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L’intérêt des analyses de la migration internationale

3. Portée et limites des analyses de la migration internationale

3.1 L’intérêt des analyses de la migration internationale

Les analyses de la migration ont indiscutablement une portée normative dans la mesure où elles ont souvent servi de base à l'élaboration de la politique migratoire de certains pays d'accueil (3.1.1). Elles ont aussi permis de clarifier le débat sur la relation entre migration et développement (3.1.2).

3.1.1 Les analyses comme support des politiques migratoires

La nécessité de bien comprendre la genèse du phénomène migratoire et de ses logiques de fonctionnement est d'autant plus impérieuse que la situation économique et sociale actuelle de nombre de pays d'accueil est loin d’être satisfaisante à cause de l’ampleur et des conséquences du chômage et que celle des pays de départ ne s'améliore guère davantage.

L'importance considérable des investigations pluridisciplinaires, économiques, sociologiques, psychologiques et démographiques en particulier, révèle à la fois la complexité de la réalité migratoire et la difficulté de cerner ce phénomène à partir d'analyses théoriques abstraites84. Cela ne veut pas dire que les constructions théoriques sont inutiles, bien au contraire elles participent, certes au travers d'une simplification de la réalité, à la connaissance de certains aspects du fait migratoire.

Aussi, il importe de relever les apports sur le plan de la connaissance de la migration de certains auteurs qui se sont plus ou moins explicitement référés au modèle néoclassique. L’analyse néoclassique de la migration est parfaitement cohérente avec les présupposés théoriques néoclassiques car elle s’inscrit dans le cadre du modèle de l’équilibre général. Dans cette perspective, la migration joue un rôle rééquilibrant ou “ optimisateur ” car les déplacements de main-d’œuvre réagissent aux écarts de prix du facteur travail. Les mécanismes d’ajustements du marché du travail, l'interaction prix – quantité du facteur travail, fonctionnent désormais au niveau international.

Ainsi, critiquer la théorie néo-classique des migrations revient logiquement à rejeter l'héritage walrasien, à savoir le modèle d'équilibre général85.

84 Ce constat nous invite à privilégier autant que possible une approche transdisciplinaire de la réalité migratoire.

85 Pour un commentaire critique de la théorie néoclassique des migrations, voir J.-P. de Gaudemar in P. Aydalot et J.-P. de Gaudemar (dir.) (1972), op. cit., pp. 21-36.

La plupart des travaux ont un caractère empirique car les auteurs ont souvent eu recours aux investigations factuelles. L’avantage majeur de certains de ces travaux est de permettre d’étayer des hypothèses plus conformes avec les faits et de faire ainsi avancer la recherche dans ce domaine.

Mais cependant, compte tenu des difficultés réelles des pays de l'OCDE de maîtriser le volume et la composition des migrations nettes, l'immigration ne peut être un instrument efficace pour atteindre des objectifs démographiques précis. Dans cette situation, il devient illusoire de miser sur les politiques migratoires pour contrecarrer le processus de vieillissement et/ou pour réduire la croissance du rapport de dépendance de la population âgée de ces pays86.

3.1.2 Les analyses comme éléments de clarification du débat sur la relation entre migration et développement La plupart des pays du Sud et des pays de l'Est sont confrontés à un sous-développement aigu, accentué par une surpopulation relative et une raréfaction des ressources notamment financières, qui menace leur stabilité politique et leur survie économique. L'accroissement rapide de la population et du nombre des actifs, par rapport au potentiel de ressources naturelles et de capital matériel et financier disponibles constitue ainsi la première cause du chômage dans ces pays. Dans le cas fréquent d'une émigration de chômeurs, le salaire ne peut constituer une variable importante dans la prise de décision de migrer dans la mesure où il n'existe pas d'allocation chômage dans les pays d’origine.

Cette situation incite, il est vrai, nombre de leurs habitants à considérer la migration internationale comme une nécessité, une solution pour tirer partie des possibilités d'emplois lucratifs ouvertes à l'étranger, dans les pays développés. Le changement des conditions politiques et économiques dans les pays du Sud, plus particulièrement en Afrique, est donc fondamental pour éviter le spectre d’une migration auto-entretenue. Le contexte économique et social des pays récepteurs de migrants, en particulier les pays d’Europe Occidentale, les a conduit à rechercher des solutions pour atténuer, à terme d’éradiquer, les pressions migratoires qu’ils subissent.

