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Problèmes et usages de l ʼ idée de nature dans l ʼ anthropologie structurale de Lévi-Strauss

1. De la référence à l ʼ analogie.

Le moyen le plus commode pour entrer dans lʼœuvre riche et complexe de Lévi- Strauss est peut-être de se confronter immédiatement avec les pages où le problème des relations entre les groupes humains et leur milieu naturel est posé le plus directement, c'est- à-dire les chapitres introductifs du Totémisme aujourdʼhui. Ajoutons à lʼabord de cet ouvrage quʼà nos yeux, il ne peut pas être anodin que, interrogeant la « place » du social dans un ordre de réalité plus large, ou plus exactement lʼidée que se fait tel ou tel groupe social de cette place, ce livre soit en même temps celui où Lévi-Strauss règle ses comptes, comme il ne lʼavait jamais fait auparavant et comme il ne le fera que rarement par la suite, avec lʼhistoire de sa discipline. Si nous mettons entre guillemets ce terme de « place », cʼest précisément parce que le geste théorique de Lévi-Strauss consiste en bonne partie à prendre ses distances avec toute une tradition – qui semble en réalité se confondre avec lʼanthropologie elle-même – pour laquelle ce qui est à interroger est précisément ce qui caractérise le type de relation entre humains et non-humains que les sociétés dites primitives donnent à voir. Ce qui, pour Lévi-Strauss, définit le totémisme comme une illusion, cʼest avant tout le projet dʼensemble que cette catégorie était censée soutenir, et qui consistait en une enquête sur les formes de représentation de la nature, sur les raisons dernières expliquant la proximité plus grande des primitifs avec elle, voire lʼétat dʼindistinction totale régnant dans la pensée sauvage. Ainsi, la position initiale de Lévi-Strauss sur ce problème se présente en même temps comme un geste critique par rapport à lʼhistoire de sa discipline et comme une déclaration de méfiance à lʼégard dʼune enquête sur les rapports collectifs à la nature – du moins en apparence.

Lʼironie avec laquelle Lévi-Strauss se démarque de ce type de projet, et partant avec lʼidée même du totémisme comme « espèce » sociologique légitime, ressort à de nombreuses reprises dans Le totémisme aujourdʼhui, et notamment – outre le titre de

lʼouvrage lui-même – dans cette définition, donnée en introduction :

La notion de totémisme pouvait aider à distinguer les sociétés […] en les classant en fonction de leur attitude vis-à-vis de la nature, telle quʼelle sʼexprime par la place assignée à lʼhomme dans la série animale, et par la connaissance, ou lʼignorance supposée du mécanisme de procréation. 303

Cʼest évidemment dans le fait de souligner lʼexpression vis-à-vis que réside lʼironie : ce qui se cache derrière ce type de démarche, cʼest lʼidée selon laquelle les relations

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concrètes qui articulent ces sociétés à leur environnement extérieur expriment une philosophie naturelle, voire une métaphysique implicite, dont la différence essentielle avec notre propre système de représentations consiste en cela quʼelle attribuerait certaines propriétés, certaines qualités, en partage à lʼhomme comme à la nature. Ce serait ainsi dans le face à face direct de deux sphères de réalité prises comme des totalités à la fois insécables en elles-mêmes, et a priori distinctes, que se construirait un ensemble de savoirs sociaux « au sujet » de la nature, prenant cette extériorité générique comme une référence spontanée pour la connaissance. De ce paradigme classique de l'anthropologie, et notamment de l'anthropologie religieuse, où nous avons voulu voir lʼintuition selon laquelle le partage entre nature et société nʼétait jamais gagné dʼavance, Lévi-Strauss voit avant tout

la projection hors de notre univers, et comme par un exorcisme, dʼattitudes mentales incompatibles avec lʼexigence dʼune discontinuité entre lʼhomme et la nature, que la pensée chrétienne tenait pour essentielle.304

