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Les progrès de l’efficience et de l’engrammation comme contribution à une normalisation convergente des NTIC

i l’étude de l’efficience, de l’engrammation, de la convergence et de l’information semble toucher à tant de domaines en apparence hétéroclites, c’est précisément parce que l’information et la communication numérisées, structurées, normalisées sont devenues le paradigme fédérateur de notre culture néo-industrielle. Cependant, on aurait trop facilement tendance à croire que parce que notre technoculture est ainsi structurée et rendue cohérente par l’informatique, l’ensemble du monde pourrait être confié in fine aux seuls informaticiens et aux spécialistes des NTIC.

Certes, la convergence est une sorte d’implosion. C’est la réduction de tous les médias techniques sur une seule technologie, sur un unique code binaire.

Cependant, le corollaire nécessaire de cette convergence, de cette optimum d’efficience et de cohérence engrammatoire, est que se redéploie symétriquement une réalité sociale instrumentalisée dans toute la diversité culturelle, linguistique, industrielle, économique, ludique, pédagogique, politique..., ce qui implique nécessairement une prise de responsabilité vigilante au plan scientifique, intellectuel, éthique, esthétique, politique.

Sans ce redéploiement, les dynamiques de progrès des NTIC seraient stériles et sans intérêt. C’est en cela que l’histoire détaillée des langues, de l’écriture, des médias, de l’informatique mais aussi l’étude des modalités communicationnelles et cognitives, ainsi que l’étude de leur appropriation sont devenues fondamentales sous condition qu’elles puissent en permanence être rapportées et comparées à l’évolution des NTIC.

L’espace dans lequel maturent, puis se négocient précisément cette

rationalisation convergente et cette réappropriation politique,

économique, culturelle, industrielle des NTIC, est celui de la standar-disation et de la normalisation.

Nous développerons beaucoup plus longuement ces notions, notamment leur complémentarité conceptuelle dans la suite de cet ouvrage, mais il suffit pour lors de savoir que les standards, selon des modèles définis, se rapportent plus spécialement à la recherche de productions, selon des modèles définis par l’industrie alors que les normes se concertent dans un espace, par définition public, qu’il soit national ou international.

La dialectique qui fait communiquer l’espace de la standardisation avec celui de la normalisation est à rapporter aux interactions subtiles qui font communiquer l’espace privé avec l’espace public. Les stan-dards existent parce que la production de biens ou de services ne peut se faire industriellement que si se fixent des règles qui carac-térisent des méthodes de production et qui permettent de stabiliser et d’énoncer des offres d’où découlent des potentiels d’achat.

Pour qu’un standard existe, il faut qu’il ait trouvé l’espace d’initiative, universel ou spécifique, qui lui permet d’être entrepris puis développé. Il reste que, si la multiplicité des offres de produits et de services garantit la concurrence et préserve un espace d’initiative, d’innovation et d’entreprise, par contre le foisonnement des standards freine la compatibilité, l’associativité des composants d’origines diverses. Pour ce qui concerne les technologies de l’information et de la communication, cela peut paralyser leur fonctionnement même.

Historiquement, la catastrophe du Titanic est à l’origine de la prise de conscience qu’il devenait absolument nécessaire normaliser à l’échelle mondiale, un code unique définissant l’articulation entre les suites de brèves et de longues correspondant aux lettres de l’alphabet. Il s’est ainsi écoulé soixante ans entre l’invention de la télégraphie morse et la ratification officielle, par une majorité d’États, d’une norme internationale de conventions télégraphiques.

Ces soixante années correspondent précisément au temps de métabolisation industrielle, sociale et enfin politique, permettant d’évoluer d’un stade de pluralité des standards industriels à celui de l’édiction consensuelle de normes et protocoles. Plus d’un demi-siècle avant que soit compris que le véritable marché de la télégraphie pouvait s’accommoder d’une multiplicité de solutions matérielles concurrentes, mais devait reposer sur une unicité des protocoles de transmission et au minimum d’une convention définissant la codification des lettres.

Ce fut, historiquement l’occasion d’organiser les fondements de la très puissante institution internationale de normalisation de la télégraphie, de la téléphonie, de la radio puis de la télédiffusion : ITU (International Telecommunication Union237).

La normalisation, bien sûr, s’était organisée dans d’autres domaines industriels et a continué par la suite de se développer dans tout l’horizon de la production sous l’égide de l’ISO238 et d’un certain nombre d’institutions de normalisation plus spécialisées entres lesquelles nous soulignerons, pour ce qui concerne les NTIC, la très influente CEI (Commission Electrotechnique Internationale239).

