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Les principaux événements du combat des femmes pour l’obtention des droits

1.6 Contextualisation

1.6.1 Les principaux événements du combat des femmes pour l’obtention des droits

En 1868, l’Association internationale des Femmes (AIF), fondée à Genève par Marie Goegg-Pouchoulin (1826-1899), mais dont l’envergure dépasse les frontières, revendique,

118 Ibid., p. 576. A contrecourant des idées reçues et communément admises, Patrick R. Miller soutient que « les

individus, considérés comme de « bons » citoyens, dans la mesure où ils sont bien informés des sujets politiques et où ils s’engagent volontiers dans les affaires politiques, agissent de façon plus émotive en politique et apparaissent plus influencés par les émotions dans leurs comportements » (Ibid.). Interprété par nous.

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notamment, l’égalité civique entre femmes et hommes. En Suisse, les revendications publiques de l’égalité politique entre femmes et hommes remontent aux années 1880, date à laquelle disparaît l’AIF. Comme première impulsion individuelle, en 1887, Meta von Salis-Marschlins (1855- 1929) demande les mêmes droits civiques pour les femmes dans un article paru dans le Zürcher

Post119. Les féministes suisses sont en étroite relation avec les mouvements militants des autres pays. En 1904, le premier congrès de l’Alliance internationale pour le suffrage féminin (AISF) se tient à Berlin. L’AISF propose le regroupement des forces en faveur du suffrage féminin, qu’il soit partiel ou intégral. Cependant, au début du XXe siècle, les femmes suisses ne sont pas encore en mesure de fonder une association nationale pour le suffrage féminin, en raison des dissensions entre les différents groupes. Ils parviennent, finalement, à un consensus et se regroupent dans l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF), créée en 1909. En 1912, le parti socialiste se prononce en faveur de l’égalité civique entre femmes et hommes. La déclaration de la Première guerre mondiale provoque un frein dans les revendications féministes. Les femmes s’intègrent rapidement dans le mouvement patriotique qui soude le pays. Au sortir de la guerre, les féministes reprennent un nouveau souffle, d’autant plus que certains pays introduisent le suffrage féminin. Lors de la grève générale de 1918, le Comité d’Olten remet neuf revendications au Conseil fédéral, dont la deuxième est l’introduction du suffrage féminin. Cette constellation particulière provoque le dépôt de deux motions au Conseil national en décembre 1918 : celle d’Emile Göttisheim (BS/PLR) et celle de Hermann Greulich (ZH/PSS). Au même moment naît la Ligue vaudoise féministe antisuffragiste pour les réformes sociales et disparaît peu après. Ces mouvements sont peu organisés. Ils apparaissent lorsque le danger surgit et se dissolvent dès que la question du suffrage féminin perd de son acuité120. Sibylle Hardmeier met en évidence la mouvance des stratégies argumentatives des féministes : dans les années 1890, les arguments d’ordre religieux et social sont prioritaires ; au début du XXe

siècle, avec la fondation de l’ASSF, les arguments basés sur le droit naturel et les prémisses libérales (liberté, autonomie et justice) prennent le relais. Les arguments égalitaires et dualistes sont avancés de façon simultanée, bien que les seconds soient surreprésentés121.

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« Le long chemin menant au droit de vote et d’éligibilité des femmes » in : Evénements de l’histoire des femmes

et de l’égalité des sexes en Suisse de 1848 à 1998, Publication de la Commission fédérale pour les questions

féminines, Berne 1998, op. cit., Partie 1, 2.1, p. 3.

120 Ibid., p. 5. 121

Sibylle Hardmeier, « Die Vereine in der Deutschschweiz und die Gründung des schweizerischen Verbandes », in :