Prendre au sérieux la possibilité dʼune continuité dʼessence entre lʼhomme et la nature, c'est-à-dire situer le problème anthropologique au niveau du « contact » intellectuel ou affectif entre réalités hétérogènes, cʼest donc pour Lévi-Strauss risquer une contrepartie quʼil juge fatale à la démarche ethnologique elle-même, et qui consiste à construire lʼaltérité de lʼautre comme un pur contre-modèle, comme lʼimage inversée dʼune relation au monde quʼon croit être la nôtre. Ce « parti de la nature »305, au sein duquel lʼanthropologie classique a tenté de rassembler les pensées non modernes, ne fait au bout du compte que dévoiler lʼa

priori conceptuel de lʼanthropologie elle-même, c'est-à-dire, par un contrecoup du geste

classificatoire que Lévi-Strauss a par ailleurs bien décrit, catégoriser les choses, cʼest rentrer soi-même dans une classe.

Le modèle théorique général contre lequel sʼélève Lévi-Strauss peut donc être identifié comme celui de la référence. Les croyances totémiques, interprétées dans un sens référentiel, consistent ainsi en un ensemble dʼénoncés socialement construits et formulés à propos de la nature, des énoncés qui visent à la caractériser : on prend donc ici ce terme au sens que lui donne la linguistique, c'est-à-dire comme outil de désignation du monde extérieur à travers la langue. Que ces énoncés soient interprétés comme des erreurs logiques, de la part de lʼécole britannique, ou comme le produit dʼune nécessité interne à la dynamique sociale, chez les durkheimiens, cela est dʼune importance secondaire au regard de la forme générale du problème, car dans un cas comme dans lʼautre, cʼest à la relation entre les noms totémiques et les réalités extérieures quʼils désignent que lʼon sʼintéresse. Et

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Ibid., p. 8.

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cʼest sans doute la généralité de ce modèle refusé qui permet à Lévi-Strauss de construire une reformulation critique unitaire du problème totémique, alors même que celui-ci avait déjà trouvé avant son intervention une grande variété de solutions possibles. En somme, il ne refuse pas tant les réponses une à une que la formulation même du problème, dont lʼunité par delà les différences lʼautorise à parler dʼun « problème totémique », et à le traiter comme tel. Dans la perspective qui est la nôtre, on ne saurait trop insister sur le fait que lʼoriginalité fondamentale de la démarche lévi-straussienne réside dans la mise à distance dʼune histoire de lʼanthropologie quʼil estime saturée par cet obstacle épistémologique consistant à analyser les croyances totémiques comme des énoncés au sujet de la nature, ou si on se place dans le domaine de la pratique, comme un ensemble de rites directement adressés à cette extériorité naturelle. La consistance théorique intrinsèque de lʼopération visant à faire basculer lʼaxe problématique du totémisme dʼune orientation verticale, ou référentielle, à une orientation horizontale, c'est-à-dire analogique ou structurale, ne ressort véritablement que si lʼon identifie ce qui est mis à lʼécart à travers elle. Et en lʼoccurrence, ce nʼest rien moins que la forme même dʼune large part de lʼinterrogation anthropologique : lʼadieu au totémisme signe en même temps lʼadieu à la priorité théorique accordée aux « conceptions », ou aux « représentations » de la nature chez les primitifs. Au nombre des choses que lʼanthropologie structurale nʼest pas, il faut ranger cela : elle tourne résolument le dos à tout ce qui se passe entre un groupe humain donné et son milieu naturel, au sens le plus ordinaire que lʼon puisse donner à cette formule. Du moins est-ce ainsi que le projet intellectuel, qui se traduira dans Le totémisme aujourdʼhui et surtout dans La pensée sauvage, est initialement formulé.

