.

R.-E. Verhaeren (1990) a proposé une théorie des migrations internationales qui, tout en intégrant les apports de la recherche économique et d’autres disciplines sur la question, se fonde sur l’œuvre de Marx. Il puise dans l’appareil conceptuel marxiste certains concepts telles que l’accumulation primitive, la surpopulation relative pour étayer sa théorie. Chacun de ces concepts a constitué un instrument de compréhension d’une ou de plusieurs des facettes du phénomène migratoire. Il aboutit à deux principaux résultats :

L’emploi de la main-d’œuvre immigrée constitue pour les capitalistes une opportunité d’accroître le taux d’exploitation de l’ensemble de la force de travail notamment à travers un affaissement de la structure salariale globale, une précarisation des conditions d’emploi35.

 La force de travail étrangère joue un rôle régulateur vis-à-vis de la conjoncture économique, et vis-à-vis des cycles saisonniers de l’activité. Elle permet d’augmenter la disponibilité de la main-d’œuvre en période d’expansion du capitalisme et d’amortir les effets de la crise sur l’emploi en période de ralentissement conjoncturel ou lors des redéploiements du capital – restructurations ou réaménagements de l’appareil productif.

Ces résultats corroborent ceux établis par C. Mercier (1977) qui considérait l’immigration comme une solution à la rareté tendancielle de main-d’œuvre non qualifiée dans les pays capitalistes développés lors des périodes de croissance extensive. Le manque structurel et permanent de forces de travail non qualifiées pendant les phases d’expansion forte constituant un blocage de l'accumulation du capital, l'immigration contribue ainsi à rétablir la rentabilité du capital.

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