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Les défaites féministes dans plusieurs villes122, lors de scrutins entre 1919 et 1921, entraînent des modifications tactiques : d’une part, l’aspect dualiste et complémentaire, basé sur la répartition sexuée des rôles, devient à nouveau l’argument principal, au détriment de l’égalité naturelle des femmes et des hommes ; d’autre part, les suffragistes tentent de promouvoir le suffrage féminin grâce à une interprétation de la Constitution. Cette voie est, cependant, rejetée, tant par le Conseil fédéral que par le Tribunal fédéral123. En 1929, l’ASSF dépose une pétition pour le suffrage féminin à l’Assemblée fédérale. Il s’agit d’une grande victoire propagandiste puisqu’elle récolte quelque 25 000 signatures, mais ne provoque aucun résultat politique. L’enthousiasme des féministes faiblit pour deux raisons : d’une part, elles prennent conscience de leur faiblesse en termes de pression efficace sur les instances politiques ; d’autre part, la récession des années 1930 et la montée des fronts d’extrême-droite promeuvent le retour en force d’une vision traditionnaliste figée des rôles sexués dans la société. Par conséquent, la stratégie argumentative se modifie à nouveau : « le suffrage n’est plus exigé comme un droit légitime des femmes, mais comme l’élargissement de l’assise démocratique de l’Etat et comme récompense d’une citoyenne consciente des ses responsabilités124 ». A la fin de la Seconde guerre mondiale, tout semble à nouveau possible. Cependant, les votes réalisés dans les cantons aboutissent tous à un refus net de l’égalité politique entre femmes et hommes. En 1945 est créé le Comité d’action pour le suffrage féminin qui soutient activement le postulat de Hans Oprecht (ZH/PSS). Cette même année, différents groupements contre le suffrage féminin s’unissent en un Cercle suisse des femmes contre le droit de vote des femmes125. Alors qu’en 1949 et 1950, Peter von Roten (VS/PDC)

122 Il s’agit des villes de Neuchâtel, Bâle, St-Gall, Genève et Zurich. Lors de la campagne sur la votation du suffrage

féminin dans le canton de Neuchâtel, le comité cantonal contre le suffrage féminin réaffirme la stricte distinction des rôles entre les sexes. Selon Sibylle Hardmeier : « Unter Rückgriff auf antifeministische und pseudowissenschaftliche Theorien von Otto Weininger oder Gina Lombroso entwickelten sie rhetorische Figuren, welche die Sinnverkehrung der « natürlichen » Geschlechterrollen und die Gefährdung der Weiblichkeit oder Familie in allen Schattierungen ausmalten » (« 1918 bis 1921 – Enttäuschte Erwartungen », in : Le combat pour les droits égaux, op. cit., p. 119).

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En 1923 et 1928, l’avocat genevois, Léonard Jenni, demande l’introduction du suffrage féminin par l’interprétation de la Constitution, mais échoue à deux reprises, « Le long chemin menant au droit de vote et d’éligibilité des femmes » in : Evénements de l’histoire des femmes…, op. cit., Partie 1, 2.1, p. 6. Le Conseil fédéral se base sur la tradition historique et sur la volonté du législateur de 1848 pour repousser la plainte de Léonard Jenni, « Extrait du procès-verbal de la séance du Conseil fédéral suisse », vendredi, 18 mai 1928, Droit de vote des femmes. [Jenni], AFS, E 1 (-), vol. 115, n° 660, Beschwerde Dr. L. Jenni, Genf betr. Frauenstimmrecht.

124 « Le long chemin menant au droit de vote et d’éligibilité des femmes » in : Evénements de l’histoire des femmes…, op. cit., Partie 1, 2.1, p. 6.

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« Un des slogans de notre époque consiste à prétendre que les temps nouveaux ont créé une femme nouvelle. Mais ni la femme, ni ses tâches biologiques ne se sont modifiées ni ne changeront jamais. […] Ce qu’il faut à notre pays, ce ne sont pas des femmes faisant de la politique, mais des mères physiquement et spirituellement [leibliche und geistige Mütter], qui contribuent à surmonter les sentiments de haine et de méfiance » (AFS, E 1070, 1969/10, Frauenstimmrecht, 1950-1951, vol. 48, G-05996, Schweizer Frauenkreis gegen das Frauenstimmrecht, pp. resp. 3 et 6). Interprété par nous.

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exerce des pressions de deux types pour faire avancer la cause du suffrage féminin126, en 1950, l’ASSF dépose une requête au Conseil fédéral proposant l’instauration du suffrage féminin par la voie de l’interprétation de la Constitution127