En entrant plus en détail dans lʼargumentation du Totémisme aujourdʼhui, on

sʼapercevra que la mise hors jeu du problème référentiel est répétée en chacun de ses points dʼarticulation. Dans un premier temps, en effet, Lévi-Strauss va chercher chez quelques précurseurs exemplaires lʼintuition inachevée du faux problème qui menaçait toute enquête sur le totémisme, ou comme il lʼécrit, « les signes annonciateurs de la ruine »306. Au plus fort de la vogue du totémisme, Goldenweiser et Rivers, de part et dʼautre de lʼAtlantique et à quelques année dʼécart seulement, menaçaient déjà le caractère substantiel de la notion en y voyant « la coalescence de trois éléments »307 dont la superposition pose problème. Malgré les différences existant entre ces deux stratégies de « désintégration »308, on ne peut

306 Ibid., p. 9. 307 Ibid., p. 15. 308

Ibid., p. 15. Voici la tripartition produite selon Lévi-Strauss par Goldenweiser dans « Totemism, an analytical study », Journal of American Folklore, vol. XXIII, 1910 : « Lʼorganisation clanique, lʼattribution aux clans de noms ou dʼemblèmes animaux et végétaux, et la croyance en une parenté entre le clan et son totem » ; et voici celle proposée par Rivers, toujours selon Lévi-Strauss, dans The History of Melanesian Society, Cambridge,

que remarquer que, dʼun côté comme de lʼautre, cʼest la mise en adéquation dʼune structuration sociale basée sur le clan avec une « croyance », ou un « élément psychologique » relatif à la nature des relations entre lʼhomme et certaines espèces naturelles, qui fait problème. Aux yeux de Lévi-Strauss, cʼest Franz Boas, en 1916, qui ressaisit le mieux ces enjeux :

Quand on parle de totémisme, on confond en effet deux problèmes. Dʼabord, celui que pose lʼidentification fréquente dʼêtres humains à des plantes ou des animaux, et qui renvoie à des vues très générales sur les rapports de lʼhomme et de la nature ; celles-ci intéressent lʼart et la magie, autant que la société et la religion. Le second problème est celui de la dénomination des groupes fondés sur la parenté, qui peut se faire à lʼaide de vocables animaux ou végétaux, mais aussi de bien dʼautres façons. Le terme totémisme recouvre seulement les cas de coïncidence entre les deux ordres.309

Dans la formulation même, qui est ici celle de Lévi-Strauss, on voit bien que la dissociation dʼun problème proprement sociologique dʼun problème qui relèverait plutôt de la psychologie, voire de la philosophie primitive, est délicate. En effet, le phénomène dʼidentification totémique, même sʼil doit être considéré comme autonome en droit, semble toutefois impliquer un ensemble de conséquences intéressant « la société et la religion », alors même que la tendance à chercher les dénominations claniques dans le registre des espèces naturelles est considérée comme ayant sa consistance propre, liée à des déterminations sociales, et non plus psychologiques. Mais en dépit de cette instabilité apparente du problème, lʼintention théorique retenue par Lévi-Strauss est claire : il faut admettre que les deux problèmes, celui des divisions internes de la sphère sociale, et celui de lʼindistinction totémique, possèdent une extension qui dépasse largement le cadre des institutions dites totémiques, celles-ci ne désignant que la mise en correspondance tout à fait contingente des deux traits. Plus exactement, lʼimpératif sociologique, et comme on le verra plus tard intellectuel, qui exige la mise en ordre du social par le biais dʼopérations classificatoires peut prendre la forme de lʼutilisation de noms et dʼemblèmes naturels, mais on a alors affaire à un procédé dont la consistance doit être recherchée au niveau même de cette conscience de soi du social, et en aucun cas au niveau dʼune conception « de » la nature.

Cambridge University Press, 1914 : « Un élément social : connexion dʼune espèce animale ou végétale, ou dʼun objet inanimé, ou encore dʼune classe dʼobjets inanimés, avec un groupe défini de la communauté, et, typiquement, avec un groupe exogamique ou clan. Un élément psychologique : croyance en une relation de parenté entre les membres du groupe et lʼanimal, plante, ou objet, sʼexprimant souvent par lʼide que le groupe humain en est issu par filiation. Un élément rituel : respect témoigné à lʼanimal, plante ou objet, se manifestant typiquement dans lʼinterdiction de manger lʼanimal ou la plante, ou bien dʼutiliser lʼobjet, sauf sous certaines conditions. » Ces deux passages sont respectivement cités p. 10 et p. 15-16.

