• Aucun résultat trouvé

information et la communication évoluant sous l’influence fédérative de l’informatique et des réseaux, nous assistons actuellement à une convergence jamais égalée de ces modalités,

de ces médias qui constituent une sorte d’implosion107

grammatologique.

La convergence est un nouveau mot à la mode mais c'est un concept extrêmement utile. Auparavant, on employait le mot de multimédia, que l'on critiquait parfois en invoquant le caractère uni-média du multimédia. Le multimédia c’était l’alliance en synergie de plusieurs médias. L’uni-média signifiait bien cette tendance des différents L’uni-médias (téléphone, radio et télédiffusion, audiovisuel, traitement de textes, banques de données, carte à puce, édition discographique) à se retrouver, à se fédérer sur le même média : l'ordinateur.

Le multimédia signifiait aussi l'alliance des modalités, ou modes, de la médiation de l'information sensorielle ou du potentiel physiologique à communiquer (vue, toucher, ouïe) mais aussi des modalités culturelles (écriture, oralité, modalités gestuelles...) voire même des modalités d'organisation macro-culturelle (linéarité discursive propre au discours linguistique mais aussi au document audiovisuel, organisation documentaire, hypertextualité, hypermédia108).

La convergence est donc un concept à la fois très clair, en tant que phénomène inéluctable assez simple à définir ; mais c’est aussi une notion très floue, très incertaine quant au champ conceptuel qu’elle couvre et à la maîtrise éventuelle de son devenir. Les grandes entreprises des différents domaines, téléphonique, informatique, audiovisuel, d’édition numérique et textuelle, savent bien qu'elles courent inéluctablement vers la convergence. Les professions concernées par des modalités particulières (éditeurs, professionnels de l'audiovisuel,

107 Cette implosion dûe au fait que tous les médias et modalités ne sont plus portés que par un média unique, coïncide, on le constate à l’évidence, avec une explosion des usages et une multiplication du nombre apparent des médias.

108 Dans la foisonnante multiplicité des approches je retiendrai pour leur intérêt du point de vue grammatologique : BUSH (Vannevar), As we may think, Atlantic Monthly, n° 176, Juillet 1945, pp. 101 à 108.

NELSON (Theodor H.), Dream machines : new freedoms through computer screens, Chicago, 1974. NELSON (Theodor H.), Literary Machines, South Bend (Indiana) The Distributors, 1987.

RICŒUR (Paul), Temps et récit, Paris, Edition du Seuil, 1985.

LAUFER (Roger), (sous la direction de), Le texte en mouvement, Saint-Denis, Presse de l’Université de Vincennes, 1988. LAUFER (Roger) et Scaverra (Domenico), Texte, hypertexte, hypermédia, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1992. BALPE (Jean-Pierre), Hyperdocuments, hypertextes, hypermédia, Paris, Eyrolles, 1990.

CLÉMENT (Jean), Du texte à l’hypertexte, vers une épistémologie de la discursivité hypertextuelle, in BALPE (Jean-Pierre), (sous la direction de), Hypertextes et hypermédias, Paris, Hermès, 1995, pp. 263 à 274.

CHRISTIN (Anne-Marie), L’Image écrite, Paris, Flammarion, 1995.

GIFFARD (Alain), Petites introductions à l’hypertexte, in FERRAND (N), (sous la direction de), Banques de données et hypertextes pour l’étude du roman, Paris, PUF, 1997, pp. 99 à 117.

VANDENDORPE (Christian), Du papyrus à l’hypertexte : essai sur les mutations du texte et de la lecture, Paris, Editions La Découverte, 1999

documentalistes, bibliothécaires, muséographes, informaticiens, spécialistes du câble ou des réseaux, universitaires de la littérature ou de l'histoire de l'art....), savent bien que leur culture seront confrontées à court terme à la convergence mais très peu d’entre elles peuvent imaginer et même oser penser cette transformation. Les universitaires intéressés par la question de l'information et de la communication ne sont guère mieux lotis. Il est donc primordial de penser la convergence et la grammatologie instrumentale qui nous semble à même de pouvoir y contribuer.

Les hommes communiquent sous des modalités diverses, par le geste ou la parole, par oral ou par écrit, par image ou par écrit mathématique. Ils peuvent écrire de façon littéraire, selon un mode marchand, par ordres brutaux, ou au contraire par séduction persuasive. La communication passe par le canal de l’ouïe, par celui de la vue, de la voix, du geste et de la perception des formes ou de l’espace. D’autre part les perceptions ou les modalités humaines de l’expression sont médiatisées sans qu’il soit possible de faire correspondre exactement les typologies de la médiation humaine anatomique et celle de la médiation technique (celle qui va des outils les plus simples telle qu’une trace rupestre au charbon de bois, l’écriture,) jusqu’au NTIC les plus sophistiqués.