Si la diversité des métiers et des champs d’applications ou d’usage est une des premières priorités de la normalisation, l’espace politique des nations y est cependant omniprésent. En France l’AFNOR, en Espagne l’AENOR (Associatión Española de Normalización y certificatión), en Allemagne le DIN (Deutsches Institut für Normung)... aujourd’hui une trentaine de pays au monde financent une institution de normalisation importante et polyvalente.

L’Europe, quant à elle, comme premier espace de la normalisation, continue d’animer le CEN (Comité Européen de Normalisation)240, que les Accords de Vienne ont conforté241, ce qui lui permet de construire un espace original de codéveloppement de la normalisation au-delà de la diversité des États européens.

L’ONU, quant à elle, gère plus spécifiquement les questions de normalisation propres à l’EDI, dans la mesure où elle est déjà en charge de veiller aux destinées de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). On voit bien, ainsi, que les grandes organisations de normalisation reconstituent dans la complexité de leurs interactions institutionnelles, une image de la convergence des territoires, des activités, des métiers. Cet espace global de la normalisation, même s’il est loin d’être parfait, même si ses représentations collégiales favorisent souvent les solutions industrielles des pays les plus industrialisés et les plus riches contre celles des pays les plus pauvres, est cependant construit pour pouvoir idéalement contribuer au codéveloppement international.

Ainsi les États présents votent-ils, en général, chacun pour une voix dans toutes les délibérations internationales. La vingtaine d’États les plus riches contribuent globalement par leurs cotisations au financement des contributions de plus d’une centaine de pays actuellement représentés dans l’ISO, ce qui signifie que les institutions de normalisation constituent un véritable système mondial de transfert de technologies en direction des pays en voie de développement.

Loin de tout angélisme, les industriels des pays développés peuvent ainsi contribuer à construire la technoculture minimale qui leur permettra de circuler, de communiquer, de commercer, de se soigner en cas

238 ISO (International Standardisation Organisation), en français, OIN (Organisation internationale pour la Normalisation). On remarquera au passage la traduction de l’anglais Standardisation par l’équivalent français Normalisation.

239 En anglais IEC (International Electrotechnic Commission).

240 CEN (Commission Européenne de Normalisation), dont nous retiendrons pour le domaine des NTIC le CENELEC, c’est-à-dire la sous-partie du CEN spécifique aux métiers de l’électricité.

241 Depuis les Accords de Vienne (juin 1991), l’ISO et le CEN ont normalisé leurs rapports et leurs relations éventuelles de subsidiarité sur certains dossiers. Notons qu’en observant l’histoire européenne de la normalisation, il est tout à fait possible d’éclairer sous un jour passionnant l’histoire de l’Europe et de comprendre les chances de son devenir économique international.

d’urgence, dans des pays qui sans cela seraient incapables de répondre aux critères attendus.

De fait, se réinventent au niveau mondial les mêmes paradigmes de générosité calculée ou utopique que ceux qui s’étaient développés avec le colonialisme. Aussi, comme au temps des grands empires coloniaux, trouve-t-on dans les acteurs techniques, industriels, politiques, scientifiques (et bien sûr militaires) de la normalisation la même proportion de cyniques déterminés à affronter brutalement ses concurrents industriels et enclins sans doute à se partager le Tiers Monde... et de volontés utopiques pour construire un monde généreux fait d’équilibres interculturels, interlinguistiques... et de codéveloppement économique harmonieux.

Pour ce qui est de la normalisation dans le domaine de l’information et de la communication, il faut reconnaître qu’actuellement la tendance majoritaire serait sans doute pour favoriser et construire un codéveloppement utopique, sinon généreux, dont chacun des acteurs ne peut que constater d’année en année, les conséquences tangibles qui sont celles de la convergence des médias, de l’intercompatibilité universelle des réseaux, de la naissance indéniable d’un nouvel espace numérique et mondial ouvert à l’économie et à la culture.

La démocratie mondiale de la normalisation est ainsi sans nul doute un espace réel de démocratie, mais c’est aussi un espace concret d’argumentation et d’expertise qui exige que soient effectivement présents des représentants techniquement formés et informés dans des séances de commissions techniques, relativement rapprochées dans le temps et géographiquement dispersées sur les cinq continents.

Ce simple fait suffit le plus souvent à limiter voire à interdire, toute présence des pays du tiers-monde dans les délibérations sauf quand certains lobbies industriels ou politiques décident de les emmener dans leurs bagages.

