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a télétransmission d’information sur la longue distance, sans qu’il y ait déplacement d’un être humain ou d’un animal porteur de message est une pratique très ancienne. On cite dans nos classiques les signes de feu ou de fumée des Indiens ou des Gaulois.

Le télégraphe de Chappe est un cas intéressant d’interaction et de convergence entre le territoire et la télécommunication : à une époque où le réseau routier était encore embryonnaire et où le chemin de fer n’existait pas encore, le télégraphe de Chappe a suffisamment frappé les esprits pour que la Convention définisse le découpage territorial, qui nous régit encore, par rapport à ce média. En partant du principe qu’un homme à cheval peut faire l’aller-retour entre le chef-lieu de sous-préfecture et n’importe quel village qui en dépend en une journée, il fut prévu que toutes les sous-préfectures seraient reliées au télégraphe : ainsi le pouvoir pouvait théoriquement entendre tous les citoyens et surtout se faire entendre partout, sur tout le territoire de la République. On a signalé la synergie de développement entre l’entretien de ce réseau et les multiples réseaux à venir et la synergie entre le chemin de fer et le télégraphe Morse. Les câbles sous-marins et la radiotéléphonie ont été des facteurs structurants de la domination de l’espace par les grandes puissances coloniales. Réciproquement, les états-majors ont été, et sont encore, des grands sponsors de la recherche en maîtrise des éléments de l'espace par les télétransmissions, comme ils le sont encore pour les télétransmissions avec des mobiles en milieu difficile, les sous-marins sous la banquise, par exemple.

Il est plus technique de s’intéresser à l’équivalence entre le temps et l'espace qui peut être mise en œuvre dans l'architecture logique d'un composant électronique; on parle alors de commutation temporelle. La technique consiste, dans un standard téléphonique numérique comme dans un composant électronique, à attribuer des rôles différents à un circuit selon des micro-séquences de temps prédéfinies, gérées par l’horloge centrale. Cette technique est à l’origine d’énormes progrès en miniaturisation des systèmes d’information. Cette équivalence entre le temps et l'espace est dans la lignée des techniques du multiplexage, qui

jouaient aussi sur l'idée de faire occuper un même espace physique du câble conducteur par des informations de fréquences temporelles distinctes ainsi que sur une optimisation d'occupation des temps de silence dans la transmission d'information.

La transmission hertzienne (radio, télévision) est une victoire sur l’espace puisque cette technique permet de transmettre de l’information sans câble. Mais c’est surtout l’espace virtuel d’un éventail de fréquences qu’il faut répartir intelligemment. C’est aussi la maîtrise des points stratégiques, d’où il est possible de relayer le signal (antennes radio, tours des relais hertziens terrestres) et, aujourd’hui, l’attribution de zones sur l’orbite géostationnaire (36.000 km de la Terre), banlieue très encombrée de notre planète, ainsi que celle de fréquences afférentes pour joindre les satellites de télécommunication ou de télévision directe. Incidemment, pour les nations qui ont la prétention d'être une puissance spatiale il est nécessaire de disposer d’un pas de tir situé en zone équatoriale ou pré-équatoriale, donc de maîtriser politiquement un espace terrestre (Cap Canaveral, Baïkonour, Kourou pour la France). L’espace hertzien, nous le concevons, est aujourd'hui, à la fois toujours très encombré, mais aussi susceptible de porter toujours plus d'informations selon des protocoles et en utilisant des fréquences et des technologies toujours plus sophistiquées. Il est en ce sens le lieu d’une gestion économe et planifiée de très nombreux médias convergeant sur les ondes hertziennes.

Lorsque naît la TSF, on est bien loin d’imaginer les progrès que la transmission hertzienne feront en moins d’un siècle.