Pour appréhender l’ensemble des facettes qui m’ont semblé constituer les facettes instrumentales de la convergence j’en développerai d’abord un aspect très ponctuel, celui de la synergie entre l’image mentale et une culture de l’art oratoire, la méthode des loci. Les loci avaient l’avantage de replacer l’image, un des piliers des NTIC, dans un processus de convergence que l’on pourrait considérer comme inversé par rapport à aujourd’hui : l’image permettant de retrouver le discours, et non comme on le pense trop aujourd’hui, les mots clefs permettant de retrouver les images. Je tenterai ensuite un survol de cette dynamique de fédération convergente qu’a pu représenter la culture du calcul sur la très longue période historique jusqu’à l’ordinateur aujourd’hui. Cet aspect de la convergence est fondamental parce qu’il montre la centralité du calcul, des calculatrices artificielles, puis de l’ordinateur dans l’orchestration de la conver-gence.

Cette accélération de la cohésion et de la concertation des métiers, des cultures et des modalités a été amorcée depuis que l’homme réfléchit rationnellement, mais aussi philosophiquement sur sa technoculture et a pris un tour plus instrumental depuis le début des machines à communiquer, notamment la photographie. Nous tenterons donc un parcours nécessairement trop rapide de toutes ces logiques techno-culturelles comme apport au renforcement d’une dynamique de la convergence. Dans ce survol, qui rassemble des dynamiques de médiation obligatoirement hétérogènes qui deviendront des attracteurs de la convergence. Je chercherai à donner des pistes: le temps, l’espace, l’échange (dont l’approche sera repoussée à la troisième partie) mais

aussi les logiques d’organisation de la réalité sociale (le loisir, le spectacle, la guerre, la publicité, la finance, le pouvoir) dans leur interaction avec la technoculture de l’information et de la communication et notamment sa phase contemporaine des machines à communiquer. Fort de ces développements, j’essaierai de faire quelques propositions concrètes à même d’ouvrir à une pragmatique de la modalité et de la médiation ; en quelque sorte un retour sur les aspects plus proprement humains de la convergence des sens, des modalités culturelles ou des convergences à l’œuvre dans les transformations de la réalité sociale109. Cette partie sera l’occasion de me situer par rapport à la médiologie. La convergence est d'abord la conséquence d'une nouvelle conscience techno-culturelle et d’une nouvelle approche industrielle. Pour s’installer véritablement dans l’ère néo-industrielle, l'ensemble technique de l'information et de la communication doit être devenu cohérent, donc convergent et non plus fragmentaire comme aujourd'hui, ce qui est possible si l'ensemble des champs qui touchent à l'information sont aussi complètement que possible définis en domaines structurés et normalisés. Cette question de la normalisation des domaines aujourd'hui distincts110

nous a paru tellement primordiale qu'elle sera l’objet d’un développement spécifique dans la deuxième partie de cette étude. Cependant la convergence des modalités et des médias ne se réduit pas à cette dynamique actuelle et future des NTIC dans un contexte d'information structurée numérique et normalisée. C’est d’abord une démarche classique de l'individu, sans doute aussi une évolution logique de la culture et des techniques de la communication. C'est peut-être même une donnée intrinsèque de l'intelligence111 tant individuelle que culturelle qui veut que deux ou plusieurs modes de médiation par exemple la vue et l’ouïe, le geste et la parole, mais aussi plusieurs médias (l’écriture, la photographie, l'ordinateur, le réseau) s'associent en synergie pour produire plus d’informations, pour améliorer l’efficience, rendre possible ou mieux pérenniser les processus d’engrammation. De nombreux exemples de ce que nous pourrions appeler une convergence triviale peuvent être donnés :

• L'écriture est évidemment le produit d'une convergence : la parole s’engramme grâce à l'abstraction d'un code alphabétique, idéographique ou syllabique, en instrumentalisant le geste (calame, papier). L'écriture peut-être lue par perception visuelle et elle est perçue soit par une médiation seconde de la parole (canal voix/ouïe), soit par lecture intérieure.