Quoi qu’il en soit la concertation internationale de la normalisation des NTIC permet que se construise une logique dans laquelle les systèmes d’information et de communication peuvent fonctionner effectivement dans la totalité des pays du monde.

Elle construit aussi un espace interlinguistique ou toutes les écritures du monde sont à peu près équitablement codifiées et un espace organisé de convergence multimédia dont les progrès sont, on le sait, la cause d’une véritable révolution culturelle et cognitive242.

Cependant la convergence de toutes les langues du monde sur un même espace d’écriture (qui reste encore à mettre en œuvre) ne règle pas, loin s’en faut, l’enjeu toujours ouvert de la traduction (ou de la co-rédaction243) de ces normes dans les différentes langues. Quand nous

242 Je reviendrai longuement sur ce sujet crucial. Cf. infra $$>>.

243 La co-rédaction multilingue d’une norme est fondamentalement différente de sa traduction a posteriori dans une langue non officielle de la normalisation. La co-rédaction implique que le collège d’expertise qui élabore la norme l’approuve par ses votes dans sa double ou multiple version. La co-rédaction peut être décalée dans le temps pour ne pas retarder l’avance des travaux d’une commission, mais la mise en circulation d’une norme dans une des langues internationales de la

avons la chance, comme francophones d’appartenir à une langue dans laquelle les normes s’élaborent et se diffusent, il est fondamental de savoir défendre et surtout entreprendre et réactualiser une normalisation en français.

La coopération, en matière de normalisation et d’observation des standards dans le champ des NTIC (ainsi d’ailleurs que dans d’autres secteurs), est un enjeu primordial de la francophonie. Les actions en cours mériteraient d’être renforcées et l’AUF qui a déjà fait preuve d’initiative en la matière devrait pouvoir servir de cadre à la mise en place de collèges d’experts244. Soulignons par exemple que la présence d’une grande richesse d’écritures dans l’espace francophone justifie pleinement des flux d’experts Sud-Nord et Est-Ouest qui contrebalancent opportunément la prépondérance des États du nord en matière de normalisation.

Parallèlement et sur les mêmes NTIC se construit un monde ou la monétique mondiale des grands circuits bancaires mais aussi les effets les plus inattendus de l’anarchie spéculatrice mondialisée peuvent circuler.

Ceci est la conséquence presque unique d’un fantastique effort de liaison et inter-concertation entre les différents grands acteurs internationaux de la normalisation. Cet effort d’interconcertation prend notamment la forme d’un rapprochement permanent entre l’ISO, la CEI et l’UIT. L’ISO et la CEI ont notamment créé le JTC1 (Joint Technical Committee n 1), qui comme son nom l’indique rassemble sous la tutelle commune de la CEI et de l’ISO un certain nombre de SC (Sub-Committee) dont la liste est édifiante quant à la capacité effective de construire la convergence : SC2 jeux de caractères, SC18 bureautique (donc SGML et sa descendance), SC29 codage de l’image et du son... entre autres.

Le JTC 1 est en fait l’équivalent, beaucoup plus efficace et concerté d’un des 220 comités techniques (en anglais TC, Technical Committee) qui traitent ainsi de tous les aspects de la production dans le monde. Il est en effet indispensable de mesurer la place relative des métiers de l’information dans cet apparent désordre dans la diversité :

• Sous l’égide de l’ISO on trouve : ISO-TC 36 Cinéma, ISO-TC 42 photographie, ISO-TC 46 documentation, ISO-TC 130 technologies graphiques, ISO-TC 171 micrographie, ISO-TC 184 productique ;

• Sous l’égide de la CEI on trouve : CEI-TC 60 enregistrement, CEI-TC 84 équipement audiovisuels, CEI-TC 100 multimédia.

L’ensemble établi des liaisons permanentes avec l’IUT.

normalisation implique l’obligation du respect des conditions de la co-rédaction. Il faut d’ailleurs remarquer qu’entre les Anglais et les Américains les débats pour trouver des consensus de rédaction approuvés par l’une et l’autre des deux sous-cultures anglophones sont parfois épiques.

244 Nous n’ignorons pas les nombreuses actions nationales ou bilatérales entreprises par les États, les institutions et de nombreuses associations. Citons parmi de nombreux autres, les travaux de réflexion sur ces thèmes entrepris par le Haut Conseil de la Francophonie, la DGLF (Délégation Générale à la Langue Française) du Ministère de la Culture français, l’Association des Informaticiens de Langue Française (AILF), l’Académie Francophone d’Ingénieurs...

