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lusieurs raisons nous amènent aujourd’hui à nous interroger sur l’opportunité de généraliser une théorie de l’efficience grammatologique, en d’autres termes d’opérer une jonction entre la culture consciente de l’efficience informationnelle que connaissent les mathématiciens et les informaticiens, et la future culture d’une efficience grammatologique qui peut se développer chez les autres acteurs de l’information et de la communication. On peut ainsi trouver plusieurs raisons qui poussent à opérer d’urgence cette jonction :

• la collectivisation et la mise en réseaux de l’information ;

• la standardisation des procédures et des modes de représen-tation ; • l’automatisation et la motorisation des traitements et des modes d’accès à l’information ;

• l’atomisation des informations qui permet de gérer des grains très ténus d’information alors que paradoxalement croit le potentiel de leur

mise en correspondance à travers leurs structures et leur sémantique (bibliothèques virtuelles) ;

• le progrès des techniques multimédias qui redistribue sur l’ensemble des modes les propriétés de la calculabilité. Ces progrès sont spectaculaires du côté de l’audiovisuel qui devient un mode dont la culture de lecture et d’écriture cesserait d’être émotionnelle pour acquérir des propriétés de logiques cognitives comparables à celle du texte.

Tous ces points seront largement développés dans la deuxième partie de cet ouvrage.

D’autres logiques plus transversales nous poussent à devoir maîtriser rapidement une théorie de l’efficience grammatologique :

• la saisie du geste et du mouvement culturellement signifiant : la langue des signes mais aussi de la chorégraphie sont actuellement en situation de s’intégrer dans des bibliothèques virtuelles numériques ; • l’émergence d’une maîtrise du multilinguisme et multiscrip-turalisme104 : la logique Internet a rendu indispensable l’adoption de normes de représentation des caractères sur quatre octets (Unicode et ISO/IEC10646) qui rendent possibles les mélanges d’écriture dans un même univers d’informations et constituent de ce fait une nouvelle obligation de maîtrise de l’écriture à un niveau international ;

• l’élargissement du multimédia aux questions de monétique et aux modes de l’échange dans son ensemble : du commerce électronique mais aussi des diverses facettes de l’échange non économique qui vont de la formalisation du troc à la mise en place d’échange d’infor-mations suivant des procédures de sécurité, de confidentialité105, de formalisation du travail de groupe...

Lorsqu’on essaye de considérer la production d’informations et la circulation d’informations à la lumière de ces quelques prémices d’une théorie, on se rend compte que la nouvelle conscience de l’efficience

104 Je préfère proposer le néologisme de scripturalisme qui se décline en transcripturalisme, multi-scripturalisme ou pluri-scripturalisme pour bien préciser qu’il est alors question de culture d’écriture et non pas de langue (qui est un concept trop général) qui englobe la sous-notion d’écriture. Ces questions seront développées dans la deuxième partie : (Cf. infra pp. $$>>).

105 On peut faire remarquer que la confidentialité que nous appelons en d'autres lieux de cet essai crypto-modalité introduit la nécessité de compliquer donc de rendre moins efficiente, mais conséquemment plus sûre, la transmission strictement ciblée des informations. Je dis à dessein ciblé et non personnalisé parce que les processus de tiers-certification permettent de diffuser des informations qui n'auraient pu autrefois n’être destinées qu'à un nombre très restreint de personnes nommément identifiées sur des publics beaucoup plus larges mais cependant ciblés et limités dans leur facette d’accès par des clefs inviolables que peut seul activer le tiers-certificateur. Ainsi des dossiers médicaux, des fichiers clients, des données administratives confidentielles peuvent être exploitées sans jamais rendre visibles ce qui motive leur nécessité de confidentialité. Par exemple, une équipe d'épidémiologistes n'aura accès qu'à des données statistiques fournies par des médecins alors que des gestionnaires des assurances de santé auront accès aux prescriptions pharmaceutiques de personnes particulières nommément identifiées sans jamais pouvoir accéder à des données globales.

grammatologique moderne prendra beaucoup de temps et se heurtera à de nombreux obstacles.

Le réseau virtuel planétaire est un domaine techno-culturel qui nous apparaît particulièrement crucial pour que se fasse jour une conscience de l’efficience grammatologique. Les individus et les institutions qui les accueillent ont rarement la capacité de s’organiser véritablement en réseau. La plupart des individus mais aussi des institutions, ont des difficultés à admettre qu’une information créée en un seul point de la planète puisse-être consultée et utilisée en tout lieu. C’est donc au prix d’énormes sacrifices réels et symboliques que les institutions comme les individus réussissent à créer les réseaux qui constituent l’infosphère. Ces réseaux peuvent être extrêmement efficaces, pertinents, mais on doit toujours les considérer comme portant en eux la difficulté originelle d’un espace d’appartenance collective. Que ce soit dans le monde des réalités économiques ou dans le cadre des institutions, par exemple académiques, les mêmes contradictions (juridiques, psychologiques, concurrentielles, linguis-tiques...) obscurcissent le paysage du réseau et rendent son étude objective pratiquement impossible. Le monde de l’information étant aujourd’hui par définition un monde de réseaux, il apparaît très improbable qu’une théorie simple de l’efficience réseautique puisse être proposée106.

Je soulignerais, pour conclure qu’il est indispensable de considérer que l’efficience grammatologique procède certes de données scientifiques (humaines, expérimentales et exactes) mais que c’est aussi une pragmatique contributive de l’infocom. En cela, il s’agit bien d’un savoir technologique. Si nous commettions l’erreur de penser qu’il ne s’agit que d’une discipline scientifique ou si nous cherchions à le réduire à un savoir-faire industriel, il est vraisemblable que nous n’arriverions pas à en assurer les méthodes avant que l’efficience grammatologique soit devenue urgente et indispensable.

106 Notons cependant la très importante et très ancienne mobilisation de recherche sur la question des réseaux, notamment en télécommunication.

Chapitre 3, Première partie