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La question se pose alors du sort réservé par Lévi-Strauss à lʼaspect du problème dont on sent très vite quʼil cherche à se désolidariser. Les conceptions écologiques indigènes sont-elles simplement laissées de côté comme un ensemble de croyances trop difficilement formalisables, ou doit-on considérer que le développement dʼune théorie complète des classifications produit un véritable effet de réduction par rapport à ce problème – une réduction au sens strict : en passant à un niveau dʼanalyse inférieur, le problème lui-même dans sa forme actuelle se dissiperait ? Cette question ressurgit à lʼoccasion de la discussion du rapport entre totems personnels et totems claniques. De la brève analyse dʼun mythe ojibwa, Lévi-Strauss conclut « quʼentre lʼhomme et le totem, il ne saurait y avoir de rapport direct, fondé sur la contiguïté. La seule relation possible doit être “masquée”, donc métaphorique »310 ; pour poursuivre plus loin :

La relation totémique est implicitement distinguée de la relation avec lʼesprit gardien, qui suppose une prise de contact direct, couronnant une quête individuelle et solitaire. Cʼest donc la théorie indigène elle-même, telle que lʼexprime le mythe, qui nous invite à séparer les totems collectifs des esprits gardiens individuels, et à insister sur le caractère médiat et métaphorique de la relation entre lʼhomme et lʼéponyme clanique.311

La encore, la disjonction produite tend à tenir idéalement à distance tout ce qui pourrait évoquer une relation directe avec un élément naturel, comme si lʼidentité de substance reconnue entre un individu humain donné et son totem personnel nʼavait rien à voir avec la relation toute symbolique – « métaphorique », dit Lévi-Strauss – qui unit un groupe à son animal emblématique. La méfiance envers lʼidée dʼune relation directe, sans médiation, entre un élément humain et un élément non-humain se traduit encore dans ce passage, où lʼauteur sʼappuie sur les travaux menés par R. Firth :

Avec Firth, on peut donc conclure quʼà Tikopia, lʼanimal nʼest conçu, ni comme un emblème, ni comme un ancêtre, ni comme un parent. Le respect, les prohibitions, dont certains animaux peuvent être lʼobjet sʼexpliquent, de façon complexe, par la triple idée que le groupe est issu dʼun ancêtre, que le dieu sʼincarne dans un animal, et quʼaux temps mythiques, une relation dʼalliance a existé entre lʼancêtre en le dieu. Le respect envers lʼanimal lui vient par ricochet.312

En recomposant la totalité des relations rituelles et sociales au sein desquelles les croyances religieuses prennent place, Lévi-Strauss croit pourvoir affirmer que lʼénoncé totémique, sous sa forme traditionnelle et référentielle, ou directe, se réduit à un simple effet

310 Ibid., p. 31. 311 Ibid., p. 32. 312 Ibid., p. 44.

survenant, dont la vérité est en deçà de lui-même. Lʼeffet de « ricochet » dont parle Lévi- Strauss désigne ce procédé par lequel une espèce animale se retrouve en position dʼidentité avec un groupe humain au terme dʼune série de mises en relation qui dans leur forme originaire nʼont rien à voir avec lʼidée dʼune continuité interspécifique. Cette stratégie théorique nʼest nulle part plus claire que dans le passage suivant, qui se trouve à la fin du chapitre intiulé « Lʼillusion totémique » :

Aussi éloignées que possible du modèle évoqué par les genèses naturelles, les genèses totémiques se ramènent à des applications, des projections, ou des dissociations ; elles consistent en relations métaphoriques, dont lʼanalyse relève dʼune « ethno-logique » plutôt que dʼune « ethno-biologie » : dire que le clan A « descend » de lʼours et que le clan B « descend » de lʼaigle nʼest quʼune manière concrète et abrégée de poser le rapport entre A et B comme analogue à un rapport entre des espèces.313