. En 1951, le Conseil fédéral remet un rapport dans lequel il arrête la seule façon institutionnellement acceptable d’instaurer le suffrage féminin : la révision de la Constitution, avec la consultation des citoyens et des cantons à la clé. La prévision de la votation sur la protection civile, en mars 1957, provoque des remous. Sous l’égide des associations féminines, une vaste protestation nationale s’organise dont le but est de refuser de nouveaux devoirs sans l’obtention de nouveaux droits128. Alors qu’en 1958, les chambres fédérales décident de soumettre le suffrage féminin aux citoyens, le Comité des femmes contre l’institution du suffrage féminin illimité naît. La situation générale semble défavorable à l’acceptation du suffrage féminin, d’abord, parce que la majorité des votations, ayant eu lieu dans les communes et les cantons, s’est soldée par des échecs129 ; ensuite, parce que les partis politiques ne sont pas unanimement en faveur du suffrage féminin130. Celui-ci est refusé par 66.9% des électeurs, contre 33.1% d’hommes favorables, avec une participation de 66.7%. Lors de cette votation, le canton de Vaud accorde aux femmes le suffrage féminin ; les cantons de Neuchâtel et de Genève suivent peu après131. Ce résultat helvétique négatif agit comme un

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Le 21 décembre 1949, il pose un postulat au Conseil national dont la teneur est la suivante : « Le conseil fédéral est invité à présenter aux Chambres un rapport sur les moyens les plus appropriés pour étendre aux femmes suisses l’exercice des droits politiques (24 cosignataires) » ; et le 26 avril 1951, il pose une motion au Conseil national dans laquelle il demande : « Le Conseil fédéral est invité à soumettre aux Chambres un projet pour réviser la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux aux fins d’accorder les droits politiques aux femmes » (Résumé des délibérations de l’Assemblée fédérale, Berne 1920).

127 Beatrix Mesmer précise que, selon une lettre de Peter von Roten à la présidente de l’ASSF, « les discussions

théoriques concernant le suffrage féminin n’intéressaient plus personne ; seule la façon de l’introduire sans une consultation masculine était le centre de discussion » (« Verfassungsrevision oder Interpretationsweg ? », in : Le

combat pour les droits égaux, op. cit., p. 91). Interprété par nous.

128 Le projet de cette loi prévoyait une obligation de participation des femmes à la protection civile. En prévision de

cette votation, 1414 Romandes demandent leur inscription au registre électoral de leur commune, menaçant de remonter jusqu’au Tribunal fédéral en cas de refus. Celui-ci rejette effectivement leur plainte ; Werner Stocker, qui fait partie de la minorité des juges fédéraux favorables à la plainte, conseille les associations féminines et les communes qui désirent donner la possibilité aux femmes de s’exprimer sur le projet de la protection civile. C’est dans ce contexte que la commune d’Unterbäch (VS) est la première à offrir aux femmes la possibilité de participer au scrutin, même si leurs voix ne sont pas comptées. Cette commune fut appelée le « Rütli des femmes suisses » (Ibid., p. 94).

129 Bâle-Ville autorise ses communes à introduire le suffrage féminin dans les affaires bourgeoisiales, ce dont ont

profité les communes de Bâle-Ville et de Riehen, « Le long chemin menant au droit de vote et d’éligibilité des femmes » in : Evénements de l’histoire des femmes…, op. cit., Partie 1, 2.1, p. 10.

130 Le PSS, l’AdI. et le PdT recommandent le oui ; le PDC et le PLR donnent la liberté de vote, alors que le PAB

recommande le non.

131 Le canton de Vaud accepte le suffrage féminin par 32 929 oui contre 31 254 non ; le canton de Neuchâtel par 13

938 oui contre 12 775 non ; et le canton de Genève par 17 761 oui contre 11 846 non, « Message du Conseil fédéral l’Assemblée fédérale sur le résultat de la votation populaire du 1er février 1959 concernant l’institution du suffrage

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véritable choc auprès de nombreuses femmes. Leur abattement est cependant de courte durée. En effet, dès le début des années 1960, la question de l’adhésion de la Suisse au Conseil de l’Europe remet le suffrage féminin à l’ordre du jour. Malgré une opposition farouche des associations féminines, la Suisse y adhère en 1963132. Les discussions reprennent avec force au moment de la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme (4 novembre 1950). Celle-ci stipule la sauvegarde des libertés fondamentales des êtres humains et l’absence de toute discrimination133. L’inégalité civique entre femmes et hommes représentant une discrimination basée sur le sexe, la ratification ne pourrait se réaliser qu’en émettant une réserve concernant cet aspect. En effet, le 9 décembre 1968, le Conseil fédéral et le Parlement prévoient la ratification de la Convention des droits de l’homme avec une réserve concernant le suffrage féminin 134. Les associations féminines se voient contraintes de réagir rapidement et vigoureusement ; elles sont soutenues par les événements des années 1968, pendant lesquelles de jeunes femmes entrent dans le mouvement de revendication. Le 1er mars 1969, a lieu la « marche sur Berne », véritable démonstration de masse, au cours de laquelle 5000 personnes se réunissent sur la Place

féminin en matière fédérale », AFS, E 1070, 1974/32 Volksabstimmung vom 1. Februar 1959 (Frauenstimmrecht). Erwahrung, 1959, Bd. 40, G-07792.