La radiotéléphonie, puis les stations de radio destinées au public, sont la première vague d'utilisateurs de l'espace hertzien. Cela ne va pas sans quelques problèmes diplomatiques entre le domaine du privé et le domaine réservé des États. En effet, ces stations de radio grand public sont très souvent nationales mais aussi, dès cette époque, commerciales, comme en France le Poste Parisien. Dès cette époque, les instances stratégiques, étatiques et militaires se réservent des fréquences inaccessibles au matériel de réception grand public destinées à la radiotélégraphie et à la téléphonie militaire ou d’État. Plus récemment, le gouvernement nord-viêtnamien avait, pendant la guerre, mis en place le système de contrôle maximum des ondes radio : la population ne pouvait se procurer facilement que des postes récepteurs sans variateur de fréquences ; ainsi les Vietnamiens ne pouvaient capter qu'une seule station. Autre exemple, on se souvient des brigades spéciales qui en Iran se déplaçaient sur les toits pour contrôler les antennes de télévision des particuliers.

L’arrivée de la télévision dans le paysage hertzien sera la deuxième grande vague d’utilisation. La mise en place des fréquences hertziennes télévisuelles exigera la conception de nouvelles technologies de la transmission et donc l'institution de nouveaux protocoles. En effet, la télétransmission hertzienne de l’image suppose un débit d’informations

beaucoup plus important que la voix et la musique. Une ou deux stations de télévision émettant sur des fréquences radio, auraient été difficiles à concevoir et surtout auraient saturé l’ensemble de l’espace du spectre hertzien mondial. Il fallait donc (ce qui fut fait) maîtriser des ondes ultracourtes et, concurremment, de la très haute fidélité (hi-fi). D’autre part, si les fréquences des ondes radio sont susceptibles d’être réfléchies dans la haute atmosphère, ce qui leur permet de faire le tour du Monde

224, il n’en est pas de même pour les ondes hertziennes de télévision qui ne peuvent fonctionner qu’en tir tendu de tour hertzienne à tour hertzienne.

Cette obligation induit obligatoirement :

• soit, comme aux États-Unis, la création de très puissantes régies publicitaires susceptibles d'investir pour mettre en place des réseaux de relais mais dans ce cas il faut se situer dans un territoire linguistiquement homogène où les “rentrées de publicité” sont suffisantes; ce qui à l’époque n'est pratiquement possible qu’en Amérique du Nord.

• soit, comme dans les pays européens, on assiste à l’intervention massive des États pour réaliser des infrastructures. En retour l'État :

• dans les démocraties donne à chaque citoyen un droit d’accès à une télévision qui reste financièrement sous sa dépendance.

• dans les puissances totalitaires, peut maintenir le citoyen sous influence idéologique plus ou moins discrète.

Cependant même les démocraties les plus vertueuses, à l’exception, peut-être, de la BBC hors temps de guerre, ont difficilement résisté à la tentation de la propagande dans la mesure où elles étaient les premières et les seules propriétaires de l’espace hertzien.

Autre conséquence intéressante : la nécessité de fonctionner sur une toile d’araignée hertzienne, épousant dizaine de kilomètres après dizaine de kilomètres la surface et les accidents du territoire, faisait de la réception de télévision, une technique du “chacun chez soi” : à l’exception de quelques frontaliers, on pouvait difficilement capter la télévision des pays voisins. Ceci induisit des spéciations225 naturelles des standards de télévision (NTSC, PAL, SECAM) à l’époque sans réelle importance, mais qui sont fort dommageables aujourd’hui. Ceci induisit également des pratiques juridiques et commerciales peu en accord avec la mondialisation actuelle du marché des programmes et de la diffusion par satellites et par câbles...

La responsabilité politique de la couverture hertzienne qui était une notion liée à l’aménagement du territoire obligeait les autorités à ne pas laisser la moindre vallée alpine isolée. Cette contrainte entraîna des effets secondaires intéressants. Une ville comme Créteil, par exemple,

224 Ce qui, très vite, a fasciné le monde entier, notamment les passionnés de la radio-amateur.

225 Nous utilisons ce mot selon son acception biologique où il signifie « phénomène de différenciation menant à des espèces différentes cessant d'être interfécondes ».

fut entièrement câblée parce que l’hôpital universitaire Henri Mondor faisait écran aux ondes hertziennes et empêchait une bonne réception de la télévision. Des pays comme le Canada ont dû développer très tôt une politique de câble communautaire parce que l’immensité de leur espace et la faible densité d’un habitat cependant groupé en villes et en villages rendaient plus économique un recours à la transmission satellite, relayée sur place par des réseaux câblés. Trilingue, située au centre de l’Europe, la Belgique fut également l’un des premiers territoires câblés sur une large échelle parce que l’éventail hertzien n’était pas suffisant pour assurer la diffusion de tous les programmes de télévision.

