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En 1951, Alfred Clausen (VS/PDC), ici, se préoccupe de logique qu’il applique à deux problèmes distincts. D’abord, il lui semble évident que si le suffrage féminin est instauré, il faut l’étendre à ces nouvelles citoyennes par adoption. Ensuite, il se demande s’il est dans l’intérêt de la nation de s’exposer à un envahissement de cultures étrangères234

. Ce repli identitaire, rappelant celui appliqué durant la Seconde guerre mondiale, illustre toutes les peurs encore vivaces et reproduit un système de défense culturel utilisé peu de temps auparavant, dans des circonstances dramatiques. Ce concept d’acculturation (Überfremdung) est ressenti comme une véritable menace par Alfred Clausen (VS/PDC), d’autant plus que ces femmes recevront une part active aux décisions concernant le pays, alors qu’elles ignorent tout de la culture et de la pratique politique, de l’histoire, des us et coutumes helvétiques et que les pensées anti-démocratiques poussent encore racines dans de nombreux esprits235. Craintes surprenantes dans la mesure où il est largement reconnu que les femmes votent comme les hommes (leur mari), que leur comportement civique s’apparente à celui des hommes (abstentionnisme) et que, par conséquent, leur incidence novatrice réelle sur la politique est négligeable. Crainte envisageable dans l’esprit conservateur d’un Alfred Clausen qui aime à croire à une homogénéité féminine, donc à un rassemblement du sexe féminin contre le sexe masculin, au-delà de la culture et des partis politiques. Craintes humiliantes, cependant, pour les citoyens suisses puisque cela signifierait que leur identité nationale ne serait qu’un vernis friable. Charles Primborgne (GE/PDC) estime, pour sa part, qu’un délai d’attente n’est pas nécessaire pour ces femmes puisque, d’une part, nombreuses sont celles qui sont déjà domiciliées en Suisse depuis un certain temps et, d’autre part, l’incidence qu’elles créeraient sur le corps électoral est minime236. Et c’est justement sur ces prétendants à la nationalité helvétique que s’applique le recours à la logique d’Alfred Clausen. Il remarque qu’il existe une grande injustice sexuée, cette fois en faveur des femmes, concernant l’octroi de la nationalité helvétique. Pour les hommes d’origine étrangère, le processus est beaucoup plus long et coûteux. « Mahnt diese Feststellung nicht zu aller Vorsicht bei Beantwortung der Frage, ob das Frauenstimmrecht, so wie die Verhältnisse bei uns in der

234 « Würde dadurch nicht der Überfremdung, der man ja mit allen Mitteln entgegenwirken will, Tür und Tor

geöffnet ? » (BSOAF, Conseil des Etats, 20 septembre 1951, p. 376).

235 « Der Geist Hitlers spuckt, wie die jüngsten Ereignisse beweisen, immer noch in vielen Köpfen. Auch der

Faschismus ist noch nicht völlig erloschen, und der Kommunismus beherrscht heute einen grossen Teil der Welt. Werden unter den zahlreichen Neu-Schweizerinnen nicht auch solche sein, die den vorstehend erwähnten Ideologien huldigen ? » (Ibid.).

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Schweiz liegen, so kurzerhand eingeführt werden soll ? Wäre das kluge und umsichtige Politik ? Mir scheint, die Frage stellen, heisst sie beantworten237 ». En 1958, Jacques Chamorel (VD/PLS) aboutit au même constat et demande au gouvernement des assurances formelles avant le vote de l’article constitutionnel sur le suffrage féminin, afin de ne pas avoir de mauvaises surprises a posteriori238. Malgré les préoccupations explicitées par le gouvernement à ce sujet, l’instauration du suffrage féminin bute contre un constat contingent, mais rendu important par sa problématisation.

Les opposants mettent bien en évidence les problèmes purement politiques que l’instauration du suffrage féminin fait surgir. Les partisans leur répondent en resituant les diverses problématiques dans une expérience issue de l’activité politique des hommes. Ils tentent d’établir une égalité entre femmes et hommes concernant les différents aspects abordés ici. L’émotion est fortement présente dans les réminiscences historiques de la Suisse, mais aussi dans l’existence structurelle des Landsgemeinde. La structure politique de la Suisse, issue d’une construction séculaire (la Landsgemeinde, le fédéralisme et la démocratie référendaire), ainsi que le développement des stratégies politiques sont autant de phénomènes qui semblent plaider contre le suffrage féminin. Il apparaît clairement qu’au fil des débats et à la fin des années 1950, cet appel émotionnel n’est plus justifié pour refuser le suffrage féminin. Il devient illégitime.

Un autre aspect du suffrage féminin suscite une grande émotion, peut-être plus puissante, car plus intime encore, que l’organisation politique de la Suisse. Il s’agit de la représentation des femmes et de leur féminité

.

237

Ibid.

238BSOAF, Conseil national, 20 mars 1958, p. 295. Le Message de 1957 ne prévoit pas de délai d’attente pour les

femmes d’origine étrangère mariées à un Suisse. En revanche, il propose un délai d’attente pour l’éligibilité, mais il estime que cet aspect doit être réglé par une loi, et non pas être inscrit dans la Constitution, voir Feuille fédérale, « Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'institution du suffrage féminin en matière fédérale (Du 22 février 1957) », pp. 801 et 802.

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Tout évolue, sauf « la femme » ou les femmes otages de l’opinion

« Les femmes sont soumises à une finalité sociale qui les transcende, que ce soit l’asservissement à leur rôle de reproductrice, ou la dépendance à l’égard d’une opinion qui les juge1 ».

Pour plaider la cause du suffrage féminin, les partisans mettent en évidence un éventail de thèmes argumentatifs, basés sur l’évolution des structures économiques, sociales et étatiques qui modèlent les comportements des femmes et des hommes, et les valeurs fondamentales. Ces arguments représentent le fondement de leur stratégie offensive. Les adversaires recourent volontiers à l’inaltérabilité de la nature féminine et des devoirs qui lui incombent. A leurs yeux, le déterminisme biologique féminin demeure une permanence immuable en dépit de toute transformation extérieure. Non content de relever l’inadéquation des femmes avec les nouvelles structures, parfois contraignantes, ils érigent l’éventail de la perte et de la mise en danger de cette nature féminine, avec comme conséquences le moindre respect des hommes et un nouvel assujettissement des femmes aux hommes.

Plus que tout argument, ceux-ci sont directement liés à l’affect de chaque individu et suscitent de fortes émotions. Des opinions diamétralement opposées, avec toute la gamme intermédiaire, aboutissent à des solutions et des suggestions très différentes. Trois tendances idéologiques principales se dessinent : 1° la nature des femmes ne paraît pas adéquate à leur participation politique. 2° la nature et les caractères féminins représentent un riche complément à ceux des hommes en matière politique. En vertu de cette opinion, les parlementaires proposent soit un suffrage féminin limité, soit le suffrage féminin intégral dans une perspective de complémentarité. 3° il n’est pas fait allusion à la nature des femmes. Pour les tenants de cette dernière option, si caractères proprement féminins il y a, ils ne découlent pas de leur nature, mais de l’environnement social. Par conséquent, ils peuvent être modifiés, si nécessaire. Pour cette palette de parlementaires, l’égalité civique entre femmes et hommes va de soi, et ne dépend aucunement d’une quelconque nature.

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