Deux grands types de solutions consensuelles ont été séparément ou simultanément adoptés par les pays d’immigration. J.-P. Guengant87 évoque à ce propos de l’émergence de deux nouveaux paradigmes : le paradigme de contrôle et celui du développement. Ces deux paradigmes complémentaires obéissent à la même logique et poursuivent le même objectif, à savoir l’arrêt ou la réduction au strict minimum des migrations internationales88.

Le paradigme du contrôle consiste en la mise en oeuvre de plusieurs types de mesures qui vont de la fermeture absolue des frontières – immigration zéro – à l’ouverture limitée des frontières avec des procédures strictes de sélection des candidats à l’immigration et parfois avec recours à une contractualisation de la migration.

86 SOPEMI [1998], op. cit.

87 J. - P. Guengant (1996), op. cit.

88 Voir aussi C. Wihtol de Wenden et A. de Tinguy [1995]. L’Europe et toutes ses migrations, Collection Espace international, Editions Complexe, 173 p.

Quant à l’autre paradigme, il repose sur l’argument que le développement économique, permettant de réduire à la fois la pauvreté et les écarts de revenus entre les pays prospères et les pays pauvres, annihile à terme l’incitation à émigrer. Dans cette optique, trois mesures ont essentiellement été retenues pour réduire fortement les pressions économiques et politiques favorisant la migration internationale. Il s’agit tout d’abord de favoriser le commerce avec les pays fournisseurs de main-d’œuvre par la libéralisation des échanges internationaux.

L’accroissement du volume d’exportations, notamment de biens à fort coefficient de facteur travail, permet de réduire l’incitation à émigrer.

D’autre part, la promotion des investissements de capitaux étrangers des entreprises publiques et privées vers les pays pourvoyeurs de main-d’œuvre migrante. Enfin, l’aide publique au développement et la coopération internationale demeurent nécessaires et sont un élément incontournable pour accélérer le processus de développement économique des pays pauvres et subséquemment un tarissement des flux migratoires. Ces mesures reposent sur une idée très simple à savoir que le développement économique, par la création d’emplois et l’amélioration des conditions de vie qu’il génère, constitue un puissant frein aux pressions migratoires internationales89.

Ainsi le rôle que peut avoir le développement économique sur les pressions migratoires dans les pays d'origine a été résumé par Michael S. Teitelbaum (1993)90. A court terme, le développement économique engendre des changements déstabilisateurs dans les rapports économiques traditionnels et les réseaux sociaux. Ce progrès économique conduit non à une réduction des pressions à l'émigration mais à une promotion et une accélération de l'émigration à cause notamment de la saturation des marchés du travail et de la distribution inéquitable des revenus. Le développement économique peut constituer un frein aux pressions à l'émigration uniquement dans une perspective de long terme – plusieurs décennies.

Bernard Wood (1994)91 est aussi convaincu de la nécessité de promouvoir le développement durable des pays d'émigration pour annihiler, à long terme, l'incitation à émigrer. Il préconise un ensemble de priorités et d'objectifs pour arriver à un développement économique de ces pays. Il adjoint aux trois solutions précédentes, l'application par ces pays de politiques d'ajustement structurel et l'accroissement des transferts de technologies vers ces pays.

89 L’idée que développement des pays de départ est la seule solution raisonnable pour endiguer les pressions migratoires potentielles à l’émigration est largement partagée par les auteurs. Voir par exemple, Salah Mezdour (1993), op. cit.

90 Michael S. Teitelbaum [1993]. Les effets du développement économique sur les pressions à l'émigration dans les pays d'origine", in SOPEMI [1993]. Migrations internationales : le tournant, Rapport Annuel 1992, Paris, OCDE, p, pp. 179-182.

91 Bernard Wood [1994]. “ Stratégies de développement et libéralisation des échanges : impacts sur les migrations ”, in SOPEMI [1994]. Migration et développement : un nouveau partenariat pour la coopération, Rapport Annuel 1993, Paris, OCDE, 343 p, pp. 159-173.