Il est difficile d’isoler les NTIC dans cet espace complexe et par définition techniquement dispersé parce que convergent sous ses différentes facettes. Ainsi l’audiovisuel sera-t-il obligatoirement représenté dans une trentaine de comités ou sous-comités techniques répartis eux-mêmes dans les grandes institutions mondiales de normalisation : l’ISO, la CEI, l’IUT245 bien sûr pour étudier tous les aspects de télétransmission, l’ONU pour assurer les usages d’EDI de plus en plus intimement liés à l’audiovisuel.

245 Nous n’avons rien dit du découpage propre à l’UIT découpée elle aussi en de très nombreuses commissions et sous commissions (ici SG : Sub-Group) dont les très importants UIT-SG15 (audiovisuel), UIT-SG11 (télévision), UIT-SG8 (télématique).

Il faut souligner enfin, l’importance d’un nouvel acteur, d’une nouvelle institution, non de normalisation, mais de standardisation, de recherches et de codéveloppements concertés : le W3C (World Wide Web Consortium).

Le W3C qui constitue le véritable gouvernement scientifique de l’Internet élabore des recommandations, qui si elles ne constituent pas véritablement des normes provoquent aujourd’hui dans l’univers des NTIC des effets d’efficience et de convergence sans nul doute encore plus déterminant. Ces recommandations du W3C peuvent devenir des normes, si elles sont enregistrées comme telles, mais le plus souvent elles sont adoptées par une communauté mondiale bien avant de le devenir246.

De par sa nature d’institution de recherche à vocation mondiale, et de par la nature collégiale des décisions qui y sont prises, le W3C, inaugure ainsi une nouvelle façon de normaliser qui présente par rapport aux institutions traditionnelles, l’avantage de pouvoir répondre aux exigences de rapidité d’évolutions tout en maintenant l’exigence de concertation, et la nécessité d’ouverture de la norme à laquelle s’adjoint la disponibilité gratuite des NTIC ainsi produites.

On voit ainsi tout l’intérêt de recourir à la notion d’attracteur pour comprendre le fonctionnement complexe de l’organisation convergente des NTIC.

Dans l’univers apparemment chaotique des innombrables innovations des produits industriels, ou dans le foisonnement des propositions

246 C’est actuellement, le cas du langage XML (eXtensible Markup Language) qui n’est pas une norme ISO, mais une recommandation du W3C enregistrée en février 1998. Ses spécifications peuvent être consultées en ligne : http ://www.w3.org/TR/1998/REC-xml-19980210.

normatives dans le champs de l’information des pôles d’attraction ponctuels se font jour. Ils entraînent ainsi la quasi-totalité de l’offre des NTIC à se conformer selon les modèles des pôles d’attraction influents : un standard industriel, une logique de normalisation d’un métier ou d’une filière technique comme l’image ou le texte.

On peut ainsi repérer que l’expertise de l’image numérique (MPEG), celle de la globalisation de l’écriture (Unicode et ISO/IEC10646), celle de la bureautique sous le modèle de l’information structurée (SGML...), se comportent comme autant d’attracteurs ponctuels de premier niveau. La modélisation des attracteurs correspondant, on le sait, à une logique fractale, on s’attend dès lors à ce que l’attraction ponctuelle qui se manifestait à ce premier niveau, se retrouve à des niveaux planétaires, qui sont ceux aujourd’hui de l’intégration convergente des normes sous la forme concrète de pôles d’attraction qui ont pour nom le W3C, l’ISO ou l’ITU.

En nous interrogeant sur la convergence, nous ne pouvions éviter de nous interroger sur la question de savoir quels sont le, ou les, acteurs sociaux à qui, dans une société et une technoculture donnée se voient confier plus particulièrement le soin de lier ensemble les potentiels technoculturels dans des instanciations concertés de la réalité sociale. Cette question ne se pose jamais à un seul niveau, si tant est qu’elle se pose toujours à un niveau local et fortement instrumental, et à un niveau macrosociétal nécessairement beaucoup plus théorique. La figure qui répond le mieux à cette question dans l’Antiquité et à la Renaissance est celle de l’ingénieur architecte à laquelle répondent à un niveau plus théorique, le philosophe et le savant.

À l’ère industrielle se superpose, à ce premier niveau toujours valable, celle d’un entrepreneur-ingénieur-scientifique.

Notre hypothèse serait que l’expert qui au début du XXIe siècle voit converger sur lui le plus haut niveau de demande d’intégration est sans doute l’ingénieur en normalisation.