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L’écart entre les « circonstances de fait » et l’état des lois, entériné par les électeurs, produit des réactions déterminées. En 1951, Edgar Woog (ZH/PdT) exprime violemment son dépit en reconnaissant le conservatisme, pire la retard politique des électeurs lors des tentatives malheureuses d’instauration du suffrage féminin au niveau cantonal. « Natürlich ist diese dem Schweizer nicht angeboren, sie ist das Resultat unserer gesellschaftlichen Entwicklung seit dem Beginn des 20. Jahrhunderts65 ». D’où, semble-t-il, le difficile et long travail de reconnaissance, d’acceptation et d’intégration de la nouvelle situation des femmes dans la société avant de pouvoir opérer toute modification constitutionnelle.

3.4.1 Le droit naturel

Pour Karl Wick (LU/PDC), il existe des influences immédiates entre le droit naturel, l’histoire et l’être humain, dans la mesure où ce sont des émanations de la nature humaine. Il reproche aux partisans du suffrage féminin leur vision partiale, et par conséquent abusive et faussée, du droit naturel. Les réflexions historiques concernant le droit naturel poursuivent moins le but de maintenir et de pérenniser un état de fait que de promouvoir son développement pour l’actualiser et le rendre compatible avec la réalité66

. Les titres juridiques, cependant, ne

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Ferruccio Bolla (TI/PLR) rappelle que toute une série d’initiatives pour instaurer le suffrage féminin au niveau cantonal sont à l’étude, « comme s’il était urgent de ne pas être les derniers à participer à une évolution dont on a finalement mesuré l’ampleur et le fondement » (BSOAF, Conseil des Etats, 23 septembre 1970, p. 267).

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Erwin Akeret (ZH/UDC) : « Heute, da die Entwicklung rascher voranschreitet als vorausgesehen, sind wir [BGB] der Auffassung, dass der Schritt nun getan werden soll, damit das Malaise über die sogenannte « Männerherrschaft » verschwindet und die Frauen schon auf die nächsten eidgenössischen Wahlen in den vollen Genuss ihrer politischen Rechte kommen » (BSOAF, Conseil national, 23 juin 1970, p. 451).

65 « Wenn der Bundesrat in seinem Bericht vom 2. Februar die stattgefundenen kantonalen Abstimmungen

rekapituliert, um damit zu beweisen, dass die Mehrheit der Stimmberechtigten gegen das Frauenstimmrecht sei, so betrachten wir dies nicht als einen Beweis gegen das Recht der Frau auf politische Gleichberechtigung, sondern als einen Beweis gegen die Mehrheit der Stimmberechtigten, als einen Beweis ihrer politischen Rückständigkeit » (BSOAF, Conseil national, 13 juin 1951, pp. 434 et 435).

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Selon Armand Droz (FR/PLR), le droit naturel ne regarde pas que vers l’avant, mais aussi vers l’arrière. « Le droit naturel, pris ici dans son sens politique et non philosophique, n’est que la somme des revendications posées par la

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descendent pas du droit naturel, mais se basent sur les besoins concrets d’ordre et de sécurité d’une communauté donnée. Il est ainsi indéniable que l’exclusion implicite des femmes de l’article 4 de la Constitution poursuivait le but de restaurer et de maintenir l’ordre de l’Etat au moment de sa création. Karl Wick (LU/PDC) en conclut que la réflexion sur le droit naturel aboutit tout autant à des arguments contre le suffrage féminin67.