Cette assertion doit être nuancée pour trois raisons au moins. Primo, le développement économique peut ne pas générer des créations d'emplois suffisantes dans les pays à fort potentiel migratoire à cause notamment de la surpopulation relative et de l'accroissement de l'intensité capitalistique des systèmes productifs mondiaux au détriment du facteur travail.

Secundo, l’espoir de compter sur la libéralisation du commerce international pour endiguer les pressions migratoires est relativement mince au vu des pratiques protectionnistes sur les produits dits “ sensibles ” qui sont ceux qu’exportent généralement les pays émetteurs de main-d’œuvre.

Enfin, certains de ces instruments ne se sont pas encore révélés efficaces. En effet, H. Breier (1994)92 a montré que l'aide publique au développement n'avait qu'un effet indirect sur la réduction des pressions migratoires. Elle ne doit être qu'un des instruments d'une politique de coopération et de développement économiques.

Il ressort de l'étude réalisée sur certains pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine que la libéralisation des échanges internationaux et la migration sont complémentaires (Anne Richards, 1994)93. L'auteur a remarqué que cette plus grande ouverture aux échanges internationaux s'est accompagnée d'un accroissement sensible et simultané des flux d'émigration et d'immigration. Ce résultat peut être aussi le fait d'une croissance

“ appauvrissante ”, due à une détérioration des termes de l'échange ou à une baisse du pouvoir d'achat des exportations de ces pays, qui incite davantage les populations à s'émigrer. Le cas échéant, la thèse des auteurs marxistes – qui consiste à considérer les migrations à la fois comme un produit et un facteur d'accroissement des inégalités de développement entre les nations – se trouve largement accréditée.

Quant aux investissements étrangers, ils sont quasi-exclusivement guidés par des impératifs de perspectives économiques – profits escomptés – et de stabilité politique. Les incitations des États, aussi alléchantes soient-elles, ne pèsent que de manière marginale sur la décision d’investissement des entreprises – privées comme publiques d’ailleurs – dans les pays d’origine des migrants.

Par ailleurs, une intégration économique régionale peut avoir un impact très significatif sur les migrations internationales. Portant son regard sur l'expérience européenne du Marché commun, G. Tapinos (1994) observe, entre autres, que les échanges intra-communautaires se sont considérablement accrus et les flux migratoires intra-communautaires fortement réduits94. Autrement dit, le nivellement des disparités socio-économiques entre

92 Voir Horst Breier [1994]. “ Développement et migrations : le rôle de l'aide et de la coopération ”, in SOPEMI [1994]. Migration et développement : un nouveau partenariat pour la coopération, Rapport Annuel 1993, Paris, OCDE, 343 p, pp. 197-217.

93 Anne Richards [1994]. “ Les effets d'entraînement des échanges internationaux et de la coopération ”, in SOPEMI [1994]. Migration et développement : un nouveau partenariat pour la coopération, Rapport Annuel 1993, Paris, OCDE, 343 p, pp. 175-184.

94 George Tapinos [1994]. “ La coopération internationale peut-elle constituer une alternative à l'émigration des travailleurs ”, in SOPEMI [1994]. Migration et développement : un nouveau partenariat pour la coopération, Rapport Annuel 1993, Paris, OCDE, 343 p, pp. 195-203.

régions riches et régions pauvres a diminué les flux migratoires à l’intérieur de l’Union européenne. Ainsi, le développement de l’Europe de l’Est et des pays en voie de développement est, selon Werner (1994)95, le défi que doivent relever les pays développés – la CEE, les États-Unis et le Canada.

Ainsi, compte tenu des résultats de ce panel d'études et du contexte actuel d'interdépendance accrue des économies nationales, l’objectif affiché des pays prospères de tarir l’immigration à la source dans une perspective notamment restrictive et sécuritaire ne peut déboucher que sur un succès très limité. Aussi, le développement économique, l'aide publique au développement, la libéralisation des échanges internationaux et la coopération ne peuvent freiner les flux migratoires, ils peuvent au mieux atténuer l’incitation à l’émigration et changer la nature de la migration.

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