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4.2 La Landsgemeinde

4.2.3 Et les autres cantons

Les éloges dithyrambiques de la Landsgemeinde agacent et vexent certains parlementaires issus des cantons connaissant la démocratie semi-directe. En 1966, Werner Vogt (SO/PSS) met en garde contre une association d’idées péremptoire et fallacieuse. « Er [Fridolin Stucki] hat dargelegt, dass nach seiner Meinung das Stimmrecht unbedingt mit der Landsgemeinde in Verbindung gebracht werden müsse. Uns scheint nun, er sei der Meinung, es gebe nur die Alternative: Landsgemeinde oder Frauenstimmrecht. – Ich warne aus staatspolitischen Gründen davor, einer solchen Überzeugung zu frönen. Es wäre gegenüber uns übrigen Schweizern nicht ganz gerecht, zu sagen, indem wir für das Frauenstimmrecht eingenommen seien, seien wir gegen die Landsgemeinden43 ». Cette opposition dichotomique exclusive contre le suffrage féminin, incarnée par les représentants à Landsgemeinde, est susceptible d’entraîner, à plus grande échelle, un malentendu et des ressentiments entre entités cantonales elles-mêmes. Tout comme les cantons majoritaires à démocratie semi-directe apportent compréhension et délicatesse aux revendications et aux craintes des cantons à Landsgemeinde, il serait souhaitable, du point de vue du respect fédéraliste et de la cohésion nationale, que ces derniers en fassent de même. Il est bien dans les mœurs du consensus et du fédéralisme de montrer la plus haute compréhension envers les minorités. Celles-ci, néanmoins, ne peuvent prétendre à imposer leur point de vue par sentimentalisme. Dès 1959, à la suite de la première votation fédérale sur l’instauration du suffrage féminin, les cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel et Bâle-Ville ont introduit le droit de vote des femmes dans leur canton respectif. Werner Vogt (SO/PSS) met dos à dos deux minorités fondamentalement opposées sur le sujet : les cantons à Landsgemeinde et certains cantons romands. Il souhaite, là aussi, la compréhension d’une minorité à l’égard d’une autre afin d’éviter, dans le futur, l’ouverture d’une brèche entre minorités, mais aussi entre entités plus grandes, que ce soit entre Alémanique et Romands, entre monde rural et monde citadin. La

41 BSOAF, Conseil des Etats, 2 octobre 1957, p. 399. 42

BSOAF, Conseil national, 19 mars 1958, p. 279.

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motion d’Henri Schmitt (GE/PLR) est pour lui emblématique. En relançant le débat sur une question amplement débattue et réglée, l’interprétation de la Constitution, elle relève le malaise de cette minorité favorable au suffrage féminin tout en mettant en garde contre les effets d’une incompréhension fondamentale sur le long terme. « Aus diesem Grunde, verstehe ich hundertprozentig die Motion des Herrn Kollega Schmitt aus dem Nationalrat drüben, und da meine ich nun, wir übrigen Eidgenossen, wir müssen auch unsern welschen Confédérés Verständnis entgegenbringen44 ». Alors que Werner Vogt (SO/PSS) tente une réflexion sur le juste équilibre entre minorités, en 1966, Eduard Zellweger (ZH/PSS) est outré par l’aspect disproportionné que prend le débat et le respect exagéré que semble exiger l’institution de la Landsgemeinde. Il exprime, d’abord, le sentiment d’une profonde vexation. « Beinahe etwas abschätzig hat Herr Kollege Stucki von der Urnendemokratie gesprochen : Was für ein verächtliches Gebilde, diese Urnendemokratie !45 ». Il rappelle, ensuite, que la grande majorité des cantons suisses connaît un système de démocratie semi-directe. « Ja, Herr Stucki, die grosse Mehrheit der Schweiz, der Bund und die meisten Kantone haben die Urnendemokratie. Diese verwahren sich dagegen, weil sie keine Landsgemeinden haben, als Demokraten mindern Ranges angesehen zu werden. Ich bitte sehr, bei dem Kampf gegen die Einführung des Frauenstimmrechtes die andern Schweizer, die « Nur-Urnendemokraten », nicht zu diskriminieren46 ». En 1970, Ferruccio Bolla (TI/PLR) en arrive à la même constatation lorsqu’il tente d’expliquer le refus épidermique des Suisses contre le suffrage féminin. La pression supposée et ressentie par les cantons à Landsgemeinde est certes un argument. « […] ; mais comme il vaudrait seulement pour une partie minime de l’électorat – car les cantons à Landsgemeinde représentent une faible minorité par rapport aux cantons où le vote s’exprime dans le secret des urnes – l’analyste de notre phénomène de refus, de résistance à réaliser l’égalité de l’homme et de la femme en matière de droits politiques se trouverait encore perplexe quant à la signification, sans doute complexe, de cette attitude47 ». La susceptibilité irritée d’Eduard Zellweger pose la question de la légitimité d’une opposition formulée par une minorité. Dans les débats très émotionnels sur les Landsgemeinde, il s’agissait bien de résoudre le dilemme de la répulsion irréductible entre Landsgemeinde et suffrage féminin, contre lequel Werner Vogt a mis

