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« - Quelle drôle de montre, remarqua-t-elle [Alice]. Elle indique le jour du mois et ne dit pas quelle heure il est ! - Pourquoi le dirait-elle grommela le Chapelier. Est-ce que votre montre à vous, vous dit en quelle année nous sommes ? » Lewis Carroll195

a plupart de nos contemporains considèrent comme allant de soi: un temps où des journées sont divisés en vingt-quatre heures d'égale durée et où le soleil est, en principe, proche du zénith à midi. Ce temps, appris dans notre petite enfance et qui nous semble universel, est fortement remis en question au cours de l'ère contemporaine, mais aussi dès l'ère moderne. En effet, on a peine à imaginer l'incrédulité des compagnons de Magellan, survivants du tour du monde, lorsqu'ils

193 Le mot « style » désigne les différences calendaires notamment pour la date de Nouvel An.

194 PARISOT (Jean-Paul), La petite histoire du calendrier, in La transmission des savoirs scientifiques, (déjà cité), p. 93.

195 CARROLL (Lewis), Alice au pays des merveilles, in Tout Alice, Paris, éd. Garnier-Flammarion, 1979, p. 149. Lewis Carroll, avec une étonnante modernité, passant pour non-sensique au siècle dernier, anticipe sur nos montres électroniques qui sont à la fois des montres, (gérant éventuellement plusieurs fuseaux horaires) mais aussi des calendriers, tout autant que des outils de mesure permettant par exemple de nous situer en coordonnées géographiques de nous donner une altitude, une profondeur sous-marine, de nous servir de boussole...

s'aperçurent qu'ils avaient, comme plus tard Phileas Fogg, gagné un jour du calendrier, méridien après méridien, en faisant le tour du monde. L'expérience planétaire du temps que la vie quotidienne des vacances, de l'actualité sportive, de la bourse ou du téléphone intercontinental nous fait vivre, montre à l'évidence l'inadaptation continuelle des concepts qui ont été historiquement mis en œuvre pour décrire le temps. Leur convergence avec les événements médiatiques internationaux ouvre de ce fait d’énormes enjeux jouant sur les disparités par rapport à une unicité temporelle perdue. Le temps de Greenwich (GMT) est-il encore aujourd’hui le temps du centre du monde ?

La possibilité de diffuser en temps réel des images de télévision sur les Jeux Olympiques donne une importance de plus en plus grande à la situation planétaire de la ville candidate comme site olympique. En effet, “Un site situé au sein d'une zone horaire à forte consommation télévisuelle (les États-Unis), permettra d'exploiter la quasi totalité des tranches horaires sportives en direct. Un site situé légèrement à l'est de cette zone (l'Europe), permettra d'exploiter la journée entière en fin d'après-midi et en soirée, ce qui est une situation idéale. Par contre, un site situé aux antipodes horaires est particulièrement en mauvaise position et la ville qui propose les Jeux Olympiques dans cet endroit a de grandes difficultés à réussir sa candidature olympique.196". Cette réalité, alliant fuseaux horaires et vente de rediffusions sportives est une démonstration des effets réactifs que provoque la survivance d'un vieux langage pour décrire et dire le temps par rapport à notre modernité et l'influence de la gestion du temps sur les mass-médias.

Aujourd'hui, lorsque nous parlons d'heure, nous serions tentés de croire, que c'est immuablement la vingt quatrième partie du temps d'une révolution de la terre sur elle même, autrement dit un jour plus une nuit. Cependant, l'évolution historique de la notion d'heure moyenne est passionnante à suivre.

Pour les gens de la campagne, il suffit de partager le temps de travail en douze parties égales depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher. Ce qui donne des heures de jour plus longues l'été que l'hiver et conséquemment les heures des nuits d'hiver seront très longues et celles d'été très courtes. Gérer cette diversité de la longueur variable de l'heure est très facile à réaliser avec un cadran solaire mais très difficile avec la logique des mouvements d'horlogerie ou même d’une clepsydre ou d'un sablier.