3.4.2 L’interprétation de la Constitution

Une autre réaction contre cet écart est la proposition d’éviter la force conservatrice de la population grâce à l’interprétation de la Constitution. Cette position est défendue par l’ancien juge fédéral Werner Stocker qui donne des exemples d’interprétation68. Dans ceux-ci, elle n’est contraire ni à la tradition ni à la Constitution, mais en accord avec les idées et les perceptions de l’époque. « Die Privilegierung des Mannes und die Rechtslosigkeit der Frau könnten heute nur noch gestützt auf « Vorurteile und veraltete Ansichten » verteidigt werden ; die Einschränkung der Rechte der Frau ist darum, als im Widerspruch zu Wortlaut und Sinn der Verfassung stehen, aufzuheben69 ». Tel est également le sentiment de Kurt Schoch (SH/PLR) lorsqu’il cite, en 1951, le docteur en droit Zaccaria Giacometti et le conseiller fédéral Giuseppe Motta. Zaccaria Giacometti estime que la Constitution est l’expression des opinions et des représentations d’un peuple. Celles-ci sont soumises à l’évolution qui peut survenir rapidement. La résultante de ces forces est la modification du sens de certains articles constitutionnels. Kurt Schoch applique par analogie au suffrage féminin une réflexion de Giuseppe Motta concernant une autre loi. Elle légitime l’ « évolution des faits » pour justifier une modification législative. Et Kurt Schoch de conclure : « Die « circonstances de fait » haben sich auf bezug der Stellung der Frau im

société ou des classes de la société à l’endroit des pouvoirs légaux » (BSOAF, Conseil national, 13 juin 1951, p. 515). Ceci pour justifier la modification constitutionnelle au détriment de l’interprétation proposée par Peter von Roten (VS/PDC).

67 BSOAF, Conseil national, 13 juin 1951, p. 511. Tel est également l’opinion d’Albert-Edouard Picot (GE/PLS) :

« Et le seul silence formel de la Constitution nous permet-il d’en appeler ainsi au droit naturel, […] ? Nous ne le croyons pas » (BSOAF, Conseil des Etats, 20 septembre 1951, p. 374). L’exclusion implicite des femmes, les coutumes et le maintien de cet état de fait dans un long laps de temps interdisent toute interprétation.

68 A la question de savoir si les femmes ont le droit d’exercer la profession d’avocate, le Tribunal fédéral a émit une

décision négative en 1887, puis positive en 1923, changement correspondant au développement de la société. Il cite aussi le cas Léonard Jenni, de Genève, docteur en droit, qui a adressé une plainte à l’Assemblée fédérale suisse en faveur d’une « interprétation logique, rationnelle, systématique, bref : scientifique, de l’ordre juridique fédéral, […] » (AFS, E 4110 (A), 1000/1813, vol. 39, 1928, p. 3).

69 ASF, E 1070, 1992/87, vol. 32, G-10476, Konzeption des verstorbenen Bundesrichter Dr. Werner Stocker. Zur

rechtlichen Stellung der Frau, Abschrift aus dem « Neuen Bund », Juni 1950, p. 8. Max Arnold (ZH/PSS) cite le même passage en 1970, BSOAF, Conseil national, 22 juin 1970, p. 433.

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öffentlichen Leben während der letzen fünfzig Jahre ganz gewaltig geändert 70 ». Ces parlementaires, et les experts qu’ils citent, reconnaissent donc la possibilité d’une interprétation de la Constitution en accord avec l’évolution survenue, reconnue et martelée sans cesse. Or, le Conseil fédéral, soutenu par une majorité de parlementaires, rejette catégoriquement cette solution71. Il est loisible de supputer une mauvaise volonté politique en regard de l’usage d’arrêtés urgents décrétés par le Conseil fédéral à diverses occasions. Il ne s’agissait pas, alors, d’un problème social et politique urgent, qu’il fallait résoudre. Mais en un très court laps de temps, moins d’une dizaine d’années, il l’est devenu.

Ces aspects, principalement procéduraux, qui se situent au-delà des femmes elles-mêmes, véritables sujets des débats, apparaissent dérisoires face à l’ampleur que prennent les descriptions des modifications sociales qui touchent les femmes de façon immédiate. A l’analyse des ces arguments, abondamment documentés, l’instauration du suffrage féminin n’est plus un acte de justice ou d’équité, un perfectionnement de la démocratie, ou une simple mesure administrative qui comblerait une lacune juridique72. Non ; le suffrage féminin semble directement lié et dépendant de la représentation de la nature des femmes, de son adaptation et de sa modification dans une société en mutation73. D’où la tension psychologique entre l’inaltérable et l’altérable, l’intégration de l’évident et l’inévitable démantèlement du préjugé naturel immanent, érodé par l’incessante et irrésistible évolution de la société.