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ertaines machines à communiquer génèrent de véritables filières technologiques. Il en est ainsi par exemple pour la photographie, la phonographie, la télégraphie, la radio puis la télédiffusion… Bien sûr classer les objets techniques en filière est réaliste s’il s’agit de comprendre l'évolution d'une innovation, les perfectionnements qu'elle génère et ceux qu'elle fédère, dans un ou plusieurs métiers en observant les savoir-faire et l'usage qui est fait de la technique. Mais cela devient vite impossible à tenir. En effet, le cinéma sonore procède de la photographie, de la phonographie et de l'électronique, la télévision est encore plus complexe…

Si l’image des filières se brouille c’est que le véritable enjeu technologique ne se situe pas dans l’observation vite stérile des filières ou phylum technologiques, mais dans l’étude de leur métissage et de leurs fécondations croisées. Bien sûr le progrès technique construit ses avancées en perfectionnant un métier, une spécialité technique, mais les véritables innovations naissent dans la convergence des filières.

146 Ainsi que l’opération de recensement qui est non seulement un calcul statistique mais aussi une comptabilité des populations associée à celle des biens et produits, celle-ci nécessita une forte interaction ou convergence des nombres et de textes alors réduits à de simples codes et abréviations.

Les technologues ont échafaudé des théories d'évolution des objets techniques, observant par exemple des ressemblances entre monde animal et monde des objets techniques dans l'adaptation d'une forme de l'objet au milieu. Mais, si ces théories présentent l’avantage d’expliquer l’évolution d’un métier et d’une technique, elles ne peuvent pratiquement pas rendre compte, des métissages, des emprunts, bref de la convergence.

Si les animaux s'isolent en phylum biologique étanche les uns des autres (une espèce animale se définit précisément par son incapacité à

engendrer des descendants féconds147 hors de ses congénères) il en est

tout autrement des objets techniques. Les propriétés des êtres techniques, leurs fonctionnalités, leurs sous-ensembles ou organes passent très rapidement d'une filière technique à une autre. Plus la technique, l'industrie et la science deviennent prégnantes, plus la notion de “phylum technologique” se brouille; n'importe quel objet technique pouvant hériter par filiation du patrimoine d'un autre phylum. Le cinéma, par exemple, hérite sa mécanique des machines à coudre et sa logique optique et chimique de la photographie.

Cette impression de flou, d’illogisme, de perte de la spécificité d’un métier, donc d’un savoir, est certainement un des freins principaux à l’avancée de la convergence et c’est cependant le lieu sur lequel devrait se porter le maximum d’efforts.

Lorsque les objets techniques évoluent en ensembles techniques complexes, il devient beaucoup plus difficile de se les approprier culturellement parce qu’ils procèdent de savoir-faire autrefois distincts que la combinatoire des innovations a rapprochés. Par exemple, la radiophonie, l’électronique et le cinéma muet engendrent le cinéma sonore.

Plus que les autres, les nouvelles technologies de l'information semblent pouvoir s’échapper des principes techniques mêmes qui les ont fait naître. Par exemple, née avec le carton perforé de Jacquard ou les rouages de la machine de Pascal, l'informatique s’est échappée vers le circuit et l'enregistrement électronique, la logique optique et, peut-être demain, bionique.

Tous les phylums technologiques de l'information longtemps bien délimités dans leurs filières (filière image, filière son, filière édition de texte, filière calcul), convergent s’alliant en un énorme ensemble ou la réalité industrielle côtoie la potentialité virtuelle du futur encore à inventer.

D’autre part, il est un autre aspect qui complique encore la notion de convergence mais en fait toute sa richesse. Fascinés par le progrès technique du monde contemporain, nous avons tendance à penser l’ordinateur et le code binaire comme un aboutissement terminal de la

147 Et on voit bien, même ici, que les technologies transgéniques sont en train d’installer une convergence des espèces qui même si elle pose des problèmes éthiques n’en est pas pour autant moins réelle.

convergence. Même si nous pensons qu’il s’agit là d’un leurre, d’un effet de finitude de vue à l’horizon de notre capacité à penser concrètement le futur, on peut cependant considérer que cette attitude est industriellement, voire même technologiquement sinon scientifiquement positive. Pour que les dynamiques de convergence se concrétisent, il est en effet indispensable qu’on puisse penser leur développement vers un axe de convergence qui aujourd’hui est effectivement l’informatique et le code binaire. Cependant si la convergence a un passé, on doit admettre qu’elle aura un futur.

En ce sens, la bionique qui ne médiatiserait pas l’information selon les mêmes logiques que les technologies électroniques ou optiques peut nous donner une idée de ce que pourrait être un futur plus lointain de la convergence. Une information et une communication développées selon des technologies bioniques n’entraîneraient pas obligatoirement les mêmes logiques de développement. Ainsi l’analogique pourrait être beaucoup plus systématiquement associé aux logiques binaires. On peut penser aussi qu’il deviendra sans doute possible de cloner, d’amplifier ou de spécialiser des modes d’engrammation, de traitement et de diffusion de l’information développés dans le monde vivant. Enfin, il paraît évident que des phylums bioniques n’obéiraient pas aux mêmes types de filiation et de métissage, ce qui aurait un effet sur la convergence, puisque d’un certain côté ces technologies tireraient leur efficacité et leur robustesse évolutive d’une sélection biologique naturelle des meilleures réponses et que d’autre part l’ingénieur généticien interviendrait selon des logiques réfléchies et prévisibles donc assimilables aux logiques actuelles des objets techniques.

Pour ce qui est de son passé, la convergence des technologies de l’information et de la communication est riche de diversités dans laquelle il faut savoir intégrer des synergies qui ne sont pas seulement techniques, mais économiques, sociales, culturelles, militaires, qui intègrent des dynamiques qui paraissent non directement reliées à la communication comme le temps, l’espace, ou l’énergie électrique.

Les mass médias par exemple comme l’explique bien Antoine Lefébure148, naissent de la convergence de l’imprimerie traditionnelle d’une gazette bouleversée par le télégraphe, sur lesquels interviennent en synergie compétitive la raison d’État, la logique de la bourse (publicité et lobbying financier) et le consommateur de presse. Cette première convergence de base qui correspond à l’agence de presse et aux journaux du XIXe siècle sera ensuite soumise à d’autres synergies, celle de la radio, de la télévision et maintenant de l’Internet qui toutes trois n’auraient pas vu le jour sans conserver la triple synergie porteuse (raison d’État -militaire et politique- logique financière -notamment publicitaire- et logique du grand public).

La photographie