• Le livre est un média qui a traditionnellement fait converger deux modalités communicationnelles traditionnelles : le texte et l’image. Entre

109 SEARLE (John R.), La construction de la réalité sociale, Paris, Gallimard, 1998. Voir plus loin un développement sur ce sujet. Cf. infra $$>>

110 l’EDI, l'ingénierie linguistique, l'audiovisuel, le multimédia, les ressources patrimoniales et documentaires, les technologies de l'apprentissage et de l’éducation, la simulation, la robotique, l'automatisation...

les années soixante et quatre-vingt l’édition s’est déployée dans une créativité très inventive. Le multimédia traditionnel qui consiste à éditer des livres audio, des livres vidéo, voire même des livres olfactifs, et bien sûr depuis plus d’un siècle, une édition tactile : les livres en caractères braille. Depuis l'arrivée des cédéroms cette créativité multimédia foisonnante de l'édition a fortement décru bien qu'elle subsiste encore notamment dans la littérature de jeunesse. Le livre et le magazine continuent d’être illustrés par l'image imprimée et des cédéroms associés décuplent l'effet de la convergence.

• L'opéra a profondément fasciné tous ceux qui se sont penchés sur une théorie de l’art parce qu'il correspond précisément à une dynamique convergente de tous les arts entre eux : l’art total réunissant la musique instrumentale, le chant, la danse, le théâtre. Le théâtre112 est aussi le point de convergence de l'oralité, de la poésie et de l’art littéraire, mais aussi celui de l'architecture de l’art du décor, du costume, de la mise en scène...

• Le cinéma peut être considéré comme le produit final d'un long processus de convergence. Sur le plan visuel, comme le cinéma muet, c’est d'abord le produit d'une convergence de la photographie, en tant que saisie de l'instant grâce au savoir-faire des illusionnistes pour simuler le mouvement et des scientifiques pour l’analyser. C'est ensuite une longue aventure convergente semée de difficultés qui auront longtemps semblé insurmontables pour que le son puisse s'associer synchroniquement au cinéma muet.

• Autre convergence qui caractérise l'évolution des machines à communiquer : la télévision qui transpose le cinéma mais aussi le théâtre ou l’art du direct sur des ondes hertziennes au début seulement capable de porter la télégraphie morse puis la voix et enfin l'audiovisuel : il s’agit là aussi d’un phénomène d’hybridation convergente.

• Les technologies de saisies magnétiques à l’origine inventées pour le son se redéploient en convergence dans le magnétoscope (saisie audiovisuelle) ou dans l’informatique (bandes, disques ou disquettes d'ordinateur).

• Enfin dernier exemple de cette convergence traditionnelle, le vidéodisque qui nous introduit de façon exemplaire dans la convergence moderne des NTIC. Cette technologie de transition des années 80 cumule les niveaux de convergence. C’est d’abord le premier d’un nouveau type de médiation de l’engrammation. Du magnétique on passe au stockage optique. C’est aussi un média dans lequel coexiste l’analogique (pour le codage de l’audiovisuel) et le numérique (pour le codage de ses logiques interactives). C’est encore le premier média à permettre une médiation véritable de l’interactivité, de l’hypermédia, le premier support d’information balisée et structurée destinée au grand public. Cette

112 Je reviendrai sur ce point en $$>> parce que le texte théâtral est un cas d’école passionnant pour comprendre l'information structurée.

technologie est l’aube des NTIC actuelles ! En cela ce média représente le début d’une prise de conscience techno-culturelle et industrielle sur l’information convergente.

La convergence est une matière complexe, un sujet inépuisable, puisque par définition, ce qui procède de la convergence, touche à la totalité des techniques, des médias, des modes de médiation, des métiers, des langues... Il est donc très difficile en matière de convergence de traiter d'un seul et unique sujet. La convergence induit la diversion, la parenthèse et au minimum, s’y mêlent indistinctement le niveau de l’efficience et celui de l'engrammation.

Avant que de nombreux exemples de convergence soient évoqués ou développés dans les chapitres ultérieurs, il est deux domaines de la culture de convergence que je voudrais développer plus particulièrement pour illustrer ces quelques propositions liminaires :

• L’art des loci : qui fait converger de façon bien oubliée aujourd’hui la mémorisation du texte par le recours aux images. Une technique que les latins appelaient déjà la mémoire artificielle comme s’ils avaient prévu que d’inimaginables machines permettraient d’associer les cinq sens qui selon Aristote entouraient l’âme telle une cosmogonie rayonnante.

• Le domaine du nombre et du calcul dans son évolution historique depuis le décompte le plus primitif sans aucune engrammation d’aucune sorte et qui requiert des modes de traitement de l’information très primitif et très faiblement efficient, jusqu'aux ordinateurs actuels les plus multimédias. Ce dernier domaine m’apparaît particulièrement important à développer comme culture de convergence parce que l'informatique et la numération binaire, sont l’âme même, la technique et le code de référence de ce qui supporte aujourd'hui le phénomène actuel de la convergence dans les NTIC. En résumé, l’informatique serait bien l’attracteur principal de la convergence des NTIC.

L’image comme support de mémoire du discours :