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3.5 La visibilité des femmes dans la société

3.5.3 Mêmes devoirs, mêmes droits

Ainsi, les femmes disposant de la même éducation, partageant la même existence et les mêmes expériences professionnelles que les hommes sont assujetties aux mêmes devoirs, sans pour autant disposer des mêmes droits pour influencer les diverses lois qui les régissent. « Comment d’ailleurs soutenir aujourd’hui en toute équité que l’employée n’a rien à dire au sujet des conditions de travail, que les questions de prix et d’approvisionnement ne concernent pas la ménagère, que la mère de famille ne doit pas se mêler des affaires de l’école ?108

». Il va sans dire que la ménagère et la mère de famille consciencieuses ont de tout temps eu un intérêt pour les questions qui les concernent directement, tout en imaginant qu’elles en avaient déjà pour toutes les autres. L’intégration croissante des femmes dans la vie économique du pays apparaît comme un argument incontournable puisqu’il outrepasse la sphère privée, invisible109

. Dans la logique de la nouvelle répartition des tâches, Jean Gressot (BE/PDC) établit un lien immédiat entre devoirs et droits, en ce sens qu’une personne s’engageant davantage doit obtenir davantage de droits. Il estime ainsi, en 1958 : « Reconnaissez avec moi, en toute logique, que si les droits correspondent à une participation de plus en plus accentuée de l’individu aux charges et aux responsabilités de la société civile, on peut et on doit tirer de cette constatation des raisons justifiant actuellement le droit de vote des femmes110 ». Il en appelle à l’esprit logique de ses collègues, tout en décrivant

105 Ernst Vaterlaus ((ZH/PLR) et Charles Primborgne (GE/PDC), BSOAF, resp. Conseil des Etats, 2 octobre 1957, p.

390 et Conseil national, 19 mars 1958, p. 258.

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Telle est l’opinion de Jean-Jacques Cevey (VD/PLR), BSOAF, Conseil national, 23 juin 1970, p. 444.

107 BSOAF, Conseil national, 19 mars 1958, p. 272.

108 Jean-Jacques Cevey (VD/PLR), BSOAF, Conseil national, 23 juin 1970, p. 444.

109 Ainsi, selon Armand Droz (FR/PLR) : « A cette situation nouvelle, à ces devoirs accrus, devrait logiquement

correspondre l’octroi de droits nouveaux » (BSOAF, Conseil national, 13 juin 1951, p. 513).

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ce qui est censé être juste et bon de penser. Il expose les raisons concrètes pour lesquelles il est raisonnable de penser de la façon dont il le propose. De plus, la participation accrue à la « société civile », appelle, selon lui, à une participation accrue à l’activité politique, alors qu’auparavant, les deux sphères étaient distinctes, même si les femmes ont de tout temps été actives dans la société. Il y a ainsi un glissement de sens et de ce qui est bon de penser, en direction d’une reconnaissance du « tout politique » et une tentative de rendre ce glissement logique et sensé. Il s’agit encore une fois d’une argumentation fallacieuse, quoique pour la bonne cause, puisqu’elle soumet le suffrage féminin, droit imprescriptible, à une condition extérieure111. Charles Primborgne (GE/PDC) relève, en 1958, les exigences de la démocratie helvétique en réduisant le lien de cause à conséquence. « L’égalité de traitement, l’un des fondements de notre Etat, n’exige-t-elle pas que les femmes, qui depuis longtemps ont presque les mêmes obligations que les hommes, reçoivent également les mêmes droits ? […] L’évolution de notre Etat politique, où l’économie et le social jouent un rôle de plus en plus important, fait que l’existence des uns et des autres est soumise aux mêmes exigences112 ». Les femmes ont de tout temps été soumises à des obligations et à des exigences. Celles-ci, néanmoins, sont d’un nouveau type, générées par le travail rémunéré dans la sphère publique auparavant occupée par les hommes uniquement. Sans pour autant abandonner leurs anciennes charges, les femmes balisent un nouvel espace. Dans ce processus, deux parlementaires introduisent le concept de contrainte. En définitive, les femmes n’ont plus le choix et doivent assumer leurs responsabilités tant dans la sphère privée que publique. Selon Adelrich Jacob Schuler (ZH/PDC) : « Man braucht kein Gleichberechtigungsfanatiker zu sein, um festzustellen, dass man einerseits der Frau immer mehr Aufgaben und Pflichten überbunden und überbinden musste, dass aber anderseits ihre politischen Rechte seit über hundert Jahren praktisch dieselben geblieben sind113 ». Il tente de susciter un sentiment d’injustice et d’illogisme en mettant cette contradiction en évidence, alors que quelques

111 Carl Miville (BS/PSS) reconnaît ce paralogisme : « Ich glaube, auch dieses halbe Zugeständnis an die werktätige

und arbeitende Frau ist nicht richtig und nicht haltbar, denn wir haben ja beim Manne nie darauf gesehen, ob er werktätig ist, in welcher Weise er sich im Wirtschaftsleben betätigt. Wir haben nie daran gedacht, in der bürgerlichen Demokratie denjenigen, der sein Leben lang nichts getan hat, der keine Leistungen aufweist, der nur konsumiert, das Stimmrecht abzusprechen » (BSOAF, Conseil national, 12 décembre 1945, p. 737).

112 BSOAF, Conseil national, 19 mars 1958, pp. 259 et 260. 113

BSOAF, Conseil national, 20 mars 1958, p. 290. Kurt Schoch (SH/PLR) fait la même constatation: « Man findet es offenbar in Ordnung, dass täglich Hunderttausende von Frauen strenger Erwerbsarbeit nachgehen müssen, dass sie Arbeiten verrichten und verrichten müssen, die früher von Männern geleistet wurde, dass sie ihre Steuern, wie die Männer, bezahlen, dass in schweren Zeiten Appelle an sie gerichtet werden – […] – dass man in schönen Reden die wertvolle Mitarbeit der Frau in allen Tonarten lobt, aber dann diesen Frauen nach wie vor die Mitwirkung bei der staatlichen Willensbildung versagt » (BSOAF, Conseil des Etats, 20 septembre 1951, p. 392).

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années plus tôt, le problème ne se posait pas en ces termes ; d’ailleurs, ce n’était même pas un problème.

La trilogie travail rémunéré, même éducation et mêmes devoirs/mêmes droits rend visible les modifications sociales auxquelles les femmes ont été confrontées. Alors que le travail rémunéré des femmes est une réalité ancienne, la prise de conscience et la problématisation de l’éducation et de l’égalité sexuée devant les devoirs et les droits sont plus récentes. Ce sont les partisans qui mettent ces concepts en évidence afin d’en faire découler logiquement le suffrage féminin.