À l’évidence le temps de l'été, celui des grands travaux des champs, n'est pas en équivalence économique avec celui de l'hiver.

Par contre, pour l'avocat ou l'homme politique de l'Antiquité, les voleurs d'eau comme on les appelait parce qu'ils truquaient les clepsydres que l’on mettait dans les prétoires, le temps de parole celui de la persuasion oratoire, se devait d'être constant l'hiver comme l'été, le jour comme la

nuit. Notons un des grands problèmes du confort quotidien sous l'Antiquité : comment savoir l'heure la nuit ?197

Cette heure moyenne était aussi celle du savant notamment le géographe, puisque le climat grec nous dirions aujourd'hui la latitude, définissait un parallèle du globe terrestre ou la durée d'un même jour du calendrier était la même : ce qui relie le temps à l'espace. Cette mesure de coordonnée géographique s’effectuait à l'aide d'un gnomon198.

C’est en quelque sorte la subtilité de la mesure du temps horaire, sa variance liée à la durée effective du jour solaire qui se simplifie pour pouvoir rentrer en convergence avec les machines horlogères. Pour ce faire, on généralise une mesure horaire bien spécifique, l’heure moyenne et constante199 des tribuns et des avocats qui devient l’heure de référence, l’heure de l’organisation du travail, l’heure aussi de la mesure marine de la longitude (donc de l’espace), en fait un des piliers fondateurs du monde moderne.

Progressivement à partir de la Renaissance, l'heure moyenne est celle qui se mesure à l'horloge200, du clocher, du beffroi puis de la montre. Les carillons de l'ère moderne, la banalisation des horloges puis des réveils et des montres, participent du changement des mentalités qui est la conséquence de cette appropriation moderne d’une nouvelle culture de l'heure.

C'est le machinisme, avec l'éclairage au gaz et la sirène matinale de la fabrique, et la pénétration du chemin de fer, avec l'horloge de la gare qui finiront, au XIXe siècle, la mise à l'heure moderne, amorcée au XVIIe siècle par les bourgeois des villes avec les horloges des clochers et des beffrois.

197 La nuit était d’ailleurs partagée en quatre veilles (vigila) de chacune trois heures (une subdivision bien inutile la nuit pour la plupart des gens.)

198 Cf. infra $$>>

199 On appelait les avocats les voleurs d’eau par référence aux clepsydres qui permettaient précisément, par opposition aux cadrans solaires, de mesurer le temps constant.

200 C'est Galilée qui découvre les lois du pendule et conçoit l'idée d'utiliser ceux-ci pour mesurer le temps. L'exactitude des horloges en est très fortement améliorée passant de quelques minutes à quelques secondes d'écart, ce qui correspond à une véritable révolution.

Cette modernisation du temps consacre l’installation définitive du temps de l'homme que l'on achète ou que l'on gère. C'est aussi l'heure des moyens de communication, puis celle des machines à communiquer. À ces modernisations et normalisations de l'heure correspond une dépendance de plus en plus forte des machines à communiquer avec l'heure et la synchronisation. Pour le citadin occidental du début du XXe siècle s’installe la fausse évidence qu'il existe une heure moyenne en soi,

transcendantale en quelque sorte ainsi qu'un calendrier universel Après

la seconde guerre mondiale avec la démocratisation des transports aériens les hommes sont très étonnés de voir revenir l'évidente relativité planétaire de l'heure. L'heure moyenne partout présente, tellement liée à la culture industrielle, tellement réelle par rapport à l'heure ressentie, à l'heure des climats et des saisons est devenue la référence objective. Ainsi s'est ouvert une parenthèse indicielle201 (Barboza) donnant à l'heure moderne un effet de réel.

Ce que nous ramène l’ère néo-contemporaine, refermant cette parenthèse indicielle, ce n'est pas le bouleversement d'une réalité, mais le rétablissement d'un réel plus complexe : l'heure contempo-raine perd son effet de réel allant de soi.