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CONCLUSION DU TITRE

Paragraphe 1. Les critères subjectifs

B. Le protégé, une personne morale

275. Nous vérifierons, dans ce qui suit, si les deux droits français (a) et libanais (b)

admettent de faire bénéficier les personnes morales des dispositions du droit de la consommation.

283 Cass. 1re civ, 22 mai 2008, Bull. n° 145, pourvoi n° 05-21.822,

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a. Le non professionnel du droit français

276. Le droit français sera étudié sur le plan de la loi (1) et du droit jurisprudentiel (2). 1. « Le consommateur » selon la loi

277. La transposition de la directive du 5 avril 1993 qui dispose par son article 2 que le

consommateur ne peut être qu'une personne physique, n’était pas aussi claire que sa source. Ainsi l'article L. 132-1, alinéa 1er du Code de la consommation évoque-t-il les « contrats

conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ».

À l’encontre des dispositions du Code de la consommation qui n'intègrent explicitement dans aucun texte la personne morale, des droits spéciaux protègent la personne morale qui intervient parfois sur la scène économique au même titre que la personne physique. Ainsi, les personnes morales sont exclues du bénéfice des dispositions sur le démarchage à domicile (l’article L. 121-21 du Code de la consommation qui édicte qu’ « est soumis aux dispositions

de la présente section quiconque pratique ou fait pratiquer le démarchage, au domicile d'une personne physique ») ou sur le cautionnement (l’article L. 313-7 du Code de la consommation

qui vise « la personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de

caution »).

Pour résumer les destinataires de la protection dans la loi française, «le législateur se réfère

tantôt à une catégorie de personnes, tantôt à une catégorie d'actes, tantôt aux deux à la

fois»284.

2. « Le consommateur » selon les juges

278. La jurisprudence est divergente, à son tour, bien qu’ait été très récemment jugé, par un

arrêt de la Cour de Cassation, que « le consommateur ne peut être qu’une personne

physique »285. Elle a parfois étendu cette protection aux personnes morales, notamment le

mécanisme de lutte contre les clauses abusives et ce, en adoptant une position diamétralement opposée à celle de la jurisprudence européenne.

284 Y. Picod et H. Davo, Droit de la consommation, éd. D., 2005, no 35, p. 21. 285 Cass. 1re civ., 2 avr. 2009: jurisdata no 2009-047838, JCP 2009 éd. G.

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Bien que la Cour de justice européenne ait expressément exclu l'application des règles en question aux personnes morales286, la jurisprudence française n'est pas restée insensible à

cette protection, en lui conférant une interprétation extensive. La Cour de cassation française a annoncé, par plusieurs arrêts remarquables, que « la notion distincte de non-professionnel,

utilisée par le législateur français, n’exclut pas les personnes morales de la protection contre

les clauses abusives »287. En effet, l'origine de cette protection résulte d'une décision

importante rendue le 15 mars 2005 par la première chambre civile de la Cour de cassation par laquelle la Haute juridiction consacre l'extension de la protection légale contre les clauses abusives aux personnes morales. À travers cette décision, la Cour de cassation reconnaît l'existence de personnes morales-consommateurs et de personnes morales-professionnelles, les premières pouvant se trouver dans une situation de faiblesse à l'égard du professionnel

comparable à celle d'une personne physique288. Cette conception extensive mérite d’être

reconnue pour sa nécessité dans la mesure où, dans le cas contraire, cela reviendrait à considérer toutes les personnes morales comme des professionnels, ce qui n'est pas forcément le cas d'une association sans but lucratif ou d'un syndicat de copropriétaires par exemple. Dans le même sens, le tribunal d'instance de Colombes donne une réponse différente par un jugement du 16 septembre 2009 en considérant qu'un comité d'entreprise peut être assimilé à un consommateur.

À l’encontre de cette position, de récents arrêts ont retenu l’exclusion des personnes morales de la protection : pour la Cour de cassation, dans deux arrêts du 11 décembre 2008289 et du

2 avril 2009290, le consommateur peut seulement être une personne physique.

Pour certains auteurs, comme Marie-Élisabeth Mathieu et Stéphane Piedelièvre291, la solution

adoptée par la Cour de cassation apparaît préférable, puisque celle retenue par le tribunal d'instance semble vouloir faire triompher certaines idées dites solidaristes et faire d'elles les règles du droit commun des contrats, il nous semble que l'exclusion de la personne morale ne doit pas être liée à sa qualité de personne morale mais à sa qualité de personne morale professionnelle. Devrait s’imposer un raisonnement semblable à celui qui se serait appliqué en présence d'une personne physique professionnelle. Une conception stricte

286 CJCE, 22 nov. 2001 : JCP 2002, éd. G. 10047.

287 Cass. 1re civ, 15 mars 2005 : D. 2005, p. 887, obs. C. Rondey.

288 J. Amar, Une cause perdue : la protection des personnes morales par le droit de la consommation, Contrats, Conc. Cons. 2003, chron. 5.

289 Cass. 1re civ., 11 déc. 2008 : JCP E, no 12, 19 mars 2009, 1278, note G. Raymond.

290Cass. 1re civ., 2 avr. 2009 : Contrats, Conc. Consom, no 6 juin 2009, comm. 182, G. Raymond.

291 Marie-Élisabeth Mathieu et Stéphane Piedelièvre, Chronique de jurisprudence de droit de la consommation, Gaz. Pal., 11 févr. 2010 n° 42, p. 19.

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du droit de la consommation limitée aux seules personnes physiques agissant en dehors de fins professionnels s'harmonise, certes, mieux avec la position adoptée par le droit européen qui refuse de considérer qu'une personne morale a la qualité de consommateur ; la jurisprudence actuelle mais non unifiée a adopté, en sa majorité, une conception large qui n'exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives. Cependant, la question de la notion de consommateur est donc loin d'être close.

b. Le non professionnel du droit libanais

279. Heureusement, cette controverse n’existe pas en droit libanais. Défini par l’article 2 de

la loi 659-2005 sur la protection du consommateur, le consommateur est « toute personne

physique ou morale qui achète, loue, utilise ou profite d’un service ou d’un produit, et ce pour des buts n’ayant aucun lien direct à son activité professionnelle ». Par ce langage clair,

concis et précis, le législateur libanais, qui a réussi à intégrer explicitement la personne morale dans le régime de protection consumériste, a résumé les débats récurrents en France depuis plus de vingt ans :

- le consommateur peut être une personne morale ;

- le professionnel n’agissant pas dans le cadre de sa profession peut être un consommateur.