132 Selon Margrith Bigler-Eggenberger, ces femmes sont surprises de la facilité avec laquelle les responsables

politiques y adhèrent sans prendre en considération l’absence de suffrage féminin, et elles craignent que cette adhésion repousse sine die les revendications concernant le suffrage féminin, « Stimmrecht – ein Menschenrecht : Zur Diskussion um das Frauenstimm- und Wahlrecht in den 1960er Jahren », in : Le combat pour les droits égaux,

op. cit., p. 147.

133 Dans son rapport, « Le travail des femmes dans un monde en évolution », publié par le BIT en 1968, le Conseil

économique et social de l’ONU relève les inégalités encore existantes en femmes et hommes dans le monde du travail. « Il existe toujours une nette division du travail selon le sexe et une tendance marquée à engager les travailleurs en se basant sur le sexe plutôt que sur les capacités, les aptitudes féminines continuant à faire l’objet de préjugés sans fondement. […] Dressant le bilan des progrès accomplis depuis dix ans, le rapport ne peut que constater que les problèmes sont demeurés les mêmes : la discrimination qui commence au berceau et poursuit la femme toute sa vie ; […]. Il semble, dit le rapport, que dans une société à dominance masculine le travail féminin soit réputé à priori de moindre valeur que celui des hommes. […] En bref, les femmes ne doivent pas être pénalisées parce qu’elles sont mères et le seul facteur biologique ne saurait expliquer la discrimination dont font l’objet les travailleuses » (AFS, E 4110 B, 1982/53, vol. 2, ONU, Conseil économique et social, L’année de la femme, 1968- 1976, pp. 1 et 2).

134 Ibid., p. 149. La Commission de la condition de la femme de l’ONU estime que l’inertie des femmes elles-mêmes

représente un obstacle important à leur pleine égalité avec les hommes. « On a cité l’apathie des femmes comme l’un des principaux obstacles, apathie qui provient souvent d’une conception séculaire des rôles respectifs de l’homme et de la femme dans la société. […] On a considéré qu’un autre obstacle à l’application des principes de la Déclaration était la répugnance des hommes à admettre et à encourager le nouveau rôle des femmes » (AFS, E 4110 B, 1982/53, vol. 2, Commission de la condition de la femme. Rapport sur la 22e session, 27 janvier – 12 février 1969. Conseil économique et social, documents officiels : 44e session, ONU, p. 22). Le Département politique fédéral recommande, quant à lui, une modification de la conscience de soi. « Das stereotype Bild der Schweizerfrau muss, soweit es veraltet ist, durch ein modernes Leitbild ersetzt werden. Dazu sind wissenschaftliche Methoden nötig. Diese Zielsetzung liegt im gesamtschweizerischen Interesse und ist somit auch ein Anliegen des Bundes » (« An den Bundesrat. Soziologische Untersuchung über die Stellung der Schweizerfrau : Finanzierung und Mitarbeit des Bundes », AFS, E 4001 (D), 1973/125, vol. 72, Besserstellung der Schweizerfrau, 62/3. Département politique fédéral. Bern, le 21 février 1969, p. 4).

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fédérale135. Alors que le Conseil national accepte à une courte majorité la ratification de la Convention des droits de l’homme avec réserve, le Conseil des Etats, quant à lui, bloque l’adhésion. Le Conseil fédéral est contraint de reprendre la discussion sur le suffrage féminin. Le 9 décembre 1969, il publie son Message sur l’institution du suffrage féminin. En 1970, le Parlement accepte le projet de révision constitutionnelle qui est soumis aux citoyens le 7 février 1971. Le droit de vote et d’éligibilité des femmes en matière fédérale est accepté par 65.7% des votants, contre 34.3%, avec une de participation 57.7%136. Entre 1970 et 1972, 17 cantons introduisent le suffrage féminin. En 1989, le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures l’accepte. En revanche, le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures est contraint par le Tribunal fédéral, le 26 novembre 1990, d’accorder le suffrage illimité aux femmes, par la voie de l’interprétation de la Constitution cantonale.