Lévi-Strauss présente explicitement ici la thèse dʼune analogie formelle entre discontinuités culturelles et discontinuités naturelles comme une manière de se défaire des embarras provoqués par lʼenquête quʼon pourrait dire littérale sur la « pensée » primitive. Car derrière le refus dʼune « ethno-biologie », c'est-à-dire dʼune analyse des conceptions indigènes relatives au vivant, à sa nature et à son comportement, il faut voir une méfiance plus générale envers toute tentative pour percer les « idées » des personnes étudiées. Cʼest de manière très constante dans son œuvre que Lévi-Strauss manifeste une telle défiance envers lʼidée selon laquelle lʼethnologie consisterait à sonder la philosophie des sociétés non modernes. Dans lʼ « Introduction à lʼœuvre dans Marcel Mauss », en 1950, il reproche déjà à son aîné dʼavoir pris au pied de la lettre les conceptions magiques primitives en les restituant directement dans leur manifestation linguistique indigène314 ; et bien plus tard, en 2000, cʼest encore la philosophie des indiens dʼAmazonie quʼil verra refluer dans lʼethnologie avec beaucoup de méfiance315. Ainsi, ce qui peut apparaître comme une simple précaution analytique engage en réalité un postulat épistémologique décisif de Lévi-Strauss : le mode dʼobjectivation propre à lʼethnologie et à lʼanthropologie structurale passe par une rupture avec lʼimage consciente des relations sociologiques et cosmologiques que lʼethnographie

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Ibid., p. 47-48.

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« Introduction à lʼœuvre de Marcel Mauss », in Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. XLVI : « Il faudrait admettre que, comme le hau, le mana nʼest que la réflexion subjective de lʼexigence dʼune totalité non perçue. »

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Claude Lévi-Strauss, « Postface », LʼHomme, 154-155, avril-septembre 2000 : « Sans doute cette approche nʼest-elle pas à lʼabri des dangers qui guettent toute herméneutique : quʼon se mette insidieusement à penser à la place de ceux quʼon croit comprendre et quʼon leur prête plus ou autre chose que ce quʼils pensent. Nul ne peut pourtant nier que de grands problèmes comme ceux du cannibalisme et de la chasse aux têtes en sortent transformés. De ce courant dʼidées, une impression dʼensemble se dégage : quʼon sʼen réjouisse ou quʼon sʼen inquiète, la philosophie occupe à nouveau le devant de la scène anthropologique. Non plus notre philosophie, dont ma génération avait demandé aux peuples exotiques de lʼaider à se défaire ; mais, par un frappant retour des choses, la leur. » Nous aurons à revenir sur ce constat.

peut fournir, pour passer à un point de vue de la totalité, au sein duquel les fils se nouent nécessairement selon une trame que les acteurs ne peuvent saisir. Cʼest cette rupture épistémologique, et le passage à un ordre intelligible quʼelle rend possible, que nʼaurait pas su réaliser lʼanthropologie classique, en tombant dans le piège des théories indigènes de la « descendance » ou des « genèses ».

Mais, et y compris dans la perspective qui est celle de Lévi-Strauss, il reste difficile de sʼen tenir à ce parti pris de méthode, en considérant que lʼensemble des représentations indigènes du monde naturel et de leur propre inscription dans ce monde correspondrait à quelque chose comme des « qualités secondes » dont une anthropologie bien menée saurait à tout coup détourner le regard. Car Lévi-Strauss ne va pas jusquʼà nier toute pertinence à la dimension matérielle, ou écologique, des faits sociaux, et pas même à lʼidée selon laquelle cet aspect de la réalité collective peut intervenir dans la forme que prennent les opérations de classification. Car lʼintention critique qui motive la démarche structurale se tourne essentiellement contre les faux problèmes soulevés par lʼenquête sur lʼ « esprit » des primitifs, ainsi que sur les soi-disant déterminations causales, ou fonctionnelles, de la sacralisation des espèces animales. Le passage suivant éclairera cette question :

Mais pourquoi le totémisme fait-il appel à des animaux ou à des plantes ? Durkheim a donné à ce phénomène une explication contingente : la permanence et la continuité du clan requièrent seulement un emblème qui peut être – et qui doit être à lʼorigine – un signe arbitraire, assez simple pour que nʼimporte quelle société puisse en concevoir lʼidée, même à défaut de