44

Ibid., p. 265.

45 Ibid., p. 267.

46 Ibid. Le concept de discrimination reçoit une nouvelle utilisation dans cette circonstance. Dans tous les débats, il

est utilisé en relation avec le déni de reconnaissance des femmes en tant que citoyennes actives, au même titre que les hommes.

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en garde. Les représentants des cantons à Landsgemeinde ont usé, consciemment ou non, de cette stratégie argumentative insoluble, qui, de part et d’autre, suscite énormément de sentiments contradictoires. Ces oppositions fondamentales sont : démocratie directe contre démocratie semi- directe ; Alémaniques contre Romands ; ruraux contre citadins ; hommes contre femmes.

Que ce soit la résignation face à une modification inéluctable ou un réel sentiment d’acceptation envers le suffrage féminin, les résistances des représentants à Landsgemeinde se relâchent peu à peu. Seul Hans Nänny (AR/PLR) s’abstient de voter lors du dernier débat en 1970. Quoique son refus puisse se comprendre comme le reflet d’une certaine exiguïté d’esprit, son dernier discours exprime bien son profond attachement à cette institution. Tout en rappelant les tenants et aboutissants de la Landsgemeinde égrenés dans tous les discours, il expose en même temps ses sentiments démocratiques dont la supposée disparition produirait une forte émotion de crainte et de tristesse. « Es ist die in das Innerste meiner demokratischen Gefühle gehende Sorge um das Weiterbestehen einer staatsbürgerlichen Einrichtung: […]. Ich weiss, dass wir Ausserrhoder und mit uns auch die Innerrhoder, die Glarner, vielleicht auch die Nidwaldner und Obwaldner bisweilen mitleidig belächelt und bei der Verteidigung der Landsgemeinde eines Ausbruchs von Sentimentalität und des übertriebenen Traditionalismus bezichtigt werden. […] Dieser Landsgemeinde den Todesstoss zu versetzen – […] – bedeutet nicht nur die Aufgabe einer Tradition, es bedeutet auch die Aufgabe einer Einrichtung, die sich nachgewiesenermassen über mehr als ein halbes Jahrtausend hinweg bewährt hat bis auf den heutigen Tag. Es bedeutet aber auch – ich sage es im Ernst – die innerliche Verletzung einer allerdings kleinen Schar, aber sicher nicht der schlechtesten Eidgenossen48 ». Il tente, parallèlement, d’éveiller auprès de ses collègues des émotions proches de la compassion, du regret et de la crainte, tout en sachant que sa cause est perdue d’avance. Ainsi, tout en étant conscient que ce sentiment n’est plus recevable comme argument, il essaie de susciter, une dernière fois, une émotion forte, tout en demandant aux allocutaires de l’empathie afin de ressentir ses propres émotions. Hans Nänny représente un cas particulier ; dans la grande majorité des cas, une fois ressenti le passage de la légitimité à l’illégitimité, l’argument disparaît de la stratégie. N’étant plus recevable, tant du point de vue de la raison que de celui de l’émotion, il n’est tout simplement plus pertinent. Or, Hans Nänny semble insensible aux conséquences de ce passage, dont il est, pourtant, bien conscient. Ainsi, il pourrait être considéré comme un vieil attardé qui n’a plus aucune prise avec le présent, par

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conséquent, qui n’est plus susceptible de représenter des citoyens et d’œuvrer pour le bien et l’avenir de la nation.