Là aussi, on voit s’établir un jeu d’aller-retours convergeant entre les technologies potentielles226, les médias techniques qui en découlent et les appropriations sociales, économiques, politiques et culturelles qui en sont faites.

La généralisation de la communication avec les téléphones mobiles, qui fut longtemps le seul privilège des militaires, de la police et des transports aériens a maintenant explosé en direction du grand public et des entreprises. C'est la troisième vague de nouveaux enjeux et de nouvelles technologies et protocoles pour les fréquences hertziennes destinées aux communications avec les mobiles. S’amorce, en même temps un mouvement de rééquilibrage entre hertzien terrestre, hertzien satellite et câble.

Autre enjeu, lui aussi concomitant : cette dernière vague fonctionnelle est contemporaine de la numérisation de la transmission. En effet, on peut imaginer que la mise en place de la communication cellulaire avec des mobiles (téléphone, fax, ordinateur portable, système d’assistance au pilotage des mobiles, etc.) entraîne vite un encombrement de l’espace des ondes hertziennes. La numérisation de la transmission radio et télévision multipliera d’un facteur estimé à dix la capacité des fréquences attribuées, ce qui changera bien des choses. Mais ces techniques ne seront pas dès demain, disponibles chez l’usager (problème de “parcs

d’équipement” existant, ainsi que celui des incompatibilités

technologiques).

Notons qu'il existait des hybrides intéressant les deux techniques sans fil et avec fil. Le BEBOP, par exemple, qui était une téléphonie limitée à une agglomération, équipée de balises radio qui sont ensuite reliées traditionnellement au réseau physique des câbles du téléphone. On est en fait dans le même cas de figure, sur une plus large échelle, de ce qui se passe avec un récepteur téléphonique sans fil qui est ensuite relié au réseau normalement câblé.

Autre utilisation qui pourra comprendre des transmissions mixtes : le guidage des véhicules sur route ou autoroute, dans lequel vont coexister

226 Les années 1940 ont vu émerger une technologie hertzienne bien oubliée : le « guide d'ondes ». La transmission est guidée par une tuyauterie métallique, de section généralement rectangulaire, en l’absence de tout conducteur interne : le guide d'ondes canalise des ondes de fréquence à une certaine valeur (fréquence de coupure). Cette technologie, aujourd'hui oubliée, montre bien comment nos civilisations auraient pu s'emparer d'une telle technologie et construire un environnement d'infrastructures de communication complètement différent de celui que nous connaissons aujourd’hui.

les balises hertziennes et les antennes enterrées, qui serviront sur une autoroute de rail de guidage virtuel et de canal pour acheminer des informations et surtout maintenant un déploiement qui ne cessera de croître l’utilisation du téléphone mobile de 3e génération pour recevoir l’Internet (y compris les images vidéo) et accéder au e.business.

Soulignons pour conclure ce qui concerne l'espace hertzien que la domestication hertzienne de l'espace interplanétaire a été une conquête riche de nouvelles possibilités, mais la transmission par satellite n'a pas que des avantages.

Certaines fonctionnalités impliquant une interaction temps réel (dialogue téléphonique ou interaction temps réel sur un ordinateur, pilotage d’un véhicule) ne peuvent supporter le temps matériel de l’aller-retour terre-orbite géostationnaire (soit deux fois 36.000 km). Celui-ci représente un décalage d’un tiers de seconde, insupportable pour certaines applications. Il se produira naturellement une redistribution entre le câble terrestre, l’hertzien terrestre et l’hertzien du satellite.

Après avoir été attiré par une convergence totale des moyens de télédiffusion et de télétransmission qui constituent un espace de liberté totale des usages en équivalence commode les uns par rapport aux autres nous sommes de nouveau confrontés à la nécessité de respécifier leurs usages.